Sommaire
Faussaires européens
Les faux en peinture: une spécificité chinoise ? Pas du tout ! Voici ce que l’on trouve à ce propos sur l’encyclopédie Universalis: “La première falsification en peinture, exécutée avec une nette intention frauduleuse, fut la copie du Portrait de Léon X de Raphaël, réalisée au XVIe siècle par Andrea del Sarto pour être offerte à Frédéric II de Gonzague. Elle avait été commandée par le pape Clément VII pour satisfaire le désir du marquis de posséder ce tableau, sans se séparer lui-même du chef-d’œuvre. C’est au XVIIe siècle que commence vraiment le trafic des faux tableaux, à une époque où le prestige des maîtres de la Renaissance entraîne une demande accrue de leurs œuvres. Dans le Nord, on se dispute les dessins de Dürer et, dès la fin du XVIIe siècle, des artistes comme Hans Hofmann en exécutent d’habiles imitations pourvues du monogramme. De son vivant même, Albrecht Dürer avait été victime des faussaires. Sa principale ressource était la vente de ses gravures et, toute sa vie, il dut se défendre contre ces fabrications, allant même jusqu’à entreprendre un voyage à Venise, en 1505, pour faire cesser les contrefaçons de Marcantonio Raimondi. Aujourd’hui, ces copies vénitiennes sont recherchées à l’égal des originaux. Les critiques d’art de l’époque, Mancini, Baglione, Bellori, Boschini, mentionnent les pratiques des faussaires contemporains. À Venise, ses imitations de Giorgione valent à Piero Vecchia le surnom de « la scimmia [singe] del Zorzon », tandis qu’à Rome Terenzio da Urbino imite à la perfection Raphaël. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un de ces faux Raphaël, vendu au cardinal Montalto, que fut créé le mot pastiche (pasticcio) qui, au sens premier, veut dire « mauvais pâté ». Les contrefacteurs cherchaient déjà à employer des matériaux anciens (vieux bois, vieilles toiles) et à donner à la peinture l’apparence de la vétusté (fumigations, adjonctions de vernis teintés). Ce trafic était facilité par le fait que le commerce d’art était tenu par des peintres ; certains devenaient restaurateurs, et de restaurateur à pasticheur, il n’y a qu’un pas…”
Ne pas confondre faux et copie
Témoignage d’un copiste intitulé “Technique et éthique“. “Il ne faut pas confondre faux et copie. Une copie est une oeuvre tout à fait légale qui reproduit le plus fidèlement possible une toile de maître dépendant du domaine public, soit avec l’autorisation de l’artiste, soit celle des ayant-droit lorsque celle-ci n’est pas encore dans le domaine public. Une copie est toujours identifiée de manière claire et permanente, et le plus souvent d’une taille différente de l’original de manière à ne pas pouvoir être confondue avec celui-ci. La copie a toujours été pratiquée depuis l’antiquité par les peintres pour apprendre les techniques de leurs aînés, pour prendre la place d’originaux qui risquent d’être dérobés dans des lieux publics ou pour satisfaire les amateurs d’art qui ne peuvent s’offrir des originaux extrêmement coûteux. Un faux est une toile présentée comme un original alors qu’elle est en fait une copie ou plus fréquemment une toile “à la manière de” et présentée comme une toile inconnue d’un grand maître. Le faux est bien sûr une activité illicite, un délit puni par la loi, et il lèse les artistes, leurs ayant-droit et les acheteurs qui se font abuser. Certains faussaires peuvent être très performants et il est parfois très difficile d’identifier un faux.” L’auteur de cet article prévient qu’ “il existe sur le marché et particulièrement sur Internet des copies industrielles qui proviennent principalement des pays de l’Est et d’Asie. Ces copies sont parfois réalisées à la chaîne par des ouvriers surexploités qui peuvent en produire plusieurs dizaines par jour ! Elles présentent évidemment une très pauvre qualité et n’ont rien à voir avec les véritables oeuvres d’art peintes par un maître copiste. Accrocher une belle copie de Van Gogh, c’est comme accrocher l’original dans votre salon. La différence entre une copie industrielle et une copie de musée est celle que l’on peut observer entre un trois étoiles Michelin et un fast food… Ne vous laissez pas abuser, une vraie copie demande plusieurs semaines (voire plusieurs mois) de travail et ne peut pas être vendue 200 ou 300 €. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’art mais dans celui de l’industrie du bas de gamme.”
