Séjour naturaliste guidé par Dimitri Marguerat – Groupe : 2 Suissesses (Anna-Maria et Joseline) – 1 Provençale (Pascale) – 5 du Pays basque (Jean-François, Viviane, Pascal, Jean-Louis et Cathy) |
vendredi 20 février au dimanche 8 mars 2015
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Pourtant quelques événements menacent d’écailler cette image, comme par exemple la parution en 1992 d’un roman intitulé La Loca de Gandoca qui dénonce les dommages causés par le tourisme à l’environnement et aux populations locales de la côte caribéenne. La vignette “écotourisme” est utilisée par des sociétés opportunistes pour réaliser des projets de développement économique. Celles-ci font pression sur les gouvernants locaux en manque de ressources et, dans de nombreux cas regrettables, de scrupules. Au Costa Rica, divers scandales impliquent directement la corruption gouvernementale au sujet de dommages écologiques (déforestation, construction sans respect des lois, mauvais – ou absence de – traitement des eaux usées…) pour un éventail de projets “écotouristiques” allant des énormes projets sur les plages comme le “Papagayo” jusqu’aux petites propositions “écotouristiques” telles que celle du refuge de la vie sylvestre de Manzanillo de Gandoca (La Nación, 7, 14 février 1992, 6 mars 1993). L’auteur costaricaine, Ana Cristina Rossi, ne ménage pas par ailleurs ses critiques à l’encontre de la politique touristique et environnementale du gouvernement costaricain de l’époque, qualifiant celle-ci « d’escroquerie » en février 1993.
Qui plus est, 80% de la biodiversité en Amérique latine se trouverait sur les territoires des peuples indigènes. Une des thématiques de ce livre porte sur la question suivante : quels sont les peuples développés, ceux qui savent coexister avec la nature ou ceux qui la détruisent au nom du progrès ? Voici comment la pensée indigène décrit les blancs : “Travaillant toutes de concert, elles nettoient et soignent tout leur terrain. Là où vivent les “zompopas” (fourmis champignonnistes ou coupeuses de feuilles) tout est bien propre car elles coupent toutes les feuilles et bâtissent leurs grands nids. C’est ainsi qu’est le blanc, il est très travailleur, mais il détruit la nature. Il nettoie, nettoie, nettoie pour construire ses cités, mais là où il vit, il n’y a rien.” A l’inverse, dans La Vorágine, l’unique roman publié en 1924 par l’écrivain colombien José Eustasio Rivera, les fourmis servent à illustrer l’hostilité de la jungle. “Les “bachaqueros” (fourmilières) vomissent leurs milliards de fourmis dévastatrices qui découpent la couverture végétale de la montagne et, par de larges sentiers, reviennent au tunnel comme des bandes exterminatrices, avec leurs portions de feuilles et de fleurs. Cette ponction rend malade les arbres qui contractent une syphilis galopante, mais le supplice de cette lèpre reste caché tandis que les tissus se corrodent et l’écorce se pulvérise, jusqu’à la chute brutale avec leur charge d’êtres vivants.” Ainsi, la première métaphore utilise les fourmis pour montrer la barbarie des blancs, alors que dans la seconde, la barbarie est du côté de la jungle et de ses habitants.
Suite à la parution du livre d’Ana Cristina Rossi, un grand débat se produit durant plusieurs années, tandis que l’État costaricain continue son action imperturbablement. Il intervient dans le développement touristique du pays à travers le contrôle de l’image, luttant pour préserver les anciens acquis et s’efforçant de rajouter de nouveaux éléments liés au contexte du moment (l’engouement pour la « durabilité » de tout processus de développement). Mais il intervient également dans l’organisation locale de l’activité en stimulant les investissements. Dès 1985 est promulguée la loi 6990 dite « d’incitation touristique » dont le but est, à travers des avantages divers, notamment fiscaux, d’encourager l’investissement dans le secteur du tourisme, lequel est déclaré « d’utilité publique » dans l’article 1 de cette loi. Les projets entrant dans le cadre de cette loi bénéficient d’une « declaratoria turística ». Ils se rapportent au domaine des transports, des agences de voyage et des hôtels et ils correspondent généralement à un investissement non négligeable. En 2001, 911 projets ont déjà bénéficié des avantages de cette loi réformée au cours des années 90. Entre 1985 et 2000, le nombre de chambres, tout comme celui des agences de voyages entrant dans cette catégorie, triple. – Schéma : 8 ethnies représentant 2,4% de la population se répartissent sur 22 territoires indigènes où théoriquement elles s’autogouvernent et ont le pouvoir judiciaire. La loi indigène de 1977 leur a attribué à perpétuité les terres occupées traditionnellement par les différentes tribus. 60% vit dans le canton de Talamanca, où les biens naturels (eau, terre, bois, pêche) sont convoités par l’État et des entreprises privées. Différents projets de développement sont à l’étude, la construction d’un aéroport international et d’une marina pour promouvoir un tourisme à grande échelle, spéculation immobilière, exploitation minière, agrandissement de l’emprise agricole des monocultures de l’ananas et du palmier à huile qui ont commencé à s’implanter dès les années 1970, projet de création d’une centrale hydroélectrique dont le barrage provoquerait l’inondation d’une partie des territoires indigènes.
