Séjour naturaliste guidé par Dimitri Marguerat – Groupe : 2 Suissesses (Anna-Maria et Joseline) – 1 Provençale (Pascale) – 5 du Pays basque (Jean-François, Viviane, Pascal, Jean-Louis et Cathy) |
vendredi 20 février au dimanche 8 mars 2015
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J’ai beaucoup aimé nos balades nocturnes. La première, c’était pour guetter près du fleuve Sarapiqui les minuscules grenouilles Dendrobates vénéneuses mais superbes. La deuxième, c’était en remontant des rives du lac Arenal. Nous avions nos lampes frontales, mais Dimitri nous demanda de les éteindre. Nous cheminions sur une large piste bien entretenue où nous ne risquions pas de trébucher. Au milieu du concert continu des grillons qui avait débuté avec le court crépuscule tropical, nous distinguâmes un cri plaintif (huhuhuhuhuhuuu ou u i u). C’était le chant d’un engoulevent pauraqué. Dimitri fit signe de s’immobiliser et nous montra l’oiseau, juste devant nous. Ce n’était pas facile de le distinguer, il se trouvait dans l’ombre d’une butte et même avec les jumelles nous ne devinions qu’une vague silhouette sombre. En réalité, plus notre oeil s’accoutumait, et mieux nous en voyions les détails : il y en avait trois en tout qui se défiaient, chantant et effectuant leur parade nuptiale, un brusque envol avec une courbe serrée pour se reposer au même endroit. Des chouettes, invisibles, leur faisaient écho. A l’invite de Dimitri, nous commençâmes à avancer tous sur une même ligne, lentement, sans cesser d’observer les oiseaux qui effectuaient leur manège. Deux grandes aigrettes sillonnèrent le ciel encore clair, puis nous reconnûmes le vol lourd de cormorans. La distance finit par être trop courte, les engoulevents s’envolèrent dans un froissement d’ailes. Continuant de monter dans l’obscurité, nous commençâmes à percevoir de minuscules lumières qui clignotaient sur les bas-côtés, au sol et dans les buissons : des lucioles ! Je levai les yeux vers le ciel où les étoiles s’allumaient une à une… Je cherchai le nord, la Polaire, la Grande Ourse, mais à cette latitude, seule Cassiopée était visible, la Grande Ourse était sous l’horizon. Avec sa lunette, Dimitri nous montra la galaxie d’Andromède, Vénus et Mercure étaient en conjonction l’une au-dessus de l’autre. Les lucioles clignotaient toujours autour de nous. Moment magique, inoubliable.
Le lendemain soir, après la visite d’un nouveau parc forestier, le ciel s’embrasa et la silhouette des arbres à l’horizon nous donna l’impression d’être dans une savane africaine. Dans les phares de notre véhicule apparut un serpent. Dimitri s’arrêta (il n’y avait quasiment pas de circulation sur cette piste pleine de nids de poules) et nous descendîmes pour l’observer : il était inoffensif (Anilus Scytale) (nous le sûmes plus tard), mais son apparence faisait penser (à part quelques petits détails) à un serpent corail, extrêmement venimeux. Dans le doute, nous ne nous sommes pas trop approchés. Des engoulevents paradaient dans l’obscurité. Dans le virage pour monter à l’hôtel, Pascale cria : “le tatou, le tatou, le tatouououou !” Un peu plus, et Dimitri l’écrasait ! Il y en avait un autre dans l’entrée qui disparut, rapide comme l’éclair. Sur la route de Tarcoles et du Parc Carara, je remarquerai la signalétique “Yo freno por los animales !” (Je freine pour les animaux).
