Séjour guidé par Dimitri Marguerat – Participants : Cathy, Jean-Louis, Pascal, Nicole, Laurence |
Nous montons dans la voiture de location conduite par Dimitri : conçue pour sept passagers, son coffre a des dimensions très américaines ! Rapidement, sitôt engagés sur la route vers la Gaspésie, notre guide et ami nous pose une colle : d’où vient le mot tourtière ? Devant notre ignorance, il nous apprend qu’il provient du nom d’un oiseau, la tourte voyageuse, aujourd’hui disparue. De la famille du pigeon, elle ressemblait beaucoup à la tourterelle triste, mais elle était plus grande et de couleurs un peu plus vives. Le site en lien rapporte que la tourte, d’instinct grégaire, proliférait dans l’Est du Canada et des États-Unis et atteignait au XIXe siècle une population de l’ordre de cinq milliards d’individus. Pourtant, une chasse intensive, à l’obus (!!!), pouvant tuer jusqu’à 50 000 (!!!) individus par jour fut perpétrée par les chasseurs professionnels qui approvisionnaient ainsi les grandes villes de l’Est. Cette pratique mit fin à l’espèce et le dernier individu, élevé au zoo de Cincinnati, mourut en 1914.
Mais cette étymologie, comme toujours, est controversée, car cet oiseau était strictement américain, alors que l’usage du mot tourtière est bien antérieur en Europe. Selon un autre auteur, ce mot proviendrait plutôt de “torta panis” qui, en bas-latin, désignait un pain rond. Le terme de pâtisserie qui caractérise la tourte serait à comprendre dans le sens défini vers 1690 par Antoine de Furetière dans son Dictionnaire Universel, à savoir une “préparation de paste avec plusieurs assaisonnements friands de viandes, de beurre, de sucre, de fruits”. Au Québec, la tourtière du Lac-Saint-Jean est revendiquée par les Jeannois comme étant la “vraie” tourtière. Sa recette remonterait aux années 1600 avant J.-C., en Mésopotamie, où elle était déjà consommée sous forme de fines feuilles de pâte disposées les unes sur les autres. Chez les Romains, des tourtes recouvertes de vin miellé étaient dégustées en dessert (Secundae mensae). Ici (au Québec), son origine proviendrait plutôt du cipaille britannique devenu le cipaille ou cipâte de la Gaspésie et du Bas-du-Fleuve. Puis, la colonisation de Charlevoix, vers la fin du régime français et au début du régime anglais, explique le chevauchement des cultures culinaires entre le cipaille britannique et la tourte française. Sur un troisième site, on peut lire que « Le nom “tourtière” fait référence à son plat de cuisson, comme un tajine, et au fait qu’il s’agit d’un mélange de viande entre deux abaisses et cuit dans un plat circulaire », selon Jean-Pierre Lemasson, spécialiste du patrimoine culinaire québécois et auteur du livre “L’incroyable odyssée de la tourtière”. Le pâté à la viande, appelé tourtière par la plupart des gens qui ne sont pas originaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, provient surtout de l’influence britannique. Par définition, il est donc juste d’appeler tourtière le pâté à la viande. Même le terme anglais, meat pie, fait plutôt référence à une tourte qu’à un pâté.
Mais la plus ancienne recette de tourte qui ait été conservée ne remonte qu’au Moyen-Age. Il s’agit de la Torta parmesana ou parmigiana, qui comportait au moins six étages de différents ingrédients. Elle est décrite dans le Liber de Coquina, un livre de cuisine écrit anonymement en latin au début du XIVe siècle, commandité par la Maison d’Anjou-Sicile. Originaire d’Italie méridionale, c’est l’un des plus anciens livres de cuisine médiévale. L’auteur se serait inspiré d’un livre de recettes attribué à Apicius, où était mentionné un pâté en terrine où se superposaient grives, saucisses, jambons, pois, etc. Marcus Gavius Apicius (25 av. J.-C. – 37 apr. J.-C.) appartenait à la haute société romaine et son existence est signalée sous les règnes des empereurs Auguste et Tibère. C’était un millionnaire amateur de plaisirs (notamment les plaisirs de la table), qui dépensait sans compter pour s’en procurer, et qui finit par se suicider quand sa fortune s’en trouva compromise. Son luxe et son raffinement devinrent vite proverbiaux et fournirent chez les Romains, soit des anecdotes de gastronomes, soit l’exemple même de la corruption des mœurs pour les moralistes austères. Toutefois, le célèbre De re coquinaria, œuvre plus tardive, lui est certainement attribué à tort.