Toutefois, à côté de ces investissements de taille, existe une multitude de services ou d’infrastructures de moindre envergure qui représentent en fait la majorité des acteurs touristiques du système. Ainsi, dans le domaine de l’hébergement, au début des années 90, on assiste, le long des routes, à une multiplication des « bed and breakfast » destinés à accueillir les touristes individuels. Une proportion difficile à estimer mais approchant sans doute la moitié, serait propriété d’étrangers. En 2001, l’Institut Costaricain du Tourisme (I.C.T) reconnaît dans son bilan annuel, que ces « petites unités » représentent 80% de l’offre nationale en hébergement et qu’elles constituent « une importante contribution à l’économie du pays ». Dès 1992 d’ailleurs, l’État leur a accordé une attention particulière en créant au sein de l’I.C.T un Département de la Micro-Entreprise destiné à les appuyer, afin de « démocratiser le dollar touristique ». A l’heure actuelle, le tourisme est devenu la première source de devises devant les fabricants de micro-structures électroniques (810 millions de dollars). Il procure 2,5 fois plus de devises que les exportations de bananes et près de 8 fois plus que le café qui représente le quart du total des exportations du pays (en volume, sans doute) et on estime que plus de 140 000 familles en vivent directement. Le tourisme est donc devenu en l’espace de dix ans un argument économique majeur. Afin de compenser la saisonnalité du tourisme international, l’I.C.T se charge également d’encourager le tourisme national en saison creuse à travers des « paquets tout inclus » promotionnels dans certains hôtels.
Nous voilà donc attirés par les sirènes costaricaines, et nous parcourons sur quinze jours un circuit soigneusement mis en place par Dimitri à l’automne dernier après qu’il se soit beaucoup documenté en amont. En prévision de notre voyage, il nous a conseillé de lire “Plaidoyer pour la forêt tropicale, Sommet de la diversité”, du botaniste Francis Hallé. Je connais l’action de ce scientifique depuis la parution en 1992 du récit en bandes dessinées “La Croisière Verte – Mission Radeau des Cimes, Guyane 89” de Tripp, qui a empli du souffle du rêve et de l’aventure les soirées de lecture que je faisais à mes quatre enfants encore très jeunes. J’ai découvert à mon retour du Costa Rica que Francis Hallé avait aussi publié en 2000 un livre plus complet sur le sujet intitulé “Le Radeau des Cimes – L’exploration des canopées forestières”, écrit dans un style très plaisant, avec beaucoup d’anecdotes sur cette expérience hors du commun. Voici comment il introduit de façon imagée une visite de la canopée d’une forêt primaire. “Le sous-bois ne manque pas d’intérêt, mais ceux qui ont la chance de voir la canopée en viennent rapidement à le considérer comme l’envers du décor. Dans un immeuble parisien, le sous-bois correspondrait aux locaux techniques du rez-de-chaussée : vue limitée, pénombre, air immobile et confiné, odeur de cave et de moisi, rats et cafards, poubelles sous les orifices des vide-ordures, gaines verticales remplies de câbles et de tuyaux.”
“Quant à la canopée, ce serait la terrasse du huitième étage d’où l’on admire l’île Saint-Louis et les tours de Notre-Dame en pleine lumière, avec les mouettes sur le fleuve et les martinets dans le joli ciel couleur coquille d’huître.” Ce n’est heureusement pas la perception que nous en aurons durant nos balades, car les forêts que nous visiterons seront beaucoup plus claires que ce qu’il décrit, indice, je pense, que nous visitons plutôt des forêts secondaires qui l’intéressent nettement moins, car leur état révèle les signes d’une dégradation et souvent, malheureusement, le commencement de la fin. En effet, une vieille forêt secondaire (300 à 700 ans) fournit souvent des bois de gros diamètre et de grande valeur dont l’exploitation enclenche une funeste marche en arrière du mécanisme de régénération et empêche le retour de la forêt primaire. Une seule fois, nous aurons l’occasion de monter sur une structure métallique pour contempler quelques courts instants la canopée fleurie inondée de soleil et balayée par un vent assez fort, juste assez pour me donner la nostalgie d’un radeau des cimes à jamais inaccessible pour moi. A Monteverde, nous longerons à un moment donné une tyrolienne, structure ludique formée d’un câble tendu sur une bonne distance auquel se suspendent des touristes harnachés comme pour l’escalade pour s’élancer en hurlant de joie jusqu’au sommet d’une tour métallique située légèrement en contrebas. Cela ne correspond pas à l’idée que je me fais d’une découverte respectueuse de l’environnement, mais il en faut pour tous les goûts. C’est déjà bien que ces gens aient envie de s’amuser dans la nature.