Le faux vu comme un art
Je propose à la lecture cet autre extrait d’un article, Le faux vu comme un art. “Les peintures de substitution, les faux aussi bien que les copies, ont été produites dans un contexte de tolérance qui est étranger à la pratique moderne de l’expertise « scientifique ». Dans leurs tentatives pour écrire une histoire de la peinture chinoise, les auteurs ont largement conçu cette histoire comme devant reposer exclusivement sur des œuvres authentiques. En réalité, une telle histoire n’a jamais existé en dehors de l’imagination des historiens d’art actuels. Pour écrire une histoire de la peinture chinoise qui rende compte des constantes interactions entre l’authentique et l’inauthentique, de nouveaux concepts seront nécessaires, parmi lesquels peut figurer l’idée du virtuel comme l’un des registres de la création artistique. Ce registre a une histoire ancienne en Chine, comme le démontrent aussi bien l’art funéraire que la reconstruction fidèle de structures architecturales plus anciennes. Le faux et les pratiques connexes dans le domaine de la peinture demandent à être intégrés dans ce contexte plus large. On ne peut pas rendre compte de l’intérêt inhérent du faux vu comme un art (dans un mode virtuel) sans défaire la toile de l’histoire de l’art telle qu’elle a été tissée. Le faux ne peut pas simplement être ajouté au paysage existant des genres artistiques pour la simple raison que la cohérence de l’histoire de l’art comme champ discursif a en partie dépendu de l’exclusion des faux.”
Le vrai du faux
J’ai tout particulièrement aimé l’article Le vrai du faux publié par Cairn sur Internet. “Toute croyance suppose d’un côté un désir de croire, et de l’autre une volonté de faire croire qui vient rencontrer et satisfaire ce désir « d’y croire » et « d’en rêver ». La question du vrai et du faux en art, et notamment en peinture, est non seulement ancienne, mais aussi consubstantielle au développement de la peinture occidentale à partir de la Renaissance, même si on a pu évoquer ce phénomène pour certaines œuvres de l’Antiquité. C’est véritablement au XXe siècle que la question se pose avec acuité, à travers différentes affaires médiatiques et retentissantes. Dans la tradition occidentale qui s’instaure à partir du XIVe siècle, on voit l’émergence de l’artiste comme personnalité solaire et moderne, comme « créateur » : avant 1350, l’auteur de peinture (ou d’enluminure) est très souvent un artisan anonyme (maître de…). Mais ce créateur identifié n’est pas seul, il a autour de lui un atelier, et l’apprentissage se fait principalement dans ces ateliers (les « académies » sont plus tardives), et par copie des maîtres. Ainsi le jeune peintre est non seulement rompu à la copie, mais en plus il participe très vite, en fonction de ses compétences et de son talent, aux peintures de l’atelier. On considère souvent que certains tableaux peuvent avoir reçu les soins concomitants de Giorgione et Titien, et que bien des tableaux de maîtres des XVIIe et XVIIIe siècles sont des fabrications relativement collectives. Cette identification de celui qui tient les outils de la création (pinceaux, burins, stylets…) est donc dès le début dissoute dans les pratiques artistiques de l’atelier, où on se répartit les étapes ou les parties du travail.”