Le matin, nous déménageâmes de l’autre côté du lac Arenal : il nous fallut une éternité pour le contourner tellement il était étendu. Nous nous détendîmes en nous promenant en fin d’après-midi dans le petit bois de l’hôtel aux arbres magnifiques poussant sur un flanc de montagne creusé d’une petite gorge où coulait un ruisseau, puis à la nuit tombée nous nous rendîmes au Refuge de vie sylvestre de Monteverde pour une balade avec un guide local. C’était un peu l’usine, il y avait plusieurs guides, plusieurs groupes d’une dizaine de personnes chacun et nous tournions tous dans un espace de forêt très réduit. Pourtant, nous avons été “bluffés”. Notre guide, un peu survolté, a commencé par nous faire faire plusieurs aller-retours, cherchant visiblement un animal qui n’était pas au rendez-vous. Puis, tout d’un coup, il l’a trouvé dans les frondaisons de la canopée qu’il balayait de sa puissante lampe torche : des kinkajous (Potos flavus) évoluaient tranquillement, jouant un peu à cache cache avec nous. Deux adultes étaient en train de se faire des câlins à 15 ou 20 mètres du sol, installés sur une branche à peu près horizontale. Une mère ralentit pour attendre son petit qui avait glissé et s’était rattrapé de justesse par la queue. Il avait peut-être été ébloui par le pinceau lumineux, car ce sont des animaux aux grands yeux sensibles de noctambules qui réfléchissent la lumière, c’est comme cela qu’on arrive à les repérer. C’était étonnant, ces petits mammifères mustéloïdes ne cherchaient pas à s’enfuir ni disparaître dans les épaisseurs du feuillage, conscients peut-être de l’inaccessibilité de leur perchoir.
Malgré son anatomie de carnassier, le kinkajou se nourrit à peu près comme le singe araignée d’au moins trente sept sortes de fruits différents, moins d’un dixième de son alimentation se composant de feuilles et de fleurs. Il consomme environ un tiers de son poids de pulpe de fruits par jour, riches en sucres et en graisses (avocats, bananes, goyaves, papayes, anacardes, noix du Brésil, aublets, lucumes, vitellaires, sapotes, sapotilles, pommes de lait, pois doux, membrilles, drupes de balata, simaroube, laurel, ocote, bois-canon, fuits à pain…) et, à la saison sèche, il aspire le nectar de fleurs (courbaril, pilon…) qu’il sirote avec le pollen grâce à une longue langue extensible jusqu’à 17 cm (alors que son corps sans la queue fait en moyenne 50 cm) ! Par fortes chaleurs, il presse les figues et les mangues pour en recueillir le jus. Très friand de miel, il plonge directement sa langue dans les ruches sauvages ou en détruit les rayons, s’attaquant parfois aux ruches des apiculteurs qui l’ont surnommé “honeybear” (ours à miel en anglais). Les nombreuses espèces d’arbres de la forêt humide dont il se nourrit fructifient successivement au cours de l’année, lui assurant un approvisionnement continu. Toutefois, pour affronter la relative pénurie de la saison sèche, l’été et un mois en hiver, il accumule de la graisse dans le tissu sous-cutané et son épiploon (entre les viscères) jusqu’au sixième de son poids, de sorte que, autre originalité biologique du kinkajou, son besoin alimentaire vital est proportionnellement très inférieur à ce qu’il est chez la plupart des mammifères.
Revenant près de l’entrée, nous voyons un renard gris passer devant nous et disparaître dans les fourrés. C’est le plus petit du monde, dit le guide, et le seul canidé à grimper aux arbres (avec le chien viverrin originaire d’Asie orientale toutefois). Il a acquis comme adaptation à la vie dans la forêt des griffes rétractiles comme les chats. Le guide se penche sur un massif de plantes à grandes feuilles et nous montre à toute vitesse divers batraciens, avec ou sans queue, une minuscule grenouille verte, une sorte de salamandre toute aussi cryptique, vert sur vert, aux curieuses pattes effilées, une autre à la queue bicolore, une deuxième mini-grenouille, rousse cette fois. Nous montons un peu et, à une intersection, il s’arrête pour nous signaler la présence d’une mygale (“tarantula” en anglais) terrée dans son trou, effrayée par les flashes du groupe qui nous a précédés. C’est un animal timide qui se cache quand il prend peur. La femelle vit de 10 à 20 ans, plus longtemps que le mâle (de 3 à 7 ans de plus). Elle vit la majorité de ces années après avoir atteint sa maturité, tandis que le mâle, après avoir subi la transition qui l’amène de l’état sub-adulte à celui d’adulte, n’a guère plus de dix mois à vivre. Il devra dès lors chercher à s’accoupler le plus vite possible, dans une véritable course contre la mort. Il est possible que lors de rencontres avec des femelles il soit blessé, perdant une ou des pattes, pouvant même être tué et dévoré. S’il en réchappe, il dégénèrera jusqu’à la mort. Une mygale a la capacité de s’auto-amputer. C’est parfois nécessaire si un membre est gravement blessé : il pourrait entraver l’exuviation (rejet de l’ancienne carapace), ce qui serait fatal pour l’araignée. La scission s’effectue entre la hanche et le trochanter. Le membre se reforme ensuite, s’agrandit au fil du temps, et après quelques mues, il retrouve une taille normale.
