Quinze jours dans un pays inconnu, c’est bien peu pour le connaître, je ne parlerai donc que de ce qui m’a étonnée, ce que j’ai aimé et, peut-être, ce qui m’a déçue. Nous sommes donc partis au Japon du 11 au 27 mai, après la période des cerisiers en fleurs pour avoir une chance de trouver des logements à un prix raisonnable. Comme pour Taïwan, c’est Richard qui a tout organisé: il a opté pour un vol direct Paris-Osaka réservé dès septembre, des appartements ou maisons par Air BNB puisque cette fois nous sommes six (Richard, Jean-Louis et Cathy avec Michèle, Jérémy et Agnès), c’est plus avantageux que l’hôtel. Nous nous déplacerons aussi uniquement avec les transports en commun locaux. Nous étions tous d’accord pour ne pas faire trop de kilomètres et le circuit a rapidement été arrêté, sauf une étape qui a été débattue: Richard tenait absolument à visiter Hiroshima alors que Jean-Louis et moi n’y tenions vraiment pas. Finalement, nous ne regrettons pas du tout d’y être allés, nous avons eu une excellente impression de la ville et de sa grande baie.
Dans chaque ville, nous avons choisi un hébergement proche de la gare, accessible à pied. Comme nous changions de ville tous les deux ou trois jours, nous n’avons emporté que des bagages légers et peu encombrants, sac à dos ou petite valise à roulette. La seule chose qui n’avait pas été prévue, c’est le stress et les péripéties de notre départ. En réservant si tôt, l’horaire du vol Biarritz-Paris n’était qu’indicatif et il a été retardé ultérieurement de 20 minutes. En plus, l’avion est parti avec une demi-heure de retard. Résultat, au lieu d’avoir le temps pour la correspondance, il nous a fallu courir comme des dératés dans l’aéroport Charles de Gaulle pour nous rendre à la salle d’embarquement qui se trouvait dans un autre terminal.
Une fois dans l’avion, nous nous imaginions sortis d’affaire. Pas du tout ! Alors que tous les passagers étaient installés, que la routine des consignes de sécurité se déroulait, le pilote nous a avertis qu’un voyant s’allumait de façon anormale, indiquant que la porte arrière fermait mal, je crois. Les techniciens se sont affairés et, pour la deuxième fois, nous avons subi l’annonce des consignes de sécurité, l’avion a fini par rouler sur la piste, puis il est retourné, toujours en roulant, au point de départ ! Le problème subsistait, il fallait encore faire des vérifications. Nous avons patienté (bien obligés) et lorsque enfin tout a paru correct, c’est le tracteur de l’aéroport qui s’est mis en panne, nous avons dû attendre l’arrivée d’un autre véhicule pour dégager l’avion et entendre – une troisième fois ! – les consignes de sécurité. Nous aurons attendu en tout trois heures dans la cabine sans manger ni boire, car on ne pouvait pas nous servir le déjeuner tant qu’on ignorait si nous pourrions partir dans cet avion…
Enfin nous atterrissons à l’aéroport international du Kansai après un périple qui aura duré près de vingt heures en comptant les temps d’attente et de transfert. Il est construit sur une île artificielle dans la baie d’Ōsaka, à 50 km au sud de la ville. Nous prenons un train, puis un métro qui nous amènent à destination. Après autant d’heures assis, nous sommes contents de marcher un peu, d’autant que les rues sont étonnamment calmes. Peu de circulation automobile sur les grands boulevards autour de la gare hormis des taxis, et seulement des cyclistes et des piétons dans les rues plus étroites. Réflexion faite, nous réalisons que nous sommes dimanche après-midi, mais les jours suivants la circulation ne sera guère plus importante dans les quartiers que nous visiterons. Bizarre, bizarre ! Si l’on compare notre petite agglomération de la côte basque avec ses 150 000 habitants, où la durée des bouchons du matin et du soir s’allonge de plus en plus, comment font les Japonais dans cette mégapole de plus de 2,7 millions d’habitants ?
