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🌲 Voyage au Far-West : La forêt

  1. 🌲 Voyage au Far-West : La forêt
  2. 💧 Voyage au Far-West : L’eau
  3. 🦗 Voyage au Far-West : La biodiversité
  4. Éclipse
  5. Photos – Utah
  6. Photos – Yellowstone
  7. Photos – Mont Teton
  8. Photos – Penelope Island
27 min - temps de lecture moyen
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8 au 24 août 2017
Conférence à Aci Gasconha, centre culturel Tivoli d’Anglet, suite au voyage aux USA effectué par Marie-Jeanne, Jean-Bertrand, Joëlle, Jean-Louis et Cathy de la Société d’Astronomie Populaire de la Côte Basque et des amis californiens de Marie-Jeanne, Candi et Robert.

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Voyage au Far-West: l’Europe sous le prisme de l’Amérique

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Progression de l’éclipse de Soleil observée par projection, sur l’ombre du feuillage d’un peuplier tremble américain

Le 21 août 2017, une éclipse (occultation) de soleil était visible aux États-Unis d’Amérique. Elle ne durait que deux minutes et quelques, j’ai donc eu le temps, durant la quinzaine de jours qu’a duré notre séjour, de parcourir avec mes compagnons de voyage près de 3000 miles, soit plus de 4000 km en voiture, en visitant au passage quelques parcs naturels. Pourquoi vous en parler aujourd’hui ? J’ai pour habitude de photographier tous les panneaux d’interprétation rédigés à l’attention du public pour les lire plus tard, de retour chez moi. Fort instructifs, ceux des trois États que nous avons parcourus, l’Utah, le Wyoming et l’Idaho, offrent un tableau détaillé de l’impact de la colonisation européenne sur la nature nord-américaine et les transformations qui en ont résulté. Pour ma part, j’ai essayé de faire le travail inverse: au regard de ce qui s’est produit, que pouvons-nous apprendre sur nous, les Européens ? Quelles sont les constantes de notre comportement qui apparaissent, comme grossies à la loupe, à l’examen de nos anciennes colonies nord-américaines ?

Je vais articuler mon enquête autour de trois thèmes : la forêt, l’eau, la biodiversité, que je vais aborder sous la forme de petites anecdotes.

SOMMAIRE
Voyage au Far-West: l’Europe sous le prisme de l’Amérique
1/ La forêt
foret
1a- L’échange colombien : Plantes, animaux domestiques… et microbes
1b- Ebenezer Bryce
1c- Civilisations et déforestation en Europe
1d- Colonisation et déforestation aux États-Unis d’Amérique
1e- Pourquoi des parcs nationaux ?
2/ L’eau
eau
2a- Colorado River: une ressource en eau inépuisable ?
2b- Une gestion collective ? John Wesley Powell et les Mormons
2c- John Locke: Travail et propriété
2d- Adam Smith: Le dogme libéral
2e- Irrigation, croissance de la population humaine et de son cheptel
2f- Elinor Ostrom: La gouvernance des biens communs
3/ La biodiversité
biodiversite
3a- La culture Fremont
3b- Les Shoshone-Bannock
3c- Le loup et le castor
3d- Bisons et Indiens
3e- Braconnage du bison au Yellowstone
3f- Le bison, la vache et le lapin
3g- Incendies: Peuplier tremble américain, Pin ponderosa
3h- L’herbe et l’armoise
3i- La forêt, capteur de CO2 des énergies fossiles
3j- La génération spontanée, les extrémophiles
Conclusion

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foretLa forêt

L’échange colombien : Plantes, animaux domestiques… et microbes

The Columbian Exchange(Alfred Crosby, 1972, date de la première édition)

En premier lieu, je vais vous parler de la forêt. Pourquoi les Européens racontèrent-ils que l’Amérique était un continent quasiment vierge et sauvage ? Les historiens l’expliquent par le fait que, dès les premiers contacts et en l’espace de 100 à 150 ans, les Amérindiens furent décimés par des maladies venues d’Europe contre lesquelles ils n’avaient aucune défense immunitaire : variole et rougeole, oreillons, coqueluche, grippe, varicelle, typhus, rhume.