Francis Hallé relate dans un autre chapitre qu’il a eu maintes fois l’occasion de rencontrer quelques uns des derniers chasseurs-cueilleurs, ce qui lui a donné envie de se documenter à leur sujet. Voici ce qu’il en dit. “Les populations humaines des forêts tropicales vivaient dans une relative abondance. Les ethnologues du XIXe siècle ont décrit que tous les besoins matériels du groupe étaient couverts en ne travaillant le plus souvent que trois à quatre heures par jour, sans hâte et en n’impliquant qu’une partie de la société. L’élevage était inutile, l’agriculture était absente ou limitée à un simple essartage en complément de la cueillette. Personne ne constituait de surplus alimentaires puisque les stocks étaient dans la nature elle-même. Entre les groupes se faisaient marginalement des échanges commerciaux. Il y avait beaucoup de temps libre durant lequel se pratiquaient des activités artistiques : fabrication de tapa, une sorte de tissu obtenu en écrasant entre des pierres les couches molles de l’écorce des Moraceae, et confection d’habits de cérémonie, peintures rupestres dans des abris sous roche, décorations corporelles, sculpture sur bois, musiques et danses, etc. Pour les Amérindiens Achuar, une population Jivaro de quelque 18 500 individus vivant de part et d’autre de la frontière entre le Pérou et l’Équateur, les plantes et les animaux sont des êtres que seuls la diversité des apparences et le défaut de langage distinguent des humains.”
Dans son film “Il était une forêt”, très esthétique, (que j’ai déjà vu deux fois sur DVD !), Luc Jacquet offre à Francis Hallé l’opportunité de délivrer de façon originale son message de défense des forêts tropicales. Dès les premières minutes, il annonce tristement ce constat effrayant : “J’ignorais, lorsque j’ai commencé à exercer ma profession de botaniste, que j’assisterais en cinquante ans à la quasi-disparition des immenses forêts tropicales d’antan.” Bien qu’il ait conscience de l’extraordinaire développement des forces humaines de destruction de la nature, par le recyclage des machines de guerre et la reconversion des industries d’armement principalement après la seconde guerre mondiale, il n’hésite pas à clamer sa colère et sa peine de voir anéantir un patrimoine mondial biologique dont on commence à peine à deviner la complexité et la richesse.
Les zones de forêts primaires sont de plus en plus rares et relictuelles dans le monde. Elles sont aussi de plus en plus fragmentées et isolées, en particulier dans l’hémisphère nord. L’essentiel des forêts primaires tempérées se trouve en Patagonie (Chili et Argentine), en Tasmanie (Australie), dans l’État de Washington (États-Unis) et en Colombie-Britannique (Canada). A l’ouest du continent eurasiatique, des grandes forêts signalées ou décrites par les auteurs de l’antiquité (Forêt des Ardennes, Forêt Hercynienne), seuls subsistent quelques massifs tels que ceux de Białowieża en Pologne et au Belarus, Perućica (Balkans) en Bosnie-Herzégovine, ainsi que dans l’extrême Nord de la Scandinavie et de la Russie ou sur les reliefs de la Roumanie (Carpates). La laurisylve de Madère a gardé un caractère de forêt primaire par endroits. En France, dont 16,5 millions d’hectares sont boisés (30% du territoire), le total des réserves intégrales, toutes de trop petite taille, ne dépasse pas 1 000 ha. La plus grande, la réserve du Ventron de 300 ha, se situe dans les Hautes Vosges. Francis Hallé signale aussi la présence d’une modeste relique en Bretagne Sud à Clohars-Carnoët. Les trois grands pôles de forêts tropicales primaires sont situés en Amazonie, principalement Brésil, Pérou et Colombie, en République démocratique du Congo (Bassin du Congo) et en Indonésie : à eux trois ils regroupent au moins les deux-tiers des forêts primaires de la planète. Puisque nous avons détruit nos propres forêts primaires pour atteindre ce niveau de richesse matérielle et cette puissance que le reste du monde nous envie, comment pouvons-nous demander aux pays tropicaux de conserver leur nature intacte et de la préserver (avec quels moyens ?) de notre propre prédation ? Quel intérêt auraient-ils de geler des territoires en s’interdisant (et en nous interdisant) d’y porter atteinte ?