“La question du vrai et du faux, de l’authenticité intégrale d’un tableau qui ne serait que de la main d’un seul, est une préoccupation finalement moderne, et confine au problème de l’attribution. Elle n’est pas seulement une question de trait ou de la seule nature de l’objet, elle est une question de distance. Quelle est la distance présumée entre un artiste identifié et l’auteur réel de telle peinture ? Là se situe, in fine, l’essentiel de la question de l’attribution. Les catégories modernes essaient de cerner ainsi différents niveaux d’« authenticité », selon l’implication présumée du peintre dans la fabrication de l’œuvre, et on aboutit à une graduation qui va de l’attribution catégorique (reposant souvent sur une traçabilité parfaite des collections dans lesquelles l’œuvre a figuré, comme les collections royales), jusqu’à des formes de plus en plus dégradées d’authenticité : « X et son atelier », « attribué à », « atelier de », « entourage de », « suiveur de », « à la manière de ». Toutes ces formes rhétoriques soulignent l’éloignement de plus en plus manifeste entre la main de celui qui a réalisé le tableau en réalité et celui qui prétend en être l’auteur.”
“Tout autre est le problème quand on l’aborde du point de vue du faussaire. Il y a dans ce cas un désir de faire « comme si », une mise en scène et en pratique de techniques du faire-croire qui vise à une « mystification », où l’authenticité est un mensonge savamment orchestré. Si le degré d’authenticité d’une œuvre attribuée à un artiste est affaire d’appréciation et de connaissance de ses manières de faire, celle d’un faux est profondément liée à la vraisemblance stylistique, matérielle, du faux par rapport aux œuvres qui l’inspirent. L’activité du faussaire n’est pas le seul fait d’un individu isolé et doué d’un certain talent : il faut tout un contexte pour que la mystification soit produite et diffusée, c’est-à-dire pour qu’elle atteigne son efficacité. Sans les collectionneurs, antiquaires, marchands, commissaires-priseurs et experts, rien ou presque ne peut se faire. En la matière, c’est bien souvent la demande qui crée l’offre, et le désir, chez des collectionneurs, de posséder tel type d’objet ou de tableau qui suscite les vocations falsificatrices. Ainsi le faux est souvent suscité par une demande particulière, qui crée un effet de demande qui suscite l’offre.”
La contrefaçon actuelle dans l’économie mondiale
Ces réflexions d’ordre plus général permettent d’étendre le propos et d’aborder sous un nouvel angle la problématique de la contrefaçon dans le monde actuel. Le lien entre mystification, faussaire et demande pourrait, parallèlement, être présenté de la façon suivante. C’est parce que nous avons créé une société de consommation que la contrefaçon a émergé pour satisfaire une demande multiforme, et c’est parce que ce modèle de société se propage dans le monde entier que la contrefaçon se développe et s’organise afin de s’imbriquer intimement dans les rouages de l’économie mondiale où elle se fond en captant une partie de la manne. Comme l’illustre fort bien le tableau ci-dessus, les principales victimes de la contrefaçon sont les pays “développés”, où vivent les consommateurs ayant le plus grand pouvoir d’achat, et la principale source de produits contrefaits est la Chine (Taïwan n’y figure pas, mais y contribue aussi) que l’Occident en quête d’économies des coûts de production a convertie en fournisseur attitré polyvalent.
La contrefaçon, un passage transitoire du développement ?