Le mâle se déplace dans un assez grand rayon, mais la femelle est presque stationnaire dans son terrier (elle ne va pas à une distance supérieure à un mètre ou un mètre et demi). Elle s’occupe de ses petits pendant une semaine environ, puis ils partent. Parfois, elle laisse sa place à l’un des membres de sa progéniture. Une mygale n’attaque pas un humain passant à sa portée, elle chasse grâce aux vibrations qui se transmettent à ses trichobothries (poils sensoriels) – les espèces les plus agressives se trouvent en Asie. Une mygale mord sa proie et lui innocule du venin qui contient des neurotoxiques, des substances nécrosantes, des hémotoxiques et des agents liquéfiants. Chez l’homme, une morsure de Stromatopelma peut se manifester sous la forme d’une douleur cuisante et de crampes pouvant s’étendre sur un tiers du corps. En revanche, le venin d’autres mygales peut causer une douleur comparable à une piqûre de guêpe. La prédation d’une mygale se limite aux proies de petite taille passant à sa portée. Son alimentation est dite ‘externe’. En effet, la mygale, après avoir immobilisé la proie, perce la peau ou la carapace et y injecte outre le venin, provenant du chélicère, un cocktail d’enzymes (protéases, lipases, etc), provenant de son abdomen, qui va liquéfier les chairs. Il ne restera plus à l’araignée qu’à aspirer le résultat de la digestion au moyen de sa pompe stomacale. Les poils en bordure de sa bouche servent à filtrer le fluide alimentaire.
La glande à venin ne renouvelle pas très rapidement son contenu. La mygale hésite donc à le gaspiller, à moins qu’elle ne se sente menacée et soit acculée sans pouvoir s’échapper. Son alimentation varie selon la taille, l’âge, le moment et l’espèce. Elle mange aussi bien des vers, que des mouches, des grenouilles, lézards, rongeurs, poussins, etc. Les espèces de taille moyenne (jusqu’à 15 cm de diamètre y compris les pattes) que l’on trouve au Costa Rica, comme la Mygale à genoux orange (Orange-Kneed Tarantula, Euathlus smithii) et la Mygale zébrée (Zebra Tarantula, Aphonopelma seemanni), mangent des arthropodes (crustacés, arachnides, insectes…) plus petits qu’elles. La mygale peut émettre divers bruits dont le plus remarquable est la stridulation, à l’aide des pédipalpes et/ou des chélicères, pour dissuader d’une approche ou au contraire attirer l’attention. Elle peut produire des battements à l’aide des pattes avant et pédipalpes. Enfin, elle communique grâce à des substances volatiles appelées phéromones, mises en jeu notamment lors de l’accouplement. Recherchée pendant des décennies comme animal de compagnie et vendue dans le commerce, la Mygale à genoux orange a commencé à se raréfier : elle est désormais protégée par les lois internationales et son commerce est interdit, de même que le retrait de son milieu sauvage.