Deuxième devinette : d’où vient le nom “orignal” ? Il provient du basque “orein” (cerf) qui, mis au pluriel, donne “oreinak“. Déformé en “orignac” dans les textes de Champlain, ce mot remonte aux premières années des colonies : les premiers colons français l’auraient appris des Basques qui venaient régulièrement pêcher la morue et la baleine sur les côtes du Labrador et les abords du fleuve Saint-Laurent. Ce grand herbivore est aussi appelé élan d’Amérique. Ce mot était autrefois orthographié ellan (1606), primitivement ellend, hellent au XVe siècle, un terme emprunté à l’allemand prémoderne elend (auj. Elen, Elentier), d’origine lituanienne élni(a)s (élan, cerf). Nous aurons la chance de rencontrer cet animal et même de l’observer tranquillement à très faible distance seulement quelques jours après notre conversation. Il ne faut pas le confondre avec le cerf de Virginie, plus grand que le chevreuil, mais de moindre stature que l’orignal, que nous avons aperçu brièvement en bordure d’autoroute à deux ou trois reprises et dont la silhouette figure aussi sur des panneaux de signalisation routière. Sur la chaussée gisent de loin en loin des ratons-laveurs écrasés, preuve, peut-être, qu’ils sont relativement nombreux. 2 à 4 millions meurent ainsi “d’accident de la route” ou sous les balles des chasseurs, car le “coon” (raccoon), traditionnellement consommé par les amérindiens, est aussi un plat apprécié par certains Nord-Américains. Appelés “chaoui” au Québec, ils sont encore un peu chassés pour leur fourrure grise qui n’a plus guère de valeur marchande. Le site “Abatextermination” montre que cet animal, tout comme la marmotte, est volontiers un commensal, capable de vivre en ville sans vraiment l’assentiment des humains. Il n’est pas apprécié des citadins québécois, au même titre que, chez nous, les souris ou les rats.
Nous roulons toujours, le chemin est long de Montréal à la Gaspésie, d’autant plus que la vitesse est limitée sur les routes et autoroutes américaines, et qu’il nous faut traverser des villes à la signalétique curieuse : les feux tricolores sont placés de l’autre côté du croisement ! La liaison aérienne directe vers la ville de Québec nous aurait davantage arrangés, étant plus proche de notre destination, mais elle n’ouvrait qu’à partir de début juillet. Chemin faisant donc, Dimitri poursuit ses explications selon son inspiration. Par exemple, il nous informe qu’il ne faut pas confondre le tamia (photo ci-dessus) avec un écureuil : il appartient à une autre famille, il est plus petit, avec un pelage rayé (Tamias striatus) à la queue moins fournie, et il n’est pas sauvage du tout. Nous en observerons un dès notre arrivée à la première étape, à Beaupré. Par ailleurs, le moineau domestique, introduit au XIXe siècle, a proliféré sur le continent américain. L’étourneau, introduit également au XIXe siècle à New York, a envahi les deux Amériques. Au pic de sa migration, ses effectifs peuvent dépasser le million. Dimitri se souvient d’une très nombreuse population observée près d’Avignon. Les étourneaux sansonnets d’Europe centrale viennent hiverner en Provence, profitant du climat et de la nourriture favorables. Ils arrivent début décembre et repartent en mars. Ils passent la nuit dans une pinède qui leur sert de dortoir. Ils se font parfois attaquer par des rapaces tels que faucon pèlerin et épervier d’Europe qui profitent de l’aubaine. Des séquences sur la présence saisonnière de ces oiseaux ont même été filmées en 2012 et 2013 au Pontet (près d’Avignon). A Marseille, un article du 2 novembre 2015 rapporte que la ville a dû prendre des mesures d’effarouchement contre ces oiseaux qui causaient de grosses nuisances, en particulier avec leurs déjections. De même, un article du 1er janvier 2016 rapporte les dégâts occasionnés par “seulement” 12 000 étourneaux qui ont élu pour dortoir un quartier résidentiel de La Rochelle.
