Séjour naturaliste guidé par Dimitri Marguerat – Groupe : 2 Suissesses (Anna-Maria et Joseline) – 1 Provençale (Pascale) – 5 du Pays basque (Jean-François, Viviane, Pascal, Jean-Louis et Cathy) |
vendredi 20 février au dimanche 8 mars 2015
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Parmi tous les oiseaux que nous avons observés, jour après jour, celui dont le chant m’a le plus marquée est le Solitaire masqué (Myadestes melanops) que nous entendrons particulièrement bien et longtemps en vallée de Dota, après l’affût au quetzal, sans jamais le voir, si ce n’est subrepticement, une fois. Au chapitre de l’ouïe du livre de Tim Birkhead “L’oiseau et ses sens”, j’apprends que les sons purs et de basse fréquence se diffusent plus loin dans les forêts pluviales, et les sons graves se diffusent plus loin que les cris aigus. Ce sont effectivement les caractéristiques du chant du Solitaire masqué, relativement lent et qui pourrait être reproduit par une flûte piccolo ou plutôt un pipeau de cristal, car sa tonalité la plus aiguë nous vrille un peu les tympans. Son rythme est d’ailleurs si posé par rapport à beaucoup d’autres chants d’oiseaux que j’émets l’hypothèse qu’il intercale des ultrasons inaudibles pour nous. Dimitri me rétorque que c’est impossible et je trouve confirmation de ses dires en lisant une étude sur un autre oiseau du Costa Rica (que nous ne verrons pas car il est nocturne et cavernicole), le guacharo (Steatornis caripensis). Son nom signifie “celui qui crie et qui se lamente” : en effet, dérangé, celui-ci crie et clappe comme un démon dont il a l’allure, paraît-il, faisant penser à des oiseaux médiévaux dignes de figurer dans un film de Harry Potter. L’auteur retrace le long processus qui nous a amenés à réaliser que des animaux entendent – et émettent – des sons qui nous sont imperceptibles. Les premiers animaux à faire l’objet d’études ont été bien sûr les chauves-souris.
(*) Les Psittacidae néotropicaux (perroquets et perruches) ont grandement souffert durant la dernière décennie de la destruction de leur habitat et de l’extraction pour le commerce illégal d’animaux sauvages. Les Aras, grands et brillamment colorés, ont particulièrement décliné. Plusieurs espèces d’Ara sont éteintes et d’autres en danger d’extinction. En Amérique centrale, la réduction de leur habitat a réduit leur population dans une plus grande mesure que dans le Bassin de l’Amazone. L’Ara rouge, bien qu’étant celui qui a la plus grande extension en Amérique, a disparu de certains pays d’Amérique centrale et il est sur le point de disparaître dans d’autres. La population totale subsistant dans l’ensemble de l’Amérique centrale s’élève à seulement 5000 individus, dont 2000 sont concentrés au Costa Rica dans les parcs du Corcovado et de Carara, ce qui rend ce pays très important pour leur conservation. Qui plus est, les réintroductions d’Ara rouge ont commencé à augmenter l’abondance de l’espèce dans ce pays.