 

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Variole, Bangladesh

Leur disparition ébranla l’équilibre écologique et économique des deux continents. Les écosystèmes perturbés virent la forêt regagner du terrain et les animaux autrefois chassés augmenter en nombre. Par ailleurs, le manque de main d’œuvre fut une des causes de l’instauration du trafic triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques, les esclaves africains étant plus résistants aux maladies dont mouraient les Amérindiens. D’Afrique, deux nouvelles maladies furent ainsi introduites vers 1650, la malaria et la fièvre jaune.

 

 

Ayant quitté une Europe où les forêts n’étaient plus que clairsemées, où les grands prédateurs tels que le loup, le lynx, l’ours avaient été pratiquement éradiqués et les grands herbivores comme les cerfs cantonnés dans les montagnes, les colonisateurs avaient dû avoir l’impression de pénétrer au paradis, dans une nature inépuisable. Comment imaginer qu’en quelques décennies à peine ces forêts immenses, ces troupeaux innombrables de bisons et de cerfs, ces prairies à perte de vue, toute cette profusion arriverait à s’épuiser ?

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Bison
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Maïs, courge

L’introduction de nouvelles cultures et d’animaux domestiques contribua presque autant que les maladies à bouleverser l’équilibre biologique, économique et social. Les colons introduisirent des céréales européennes, des plantes méditerranéennes et des plantes originaires du sud ou du sud-est asiatique. Le lama et l’alpaca des Andes étaient les seuls animaux domestiqués (8%). Les 23 autres espèces de mammifères* pesant plus de 45 kg étaient rétives à la domestication. Par contre, parmi les 72 grandes espèces animales eurasiennes, 13 ont pu être domestiquées (18%).

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Glyptodon clavipes (Mar del Plata, Argentina, fin Pléistocène – Royal Ontario Museum) (tatou géant)

Ainsi, alors que les Amérindiens cultivaient une grande diversité de plantes avant 1492, ils avaient peu d’animaux domestiques, si ce n’est des chiens, des dindes et des cochons d’Inde. L’introduction du cheval révolutionna à partir du 18e-19e siècle le comportement des Indiens des Grandes Plaines qui délaissèrent leurs cultures pour se consacrer à la chasse au bison, devenue beaucoup plus facile. A l’inverse, le reste du monde bénéficia beaucoup de l’apport de plantes nourricières issues des deux Amériques. S’il ne s’était pas produit, l’augmentation de la population aurait certainement été plus lente. Aujourd’hui, un tiers de la nourriture mondiale est originaire des Amériques.

 

Extinction des grands mammifères : Lors de leur arrivée en Amérique du Nord par l’isthme de Bering, il y a 15 000 ans, les premiers humains à y pénétrer trouvèrent de grands mammifères, mammouths, mastodontes, paresseux terrestres géants, tapirs, chameaux, lamas, glyptodontes, castors géants, etc., dont 19 espèces de mammifères herbivores plus grandes que le cerf, sept d’entre elles ayant une taille allant du bison à l’éléphant. En quelque 2000 ans, sous la culture Clovis, ces animaux qui n’avaient pas appris à craindre les humains disparurent, chassés jusqu’à l’extinction du dernier.
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Georges Catlin, Chasse au bison

foretEbenezer Bryce

Bryce Canyon est le premier site naturel que nous visitons en Utah, au sud de Salt Lake City, la “ville du lac salé”. Voici la traduction du texte figurant sur un panneau “d’interprétation” dont la teneur m’a amenée à réfléchir sur les effets de la colonisation européenne en Amérique du Nord :

“Les gens ont changé l’aspect de Bryce Canyon pendant plus d’un siècle. Dans les années 1870, les colons faisaient pâturer un grand nombre de vaches et de moutons sur les prairies luxuriantes du plateau. Les forêts furent abattues pour construire les villes voisines. Bientôt le castor, le loup, le carcajou et l’ours grizzly disparurent de la région.”