Voici comment sont administrés les espaces protégés du Costa Rica.
“Quant à la canopée, ce serait la terrasse du huitième étage d’où l’on admire l’île Saint-Louis et les tours de Notre-Dame en pleine lumière, avec les mouettes sur le fleuve et les martinets dans le joli ciel couleur coquille d’huître.”
Parmi les sites intéressants à visiter, Dimitri a choisi l’Hacienda Baru sur la côte Pacifique où nous ne resterons qu’une nuit, faute de place. Nous y rencontrons fortuitement le sympathique propriétaire et fondateur du parc naturel privé, Jack Ewing, alors qu’il effectue sa promenade quotidienne dans sa propriété. Dans la petite boutique où sont accueillis les visiteurs on trouve des objets d’artisanat amérindien et, entre autres bibelots et documentation, un livre qu’il a lui-même écrit, “Monkeys are made of chocolate” (Les singes sont faits en chocolat – disponible uniquement en anglais), qui retrace son expérience originale et ses réflexions sous la forme de petites histoires. Son parcours est original : il emménage en 1970 avec sa femme et sa petite fille de quatre ans à San José, la capitale du Costa Rica, et en 1972, il se rend à l’hacienda Baru où la forêt a été rasée sur la moitié de la propriété pour être remplacée par des pâturages et des rizières, l’autre moitié (170 ha) plus vallonnée étant couverte de forêt pluviale tropicale qui est l’une des dernières grandes réserves forestières de cette partie du pays. Il acquiert le tout et commence à l’exploiter normalement tout en observant de plus en plus attentivement ce qui se passe sur la moitié sauvage du domaine. En 1979, il entreprend la conversion de la propriété agricole qui deviendra dix ans plus tard un Refuge National pour la Vie Sauvage, au statut protégé à l’instar d’un parc national.
Alors qu’il a débuté avec deux cowboys pour son élevage bovin et ses rizières, il emploie désormais une quarantaine de personnes réparties sur la fonction hôtelière (des bungalows disséminés dans un parc) et restauration (une terrasse couverte en bois), l’accueil des visiteurs, plus des guides naturalistes, des gardes-forestiers et des gardes pour protéger les biens et les touristes, du personnel d’entretien, tout cela sur un domaine désormais occupé à 90% par la forêt (primaire, 50%, et secondaire 40% sur les champs et prés reconvertis) où la biodiversité s’accroît chaque jour davantage. Lors d’une réunion de l’ensemble du personnel à laquelle Jack Ewing est convié, l’un des anciens, Olman, actuellement charpentier, mais précédemment conducteur de tracteur et encore avant ouvrier agricole, confie à ses collègues : “Il y a vingt ans, lorsque Jack nous envoya planter des arbres dans un champ où avait toujours poussé du riz, j’ai cru qu’il avait perdu la boule (“he had lost his marbles“). Je me souviens que tous les voisins se moquaient de nous et demandaient si nous allions manger des feuilles au lieu de riz. Mais aujourd’hui, ils sont tous en train de se plaindre du haut prix du bois de construction, tandis que nous possédons tout ce dont nous avons besoin. Je suis fier d’avoir planté ces arbres. J’adore raconter aux gens qu’ils ont fourni toute la matière première pour construire nos bâtiments et que nous n’avons jamais eu besoin d’extraire du bois de nos forêts naturelles. Mais cela montre juste ce qui ne va pas dans le monde. Nous ne pensons jamais au-delà du lendemain, de la semaine suivante ou, au plus, de l’année. Jamais nous ne faisons de prospective à un horizon de vingt ans. C’est ce qui fait l’originalité de l’Hacienda Baru.”