Depuis que nous avons pris la route, la voiture roule bizarrement, nous sommes assez secoués, surtout sur les sièges à l’arrière. Dimitri pense qu’un pneu est déficient et que l’air ne doit pas être réparti également dans toute la chambre à air, il doit y avoir une hernie. Nous arrivons toutefois sans encombre à notre premier logement, “Les maisonnettes sur le cap”, à Beaupré, près de la station de ski du Mont Sainte-Anne à une demi-heure de la ville de Québec. Mais le lendemain matin (lundi 27 juin), il repère un garage ouvert à côté d’un Tim Hortons où nous prenons notre petit-déjeuner. – Après cette expérience, tout le groupe conviendra de ne plus jamais remettre les pieds dans pareil établissement à la nourriture industrielle et peu appétissante -. Il nous ramène aux Maisonnettes du cap implantées dans une clairière en surplomb sur le Saint-Laurent et il retourne régler ce problème chez le garagiste, tandis que nous plions bagage. Il n’est que 10 heures du matin, je pars seule explorer le bois où sont balisés des sentiers de promenade. J’entends un drôle d’aboiement répété : c’est bizarre, il semble provenir du haut des arbres. Je cherche un mouvement dans les branches qui me mettrait sur la piste, ça y est, j’ai trouvé la source du bruit, c’est un écureuil ! A travers mes jumelles, je vois tout son petit corps bouger en rythme jusqu’à la pointe de la queue, pas de doute, c’est bien lui !
Un peu plus loin, j’entends un chant d’oiseau typiquement américain qui me fait penser irrésistiblement à celui du solitaire masqué que j’avais entendu pour la première fois en fin d’hiver 2015 au Costa Rica et qui m’avait tellement plu : un son flûté, avec des stridences délicatement cristallines sur une mélodie mélancolique. Aucun oiseau de chez nous n’émet un chant pareil. Je chemine le nez en l’air, à l’affût de l’oiseau qui semble se jouer de moi, tournant autour de ma position tout en restant soigneusement caché dans le feuillage. Enfin, je réussis à l’apercevoir; il se tient enfin tranquille sur un rameau qui surplombe le sentier et il chante de temps à autre, redressant la tête pour mieux se faire entendre d’une femelle éventuelle, je suppose. Dans l’ombre du sous-bois, son plumage me paraît plutôt terne, une caractéristique courante chez les oiseaux chanteurs, comme nous l’a appris Dimitri. Mais tandis que je suis concentrée sur mes observations, je ne prends pas garde aux nuées de moustiques minuscules, genre midgies écossais. Ils m’attaquent sur toutes les parties découvertes, mon visage, mon cou, mes mains, mes poignets, même le cuir chevelu, recherchant les muqueuses et fonçant quasiment vers mes yeux que je dois protéger à grands revers de main. Durant cette demi-matinée, je n’ai pas pensé un instant à m’asperger de répulsif et cela va avoir des conséquences aussi impressionnantes que déplaisantes.
Au Tim Hortons gisait sur une table “Le journal du Québec” du dimanche 26 juin où je repère deux articles intéressants. Un scandale est détaillé en pleine page des Actualités : “Trop de pulpe de bois ajoutée à du parmesan”. Santé Canada permet aux entreprises d’ajouter un maximum de 2% de cet additif alimentaire (4% aux États-Unis), appelé cellulose*, dans le fromage râpé, parce qu’il agit comme anti-agglomérant. Il absorbe l’humidité contenue dans le sac, ce qui empêche le fromage râpé de coller ensemble. Sylvain Charlebois, expert en agroalimentaire et doyen de la Faculté de management à l’Université Dalhousie, Nouvelle-Ecosse, dénonce cette pratique : “Même si la cellulose se trouve naturellement dans notre salade ou plusieurs légumes comme le maïs ou le cèleri, on tente de tourner les coins ronds, on diminue la qualité du produit puisque la cellulose est beaucoup moins chère que le lait. Pour moi, ça frôle la fraude alimentaire.” D’autant que des compagnies comme Kraft et Tre Stelle inscrivent sur l’emballage 100% parmesan, en toute légalité puisque la loi n’impose pas de mentionner cet additif**.
* La cellulose est en effet autorisée dans de nombreux produits, notamment comme agent de remplissage dans le pain, les pâtes à frire, les confiseries, les glaçages et les assaisonnements. “Elle est aussi utilisée dans la crème glacée parce qu’elle empêche la formation de cristaux de glace”, précise le Dr Ariel Fenster, membre fondateur de “L’organisation pour la science et la société”, qui diffuse de l’information concernant des enjeux alimentaires. On l’indique habituellement dans les ingrédients où elle est incluse dans l’appellation “fibres ajoutées”.
** La fromagerie de la Mauricie a trouvé un procédé plus sain qui évite l’ajout de cet additif. Elle aspire l’air de ses sacs et le remplace par un mélange d’azote et de CO2 qui maintient le sac gonflé. Ainsi, les morceaux ne sont pas pris ensemble et ça limite la formation de moisissures.