La fréquence du son se mesure en hertz – soit le nombre d’ondes sonores émises par seconde, d’ordinaire exprimé en milliers de hertz ou kilohertz (kHz). La plupart des gens peuvent entendre des sons de basse fréquence autour de 2 ou 3 kHz, et aussi hauts que 20 kHz, mais les chauves-souris produisent des cris allant jusqu’à 120 kHz. Non seulement elles émettent un flux constant de sons à haute fréquence, mais le rythme s’en accélère sitôt qu’elles doivent évoluer dans un milieu difficile, elles pratiquent ce que l’on appellera plus tard l’écholocation qui leur sert également à traquer leurs proies (les insectes). En ce qui concerne les guacharos, ils ont aussi recours à l’écholocation, mais ils se servent d’un son à basse fréquence (un cliquettement) de 2 kHz qui coïncide exactement avec la sensibilité maximale de leur ouïe. Sa précision est assez sommaire et limitée à la détection d’objets de taille assez importante, heurtant, dans l’expérience décrite, des disques d’un diamètre inférieur à 20 cm suspendus dans un lieu clos plongé dans le noir. Il y a un autre oiseau qui s’en remet à l’écholocation : le salangane linchi d’Asie du Sud-Est. Comme le guacharo, il se reproduit dans une obscurité totale au fond de grottes, son nid étant consommé comme mets traditionnel de la cuisine asiatique sous l’appellation “nid d’hirondelle”. Il s’introduit sans ralentir dans l’interstice par lequel il accède à la grotte en émettant un bruit déchirant et un cliquettement. Cela me fait penser aux interrogations que nous avions à l’égard d’un autre oiseau cavernicole de nos contrées pyrénéennes, le chocard à bec jaune. Qui sait si, lui aussi, utilise l’écholocation pour s’orienter grâce aux cris suraigus qu’il pousse dans l’obscurité des avens du massif des Arbailles ?
Les oiseaux sont très sensibles aux sons situés autour de 2 ou 3 kHz et la plupart perçoivent des sons situés entre 0,5 et 6 kHz. Pour nous comme pour les oiseaux, les sons les moins intenses que nous puissions entendre sont situés dans la fréquence moyenne. Pour que nous puissions déceler des sons de basse ou haute fréquence, ils doivent être plus forts (émis à davantage de décibels). Les oiseaux chanteurs entendent mieux les hautes fréquences que les autres oiseaux. Pour localiser à l’ouïe la présence et la localisation d’un partenaire ou d’un prédateur, il faut que le cerveau détecte le laps de temps qui s’écoule entre les perceptions de l’une et l’autre oreille. Les colibris, comme les roitelets, ont une tête particulièrement petite, avec une distance d’un seul centimètre entre les oreilles. A la vitesse de 340 m/s, le son pourra être entendu par les oreilles avec un écart maximal inférieur à 35 microsecondes (millionième de seconde). Les petits oiseaux résolvent cette difficulté de deux façons, d’abord en bougeant davantage la tête que nous, ce qui a le même effet qu’un accroissement de taille, et ensuite en comparant la minuscule différence de volume de bruit atteignant chaque oreille ! Fernando Nottebohm a effectué une étude sur le bruant chingolo, un oiseau très répandu d’Amérique centrale et du Sud dont nous noterons quotidiennement la présence durant notre séjour au Costa Rica. On le rencontre dans des habitats très divers et ce chercheur remarque que son chant comporte davantage de sifflements longs et lents sous le couvert et davantage de trilles en terrain découvert. Il en est de même pour notre mésange charbonnière, selon qu’elle se reproduit dans une forêt dense ou un habitat sylvestre plus ouvert.
Parallèlement, une étude sur le troglodyte mignon de Caroline du Nord montre que la présence ou l’absence de feuilles sur la végétation (été ou hiver) a une grande incidence sur la manière dont sonne le chant. Celui-ci se dégrade (s’étouffe) plus rapidement sur la distance quand la végétation est feuillue. En écoutant un intrus, l’oiseau est capable de tenir compte de ce paramètre pour évaluer la distance de l’intrus dont le chant, de même intensité, portera plus ou moins loin selon la saison. Voici une dernière information que j’ai trouvée particulièrement intéressante (l’auteur en fournit bien d’autres) à laquelle je pense à cause du troglodyte, justement. Il y en a plusieurs espèces au Costa Rica, mais ils ont tous la caractéristique d’être excessivement petits, invisibles dans la végétation basse et bruyants, non pas dans leurs déplacements incessants car ils se faufilent avec adresse entre les rameaux, mais par leur chant. Tim Birkhead explique que, à la différence des mammifères, les oiseaux renouvellent régulièrement les cellules cillées de leur cochlée. Responsables de la détection du son dans l’oreille interne, elles sont si complexes et si délicates qu’un bruit trop intense a tôt fait de les détruire. Ces oiseaux semblent aussi mieux supporter les dégâts à l’audition causés par des sons bruyants.