Au Japon, le nombre de voitures en circulation régresse (61 millions en 2017), tandis que celui des vélos augmente (72 millions en 2013) pour près de 130 millions d’habitants. Proportionnellement, plus on s’éloigne de grandes métropoles comme Tokyo et Osaka, plus le taux de voitures augmente. Inversement, ce taux diminue lorsque l’offre de transport en commun augmente, notamment le train. Tout est fait pour réduire l’usage de la voiture sur l’archipel. En tant que touristes, nous avons acheté le Japan Rail Pass, un montant forfaitaire très avantageux lorsqu’on parcourt de longues distances en train. Mais pour les Japonais il est également moins onéreux et plus rapide de prendre le train, autant par rapport à l’avion que la voiture, si l’on prend en compte le temps d’enregistrement à l’aéroport, puis d’acheminement jusqu’à la destination finale. Pour les familles, jusqu’à l’âge de 6 ans, le train est gratuit et entre 6 et 12 ans, le billet coûte un demi-tarif. Il y a aussi le bus de nuit qui permet d’économiser le prix de l’hôtel pour les petites bourses. La voiture ne devient meilleur marché que lorsque les enfants deviennent adolescents et elle n’est indispensable que pour atteindre des lieux non desservis par le train.
Quant aux déplacements à l’intérieur d’une région et dans les villes, le réseau du métro est très développé et très utilisé dans les grandes métropoles. Nous avons découvert un système fort pratique, une carte pré-payée (Icoca de JR West) que l’on peut recharger sur des bornes et qui permet d’aller d’un moyen de transport à l’autre, train, métro, bus. Pas de nécessité de chercher un guichet, d’acheter des tickets, de préparer la monnaie, tout est simple et rapide. Le summum, c’est que le solde non utilisé est remboursé à l’aéroport lorsque nous quittons le pays ! Ces cartes à puce (il y en avait 25 sortes en 2013) fluidifient considérablement le trafic. Neuf d’entre elles sont devenues mutuellement compatibles et sont vendues à 80 millions d’exemplaires chaque année. Cela signifie que les passagers peuvent voyager dans près de la moitié des 9 000 stations du Japon et peuvent faire usage de nombreux services de bus avec une seule carte. Le ministère des Transports veut que l’ensemble des transports publics du pays soit accessible par ces cartes compatibles avant les Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Leur usage s’étend à d’autres services, les distributeurs automatiques de boissons, nourriture et objets divers et les restaurants à l’intérieur et hors des gares, des commerces, etc. Il faut savoir que les paiements, encore aujourd’hui, se font majoritairement en espèces dans tous les commerces de détail, les restaurants, etc. L’introduction de ces cartes dont l’usage les rend semblables à nos cartes bancaires est donc une grande nouveauté au Japon.
C’est après le choc pétrolier dans les années 1970 que des mesures draconiennes ont été prises pour réduire l’usage de l’automobile. Des taxes et des frais sont venues en grever le coût, les autoroutes sont devenues plus chères et le train comparativement plus avantageux. Des subventions ont été accordées aux résidents des zones rurales pour le remplacement de leur véhicule par un keijidōsha, K-cars en anglais (parfois appelé midget en français): ce sont de petites automobiles qui bénéficient d’avantages variés et en particulier de taxes et de primes d’assurance réduites. Ainsi, en dépit de son développement économique, le Japon n’a pas suivi la voie des pays développés : les Japonais continuent à ne se déplacer en voiture que sur de courtes distances et sont moins enclins à voyager en voiture.
Cette différence de comportement provient sûrement de facteurs tels que la géographie et l’urbanisation, mais plusieurs mesures politiques y ont également contribué: la cherté des péages autoroutiers, les taxes globales élevées sur les automobiles et la promotion agressive du rail comme alternative à l’avion et à la voiture. Sur le long terme, certaines tendances auront un impact bénéfique sur l’efficacité énergétique et les émissions de CO2. La première est la démographie – car la population japonaise vieillit et le nombre d’habitants s’effondre -: le pays aura ainsi besoin de moins d’énergie pour le transport et d’autres activités. La poursuite de l’urbanisation facilitera l’usage plus intensif de transports publics moins énergivores. “Kuruma banare” (se passer de voiture) est une mentalité qui se répand parmi la jeunesse japonaise, une tendance confirmée par les statistiques gouvernementales selon lesquelles un important déclin est constaté dans la possession d’automobiles par les Japonais âgés de moins de quarante ans.