“Une fois le parc établi en 1923, des routes, des sentiers et des terrains de camping furent aménagés pour répondre à la demande du nombre croissant de visiteurs. Maintenant, l’impact humain est devenu évident au simple regard.”

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Bryce Canyon

Ces réflexions sont intéressantes : elles montrent le chemin parcouru depuis l’époque des premières colonisations jusqu’à aujourd’hui et l’évolution considérable des mentalités – au moins au sein des équipes gérant les parcs nationaux. Nous avons tous en mémoire les westerns qui magnifiaient l’épopée de la conquête du Far-West et leur parodie dans les bandes dessinées de Lucky Luke. Ils illustraient les combats entre les cowboys – c’est-à-dire des éleveurs de bétail européens ou d’origine européenne – et les Indiens, souvent caricaturés en guerriers sanguinaires. Ces films avaient aussi pour thèmes les problèmes posés par la transhumance à travers des terres qui devenaient des propriétés privées clôturées par plusieurs rangs de fil de fer barbelé. Ils évoquaient la concurrence entre les éleveurs de bovins et de moutons, la construction du chemin de fer…

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Formation des cheminées de fée, les “hoodoos

Les forces naturelles d’érosion toujours à l’œuvre aujourd’hui sont très puissantes. Dans cette région du plateau du Colorado, l’érosion est due à la succession, sur des millions d’années, de changements climatiques naturels, de soulèvements et d’effondrements de la croûte terrestre. Cela a abouti à la formation du “Grand escalier” (the Grand Staircase). Le Bryce Canyon se trouve sur sa partie supérieure, creusé dans les strates géologiques les plus récentes, à l’opposé du Grand Canyon du Colorado. Quant aux cheminées de fées, appelées “hoodoos”, elles résultent surtout de la combinaison du vent, de l’eau et de l’érosion par le gel. 

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Structure du “Grand Staircase”

Quelle peut être l’importance de l’impact des activités humaines ? Prenons l’exemple d’Ebenezer Bryce, dont le canyon porte le nom. Il naquit en 1830 en Écosse où, très jeune, il devint charpentier de marine. Il se convertit au mormonisme et fit partie du flot de gens qui migra en 1847 en Utah. Après les deux guerres menées par les pionniers contre les Indiens Shoshones Ute, Paiute et les Navajos, Walker War (1853–54) et Black Hawk War(1865–68), ces derniers furent relégués dans des réserves. Bryce fit partie de la nouvelle vague de colonisation qui toucha cette région du sud de l’Utah dans les années 1870. Dans les années 1880, il quitta la Pine Valley (« Vallée des pins ») pour aller vivre à Clifton dans la Paria Valley. Il construisit une route qui permettait de transporter vers la vallée le bois extrait des forêts du plateau Paunsaugunt dont la bordure orientale est formée par les Pink Cliffs, les falaises roses. Il réalisa également un système d’irrigation qui amenait l’eau des collines vers les cultures des vallées attenantes.

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Bryce Canyon

S’il exploite les forêts si loin de Salt Lake City, c’est parce que, déjà à cette époque, donc seulement trente ans après l’arrivée des pionniers mormons, une grande partie de l’Utah est si déforestée – particulièrement autour de Salt Lake City – qu’il faut importer du bois des États voisins pour couvrir les besoins qui ne cessent d’augmenter. Sur le fragile Plateau Paunsaugunt au climat semi-désertique, avant l’arrivée des colons, les Indiens Païutes ne pratiquaient qu’une chasse et une cueillette saisonnières, leur impact était bien minime en comparaison. 