A chaque fois que nous nous déplaçons d’un site à l’autre, je remarque des piquets curieux : plantés très serrés autour des prairies, ils repoussent ! J’ai d’abord trouvé un article en américain sur le sujet, dont la teneur reflète la vogue occidentale de mesures qui me paraissent plutôt du style emplâtre sur une jambe de bois, mais qui donnent bonne conscience. Il a pour titre “Innovation of the week : Living trees as fence posts” (Innovation de la semaine : Arbres vivants comme piquets de clôtures). “C’est le moyen économique qu’ont trouvé les fermiers d’Amérique centrale pour clôturer le bétail et protéger les cultures. Ce sont simplement des branches qui s’enracinent et poussent jusqu’à devenir des arbres. Echangés entre voisins ou acquis au marché local, ces piquets ne nécessitent que peu d’entretien (ils sont moins susceptibles de pourrir et ont moins besoin d’être remplacés) et sont broutés par les animaux, ce qui équilibre leur régime et économise sur les frais d’aliments. Apportant de l’ombre et servant de coupe-vent, ces clôtures vivantes protègent le bétail qui ne s’en porte que mieux sur le plan de la croissance et de la production laitière. Par ailleurs, ces arbres-piquets offrent aux fermiers des bénéfices additionnels de bois de feu, bois de construction, fruits, tannins et teintures. de 2003 à 2008, le gouvernement fédéral du Costa Rica a accordé aux fermiers qui plantaient ces clôtures vivantes des “systèmes de paiement pour services environnementaux” (encouragés par la FAO, Food and Agriculture Organization of the United Nations).
Autre avantage, elles stabilisent les sols grâce à leur système racinaire, diminuent l’érosion, remontent les nutriments minéraux des profondeurs du sol qui sont ensuite incorporés en surface. Par dessus tout, elles accroissent la biodiversité en procurant à beaucoup d’animaux le gîte et le couvert. Les pollinisateurs (papillons, abeilles) et les oiseaux leur rendent de fréquentes visites et, quand ces clôtures relient deux forêts, les animaux peuvent s’en servir de passage pour aller de l’une à l’autre. Lorsque les pâturages sont abandonnés, elles facilitent aussi une reconversion plus rapide en forêt secondaire. En utilisant ces “boutures” géantes, la pression se réduit d’autant sur les forêts où n’est plus prélevé le bois pour fabriquer les piquets. Enfin, comme n’importe quel arbre, ils captent le gaz carbonique de l’atmosphère durant le processus de la photosynthèse, ce qui contribue à réduire l’effet de serre.” Je remarque que cet article ne comporte aucune interrogation sur la pratique de l’élevage bovin ou des cultures industrielles, et encore moins de remise en question de cette occupation de plus des deux-tiers des sols costaricains en lieu et place de la forêt équatoriale qui offre une biodiversité végétale et animale maximale.
Une étude de l’organisation non gouvernementale colombienne Ecovivero (en espagnol) montre qu’il ne s’agit pas du tout d’une nouveauté, mais bien plutôt de la continuité d’une pratique ancienne dont l’origine remonte aux époques préhispaniques et s’étend du Mexique au Pérou. Humboldt et Bonpland, en 1807, signalaient la présence de haies vives autour des champs de pommes de terre et de quinoa dans les Andes, sur les anciens territoires de l’Empire Inca. [content-egg module=Amazon] Le terme local “chinamato” paraît provenir de l’aztèque “chinamatl” qui signifie haie, clôture de cannes. Toutefois, cette coutume est mise à mal dès le second voyage de Christophe Colomb au cours duquel sont introduits le bétail et les bêtes de somme dont les pâturages s’étendent très rapidement pour faire de l’élevage extensif, ce qui fait partie de la stratégie d’occupation du territoire. Ce n’est que vers le milieu du XIXe siècle que seront fixées quelques restrictions à leur mobilité, au moyen d’enceintes, de haies, de palissades, de bardeaux, murets, fossés. Avec l’invention du fil de fer barbelé, il y a cent ans, la clôture “morte” se répand dans le monde, tandis que la haie vive continue de subsister parallèlement, soit volontairement par semis, soit par repeuplement naturel. Tascon, vers 1935, note que les haies sont composées de palmiers épineux qui se multiplient en formant des buissons épais et impénétrables. Je me souviens, à propos des barbelés, d’un volume de la série Lucky Luke de René Goscinny, illustré par Morris, qui s’intitule “Des barbelés sur la prairie” (1967). “Felps, agriculteur, voit régulièrement les troupeaux de Cass Casey traverser ses champs de salade et, pour les protéger, entoure ses terres de barbelés. Casey considère ça comme une provocation. Lucky Luke tente alors de les réconcilier.”