Les importations de produits contrefaits et piratés s’élevaient en 2013 à près de 500 milliards USD (U.S. Dollars) par an, soit environ 2,5 % des importations mondiales, d’après un nouveau rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle. Les marques américaines, italiennes et françaises sont les plus touchées, et une grande (?) partie des sommes provenant de ces ventes alimente le crime organisé. A propos de ce qualificatif “grande”, un article offre une autre vision des contrefacteurs. Intitulé “Chine: le piratage, école des pauvres“, il explique qu’en 1980, seuls 3% des habitants de la région de Shenzhen, alors une simple bourgade rurale du sud de la Chine, allaient au collège. Aujourd’hui, la région accueille une industrie florissante. C’est la pratique de la contrefaçon qui a en partie formé la main-d’œuvre: “On copie, on colle, on reproduit, on modifie, on se débrouille – et peu à peu, on progresse.” La copie finit par transformer les copieurs en artisans. Au lieu de fabriquer des fausses Ray-Ban ou des Nike améliorées, l’industrie s’est tournée vers la high-tech avec comme outils, Internet et la débrouille: « Ils lisent les critiques des nouveaux produits, étudient les photos, achètent quelques exemplaires et les démontent pour voir s’ils ne pourraient pas en construire l’équivalent pour nettement moins cher. »
Par ailleurs, si des pays asiatiques ont réussi à apprendre aussi rapidement les techniques occidentales, c’est qu’ils ont bénéficié de deux facteurs clés, comme le décrit le livre“How Asia Works: Success and Failure in the World’s Most Dynamic Region” (Comment fonctionne l’Asie: Succès et échec dans la région la plus dynamique du monde): un gouvernement autoritaire se donnant pour objectif la modernisation rapide du pays, allié à l’aide financière et technique d’un pays développé. Il montre ainsi l’alliance au XIXe et début du XXe siècle du Japon avec l’Allemagne, celle de la Corée avec le Japon, et celle de Taïwan avec le Japon d’abord, en tant que colonie, puis avec les USA. Le mécanisme d’acquisition des connaissances est toujours “l’apprentissage par la pratique”, que ce soit l’industrie de l’acier, de la pétrochimie, des plastiques, des semi-conducteurs, etc. Durant au moins une vingtaine d’années, les pays en développement apprennent, modifient et volent les connaissances acquises par d’autres.
La porcelaine: l’Europe vole à la Chine son savoir-faire
Tout au long de l’histoire, il en a toujours été ainsi. Voici un exemple où les rôles de la Chine et de l’Europe étaient l’inverse de la situation actuelle. Depuis la découverte au XIIIe siècle par Marco Polo de la céramique fine et translucide chinoise qu’il nomme “porcellana“, du nom d’un coquillage nacré en forme de vulve de truie (porca : femelle du porc en latin) très prisé des romains, tous les princes et rois d’Europe n’ont eu de cesse de se la procurer. Après 1498, avec l’ouverture de la route des Indes par Vasco de Gama, c’est la ruée. Un commerce régulier s’établit entre l’Extrême-Orient et l’Europe. Portugais au XVIe siècle, Hollandais, Anglais et Français aux XVIIe et XVIIIe siècles se disputent le monopole de son importation. A la Renaissance, potiers et alchimistes, portés par l’esprit scientifique de l’époque et encouragés par des mécènes (sic*), n’ont de cesse de chercher le secret de la porcelaine chinoise. De toutes ces expériences, ce sont celles des Médicis à Florence et des princes français au tout début du XVIIIe siècle à Saint Cloud, Chantilly, Vincennes… qui sont les plus probantes. Elles donnent naissance à la “porcelaine tendre”. Celle-ci a l’aspect de la porcelaine chinoise mais n’en a ni la dureté, ni la sonorité. Il manque l’élément principal, le kaolin, toujours inconnu à cette époque en Europe.