Un autre article défraye la chronique : Depuis deux jours, la Garde côtière tente tant bien que mal de retenir avec une dizaine de câbles d’acier le cargo Kathryn Spirit*. Son équilibre est devenu instable en raison du bas niveau de l’eau du lac Saint-Louis – cf. carte des Grands lacs (ci-dessus) : c’est le dernier lac avant Montréal, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais. -. Le navire a accosté à Beauharnois en septembre 2011 lorsque le groupe Excavation René Saint-Pierre inc. en a fait l’acquisition pour le démanteler. Craignant le pire pour l’environnement, la ville a fait cesser les travaux. Le cargo a ensuite été revendu à une entreprise mexicaine, Reciclajes Ecológicos Maritimos, qui a fait faillite et finalement renoncé à ses droits de propriété fin 2015. Après une fuite d’eau huileuse en 2013, des tonnes de carburant et d’eau souillée ont été pompées, mais on ignore la quantité qui reste à l’intérieur. Laissé à l’abandon depuis maintenant cinq ans, le Kathryn Spirit a épuisé la patience du maire Haineault, qui se dit “tanné d’être pris pour un clown”. – J’adore l’accent et les expressions québécoises ! –
* La décision de son démantèlement sera finalement prise en novembre 2016 par le gouvernement du Canada qui en assumera le financement. Plusieurs citoyens et élus s’inquiètent toutefois de la pollution de l’eau du lac Saint-Louis, principale source d’approvisionnement en eau potable des municipalités du Grand Montréal.
Je m’intéresse à ce fait divers, car il illustre des enjeux difficiles à concilier : le maintien d’un habitat humain dense, générateur de pollutions multiples et variées, sur le pourtour d’un immense ensemble de lacs et de rivières dont l’interconnection les rend d’autant plus vulnérables et fragiles. La présence de ce cargo aussi en amont du fleuve Saint-Laurent est à mettre en relation avec les aménagements de la Voie maritime et la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Saint-Laurent qui ont débuté en 1960, en cofinancement américano-canadien. Un dossier très complet sur le sujet a été réalisé par “Ici Radio-Canada”. Il s’intitule “Le fleuve en panne sèche” dont voici quelques extraits. Ces travaux d’aménagement avaient trois objectifs : 1) assurer un apport d’eau constant pour la production d’hydroélectricité (centrale de Massena, Etat de New-York, USA, et centrale de Cornwall, Ontario, Canada), 2) des niveaux et des débits suffisants pour la navigation et 3) la réduction des inondations en amont et en aval des installations. Les facteurs naturels qui influaient sur les niveaux d’eau du lac Ontario avant la régularisation sont restés les mêmes après la régularisation : ce sont les débits en provenance du lac Érié et les régimes climatiques (précipitations, vent et températures) qui, ensemble, influent sur le réseau hydrologique. Au fil des ans, les niveaux de pointe se sont produits au début de l’été et les niveaux d’étiage se sont produits au début de l’hiver, en moyenne, et ce avant comme après la régularisation. – Je note qu’il est donc d’autant plus étonnant que le lac Saint-Louis, où se trouve le cargo Kathryn Spirit, ait si peu d’eau au mois de juin !
Le fleuve Saint-Laurent commence à l’embouchure du lac Ontario et il se jette dans le golfe du Saint-Laurent, puis dans l’océan Atlantique. Les effets de la régularisation du lac Ontario se font sentir jusqu’à Trois-Rivières (Québec), en aval, où les effets des marées deviennent plus dominants. Les facteurs naturels comme les précipitations, le ruissellement et les ondes de tempêtes causées par les vents forts ont continué, après la régularisation, à influer sur les niveaux d’eau du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents. L’affluent le plus important est la rivière des Outaouais, qui a une grande influence sur les niveaux et les débits du fleuve Saint-Laurent en aval de sa jonction avec le fleuve, au niveau du lac Saint-Louis. Avec la régularisation, les débits du lac Ontario peuvent être contrôlés davantage lorsque le débit de la rivière des Outaouais est élevé. La capacité de régularisation du barrage Moses-Saunders et l’exploitation par Hydro-Québec du complexe Beauharnois ont essentiellement éliminé le risque d’inondation par des embâcles (bouchons de glace).