En redescendant, le guide nous montre, enroulée sur une tige en retrait derrière une plante à grosses fleurs, une fine vipère des palmiers toute verte, y compris son œil (Bothriechis lateralis — Side-striped Palm Pit Viper), en train de dormir. Pour chasser, elle garde l’extrémité de sa queue préhensile enroulée autour d’un rameau tandis qu’elle attrape ses proies, petits oiseaux, rongeurs, lézards et grenouilles. Elle peut saisir au vol les colibris tandis qu’ils font du sur-place en butinant, de même que les parulines en train de chasser les insectes. C’est une espèce qui vit dans les arbres et passe son temps cachée dans l’épaisseur du feuillage ou des fourrés. On la trouve souvent à la base des frondes de palmiers. Ce serpent préfère demeurer coi et tranquille, se fiant à son camouflage pour éviter d’être détecté, plutôt que se défendre agressivement. Toutefois, il peut frapper rapidement s’il est touché. Ses morsures peuvent être graves, mais on déplore peu de morts.
Un paresseux dort dans la canopée. Son nom n’est pas approprié, nous dit le guide. En réalité, il est très malin. Dans ce tout petit pays aux multiples microclimats, il y a une très grande biodiversité sur un espace restreint, ce qui entraîne une très grande compétition entre les êtres vivants. La stratégie du paresseux, c’est d’économiser son énergie, car les feuilles qui le nourrissent ne lui en fournissent pas beaucoup. D’autre part, son immobilité le protège des prédateurs qui, pour la plupart, repèrent leurs proies aux mouvements, aux déplacements qu’elles font. Il y a six espèces de félins au Costa Rica, plus des aigles, des faucons. Le pelage du paresseux a l’air doux, mais comme cet animal vit suspendu par ses pattes griffues, les poils poussent du ventre vers le dos afin que l’eau glisse et s’évacue. Ainsi, son pelage est rugueux sur le dos. Par contre, sous la couche superficielle, de même qu’un lapin, il a un pelage très doux qui a des propriétés de bon isolant thermique.
Détournant notre regard de la canopée vers le sol, nous examinons les fourmis coupeuses de feuilles qui s’activent en permanence. C’est en Amérique que l’on rencontre les deux genres majeurs de fourmis champignonnistes : les Atta (par exemple, Atta cephalotes) et les Acromyrmex. Elles récoltent des végétaux frais qui sont transformés en un jardin souterrain sur lequel pousse un champignon avec lequel elles ont une relation symbiotique (Leucoagaricus, Basidiomycota : Agaricales) grâce à l’interaction d’autres microorganismes comme des champignons filamenteux et une bactérie. De nombreuses études sont publiées sur la Toile (en anglais), car ces fourmis posent des problèmes en agriculture et agroforesterie qui sont pour le moment résolus par l’emploi massif de pesticides à leur encontre. Conscients de la nocivité de ces produits chimiques, les chercheurs étudient le moyen d’introduire dans le nid à l’insu de ses gardiennes un organisme qui détruise le champignon nourricier et, par voie de conséquence, la fourmilière entière. En effet, il existe des organismes (bactéries ou champignons en général) appelés endophytes qui accomplissent tout ou partie de leur cycle de vie à l’intérieur d’une plante, de manière symbiotique, c’est-à-dire avec un bénéfice mutuel pour les deux organismes ou sans conséquences négatives pour la plante. En collectant des fragments végétaux (feuilles ou fleurs), les fourmis courent ainsi le risque d’introduire des microorganismes qui peuvent être nocifs.
