Sommaire
“Suzhou fakes”: copier, vertu ou vice ? (1ère partie)
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Pavillons, petits bosquets, eau qui court, rochers, attributs traditionnels des jardins chinois, avec en plus deux représentations de grues du Japon
Pyrolle à la toilette – Fleur rouge de grenadier ?
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Bihoreau gris mâle en plumage nuptial (Nycticorax nycticorax)
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Je serais bien restée plus longtemps dans le parc qui précède l’entrée du musée national du Palais de Taïpei. Les Pyrolles de Taïwan (Urocissa caerulea) se poursuivent sur l’herbe rase entre les racines d’arbres majestueux, s’envolent et gagnent les branches basses où elles font assaut de leurs charmes, déploient leur longue queue qui révèle de part et d’autre une double ponctuation bleu marine et blanche. Dans une flaque du sentier, l’une d’elle vient s’asperger énergiquement, elle plonge et relève la tête à maintes reprises, puis s’ébroue comme un jeune chiot, sauf qu’elle le fait dans l’eau ! Les oiseaux adorent se baigner, bien que je doute que cette saine habitude permette de limiter efficacement l’invasion des parasites bien installés sous leur plumage. Perché à l’aplomb d’un étang, un Bihoreau gris (Nycticorax nycticorax) somnole l’oeil ouvert, indifférent au passage des touristes. Les deux longues plumes blanches qui ornent sa nuque font office de parure nuptiale pour ce mâle en période de reproduction. D’après Buffon, “… la plupart des naturalistes ont désigné le bihoreau sous le nom de corbeau de nuit (nycticorax) et cela d’après l’espèce de croassement étrange, plutôt de râlement effrayant et lugubre qu’il fait entendre pendant la nuit.”En effet, ce héron a des moeurs nocturnes, se nourrissant du crépuscule à l’aube. Il reste debout sans bouger, attendant le passage d’une proie (généralement un poisson) qu’il attrape avec son bec. Il la secoue vigoureusement pour l’étourdir ou la tuer, puis l’avale la tête la première (sinon les écailles “à rebrousse poil” contre les parois du gosier risquent de freiner et d’empêcher l’ingestion).
Montant vers l’entrée principale, nous laissons derrière nous les vieux camphriers et les banyans majestueux reconnaissables à leurs racines aériennes qui pendent des branches maîtresses. A droite, une grande affiche signale une exposition de peintures, mais je n’en comprends pas le thème intitulé en anglais “Fineries of forgery – Suzhou fakes and their influence in the 16th-18th century“. Après enquête, je découvre qu’il s’agit d’un sujet fort original, puisqu’il s’agit de faux, de contrefaçons, d’imitations, d’impostures, désignés en langage devenu courant en France sous le terme anglais de “fakes” ! Mais il ne s’agit pas de “fakes” ordinaires. Si l’on se réfère au terme chinois “wei haowu“, il s’agirait plutôt de faux atours, de fausses parures (comme des faux bijoux qui feraient illusion). Ce qualificatif fut donné par Mi Fu (1052-1107), un grand artiste et collectionneur de la dynastie Song du Nord, dans sa critique d’une oeuvre calligraphique intitulée “Classique de la Cour Jaune” attribuée à Zhong You (151-230). A l’époque, Mi estima que, même si l’oeuvre n’en était qu’une copie fidèle effectuée durant la dynastie Tang (618-907), l’imitation était d’une qualité si exceptionnelle qu’elle méritait d’être désignée comme une “fausse parure” pour décrire et affirmer ainsi sa haute valeur artistique. Dans le même ordre d’idées, l’exposition réunit des oeuvres de peinture et de calligraphie réalisées entre le 16e et le 18e siècle à Suzhou (“la Venise de l’Est”, à l’ouest de Shanghai, Chine), mais qui sont des reproductions portant la signature de maîtres fameux des dynasties Tang (618-907), Song (960-1279), Yuan (1279-1368) et Ming (1368-1644). Par conséquent, beaucoup de ces oeuvres désormais dans des collections publiques et privées ont été négligées depuis pas mal de temps. Néanmoins, le grand nombre d’oeuvres et le grand éventail de sujets traités dans ces “Suzhou fakes” sont la marque d’une véritable “folie pour les antiquités” qui se répandit durant la fin de la dynastie Ming et le début de la dynastie Qing (1644-1912) parallèlement à la montée de la peinture et de la calligraphie comme objets de consommation.