Le mot d’ordre au Japon est ponctualité et efficacité, nous le constatons chaque jour. J’y ajouterai aussi propreté et affabilité. Le service des transports ferroviaires est impeccable. On pourrait manger par terre tellement le sol est propre. Nous avons remarqué le manège d’un très jeune employé aux joues roses et aux traits lisses et fins, en bordure de voie ferrée: grand, mince, il a rajusté sa chemise blanche impeccablement repassée dans son pantalon sombre serré à la taille par une ceinture, il s’est redressé, raide à force d’être droit, il a vérifié l’heure sur sa montre, puis l’air sérieux et concentré, il a répété apparemment pour lui-même les grandes gesticulations de bras, tel un sémaphore, indiquant aux collègues placés de loin en loin que sur son secteur la sécurité est bien assurée, tous les passagers rentrés, et que les portes peuvent être fermées. Quelques instants plus tard, pile à l’heure, le train est arrivé et les portes se sont ouvertes exactement devant les lignes où les passagers faisaient la queue.
Autre anecdote, dans la petite ville de montagne où nous avons séjourné, espérant apercevoir au loin la cime de l’emblématique Fujiyama, le trafic était trop faible pour nécessiter la présence permanente d’un employé de gare. Pourtant, lorsqu’une jeune fille est descendue au terminus, tôt le matin, elle a sorti sa carte et l’a passée sur la borne pour décompter son voyage. Il ne lui est pas venu à l’idée de resquiller alors que, hormis notre petit groupe de touristes, la gare était vide et qu’il n’y avait, à ma connaissance, aucune caméra de vidéo-surveillance. Dernier souvenir, lorsque nous avons pris des trains interurbains, un message en trois langues, japonais, chinois, anglais, annonçait de temps à autre le passage d’un contrôleur. Derrière moi, j’ai entendu la porte s’ouvrir, je me suis retournée et j’ai eu la surprise de voir que le contrôleur, sitôt à l’intérieur du wagon, s’empressait de saluer les passagers d’une digne inclinaison de son buste. Puis il a marché lentement dans l’allée centrale sans s’arrêter. Son rôle, avait-on précisé dans le message, était d’être à notre disposition pour le cas où nous aurions eu un souci ou une interrogation quelconque. Il était évident que tout le monde avait son billet, il n’était pas dans ses attributions de le vérifier…
En nous promenant durant ce court séjour, il m’a semblé qu’il y avait anormalement de personnes bossues, surtout des femmes, beaucoup de gens qui travaillaient jusqu’à un âge très avancé, ainsi que de nombreux employés pour des “petits” métiers, balayeurs et ramasseurs de papier tombés sur la chaussée, les trottoirs, les parcs, les temples, les musées, contrôleurs de tickets, de compostage, etc. Par contre, nous n’avons vu aucun mendiant nulle part, seulement deux hommes qui manifestement couchaient l’un sous un pont de voie ferrée, l’autre en bordure d’une rue, plus un pauvre hère en train de pousser péniblement un caddie où il empilait des canettes qu’il récupérait dans les poubelles à côté des très nombreux distributeurs de boissons gazeuses et autres sodas disposés dans les rues. En revenant sur la côte basque, l’œil encore orienté en touriste, j’ai remarqué que nous avions aussi des personnes au dos tout courbé, également en majorité des vieilles femmes.
Réflexion faite, si j’ai pu faire ces observations au Japon, c’est parce que nous faisions nos visites à pied et que les Japonais marchent beaucoup, dans les rues, dans les gares et les stations de métro. Quand les gens sont perclus et handicapés pour une raison ou une autre, ils n’ont pas la possibilité de prendre la voiture comme chez nous, puisque dans ces mégapoles l’essentiel des déplacements se fait en transports en commun, ils sont donc beaucoup plus visibles. L’autre facteur, c’est que la population nippone vieillit à un rythme encore plus accéléré que l’Europe et son nombre diminue (moins un million en cinq ans, de 2010 à 2015).
Cette situation modifie la société en profondeur; elle induit notamment un frein à la croissance économique, d’où la réduction du montant des retraites et de la sécurité sociale, l’obligation de travailler plus longtemps et, quand on ne le peut plus, de se faire volontairement incarcérer en effectuant de petits larcins (vol à l’étalage) pour avoir le gîte, le couvert et les soins assurés ! Il y a aussi très peu de chômage, 3% seulement de volant de main d’œuvre. Ainsi, alors que nous allons en Europe vers une automatisation accrue de bon nombre de tâches, les Japonais, quoique très modernes, sont bien plus présents au service de la population et des touristes. Pour le “fun”, ils ont toutefois conçu des automates sympathiques à forme humaine et au comportement très japonais, qui s’inclinent pour saluer et renseignent les voyageurs ou les clients en plusieurs langues (japonais, chinois, anglais).