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Depuis l’île Antelope, point de vue sur la rive opposée déboisée, Grand Lac Salé, Nord Utah

foretCivilisation et déforestation en Europe

La déforestation n’est pas un fait nouveau. Depuis le Néolithique, elle a accompagné l’homme presque partout où il s’est sédentarisé, et les activités agricoles en restent encore aujourd’hui la principale cause, suivies de près par le besoin en bois de chauffage. Voici les résultats d’une simulation réalisée par une équipe scientifique suisse sur l’évolution des forêts du bassin méditerranéen et de l’Europe au cours des 6000 ans précédant la Révolution industrielle.

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Terres arables (rouges)

Terres propices à l’élevage (vertes)

Proportion de 0% à 100%

Durant toute cette période, soit depuis 4000 avant notre ère, ce sont les humains qui ont été le principal facteur des changements de la couverture du sol et de son usage. La répartition de la population par région est modulée, d’une part en fonction de la qualité des terres arables, les meilleures sur les schémas ci-dessus, du point de vue du sol et du climat étant les plus rouge foncé sur la première carte, et d’autre part selon la possibilité climatique de pratiquer l’élevage, les zones les plus propices étant les plus vert foncé sur la seconde carte. Lorsque la densité de la population augmente dans un endroit donné, la surface de sol nécessaire à ses besoins augmente également. Premièrement, la croissance de la population stimule l’extension de terres arables pour accroître la nourriture, ce qui induit la déforestation. Deuxièmement, cette croissance démographique engendre une plus grande exploitation des produits forestiers, tels que le bois pour l’énergie et les matériaux de construction, ce qui a pu amener à un déclin global de la forêt environnante. Cette pression démographique a pu être soulagée par la migration, le commerce et la présence de ressources alimentaires autres que celles de l’agriculture (par exemple la pêche). Il y a eu aussi l’évolution vers une agriculture plus performante grâce à l’innovation et le développement technologiques, et la spécialisation. – Cartes ci-dessous : 1000 BC (Before Christ) = 1000 avant J.-C. –

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1000 BC: La première carte ci-dessus montre une large déforestation du Moyen-Orient (Iraq, Syrie-Liban et Palestine-Jordanie) en raison des hautes densités de population, ainsi que de la faible proportion de riches terres agricoles. Leur différenciation par rapport aux autres régions est probablement due à leur longue histoire d’agriculture, à l’urbanisation et à la spécialisation du travail. Il en a sans doute été de même pour l’Égypte qui n’est pas comprise dans l’étude. La Belgique (très peuplée à l’époque) montre aussi un déboisement relatif, de même que la Suisse et l’Autriche (70%) (mais là, c’est à cause d’une mauvaise prise en compte par le modèle de la transhumance dans les montagnes durant l’été). Par contre, tout le reste de l’Europe est couvert de forêt, l’Europe de l’Est est la mieux préservée, de même que l’Afrique du Nord. Par contre, la Norvège et la Suède, qui ont très peu de terres arables, montrent déjà un fort déboisement (comparativement avec le reste de l’Europe) pour alimenter leurs populations.

300 BC: 700 ans plus tard, le déboisement a beaucoup progressé. Il s’est d’abord produit sous l’influence des civilisations de la Grèce antique (1000 BC à 300 BC), des Phéniciens et des Carthaginois. Elles laissent ainsi leur marque sur le paysage. Homère (dès la fin du VIIIe s. av. J.-C.) le mentionnait dans ses écrits. La Grèce, l’Algérie, la Tunisie sont à 90% cultivées. Par contre, en Europe centrale et occidentale, il y a entre 10 et 60% de déforestation selon les régions. Le Moyen-Orient maintient toujours de fortes densités de population, tandis que l’Europe de l’Est, avec une faible densité humaine, demeure fortement boisée. Au Maroc, il y a davantage de terres arables et l’habitat est dispersé, il y a donc moins de pression sur les forêts que dans les autres régions d’Afrique du Nord. – Cartes ci-dessous : AD 350 (After Death) = 350 après J.-C. –

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AD 350: Vers 350 après J.-C., l’effondrement des empires classiques en Grèce et dans les régions voisines se traduit par une moindre densité humaine et un reboisement relatif. La déforestation se déplace à partir de l’Italie dans l’ensemble du monde romain (300 BC à AD 200). Elle est mentionnée par Lucrèce au 1er siècle av. J.-C. La France, l’Allemagne, la Pologne montrent un léger accroissement de la déforestation (jusqu’à 90% dans certaines zones), tandis que la Russie n’en est qu’aux prémices.