Satisfaire la demande d’œuvres anciennes
Cette collection de contrefaçons (Fineries of forgery) exposée au musée national du Palais montre comment les ateliers commerciaux de l’époque (16e-18e s.) entreprirent de reproduire des œuvres portant la signature d’anciens maîtres et d’adopter les styles d’artistes de Suzhou aussi renommés que Wen Zhengming(1470-1559), Tang Yin (1470-1524) et Qiu Ying (ca. 1494-1552) pour répondre à la mode qui suscitait la demande des consommateurs. En tant que telles, ces oeuvres ont alimenté la vive imagination d’un public à la recherche d’allusions littéraires célèbres et de thèmes populaires auspicieux dans l’art. De nombreux produits-phare sont ainsi apparus sur ce marché, tels que “Up the river on Qingming” (Par-dessus la rivière durant la fête de Qingmingjie) et “Le parc Shanglin“. Les “Suzhou fakes”, bien que fabriqués originellement dans des ateliers commerciaux, bénéficiaient d’une production de masse et d’une large diffusion, des caractéristiques qu’on aurait tort de négliger. De ce fait, ces oeuvres sont devenues une base précieuse d’études sur la diffusion de l’information, la représentation de l’antiquité et la constitution du savoir qui débuta au milieu de la dynastie Ming. Les “Suzhou fakes” réussirent même ultérieurement à pénétrer dans la collection impériale de la dynastie suivante Qing. En ayant un impact direct sur la formation du style académique de la cour Qing, cette collection de contrefaçons (Fineries of forgery) en vint à jouer un rôle important dans le développement ultérieur de la peinture chinoise, une réalité qui jusqu’à présent était passée pratiquement inaperçue.
Taïwan, réceptacle du patrimoine artistique et culturel chinois
De mon point de vue extérieur, le fait que cette idée de remettre en valeur et en perspective ces copies élevées au rang d’œuvres d’art émane de Taïwan me paraît fort révélateur de l’histoire de ce pays. En effet, pendant 50 ans, de 1895 à 1945, la culture, la langue, la religion japonaises étaient omniprésentes et imposées aux Taïwanais de toutes origines. Quand le Parti nationaliste chinois Kuomintang remplaça les Japonais à la tête de Taïwan après la Seconde Guerre Mondiale, les temples japonais furent détruits, le chinois (re)devint la langue officielle et la culture chinoise prit le pas sur la japonaise. Le Kuomintang avait été créé en 1912 par Sun Yat-sen à l’issue de la révolution de 1911 et de la chute du pouvoir impérial de la dynastie Qing. Sous l’égide de Tchang Kaï-chek, ce parti domina le gouvernement central de la république de Chine à partir de 1928 jusqu’à la prise de pouvoir par les communistes en 1949. Ce dernier aléa provoqua le reflux du Kuomintang sur Taïwan où il garda le pouvoir exclusif jusqu’en 1986. En 1949, la Chine continentale devint ainsi la république populaire de Chine, tandis que la république de Chine se réduisait au seul territoire de Taïwan.