Dans les anciennes colonies espagnoles, la haie vive se compose de “cambroneras” (piment, Lycium barbarum), altramuz (Lupinus), tuna (figuier de Barbarie, Opuntia), Agave et Furcraea cabuya (la “pitera” des Canaries). Le type de haie qui était déjà en usage à l’époque préhispanique perdure toujours aujourd’hui et se compose des plantes suivantes : Guadua angustifolia (bambou), piñuelas (Bromelia nidus–puellae, broméliacée), Bromelia, iczote (Yucca), cabuya (Furcraea), Agave, lechero (figuier, Ficus), pingllug ou kalawala (euphorbe, Euphorbia latazi), Jatropha curcas, Citrus aurantifolia (citron acide), majagua (Bombax septenatum), cardon (cactée candélabre, Acanthocereus). Selon des études menées dans une région humide basse du Costa Rica, on peut y ajouter : Erythrina, Gliricidia, Leucaena, Senecio, Guazuma, Acacia, Sambucus, Spondias, Hibiscus, Cnidoscolus, Albizzia, Morus, Calliandra, Diphysa. L’Erythrina poeppigiana, semée tous les deux mètres, permet d’obtenir l’alimentation durant toute l’année pour deux chèvres en étable. En tout, 92 espèces ont été inventoriées dans les haies vives du Costa Rica, parmi lesquelles la plus employée est la Spondias purpurea, avec sept variétés ; 20 espèces fixent l’azote atmosphérique ; 24 sont employées pour le bois de chauffage ; 24 produisent des fruits ou fleurs comestibles ; 24 produisent du fourrage pour alimenter l’élevage bovin, les lapins et poulets. Toutes ont une fonction productive ou de service.
Parmi celles-ci on peut citer Gliricidia, Spondias, Bursera, Cassia, Casuarina, Erythrina, Diphysa, Jatropha, Yucca, Croton et Ficus. Malheureusement, le fil de fer barbelé est malgré tout omniprésent dans toutes ces campagnes, et je m’interroge sur ces haies soit-disant convertibles en corridors biologiques entre deux forêts, alors que le trajet est semé d’embûches pour tout animal terrestre qui ne pourrait se faufiler au-dessous ou passer par-dessus ce dangereux attribut de nos sociétés modernes qui s’enfonce dans l’écorce des boutures au fur et à mesure qu’elles se convertissent en arbre et accroissent le diamètre de leur tronc. Et je passe sous silence les barbelés qui séparent les pays pour empêcher le passage des humains fuyant les conflits et difficultés de tous ordres qui affectent ces contrées tumultueuses… La circulation des animaux de bonne taille en est pareillement empêchée.
Histoire sans parole : La traversée de la Pan-Américaine par un Porc-épic d’arbre mexicain funambule à proximité de l’Hacienda Baru.
Le Porc-épic préhensile mexicain (Sphiggurus mexicanus) est une espèce de rongeur d’Amérique centrale. Il est terrestre nocturne et arboricole ; il est végétarien et se nourrit de fruits, feuilles, graines… Les populations de cet animal sont en déclin.