AD 1000: Vers 400 après J.-C., la déforestation atteint son maximum en Europe (France, Allemagne, Pologne) juste avant la chute de l’empire romain. De 400 à 750 après J.-C., guerre, épidémies, migrations de peuples venus de l’Est et détérioration climatique engendrent la stagnation ou le déclin des populations européennes. En AD 1000, la Norvège et l’Islande peuvent entretenir de fortes populations grâce à la pêche. Il n’y a pas de changement significatif pour les forêts, sauf en Grèce, où la couverture forestière se reconstitue progressivement.

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AD 1500 : Du 11e au 13e siècle, c’est “l’Age des grands défrichements”. La conquête normande de l’Angleterre au 11e s. l’impulse dans ce pays. Le développement des sociétés féodales et l’amélioration climatique qui marque la fin des migrations se traduisent par un déclin graduel de la couverture forestière en Europe. Le développement de l’empire bulgare se termine à la fin du 11e s. avec les migrations germaniques. La déforestation se produit continûment jusqu’en 1350, date à laquelle la Peste noire tue 30 à 50 % de la population européenne en cinq ans (1347-1352), faisant environ vingt-cinq millions de victimes. Le déclin très important de la population dû à l’épidémie se reflète dans le large reboisement de beaucoup de régions européennes, qui est sensible jusque vers 1400. Vers 1450, la population retrouve son niveau antérieur à 1350 et le niveau de déforestation également. A la Renaissance au 16e s., la Belgique et le Luxembourg développent une population urbanisée sophistiquée grâce aux manufactures et au commerce international. De même, la Suisse et l’Autriche bénéficient de leur position alpine pour profiter du commerce international, tandis que les pays riverains de la Méditerranée, comme la France et l’Italie, améliorent leur technologie agricole et plantent une variété de cultures qui se diffusent ensuite aux autres pays d’Europe. A contrario, les pays du Moyen-Orient voient leur population stagner ou baisser en raison de l’exploitation non durable du millénaire précédent.

AD 1850 : De 1500 à 1850 se poursuit le défrichement : la plus grande partie des terres utiles à l’agriculture et à l’élevage est déboisée juste avant le tournant de la Révolution industrielle. – En France, la déforestation initiée au Moyen Âge afin d’étendre les terres agricoles finit par réduire la forêt à 15 % de sa surface à la fin du XIXe siècle. – C’est notamment durant cette période que l’Europe de l’Est, pour la première fois de son histoire, se met à défricher à grande vitesse (par ex. la Roumanie et la Bulgarie). En 1850, la Belgique et le Luxembourg, l’Angleterre et le pays de Galles, l’Ecosse, l’Irlande, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne, la France, la Suisse et la Tchécoslovaquie affichaient la plus grande densité d’habitants au km². Ces pays furent les premiers à développer une agriculture intensive basée sur de nouvelles cultures telle que la pomme de terre, et ils réalisèrent la Révolution industrielle.

La déforestation en Europe durant les 6000 ans qui ont précédé la Révolution industrielle a induit un changement environnemental, de l’hydrologie régionale à un possible changement climatique global : elle a pu influencer le cycle global du carbone par des changements de l’albedo, de la rugosité de surface et de l’équilibre entre l’émission de transpiration et la recharge des nappes souterraines. Cette tendance globale à la déforestation s’est inversée seulement deux fois au cours de la période : vers 600 après J.-C., lors de la transition entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Age, et vers 1400 après J.-C., peu après la Peste noire. La plus grande déforestation en Europe eut lieu au XIVe siècle. La différence de déforestation entre l’Europe occidentale et orientale s’explique uniquement dans ce modèle par une différence de densité de population due à une différence de qualité des terres arables et pâturables.

