Sommaire
Une question de temps
Comment les plantes savent-elles qu’il est temps de fleurir ? Comment se fait-il que les plantes d’une même espèce fleurissent dans le même laps de temps, coïncidence idéale pour une pollinisation croisée, grâce au vent ou aux insectes ? Cela signifie-t-il qu’elles obéissent à un calendrier ? Quel paramètre environnemental utilisent-elles pour mesurer le temps qui passe et la succession des saisons ? Certaines plantes ont des horaires pour ouvrir leurs pétales, les refermer, émettre des parfums: ont-elles une montre incorporée dans leur organisme ? Ces facultés sont-elles apparues en même temps que les plantes à fleurs ou bien ont-elles été développées auparavant, et par quels organismes ? Ont-elles développé encore d’autres perceptions ?
Pendant longtemps, nous avons tenu les plantes pour inférieures par rapport aux animaux et en comparaison de ce que nous sommes. Elles sont dépourvues de cerveau, de système nerveux, d’organes des sens identifiables (yeux, oreilles, nez, bouche, peau), elles ne peuvent pas se déplacer, elles ne peuvent pas parler… Néanmoins, nous commençons à nous inquiéter des conséquences du changement climatique que nous provoquons. Y aura-t-il une chute dramatique des rendements agricoles, accélérée par la pénurie d’eau ? Des famines se déclencheront-elles sur le plan mondial – y compris chez nous – ? Quelles capacités d’adaptation les plantes ont-elles au juste ? Ces interrogations amènent les scientifiques de disciplines très variées à regarder d’un peu plus près ces êtres si différents de nous, mais dont notre vie est totalement dépendante.
Des cellules rythmées ?
Les plantes à fleurs sont des organismes multicellulaires. Apparues au Jurassique, il y a au moins 150 millions d’années (au temps des dinosaures), elles constituent aujourd’hui la majorité des espèces végétales sauvages et cultivées, avec plus de 260 000 espèces connues. Elles doivent leur succès évolutif à l’« invention » de la fleur, un organe de reproduction très performant mais fragile, qui nécessite la coordination entre plantes de même espèce, ainsi que la détermination du moment le plus favorable de l’année pour assurer la réussite ultérieure de la fructification. Comme nous allons le découvrir, ces capacités de synchronisation entre organismes et selon les saisons sont apparues très tôt dans l’histoire du vivant.
En effet, depuis la démonstration irréfutable de Louis Pasteur (1862), nous savons que la génération spontanée est impossible, et les plantes terrestres ne font pas exception. Elles n’ont pas soudainement surgi du néant, tout au contraire, elles sont les (très) lointaines descendantes d’algues pluricellulaires qui, elles-mêmes, se sont formées à partir d’algues unicellulaires. Ces dernières, de minuscules organismes aquatiques précurseurs, ont vécu pendant des centaines de millions d’années de façon autonome tout en se diversifiant, certaines demeurant encore indépendantes aujourd’hui. Ainsi, il n’est pas absurde de penser que beaucoup de facultés qui, aujourd’hui, nous semblent être l’apanage des plantes à fleurs, aient été développées par des organismes unicellulaires.
Pour le savoir, des chercheurs s’attachent à reconstituer l’histoire de la vie depuis son avènement sur Terre. Notre planète existe depuis 4 milliards et demi d’années et il semblerait que la vie n’ait pas attendu longtemps un (relatif) refroidissement superficiel pour se manifester, même s’il est difficile de le démontrer car il reste très peu de roches assez anciennes pour en avoir gardé la trace. La science nous apprend qu’après des tâtonnements dont nous ignorons tout (même s’il y a des hypothèses, comme le monde ARN), des molécules ont fini par s’assembler en une structure tellement efficace que tous les êtres vivants actuels l’ont conservée (à l’exception des virus ?) : c’est la cellule, capable à elle seule d’assurer toutes les fonctions nécessaires au maintien et à la perpétuation de la vie. Ces organismes unicellulaires existent toujours, bien qu’ils se soient énormément diversifiés au cours des âges. Résidant initialement seulement dans l’eau, douce ou salée, leurs descendants ont colonisé également les autres milieux, air, sol, roche, glace. Ils se sont parfois adaptés à des conditions extrêmes, de sécheresse, de chaleur, de froid, de toxicité (sels, métaux), de pression et même d’irradiation. Parallèlement, quelques uns d’entre eux ont donné naissance aux organismes multicellulaires, algues, champignons, plantes, animaux, qui, ultérieurement, se sont également diversifiés…
Ces organismes unicellulaires ont des dimensions souvent si réduites et leur aspect est si uniforme qu’il a fallu attendre une date très récente, d’abord pour en déceler l’existence, puis pour être en capacité de les étudier grâce au développement de techniques modernes d’investigation (microscope optique, microscope électronique à transmission ou à balayage, etc.) et de méthodes spécifiques (génomique). Bien entendu, comme le montre le professeur du Muséum d’histoire naturelle Marc-André Selosse dans son livre “Jamais seul“, ils sont aussi logés d’une manière ou d’une autre dans tous les êtres multicellulaires (algues, champignons, plantes, animaux, et bien sûr les humains), s’insérant parfois jusqu’à l’intérieur même de leurs cellules. Il convient donc d’examiner quelles compétences ces minuscules organismes ont acquises au cours de ces quatre milliards d’années, notamment en matière de calendrier et d’horloge interne, et s’ils les auraient conservées en s’associant pour devenir des organismes multicellulaires.