Au chapitre 4, Jack Ewing écrit que c’est lors de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement qui se tint à Rio de Janeiro en juin 1992 que fut élaboré le concept de faire payer le pollueur pour financer la suppression du dioxyde de carbone rejeté en excès dans l’atmosphère, mais cela n’eut guère d’effet dans le monde. Toutefois, pendant que tous les autres pays étaient en train de tergiverser, le minuscule Costa Rica entra en action. Il créa un programme appelé Paiements du Service Environnemental. Dans la pratique, il s’agit d’une taxe spéciale à la pompe, payée à chaque fois qu’un conducteur emplit de combustible le réservoir de son véhicule. Cet argent sert à rémunérer les gens qui plantent et protègent les forêts, ou du moins certains espaces prioritaires, comme les corridors biologiques ou “de la vie sauvage” (wildlife corridors). Ce programme exemplaire fonctionne depuis 1997. Parallèlement, comme une grande partie de l’électricité du pays est produite en centrale thermique fonctionnant au charbon ou au fuel, l’Institut Costaricain d’Electricité (ICE) offre des tarifs plus bas aux consommateurs qui démontrent qu’ils procèdent à des économies. A l’inverse, ceux qui gaspillent et consomment beaucoup d’énergie électrique la payent plus cher au kilowatt. L’ICE encourage aussi l’achat d’ampoules économiques. Jack Ewing, comme on l’a vu plus haut, plante des arbres (en bosquets destinés à la fourniture de bois de construction, ou les laisse repousser naturellement là où ils avaient disparu pour qu’une forêt pionnière prépare le terrain à l’existence d’une forêt secondaire qui, en 700 ans, se convertira en forêt primaire).
S’adressant à tous ceux “qui aiment respirer”, il donne plusieurs raisons cruciales de l’imiter. 1) Les arbres captent le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère et le convertissent en fibre de bois tout en rejetant de l’oxygène. 2) Les arbres conservent l’eau qui est tout aussi importante pour la vie. 3) Les arbres, surtout les espèces locales, procurent un habitat pour la vie sauvage. Il est particulièrement bénéfique de les planter en corridors pour relier des forêts isolées. 4) Les arbres donnent du bois, un matériau de valeur à usage quotidien. 5) Les arbres donnent la matière première pour fabriquer le papier dont l’usage n’a pas été éliminé par l’informatique, mais au contraire multiplié.
Francis Hallé, dans une interview que je trouve sur Internet, rappelle que “l’animal est mobile, mais pas la plante, et c’est un sacré changement de paradigme : les végétaux ont dû développer des capacités largement supérieures aux nôtres. Ils sont devenus des virtuoses de la biochimie. Pour communiquer. Pour se défendre. Des chercheurs de l’Institut national de recherche d’Amazonie (INPA) viennent aussi de montrer que les molécules volatiles émises par les arbres tropicaux servent en fait de germes qui permettent la condensation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Autrement dit, les arbres sont capables de déclencher une pluie au-dessus d’eux parce qu’ils en ont besoin ! Les plantes, et les arbres en particulier, sont nos meilleurs alliés pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans la mesure où celui-ci est dû au gaz carbonique (dioxyde de carbone CO2), quoi de mieux que les plantes, qui ont précisément les moyens de fixer le carbone ? Si on replantait suffisamment d’arbres, on n’aurait plus de problème d’effet de serre. Il y a dans les tropiques d’énormes surfaces déforestées, où la culture ne marche pas, et qui offrent des terrains parfaits pour replanter des arbres. Les forêts équatoriales représentent le sommet de la biodiversité. On y trouve le maximum d’espèces dans un volume donné, beaucoup plus que dans le milieu marin. C’est donc une formidable perte. Notre espèce y est née, et on y trouve encore nos plus proches cousins, les grands primates. Et n’oublions pas que cette disparition se double d’un génocide car il y a des hommes qui vivent là, sans détruire quoi que ce soit. Un génocide institutionnalisé pour la recherche du profit : qu’est-ce que ce monde-là ?”
Et il poursuit : “Le cas de la Guyane me touche de près. On y détruit la forêt pour chercher de l’or, en utilisant du mercure qui pollue les rivières et pourrait avoir une influence dramatique sur les populations amérindiennes. Quand Hernán Cortés est arrivé à Mexico, que cherchait-il ? De l’or, et il avait le plus profond mépris pour les Indiens. A-t-on fait le moindre progrès depuis ? Le sous-bois de ces forêts, ce qu’on voit à hauteur d’homme, ne présente pas grand intérêt. En revanche, ces canopées sont d’une beauté spectaculaire, impossible à décrire. Une fois que vous avez vu ces couronnes d’arbres en fleurs, ces animaux extraordinaires et de toutes tailles, que vous avez entendu le concert de la faune canopéenne à la tombée du jour, au milieu des lucioles, vous ne pouvez plus y toucher. Par ailleurs, c’est une immense réserve en molécules biochimiques, un trésor planétaire qui offre des perspectives formidables pour la recherche pharmaceutique. Un jour, on aura besoin de ces molécules et on se dira : c’est bête, on les avait sous la main et on n’en a pas tiré parti.”