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Église et carriole du Far-West (Scenic Byway 12, près de la réserve naturelle des Arches, sud Utah)

Après 1850, la corrélation entre démographie et couverture forestière est faussée par de nouveaux facteurs. Le commerce international, l’exploitation de colonies au-delà des mers, l’urbanisation et le développement technologique, tous ces facteurs contribuent à l’entretien d’une population très dense, indépendamment de sa propre production agricole. On constata même parfois un inversement de tendance, avec l’augmentation de la couverture forestière malgré l’augmentation de la population. Toutefois, la couverture forestière de l’Europe considérée dans sa globalité continue à se réduire jusqu’au 20e siècle.

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Lac Taggart, parc du Grand Teton, Wyoming

foretColonisation et déforestation aux États-Unis d’Amérique

Parallèlement, voyons quelle a été la conséquence de la colonisation européenne sur le territoire des États-Unis. Puisque, avant l’ère industrielle, la déforestation de l’Ancien Monde a été corrélée avec la démographie, en a-t-il été de même dans le Nouveau Monde  ?

Avant l’arrivée des Européens aux États-Unis, près de la moitié de leur surface est couverte par une forêt primaire. De 1592 à 1790 (en 2 siècles), 590 000 Européens et 360 000 Africains immigrent sur le territoire pour se consacrer essentiellement à l’agriculture et l’élevage. Ils fondent des familles et la population blanche quintuple pour atteindre en 1790, quinze ans après la fondation des États-Unis, 3,143 millions individus, tandis que la population noire double seulement pour atteindre un effectif de 757 000 individus. Déjà, le gouvernement fédéral s’inquiète des effets d’un déboisement anarchique dont les effets pèseraient sur les générations futures et commence à réserver des forêts, par exemple dans les États côtiers (Géorgie, Floride) pour la ressource en bois destinée à la marine.

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Point de vue depuis la Scenic Byway 12 (Sud Utah)

De 1790 à 1850, la population est multipliée par six, passant à 23 millions, dont 2,5 millions d’immigrants supplémentaires sur la période (en 60 ans). Pour mémoire, la population amérindienne ne représente plus aux USA que 339 421 individus en 1860 (hors Alaska), c’est la première donnée démographique disponible.

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Amish (Touristes à Yellowstone, Wyoming)

Au début du XIXe siècle, deux Français témoignent de la surexploitation des forêts nord-américaines  :

  • François André Michaux (1770-1855) déplore que, ni le gouvernement fédéral, ni celui de chaque État, n’aient conservé des zones boisées. Il en a résulté des effets désastreux, notamment pour l’alimentation en bois de chauffe des villes et la fourniture de bois de construction (raréfaction de la ressource et augmentation des coûts).
  • Jacques-Gérard Milbert (1776-1840) surenchérit  : « Mais il est un point où dans chaque canton le défrichement doit s’arrêter, si l’on ne veut, en peu d’années, voir se succéder à un pays verdoyant et fertile, une terre aride et dépouillée.”

En 1851, six ans à peine après l’arrivée des Mormons dans la vallée du Grand Lac Salé, les coupes forestières sont réglementées. Dans plusieurs États, une campagne se développe de 1861 à 1870 pour replanter des forêts…

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Mormon Row, colonisation en 1890 à Jackson Hole, Wyoming

En 1872, le gouvernement américain prend une mesure très originale. Ayant constaté l’accélération des dégradations qui se produisent dans le pays avec la Révolution industrielle (chemins de fer, machines à vapeur…) à l’égard des forêts, des espaces naturels, de la faune et de la flore, il décide de préserver l’intégralité du site de Yellowstone en stoppant toute exploitation privée dans son enceinte et en interdisant toute incursion, hormis dans un cadre touristique sous contrôle public. Ce sera le premier parc national. Cette initiative est précédée en 1864 par le classement en parc régional de la vallée de Yosemite en Californie, alors en pleine ruée vers l’or.