En 1709 en Saxe, l’arcaniste Böttger découvre la formule de la porcelaine dure et identifie par hasard un gisement de kaolin. La première manufacture de porcelaine dure hors de Chine est fondée à Meissen. Le secret en est jalousement gardé. Le père jésuite François-Xavier d’Entrecolles (ou Dentrecolles, né à Limoges le 25 février 1664 et mort à Pékin le 2 juillet 1741) est envoyé en 1698 comme missionnaire d’abord à Yangxi, en Chine, puis il est muté à Jingdezhen (province de Jiangxi), au cœur de la capitale chinoise de la porcelaine. Il étudie sa composition et découvre qu’elle est à base d’une argile blanche, le kaolin, terme dérivé de Gaoling (高岭, Collines Hautes), qui désigne la carrière d’où il est extrait. Il révèle les secrets de sa fabrication dans deux lettres restées célèbres, la première en date du 1er septembre 1712, et la seconde en date du 25 janvier 1722, publiées dans la collection des Lettres édifiantes et curieuses du père Jean-Baptiste Du Halde. Il est de ce fait à l’origine de la production de la porcelaine en Europe, aux côtés de Ehrenfried Walther von Tschirnhaus et Johann Friedrich Böttger. En France, il faudra attendre 1767 pour que la première porcelaine dure à base de kaolin du Limousin sorte des fours de la Manufacture de Sèvres.
(*) Noter les termes flatteurs employés dans cette Histoire de la porcelaine, alors que dans la situation inverse, on parlerait de vol de savoir-faire, de contrefaçon lésant la propriété intellectuelle et de délit passible de poursuites pénales.
Mesures de rétorsion de la contrefaçon taïwanaise
En 2003, un article paraît dans la presse taïwanaise au sujet de la propriété intellectuelle. L’auteur rappelle que, traditionnellement, l’apprentissage artistique, en calligraphie ou en peinture, se faisait par le biais de la copie. Dans les années 1950 et 1960, le piratage dans le domaine des publications était rampant, essentiellement pour répondre à une demande croissante sur le marché local taïwanais. Les maisons d’édition se contentaient de photocopier un livre, d’y ajouter une couverture et le tour était joué, la vente s’effectuant bien sûr à un prix largement inférieur à celui de l’original. La reproduction illégale ne se limitait pas à l’industrie du livre : elle s’étendait à d’autres formes de création intellectuelle, grâce à l’évolution des capacités de production. Lorsque les Taiwanais, en fabriquant en sous-traitance pour de grandes marques internationales, eurent accès aux nouvelles technologies, ils commencèrent à développer leurs propres gammes de produits, sous leurs marques, vendues à des prix plus attractifs. Au début, il s’agissait de jouets, de cassettes audio, de montres puis, petit à petit, les marchandises prirent de la valeur — composants informatiques, logiciels, cédéroms… Dans les années 70 et 80, les produits contrefaisants étaient facilement disponibles. C’est ainsi qu’avant l’adoption en 1993 de la loi sur les chaînes de télévision câblées, des centaines d’opérateurs illégaux diffusaient régulièrement des films étrangers sans payer aucunes royalties. Taïwan ne tarda pas à s’attirer les foudres de plusieurs pays, au premier rang desquels les Etats-Unis qui constituaient le plus important débouché commercial. Taïwan fut sanctionnée par le biais de la clause de l’article Special 301, et l’île fut placée de 1989 à 1991 sur la liste d’observation des pays en infraction aux lois américaines sur le copyright. Elle s’enfonça encore davantage en 1992, en rejoignant la liste des pays qui font l’objet de mesures de rétorsions commerciales. Divers moyens furent employés à Taïwan pour y remédier, mais la contrefaçon est d’une part difficile à éradiquer totalement, et d’autre part l’image du pays demeure entachée par ces actions litigieuses.