Ce vieillissement a également une incidence sur les statistiques d’accidents de la route. En 2018, elles révèlent que les personnes âgées de 75 ans et plus causent le double d’accidents mortels de la route par rapport à l’ensemble des autres conducteurs : 8,2 accidents mortels pour 100 000 possesseurs de permis de conduire (autos, motos, scooters), soit 460 morts au total. Toutefois, dans un classement par groupe d’âge, ce sont les jeunes de 16 à 19 ans qui ont à leur actif le plus haut taux d’accidents mortels (11,1 pour 100 000). Depuis quelques décennies, le Japon a une réflexion au plan national sur les actions à mener pour réduire le nombre de morts et de blessés, aussi bien des conducteurs que des passagers, des motocyclistes, des cyclistes et des piétons. En effet, la rapide croissance économique du Japon entre la fin des années 1950 et 1970 s’est accompagnée d’un tel accroissement des accidents de la circulation que les observateurs ont surnommé ce phénomène “Guerre de la circulation” car le nombre des victimes excédait le nombre moyen annuel de morts comptabilisé durant la Première guerre sino-japonaise en 1894-1895.
Le total parvint à un pic de 16 765 victimes en 1970. Puis la tendance s’infléchit et le nombre tomba à 8 719 en 1981, grâce aux efforts intensifs et coordonnés du gouvernement national japonais: amélioration du réseau routier, renforcement de la législation (feux tricolores, signalétique, lutte contre la conduite en état d’ébriété…), éducation, hausse des standards de sécurité des véhicules (ceintures de sécurité, airbags), soins médicaux d’urgence. Mais comme le nombre de voitures continuait à augmenter et leur usage s’intensifiait en terme de kilométrage par véhicule, les mesures prises pour réduire les risques d’accident n’ont pas progressé assez rapidement et le nombre de victimes a recommencé à croître de 1981 à 1992 pour atteindre un nouveau pic de 11 452 victimes. Mais après cette date, bien que le nombre d’accidents continue de croître, celui des morts diminua, notamment grâce à la technologie d’une sécurité passive, l’amélioration sur le plan international des standards de sécurité des véhicules et l’innovation dans les soins médicaux des urgences qui permirent de sauver des vies.
En 2018, le nombre d’accidents mortels de la circulation est tombé à 3 532, soit 162 de moins qu’en 2017 et le taux le plus bas enregistré depuis que les statistiques ont débuté en 1948. Le Japon est devenu l’un des pays les plus sûrs au plan de la circulation routière. L’Agence de la police nationale attribue ce succès à une répression policière accrue des infractions routières, ainsi qu’aux tests plus rigoureux infligés aux conducteurs d’un certain âge lors du renouvellement de leur permis de conduire. En effet, depuis 2016, les personnes âgées de plus de 75 ans doivent obtenir un certificat de compétence pour la conduite quand elles renouvellent leur permis de conduire tous les trois ans. Les tests sont conçus pour identifier les conducteurs dont la mémoire ou le jugement sont défaillants.
Toutefois, le nombre de morts lors d’accidents impliquant des personnes âgées de 65 ans et plus n’a décru que de 54 depuis 2017, pour atteindre 1 966, soit 55,7% du total. La principale cause d’accident lorsque le conducteur est âgé provient de son état de stress qui lui fait confondre la pédale de frein avec celle de l’accélérateur… Par ailleurs, la proportion de personnes âgées parmi les piétons décédés dans un accident de la circulation s’élève à 71,5%. Dans le dernier livre blanc sur la sécurité de la circulation approuvé par le Cabinet, l’accent est mis sur la sécurité routière des personnes âgées, à la fois en tant que piétons et conducteurs, par exemple grâce aux nouvelles technologies de conduite autonome. On estime que le nombre de Japonais âgés de 65 ans et plus possédant un permis de conduire s’élève à 17 millions. Les nouvelles lois ont été accompagnées par une campagne policière visant à pousser les conducteurs âgés à renoncer volontairement à leur permis s’ils ne se sentent pas sûrs d’eux derrière un volant.