Elles sont donc amenées à utiliser une batterie de “contrôles qualité” et de stratégies de défense. En outre, les ouvrières semblent exercer un choix parmi les plantes en testant la dureté des feuilles et leur contenu nutritif, ainsi que la présence de composés secondaires attractifs ou répulsifs, une partie de ces paramètres pouvant être affectée par la présence de champignons endophytes. Il semble plausible, pour cette raison, que les fourmis examinent le matériel foliaire pour exclure des microorganismes nuisibles de leur nid. Par exemple, Acromyrmex octospinosus examine les fragments de feuilles en amont et tente de nettoyer sa surface de tout contaminant fongique et Atta colombica débarrasse une proportion significative de feuilles de toute contamination par des spores du champignon épiphyte Glomerella cingulata (Colletotrichum glocosporioides) (60% de réduction). Toutefois, le retrait de ce champignon à son stade endophyte est moins efficace (30%). Néanmoins, il est difficile d’interpréter cette découverte car ce champignon est pathogène pour les plantes, mais il ne présente aucune menace connue à l’égard de la colonie de fourmis. Lorsque, malgré cette prudence et ces mesures de précaution, le champignon cultivé présente des signes de dépérissement, il peut se passer une dizaine d’heures avant que la plante incriminée soit évacuée de la fourmilière, jetée dans un dépotoir éloigné et que le mot d’ordre d’interdiction de la collecter soit lancé. Étant donné la biodiversité extraordinaire prévalant dans les forêts équatoriales, les fourmis peuvent ne pas être incommodées par un matériel foliaire qui va par contre se révéler nocif pour le champignon. Cette souplesse d’action est donc indispensable. Du point de vue écologique, ces fourmis jouent un rôle très important et bénéfique dans les forêts tropicales. En effet, en prélevant une grande quantité de feuillage dans la canopée (cime des arbres), jusqu’à 40% du feuillage d’un arbre, elles permettent à la lumière d’atteindre les sous-bois, favorisant ainsi le développement d’une végétation plus dense et plus diversifiée, et par conséquent, l’apparition d’une plus grande diversité animale et végétale. De plus, leurs nids améliorent la qualité des sols par une meilleure aération et pénétration de l’eau et contribuent à l’enrichir en nutriments et en matières organiques.
Pour effectuer commodément leur collecte, les fourmis déblayent leur trajectoire de toutes les brindilles, petits graviers, herbes et plantes sauvages qui constituent des obstacles et les mettent sur le côté. Après une longue période de travail intensif, cette autoroute devient aussi droite et lisse que si elle avait été construite avec une machine spéciale. Elles travaillent à la chaîne. Certaines grimpent dans les arbres et coupent le pétiole des feuilles qui tombent au sol. Celles-ci sont découpées par d’autres en fragments transportables par une seule fourmi. Enfin une troisième catégorie est chargée du transport du matériel végétal vers le nid sous la garde de fourmis de très grande taille qui les protègent. Elles circulent d’un pas pressé, en courant, sur des distances qui peuvent dépasser le kilomètre, nous explique le guide qui a fait ses observations dans la ferme familiale. Leur performance serait comparable à celle d’un marathonien courant à 25 km/h avec 227 kg sur ses épaules ! Des fourmis de taille très petite du genre Atta jouent un rôle essentiel dans le maintien des pistes chimiques tracées entre le nid et les sources de nourriture qu’elles renforcent en effectuant de nombreux demi-tours pour déposer plus de phéromones. Elles jouent aussi un autre rôle : elles défendent les plus grandes, occupées à transporter des morceaux de feuilles ou de pétales, contre les attaques de petites mouches parasites*. Pour cela, elles montent sur les feuilles transportées et attaquent les mouches parasites de la famille des Phoridae qui s’approchent de la porteuse : celles-ci dérangent tellement les fourmis qu’elles peuvent diminuer leur activité de recherche de fragments végétaux, mettant ainsi en péril la survie de la fourmilière entière. Le guide nous dit que ces petites fourmis effectueraient aussi un “contrôle qualité”, veillant à ce que les fragments ne soient pas porteurs de germes ou vénéneux pour le champignon cultivé. Je n’ai pas trouvé confirmation de cette information, mais, les études évoquées ci-dessus montrent qu’un contrôle est effectivement réalisé.
(*) Les moucherons de la famille des Phoridae sont des endoparasitoïdes de fourmis. Cela signifie que la femelle Phoride pond ses oeufs à l’intérieur de la fourmi, à l’aide d’un ovipositeur en forme de crochet à l’arrière de son abdomen. La larve de la mouche dévore la fourmi, entraînant ainsi sa mort. Les femelles Phoridae commencent par repérer les fourmis à parasiter, en volant de manière stationnaire au dessus de l’entrée des nids ou des colonnes de fourmis. Puis, en quelques secondes ou parfois moins, elles pondent leurs oeufs dans l’abdomen de la fourmi ou directement dans sa tête. (En France, l’espèce Microselia southwoodi pond sous l’abdomen des fourmis en effectuant des acrobaties périlleuses, tandis que les mouches du genre Pseudacteon pondent sur l’abdomen des fourmis).