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Grand Canyon de la rivière Yellowstone, Wyoming

Le 10 Septembre 1875, soit un siècle à peine après la fondation des USA, l’American Forestry Association est fondée à Chicago. Elle se donne pour objectifs “la protection des forêts existantes dans le pays et la promotion de la propagation et de la plantation d’arbres utiles”. Les réserves de forêts servent non seulement à préserver la ressource en bois, mais également à protéger les bassins hydrographiques. En effet, le déboisement entraîne l’érosion des sols qui induit une baisse de qualité et de disponibilité de l’eau potable. Toutefois, excepté dans sa partie ouest, la forêt des États-Unis sera presque effacée de la carte et du paysage au début du XXe siècle.

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Boulder Mountain, sud de l’Utah

Quelle en est la raison ? C’est que, jusqu’aux années 1950, l’élevage augmente et il est même pratiqué dans les forêts restantes, provoquant l’érosion et des éboulements dans les vallées. Les premiers moutons domestiques ont été introduits en Utah en 1847 par les pionniers mormons. Il y en a environ 2,7 millions en 1929. En 2017, il n’en reste plus que 270 000, soit dix fois moins. C’est l’ensemble du pays qui présente une tendance à la baisse de cet ordre de grandeur : le nombre de têtes culmine à 56 millions aux USA à la fin des années 1940 pour chuter aujourd’hui à moins de 6 millions (pour la laine et la viande).A cela, il faut ajouter 2,64 millions chèvres, dont la moitié est élevée au Texas et très peu en Utah (9000). 

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Ancienne ferme de l’île Antelope (tonte moutons, carriole, barque), Grand Lac Salé, Utah

En Utah, le cheptel bovin à son maximum ne représenta pas plus de quelques centaines de milliers de têtes (320 000 en 1900 pour 276 000 humains), alors qu’en 2017 on en compte 344 000 pour 3 millions d’humains. Mais son exploitation généra une grosse spéculation, surtout de la part d’investisseurs de l’est américain et de la Grande Bretagne. Les tensions entraînèrent l’insécurité, des meurtres et le vol de bétail. C’est dans ce cadre que le malfaiteur Butch Cassidy écuma l’Utah et les États voisins de 1880 à 1900. Le secteur dut aussi s’organiser pour contrer les manoeuvres de gros propriétaires qui cherchaient à s’approprier les meilleurs pâturages et la ressource en eau. Mais les freins les plus importants à l’expansion de cette économie furent les conditions climatiques (hivers rigoureux, sécheresse) et les fluctuations du marché. Aujourd’hui, il y a 97 millions de têtes de bétail aux USA (pour 326 millions d’humains), alors qu’en 1972, à son maximum, on comptait 135 millions de têtes de bétail pour 210 millions d’humains.

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Pour mémoire, avant le développement de la mécanisation de l’agriculture, le nombre de chevaux et de mules culmina vers 1920 à 25 millions. A l’heure actuelle, une partie des chevaux est retournée à l’état sauvage avec des hardes qui prospèrent au point que l’Utah procède à la contraception, car les habitants répugnent à maîtriser leur population par la chasse !

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foretPourquoi des parcs nationaux ?

La première approche de l’idée de parc national a été formulée aux États-Unis en 1832 par le peintre américain George Catlin (1796-1872). De retour d’un voyage dans l’Ouest, il propose une politique de protection par le gouvernement d’un « parc contenant hommes et bêtes dans toute la beauté sauvage de leur nature ». Il est alors peu écouté, ses portraits et scènes de genre des tribus indiennes n’ayant qu’un succès de courte durée. Toutefois, trente ans plus tard, le président Abraham Lincoln ratifie en 1864 la cession à l’État de Californie de la vallée de Yosemite où pousse une forêt de séquoias géants. Toute installation et colonisation y est désormais interdite, la vallée devient un parc qui sera mis à la disposition du public pour sa récréation, les revenus servant à la préservation, l’amélioration et la protection de ce site naturel.