A ce propos, il faut prendre conscience que le piratage peut atteindre des dimensions impressionnantes, comme le montre l’escroquerie dévoilée par NEC, le géant japonais de l’électronique. En 2004, il est informé que des claviers, des CD et des DVD sont vendus sous sa marque dans des magasins de Pékin et de Hong Kong. Au bout de deux ans et de plusieurs milliers d’heures d’investigations effectuées en liaison avec les services de police chinois, taïwanais et japonais, NEC découvre une opération beaucoup plus vaste qu’une simple contrefaçon, où des ateliers clandestins produisent des copies de qualité moindre : c’est l’entreprise tout entière qui est piratée. Les pièces saisies en 2005 dans dix-huit usines et entrepôts chinois et taïwanais montrent que les contrefacteurs ont en fait créé une marque parallèle…
Un rapport émanant de Unifab, l’Union des fabriquants, une association française anti-contrefaçon, présente quelques chiffres-clé d’une enquête réalisée auprès de 55 entreprises implantées en France dans 17 secteurs d’activité et dont un tiers figure au CAC 40: 27% d’entre elles dépensent plus d’un million d’Euros par an pour protéger leurs droits à travers le monde, 16% y consacrent plus de 10 millions d’Euros ; 57% indiquent que le faux a un impact direct sur l’emploi ; 54% estiment que la contrefaçon est un frein à l’innovation ; la Chine est considérée par 73% des sondées comme le premier exportateur de contrefaçons au monde ; Internet est désigné comme le premier canal de distribution des copies, avec 40% des suffrages ; 86% jugent que l’explosion de la contrefaçon est en partie due au fait que le consommateur n’est pas suffisamment conscient des incidences de ce trafic.
Contrefaçon et grande criminalité
Le ministère français de la justice publie un rapport très complet sur la contrefaçon, partagé en divers chapitres et sections: I/ Des exemples de liens avec la grande criminalité et l’économie souterraine, 1. Contrefaçon et terrorisme, 2. Contrefaçon et mafia, 3. Contrefaçon et faux documents administratifs, 4. Contrefaçon et trafic de stupéfiants ; II/ Un phénomène tentaculaire, 1. Une place croissante dans l’économie mondiale, 2. Une manne croissante pour les réseaux criminels, 3. La contamination de tous les secteurs de l’économie, 4. Les dangers de la contrefaçon et les risques avérés pour le consommateur ; III/ La législation. Je relève une petite remarque (en page 25/27) où les auteurs du rapport déplorent l’attitude des associations de consommateurs.
“Elles sont loin d’être sensibilisées au problème de la contrefaçon. Trouver la corde sensible pour leur faire saisir les enjeux n’est pas évident, car ces associations se méfient des fédérations d’entreprises, et en viennent à tenir la contrefaçon pour la conséquence logique des prix élevés. De fait, si elles saisissent bien les dangers que peuvent provoquer les contrefaçons de médicaments ou de pièces d’avion, elles estiment en revanche la contrefaçon de produits de luxe parfaitement acceptable. Ainsi sont-elles réticentes à une action commune qui relèverait des pouvoirs publics et non des consommateurs. Elles sont plus tournées vers les questions de sécurité et perçoivent mal les relations avec la criminalité organisée.
Elles mettent en cause la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs et les marques qui jouent double jeu et qui pratiquent des prix excessifs. Sur le site Acrimed (Action-Critique-Média), on peut ainsi lire ce commentaire sarcastique sur une information télévisée que l’auteur de l’article estime des plus complaisantes à l’égard des entreprises: “Le travail des enfants, la drogue: tout cela n’est sans doute pas complètement faux. Mais quand l’appel à la morale civique coïncide aussi miraculeusement avec les intérêts des actionnaires, on pourrait s’interroger, non ? […] La contrefaçon a beau, de son propre aveu, ne pas concerner uniquement l’industrie du luxe… c’est malgré tout l’objet principal de l’opération de communication. Des risques autrement plus graves […] les contrefaçons de médicaments.” Il est courant de distinguer de la sorte entre une “bonne” et une “mauvaise” contrefaçon, comme s’il existait deux manières différentes d’envisager le problème, avec des priorités à respecter.” – – –