Pour quelle raison les fourmis cultivent-elles ce champignon ? Les végétaux sont formés essentiellement d’hémicellulose et de cellulose. Ces polysaccharides sont des chaînes complexes d’oses comme les xylanes, la pectine, l’amidon… que les fourmis ne peuvent dégrader, fautes d’enzymes ou de micro-organismes appropriés. Le champignon est lui capable d’effectuer ce travail car il possède les enzymes adéquates. Il s’agit en fait d’une sorte de mycélium (partie souterraine et filandreuse des champignons) sur lequel les fourmis déposent les végétaux dont celui-ci va se nourrir. Très rapidement, le “fungus” développera des filaments commestibles (les gongylidias) par les fourmis. Il représente ainsi la nourriture quasi-exclusive des fourmis Atta et Acromyrmex, simplement complétée par la sève des plantes qu’elles découpent. Les larves sont également nourries avec ces excroissances du champignon. Les ouvrières les plus petites, que l’on appelle volontiers les “jardinières”, se spécialisent dans le soin dédié au champignon. Elles le taillent, le protègent des autres champignons et infections grâce à des antibiotiques produits par leurs corps et réensemencent le champignon grâce à leurs déjections. Il s’agit d’une symbiose très poussée. Les fourmis sont incapables de vivre sans le champignon car il est leur outil pour digérer leur nourriture de façon externe. Et le champignon ne peut pas vivre plus de quelques jours sans les fourmis. Cette micro-agriculture très poussée a été “inventée” par les fourmis bien avant les hommes, il y a environ 60 millions d’années. La croissance du champignon dépend de l’apport de nourriture et du nombre d’ouvrières pour s’en occuper. Il peut donc réguler la croissance de la colonie mais c’est plutôt l’inverse qui se produit : une petite colonie n’est capable de s’occuper que d’un petit mycélium et la reine régule la ponte pour que la population n’augmente pas trop vite par rapport à la quantité de nourriture disponible.
Nous fouillons les buissons à la recherche de phasmes, malheureusement vraiment trop difficile à déceler ce soir-là tant ils sont mimétiques et se confondent avec des branches ou du feuillage. Passant devant un figuier étrangleur, le guide nous dit qu’en principe, ces arbres ne s’étranglent pas entre eux (des molécules chimiques empêchent les graines de ficus de se développer sur un autre ficus). Un coati circule près des bâtiments, peu farouche. Il est blessé, mais le guide nous dit qu’il est le vainqueur. Ces animaux combattent jusqu’à la mort. S’en détournant, il nous montre pour terminer un philodendron dont les espèces sont toujours toxiques, à l’exception de celui-ci qui donne un fruit comestible (pas ses feuilles). C’est peut-être le Faux philodendron (Monstera deliciosa) qui est une plante vivace de la famille des Araceae, très proche des philodendrons. Lorsqu’ils sont immatures, les fruits sont toxiques et irritants en raison d’une forte présence d’acide oxalique. À maturité (au bout d’un an !) les fruits deviennent en revanche savoureusement comestibles : ils sont connus sous les noms de « cérimans » ou de « fruits délicieux ». En ôtant les écailles externes qui se détachent facilement, on fait apparaître autour d’un axe central une chair juteuse et sucrée dont le goût rappelle celui de l’ananas, de la banane ou de la poire. Le fruit est fragile, se corrompt rapidement. Il contient entre chaque article les restes des filets des étamines qui sont larges et aplatis en forme de petites écailles noires parcheminées qui obligent à une dégustation minutieuse. On peut aussi en faire des jus ou des confitures. Deux fois par an, notre guide fournit des informations aux journalistes de la revue française Ushuaïa.