Ces bouleversements politiques durant cette longue période de grands troubles eurent pour conséquence le déplacement des œuvres d’art antiques rassemblées en 1914 dans le Centre d’exposition des objets anciens (dans la section sud de la Cité interdite de Pékin) et transférées ensuite dans le musée national du Palais fondé en 1924. En 1933, en raison de l’invasion japonaise qui débuta en 1931 au nord du pays par la Mandchourie, la décision fut prise de déplacer la collection. En plus de trente-deux ans, elle effectua plus de dix mille kilomètres jusqu’à son entreposage à Taïpei qui fut décidé pour échapper à l’insurrection communiste. Le musée national du Palais de Taïpei abrite donc aujourd’hui quelque 697 490 pièces d’art chinois, dont la plus grande collection d’objets artisanaux chinois du monde. Les collections comprennent des calligraphies, des peintures chinoises, des ouvrages anciens, des archives de la dynastie Qing, des bronzes, des jades, des céramiques et divers objets de collection. Il est considéré par la dimension de ses collections comme l’une des plus grandes institutions muséales du monde spécialisées dans l’art asiatique.
– Le Mao Gong Ding, chaudron tripode en bronze, fut mis au jour à la fin de la période Daoguang (1821−1850) dans le comté de Qishan, dans la province du Shaanxi. Les ding, largement utilisés comme réceptacles rituels, devinrent des symboles hiérarchiques sous la dynastie Zhou (1046−256 av. J.-C. env.). Le ding le plus célèbre appartenait à l’origine à Mao Gong. La paroi intérieure du réceptacle contient 497 caractères, l’inscription sur bronze la plus longue connue à ce jour. Celle-ci retrace l’histoire de la fin de la période des Zhou de l’Ouest (1046−771 av. J.-C. env.), particulièrement le règne de l’empereur Xuan au IXe siècle avant Jésus-Christ, le service de son oncle le duc de Mao en tant que chef du gouvernement et une liste des distinctions et des titres honorifiques du duc. Elle constituait un véritable trésor national. Il est situé au 3e étage du musée national du Palais de Taïpei où il est mis en valeur par une scénographie imposante. Les visiteurs s’amassent en foule autour et défilent avec révérence en tâchant de se photographier devant. Même sans avoir connaissance de la nature de cet objet, l’ambiance était telle dans la salle lorsque j’ai visité le musée que je ne pouvais pas ignorer son importance pour les Chinois. –
Il n’est donc pas étonnant que la grande majorité des sujets d’exposition du musée national du Palais de Taïpei porte sur la culture de la Chine, comme on peut le constater en consultant la liste des thèmes traités en 2017 qui est répertoriée sur le site Internet du musée: décembre, Boule de Canton: Sculpture chinoise en ivoire considérée comme le plus haut degré de perfection, Histoire d’un nom de marque: L’esthétique de collection et d’empaquetage de l’empereur Qianlong de la dynastie Qing, «Les couleurs envoûtantes de l’habillement et de la danse: vêtements et danses traditionnels mongols et tibétains», novembre, Un rassemblement littéraire à Qingshui: Exposition d’art des nouveaux médias de la peinture et de la calligraphie du MNP, septembre, Wang Delu et le navire Tongan, Les conceptions gracieuses des produits textile célestes: Chefs-d’œuvre de la tapisserie et de la broderie des dynasties Ming et Qing, juillet, Exemple représentatif de l’enseignant pour une myriade de générations: Confucius en peinture, calligraphie et impression à travers les âges, juin, Honoré par la nature: Une exposition spéciale de la calligraphie de Yu Youren, mai, Agréablement pur et brillant: les porcelaines du règne de Yongle (1403-1424) de la dynastie des Ming, Fabrication céleste – de Hindustan: une exposition spéciale de jades exquis sud-asiatiques, avril, Le voyage avec l’art: peinture et calligraphie accompagnant les tournées d’inspection au sud de l’empereur Qianlong, mars, Les splendides accessoires des peuples nomades: les artefacts mongols et tibétains de la dynastie Qing de la collection du musée, janvier, Les expressions de l’humour dans la peinture et la calligraphie chinoises, Peinture et calligraphie de l’Aîné intellectuel: une exposition spéciale d’œuvres d’art données par la famille de Fu Chuan-fu, Rester industrieux et éviter le luxe: l’empereur Jiaqing de la dynastie Qing et l’art de son temps.