En 1964, l’année la plus sèche qu’on ait connue, le lac Saint-Pierre, entre Montréal et Québec, avait presque disparu. Il ne restait à peu près plus que le chenal de navigation, au centre. Durant les années 1998-1999, les précipitations ont été à la baisse et les températures, à la hausse : 23 mois de suite, les températures mensuelles ont été supérieures à la normale dans tout le bassin des Grands Lacs. Le niveau de l’eau du fleuve est descendu à son plus bas niveau depuis 20 ans et le débit était de 30 à 40 % inférieur à la normale. Deux ans plus tard, à l’été 2001, la situation était la même, en dépit d’une réserve de dix centimètres d’eau dans le lac Ontario au début de l’été. Depuis trois ans, il n’y a pas eu de crue printanière parce que la neige a été rare en hiver et que les étés ont été secs. Avant l’utilisation des brise-glaces, un embâcle de glace se formait au printemps à l’entrée du lac Saint-Pierre, rehaussant le niveau de l’eau de 4 à 5 mètres. Les poissons avaient alors un plus grand territoire pour frayer et surtout plus de temps pour que les œufs viennent à maturité avant le retour à la normale du niveau du Saint-Laurent. Selon Michel Slivitsky, chercheur émérite de l’INRS-Eau, une telle situation est généralement la résultante de conditions extrêmes, que l’on observe toutes les 20 à 30 années. Cependant, de telles baisses pourraient survenir tous les 2 ou 3 ans à l’avenir, à cause des changements climatiques. « Une diminution du débit du fleuve de 30 à 40% pourrait diminuer de 60 centimètres à près d’un mètre le niveau de l’eau du lac Saint-Louis (en aval du barrage de Beauharnois et justement celui dans lequel vacille le cargo Kathryn Spirit) et également dans le port de Montréal », selon l’hydrologue André Carpentier, qui siège au Conseil international de contrôle du Saint-Laurent.
Je passe les détails pour arriver à la conclusion du dossier. “Le Canada et les États-Unis ont mis sur pied un plan de recherche quinquennal dans le but de mieux connaître l’environnement du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Il sera ainsi possible d’en tenir compte dans la gestion future de cet immense bassin, un véritable casse-tête, si l’on veut satisfaire plusieurs partis dont les préoccupations s’opposent. Les écosystèmes ont besoin d’une grande variabilité saisonnière : les poissons requièrent de grandes étendues inondées pour frayer. Par contre, les riverains souhaitent plutôt la stabilité du niveau de l’eau, car les inondations endommagent leurs propriétés. Pour ce faire, les Grands Lacs jouissent d’une régulation du niveau de l’eau par les barrages. Mais cette régulation est relativement limitée, car elle dépend de la quantité d’eau disponible (pluie, neige). Pour conserver le niveau d’eau en amont, on réduit le débit de la centrale électrique Moses-Saunders et, du même coup, la production d’électricité. Si le débit d’eau est réduit, le niveau de l’eau du Saint-Laurent baisse et cela rend la navigation plus difficile ou même impraticable. Les bateaux ont été conçus pour maximiser leur taille en fonction de la voie maritime du Saint-Laurent. Ainsi, la marine du Saint-Laurent souhaite creuser les fonds afin de s’assurer du passage de ses bateaux. Or, cette solution aggraverait le problème. En creusant, on élimine les barrières naturelles du fleuve : les irrégularités du fond et la végétation aquatique contribuent grandement à ralentir le courant et donc à conserver de plus hauts niveaux d’eau. De plus, toute l’eau finit par se “ramasser” (concentrer) dans ce fossé. Une meilleure connaissance de l’environnement du fleuve et des Grands Lacs permettrait de concilier le mieux possible ces intérêts divergents tout en préservant ce joyau de notre patrimoine.”
De retour au bercail avec le pneu de rechange installé à la place du pneu défaillant dans l’attente de pouvoir le remplacer d’ici quelques jours, Dimitri nous emmène sur l’un des parcours pédestres de Beaupré. Il nous signale le chant d’un viréo aux yeux rouges que nous essayons de reconnaître parmi les bruits ambiants à la description qu’il nous en fait. Un chêne déploie ses larges feuilles : est-il d’Amérique ou des marais ? Celui d’Amérique a des feuilles de 12 à 22 cm de long, découpées en sept ou neuf lobes. Les feuilles sont plus larges, plus grandes et moins découpées que celles du chêne des marais. Selon ces descriptions, j’ai photographié le chêne d’Amérique. De nouveau, un écureuil aboie, secouant tout son petit corps. On pourrait presque croire que le son provient d’un oiseau. Par deux fois, nous apercevons un pic maculé qui crie et tambourine du bec sur un tronc élancé. Nous le voyons grimper en hélice le long d’un bouleau. Très nettement, nous distinguons dans nos jumelles sa calotte et sa gorge rouge vif, son dos strié de sombre et son grand bec. Dimitri l’a vu également au Costa Rica l’hiver précédent. La paruline à tête noire fait entendre son zizouzouzi caractéristique. Dimitri nous rapporte qu’il a aperçu en ville, à Beaupré, un urubu à tête rouge en vol, encore un oiseau que nous avions observé au Costa Rica.