Dans un rapport d’étude de l’institut international de recherche “Anti-contrefaçon de médicaments” (IRACM) de 2013, l’auteur explique en préambule que “la lutte contre la contrefaçon est apparue dans les années 1980 (*). Elle était alors limitée à des secteurs où le consommateur était le plus souvent demandeur, voire complice, de l’acte d’achat. Mais c’est surtout depuis le début des années 2000 que le phénomène a pris une réelle ampleur, notamment avec la libéralisation de l’OMC (organisation mondiale du commerce), le développement des technologies, la conteneurisation et l’importance prise par la Chine comme usine du monde. En revanche, la contrefaçon semble n’avoir touché le secteur des médicaments que tardivement, tout au moins dans son aspect industriel.” L’auteur étudie la réalité du lien entre contrefaçon et organisations criminelles dans le domaine des médicaments, pour en dégager une réflexion criminologique et stratégique permettant de réorienter les actions en cours. Il souligne que, dans le cas de la contrefaçon de médicaments, le patient est plutôt victime et rarement complice de l’achat. Tout au plus peut-il être assez imprudent ou abusé par des tiers pour commander des médicaments sur des sites Internet ne présentant pas toutes les garanties requises. Dans les pays développés (États-Unis, Royaume-Uni, Europe), il y aurait moins de 1% de médicaments contrefaits et environ 10% dans de nombreux pays en voie de développement (Russie, Chine). Un médicament sur 3 serait contrefait dans certains pays africains, asiatiques ou d’Amérique latine et un sur 5 dans les anciennes républiques soviétiques. La Chine, l’Inde et dans une moindre mesure la Russie restent les principales sources de production de médicaments contrefaits, mais des pays comme le Nigeria et les Philippines sont également cités.
(*) Peu après la fin des “Trente Glorieuses”, expression qui désignait la période d’une trentaine d’années allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, jusqu’au premier choc pétrolier de 1973. Ce fut, pour les pays industrialisés occidentaux, une période de prospérité exceptionnelle.
De la contrefaçon dans l’art du 16e au 18e siècle en Chine à la contrefaçon généralisée à tous les produits de consommation dans le monde entier, le lien est moins ténu qu’il n’y paraît. En effet, – mais peut-être s’agit-il d’une extrapolation hasardeuse -, je ne peux pas m’empêcher d’être troublée par le fait que Taïwan – et la Chine – aient eu à coeur d’exhumer aujourd’hui ces faux tableaux dans le cadre d’expositions dans des lieux aussi prestigieux que le musée national du Palais de Taïpei et le musée national du Palais de Pékin. Pourquoi ? Par le biais de cet événement en marge du grand maelström de l’économie mondiale, j’ai l’impression que les concepteurs ont choisi ce thème, “Fineries of forgery – Suzhou fakes and their influence in the 16th-18th century“, pour distiller un message subliminal dont je propose le décryptage suivant. En admirant ces rouleaux peints et calligraphiés, magnifiquement mis en scène grâce aux techniques numériques les plus récentes, le visiteur se forge insensiblement la conviction intime que la contrefaçon est un art. Qui plus est, si l’on se réfère à la légende qui se rapporte au célèbre rouleau peint “Up the river on Qingming“, le faussaire n’a été que l’intermédiaire entre deux très grands amateurs d’art, à tel point que l’un d’eux n’a pas hésité à encourir la mort pour conserver un chef d’oeuvre. Dans l’histoire, le peintre n’a d’ailleurs apparemment pas été sanctionné pour avoir exécuté cette copie parfaite, seul le commanditaire a été emprisonné, puis décapité. Enfin, le visiteur apprend que ces copies d’oeuvre d’art ont eu d’autant plus d’importance qu’elles ont contribué, grâce à leur succès commercial et leur très grande diffusion, à éduquer toutes les strates de la société jusqu’aux élites suprêmes, devenant par là même une source d’inspiration pour la conception de nouveaux chefs d’oeuvre. Que Taïwan – et la Chine -, appliquant à la lettre l’adage “La fin justifie les moyens”, convertissent, par ce simple tour de passe-passe, la contrefaçon en art, en outil pédagogique et en source d’émulation, au moment où la révolte gronde et la lutte contre la contrefaçon se fomente chez tous leurs clients, ne manque pas de sel…