La coalition pan-bleue de ralliement de Taïwan à la Chine
Ces thèmes très majoritairement tournés vers la culture de la Chine reflètent non seulement la teneur du fond du musée, mais aussi la mentalité qui régna durant des années au sein du Kuomintang, le “parti nationaliste chinois”, qui gouvernait l’île après l’éviction des occupants japonais. Depuis 1949, il se déclarait le seul gouvernement légitime de la Chine, l’objectif avoué étant de reprendre possession du continent devenu communiste. Ces velléités étaient soutenues dans le cadre de la guerre froide par les Etats-Unis et l’ONU où il continua de siéger jusqu’au 25 octobre 1971, date à laquelle le “gouvernement de Pékin” fut admis à la place du “gouvernement de Taïpei” dans l’ONU. A son maintien au pouvoir par la force durant la période répressive de la « Terreur blanche » (1947-1987) succéda une période de démocratisation. Alors que le nouveau parti d’opposition, le parti démocrate progressiste (DPP), avait pris la tête du gouvernement, le président du Kuomintang Lien Chan rendit visite le 16 avril 2006 au temple tibétain Yonghe de Pékin, puis à la résidence présidentielle où il en profita pour signer avec Hu Jintao différents accordsévoquant la possibilité que Taïwan soit rattachée à la Chine en tant que province autonome.
Bien qu’ils n’aient qu’une valeur symbolique, la république populaire de Chine prit tout de même à la lettre ces accords. Elle autorisa ainsi les importations sans taxes depuis Taïwan et les Taïwanais eurent de nouveau le droit de se rendre sur son territoire. Comme c’est la république populaire de Chine qui siège désormais à l’ONU et détient le droit de véto de la Chine, Taïwan n’a jamais pu obtenir un statut de membre de l’ONU en tant qu’Etat indépendant. A l’heure actuelle, le Kuomintang forme avec le Qinmindang (Premier parti du peuple), la coalition pan-bleue favorable à l’idée d’une réunification de la Chine (Taïwan devenant une simple province chinoise), alors que la coalition pan-verte est en faveur de l’indépendance de Taïwan. Depuis 2016 et le succès du parti démocrate progressiste (DPP) aux élections, c’est la coalition pan-verte qui l’emporte.
Mort pour un tableau
Par le choix de ses sujets, le musée national du Palais de Taipei s’inscrit donc dans le mouvement “pan-bleu” d’une île, Taïwan, jugée chinoise, et qui ancre sa culture dans celle de la Chine dite continentale. Pour revenir à l’histoire des faux en peinture, le site du musée rapporte une anecdote à propos de l’oeuvre “Up the River on Qingming” (Par-dessus la rivière durant la fête de Qingming). L’oeuvre originale réalisée par Zhang Zeduan au début du 12e siècle à la fin de la dynastie Song du Nord est universellement reconnue comme l’un des grands chefs d’oeuvre de la peinture de genre de cette époque. Elle décrit des scènes de prospérité le long des berges de la rivière Bian à Kaifeng, la capitale. Le réalisme de sa peinture et l’histoire légendaire de sa collecte ont attiré l’attention des connaisseurs et collectionneurs à travers les âges. En outre, ce rouleau peint est également devenu à l’époque moderne l’objet de recherches artistico-historiques. Il existerait de nos jours environ une centaine de versions de cette oeuvre conservées dans des collections privées et des grands musées du monde entier, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’influence qu’elle a exercée sur l’art chinois au cours des années. Le musée national du Palais de Pékin en exposait justement huitversions à l’occasion de la fête de Qingming en avril 2016. – Photos: Vase en forme de pêche de la dynastie Ming à Qing, 17e-18e s. – Poterie trouvée dans une tombe (5e s. av. J.-C. – 3e s. ap. J.-C.) –