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Georges Catlin, chasse au bison

En 1871, la première expédition officielle gouvernementale dans la région de Yellowstone est dirigée par le géologue Ferdinand V. Hayden. L’expédition scientifique inclut dans son équipe l’artiste Thomas Moran et le photographe William Henry Jackson. Les photos, tableaux et dessins qui dépeignent les beautés et l’originalité du site associés aux découvertes scientifiques frappent encore plus l’imagination du Congrès américain. En 1872, Yellowstone devient le premier parc national du monde. A la différence des simples réserves forestières, l’objectif est d’en faire un lieu « exempt d’exploitation mercantile, voué à la satisfaction du peuple », selon les termes du président américain Ulysses Grant lors de la signature du décret du 1er mars 1872 qui garantit sa protection.

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Exploration de Yellowstone  : Camp, 1871 (photo William Henry Jackson)

Si l’on y réfléchit bien, un parc naturel n’est donc qu’une version moderne, un ultime avatar des ménageries royales ou princières où des espèces exotiques étaient maintenues en captivité pour le plaisir des visiteurs et la gloire de l’autorité. Les parcs zoologiques qui en avaient découlé, plus démocratiques, coexistent encore, mais sous l’influence des sensibilités écologiques, ils améliorent le cadre et agrandissent l’espace dévolu aux animaux. Ils tendent ainsi à se rapprocher de l’environnement naturel qui caractérise les parcs. Les zoos se donnent aussi des objectifs très semblables à ceux des parcs : « le divertissement, la conservation des espèces, la pédagogie et la recherche scientifique ».

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Wapiti, Cervus canadensis, appelé Elk par les Américains (biche)

Il faudra plusieurs dizaines d’années d’investissements très conséquents pour que le public puisse profiter de ces espaces naturels protégés. En 1872, seulement 300 personnes parviennent à sa bordure et pendant des décennies, le voyage à Yellowstone et aux autres parcs reculés restera long, difficile et onéreux. L’accès aux automobiles privées – la vague du futur – sera seulement autorisé à Yellowstone en 1915, mais peu de personnes en possède à l’époque.

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Première auto à Yellowstone National Park, 1904

Avant la construction de routes bitumées et de ponts solides, un voyage à travers le parc offrait frayeurs et frustrations. On voyageait dans une diligence brinquebalante ou une auto à manivelle sur d’étroites routes boueuses et sinueuses, des descentes abruptes et des passages de rivières à gué en l’absence de pont. Quand il pleuvait, on se retrouvait embourbé jusqu’au moyeu et si le temps était sec, la poussière s’infiltrait dans les yeux et le nez et recouvrait le corps de la tête au pied.

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Traversée à gué de la Lamar River, Yellowstone, vers 1910

Toutefois, en 1916, l’année de la création du Service du parc national en tant qu’agence fédérale, près de 36 000 visiteurs profitent du voyage à Yellowstone. Après la seconde guerre mondiale, de nouvelles routes sont construites dans le pays et les automobiles deviennent accessibles à beaucoup de familles. En 1948, trois ans après la fin de la guerre, le nombre de visiteurs à Yellowstone monte en flèche à plus d’un million. Mais les structures d’accueil sont en mauvais état et trop succinctes pour recevoir ces foules croissantes. En 1955, le Service du parc national met en place un ambitieux plan fédéral de construction de routes, de ponts, de centres d’accueil… A partir de 1966, le tourisme devient une industrie et le divertissement des peuples devient une grande source de profit et, ce faisant, l’activité principale des parcs nationaux.

yellowstone 1925
1925, automobile embourbée à Yellowstone

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