Voici donc l’anecdote. Selon diverses sources, durant la dynastie Ming, le célèbre Grand Secrétaire Yan Song (1480-1567) et son fils convoitaient le rouleau peint “Up the River on Qingming” (Par-dessus la rivière durant la fête de Qingming) réalisé par Zhang Zeduan au début du 12e siècle. Apprenant qu’il était en possession du fonctionnaire Wang Yu (1507-1560), il exigea qu’il le lui remette. Peu enclin à renoncer à son bien précieux, Wang commanda subrepticement à l’artiste Huang Biao (1522-après 1594) d’en faire une copie fidèle qu’il offrit à la place de l’original. Yan et son fils se réjouirent de l’acquisition de ce rouleau peint, considérant qu’il s’agissait de la meilleure oeuvre de la collection familiale. Plus tard, Tang Chen, découvrant la supercherie, essaya en vain de faire chanter Wang Yu pour lui extorquer de l’argent, et la fraude fut révélée. Furieux d’avoir été bernés, Yan et son fils firent emprisonner Wang Yu qui fut finalement décapité par vengeance. Huang Biao est ainsi l’un des rares faussaires clairement identifié. Il existe de nombreuses versions de cette histoire de mort littéralement pour un tableau, qui mettent en scène des personnages issus de différents niveaux de la société, allant du Grand Secrétaire au simple fonctionnaire, un peintre, et un maître-chanteur. Il s’avère que “Up the River on Qingming” (Par-dessus la rivière durant la fête de Qingming) en tant que “finery of forgery” (faux tableau) de Huang Biao devint l’un des sujets les plus populaires parmi les “Suzhou fakes“, au fur et à mesure que ce thème se diffusait dans presque toutes les strates de la société à l’époque de la “folie pour les antiquités”. Les faux devinrent ainsi des produits de consommation à la mode parmi ceux qui disposaient d’un pouvoir d’achat.
De Suzhou à la cour des Qing: un extraordinaire rayonnement culturel
A partir du milieu de la dynastie Ming (1368-1644), soit le début du XVIe siècle, Suzhou était déjà devenue un centre culturel à la mode dans la région de Jiangnan et même dans tout le pays. Le style de Suzhou dans l’habillement, l’ameublement et l’artisanat, ainsi que les jardins, les tableaux et même la cuisine était imité par les concurrents des autres régions. Suzhou avait déjà une longue histoire d’importante capitale culturelle, des peintres venaient s’y former en copiant les riches collections du Jiangnan pour forger leur propre style original, et cela devint une mode dans le milieu des peintres de l’époque. Par exemple, “Le voyage de l’Empereur Minghuang à Shu” entra dans la collection d’un membre de la famille Xiang chez lequel le célèbre peintre professionnel de Suzhou Qiu Ying étudiait les tableaux des anciens en les copiant. C’est là qu’il créa beaucoup de ses propres chefs d’oeuvre. Et lors de la présentation et la critique d’oeuvres d’art en réunions savantes, la peinture et la calligraphie de Suzhou en vinrent à être mieux connues et appréciées et leur aura se répandit de plus en plus.
A cette époque, Suzhou avait une économie florissante et un nombre croissant de personnes avait le désir et les moyens de collectionner des œuvres de peinture et de calligraphie. Tentés par les profits escomptés, beaucoup d’ateliers apparurent dans l’aire de Suzhou pour produire pour le marché des “tableaux anciens”, et même quelques artistes chevronnés prirent part à la réalisation de ces faux tableaux. L’assortiment de rouleaux peints attribués ici à Qiu Ying (1510-1551) est constitué de tableaux servant de “lignes directrices” réalisés à partir de certaines de ses œuvres telles que “Tours et Pavillons dans les Montagnes des Immortels“. Ce sujet décrit des palais célèbres de l’antiquité ; il est complété par de la poésie et constitue un produit dont l’aspect est à la fois opulent et riche en message culturel, ce qui le rend tout-à-fait approprié pour figurer en bonne place dans une salle de réception. Cette sorte de “Suzhou fake” caractérisée par la recherche de détails fins et délicats, une riche signification narrative et un profond enracinement culturel devint le nouveau paradigme des “fineries of forgery” (faux tableaux) qui eurent un large succès.
Les produits artistiques et commerciaux de Suzhou qui imitaient les œuvres anciennes, avec leurs couleurs rutilantes et leurs détails pleins de vie, furent populaires non seulement dans les diverses strates de la société de la région de Jiangnan, mais aussi parmi la noblesse et les fonctionnaires qui les offrirent en tribut aux empereurs de la dynastie Qing (1644-1912)(*). Ces derniers savaient-ils qu’il s’agissait en réalité de “fineries of forgery” (faux) ? Ou les considéraient-ils comme de précieux témoins d’un passé reculé ? Quelle que soit la réponse, il est certain que les empereurs Kangxi (1654-1722), Yongzheng (1678-1735) et Qianlong (1711-1799) appréciaient grandement le style de peinture de Qiu Ying et la façon dont les imitations de l’antiquité de Suzhou étaient influencées par les archaïsmes de Qiu. En fait, la cour Qing apprit beaucoup sur les thèmes et les compositions de “l’antiquité” par le truchement de ces “Suzhou fakes“. Par exemple, l’empereur Kangxi commanda aux peintres de la cour de faire une copie du “Suzhou fake” “Printemps au Palais Han” et l’empereur Yongzheng dit aux artistes de copier “Par-dessus la rivière à la fête de Qingming“. Et durant le règne de Qianlong, on trouva encore davantage de copie de “Suzhou fakes” populaires, dont les motifs et les styles furent en outre introduits dans des projets de tableaux de cour sur divers thèmes, comme par exemple “Les activités des douze mois“. Ces travaux, portant dans leur intitulé la mention “version académique” ou “académie de peinture”, témoignent de la portée de ces “fineries of forgery” (faux) inspirés des “Suzhou fakes” qui devinrent une source importante d’inspiration de style de peinture lors de la grande période de prospérité de la dynastie Qing (1683-1839). – Photos ci-dessous: Quelques oeuvres d’art exposées dans le musée national de Taïpei –
(*) Dynastie Qing: Elle fut fondée non pas par les Chinois han, qui constituent la majorité de la population chinoise, mais par des Mandchous, qui de nos jours ne représentent plus qu’une minorité ethnique en Chine. Ceux-ci descendent des Jürchen (女真), un peuple toungouse qui vivait dans la région comprenant l’actuelle province russe du kraï du Primorie et la province chinoise du Heilongjiang. La classe dirigeante des Qing parlait mandchou, une langue toungouse.
Virhudaka Lokapala, bronze doré, dynastie Ming, 15e s., Tibet
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Vase avec un décor bleu sous glaçure de lotus et dragon, dynastie Ming, règne de Yongle (1403-1424)
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Ci-dessus: Copie du début du XIVe s. du “Ajà’ib al-makhluqat”, illustration d’une danse islamique d’invocation pour faire revenir l’eau d’une source tarie
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A droite: Durant le règne de Yongle, la cour des Ming entretint d’étroites relations avec les pays étrangers qui appréciaient tout particulièrement la porcelaine chinoise. En 1424, le roi du Bengale envoya une délégation apportant en présent un mythique “qilin” (*), qui s’avéra être en réalité une girafe.
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(*) Qilin (麒麟), kilin, kirin ou kỳ lân : Animal composite fabuleux issu de la mythologie chinoise possédant plusieurs apparences. Il tient généralement un peu du cerf et du cheval, avec un pelage, des écailles ou les deux, et une paire de bois ou un bois unique semblable à ceux du cerf. | ||
Ci-contre et ci-dessous, bol d’or incrusté de perles |
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