Des “panneaux solaires” biologiques
Dans la mer
Les plus anciennes traces de vie avérées sont datées de 3,5 milliards d’années. Elles ont été mises à jour sur des roches des régions de Pilbara en Australie et de Barberton en Afrique du Sud. Sur ces deux sites, des concrétions laminaires en forme de dômes, analogues aux stromatolithes (du grec, “tapis de pierre”) actuels, ont été mises en évidence sur des centaines de mètres à la surface des affleurements. Elles ont été remarquablement conservées dans du silex très dur et formées très rapidement dans l’océan primitif riche en silice (dioxyde de silicium SiO2). Des analyses à haute résolution y ont révélé différentes structures – coques, filaments, bâtonnets… – interprétées comme des microfossiles : certains d’entre eux devaient puiser leur énergie de sources inorganiques quand d’autres utilisaient les déchets d’autres organismes ou bien étaient déjà capables de photosynthèse, mais sans libération d’oxygène. Enfin, certains micro-organismes de Pilbara auraient su tirer leur énergie non pas du sulfate, comme c’est le cas pour beaucoup de bactéries modernes, mais du soufre élémentaire, selon un mécanisme très archaïque. Les «gisements» de Pilbara et de Barberton indiquent donc que les organismes qui peuplaient la Terre il y a 3,5 milliards d’années utilisaient déjà plusieurs métabolismes, signe d’une forme de vie déjà évoluée : la vie serait donc apparue plus tôt dans l’histoire de la Terre…
Dans l’eau douce
Remarque: Une découverte récente sur le site australien de Pilbara (Dresser Formation) atteste que la vie se développait aussi au même moment dans la caldéra d’un volcan où se trouvaient des geysers et des sources chaudes hydrothermales. Dans ce vestige minéral d’un très ancien milieu aquatique sur la terre ferme ont été préservés des stromatolithes, des microfossiles, de même que des biosignatures révélant la présence de microorganismes vivant en eau douce.
Bioénergétique et nano-informatique
Petite précision, il existe encore aujourd’hui des organismes qui tirent leur énergie à partir de la lumière, non par photosynthèse, mais grâce à des protéines comme la bactériorhodopsine. Celle-ci se trouve chez certaines archées, notamment les halobactéries, vivant dans des milieux humides très riches en sels, où cette protéine fonctionne comme une pompe à protons à travers la membrane cellulaire. La simplicité de la bactériorhodopsine en a fait un modèle pour l’étude de la bioénergétique et pour le transport membranaire. Elle intéresse aussi l’industrie du stockage de données, dans la mesure où elle pourrait servir d’unité de stockage extrêmement miniaturisée pilotable par des impulsions lumineuses (à raison d’un bit par molécule, un disque de 12 cm de diamètre pourrait contenir de 20 à 50 To – Téraoctets). Son emploi constitue l’une des premières applications de l’électronique moléculaire organique, une discipline émergente de la nano-informatique.
Photosynthèse
La photosynthèse, dont les cyanobactéries, ou algues bleues, ont initialement eu l’exclusivité, est le processus toujours en vigueur selon lequel l’énergie du rayonnement solaire est captée et utilisée pour synthétiser des composants utiles à l’organisme. Par excitation électronique de pigments, l’eau est oxydée, le dioxyde de carbone CO2 – extrait de l’environnement – est fixé, des sucres sont synthétisés et le dioxygène O2 est rejeté à l’extérieur. Comme leurs “panneaux solaires biologiques” (des pigments) nécessitent une bonne exposition à la lumière du soleil, ces minuscules organismes unicellulaires novateurs n’ont d’abord modifié que leur environnement immédiat près de la surface du milieu aquatique. Le volcanisme était alors très actif, dégageant beaucoup de gaz carbonique qui était peu absorbé par les surfaces continentales encore très réduites. Parallèlement, les archées méthanogènes qui peuplaient les océans à la même époque avaient un métabolisme qui se soldait par un rejet de méthane CH4, un gaz dont l’effet de serre est trente fois plus puissant que celui induit par le dioxyde de carbone CO2.
Une pollution mondiale par l’oxygène, “déchet” de la photosynthèse
Une très lente intoxication
Durant ses deux premiers milliards d’années d’existence, notre planète est restée anoxique : le gaz oxygène n’y était présent qu’à l’état de traces, l’atmosphère et les océans étant riches en dioxyde de carbone et en méthane CH4. Mais ensuite, le dioxygène rejeté dans l’eau par les cyanobactéries a fini par oxyder tout ce qui pouvait l’être, notamment l’ion ferreux Fe2+ qui y était dissout. Celui-ci s’est transformé en ion ferrique Fe3+, non soluble, qui a précipité sur les fonds marins sous la forme dite de fer rubanné lié à l’oxygène, l’hématite (Fe2O3) (Banded Iron Formation ou BIF, en anglais). Parallèlement ou en alternance a également eu lieu la précipitation de silice – dioxyde de silicium (SiO2). Le dioxygène qui envahissait les océans constituait un poison violent pour les formes de vies anaérobies qui prospéraient à l’époque, notamment les archées méthanogènes. Ces dernières ont ainsi vu leurs conditions de vie se détériorer, tandis que les cyanobactéries prospéraient. Pour beaucoup d’organismes de l’époque, l’augmentation de la quantité d’oxygène a rendu l’environnement aquatique toxique, provoquant une première crise du vivant.
Suppression de l’effet de serre: un changement climatique radical !
Cette “révolution” non pas industrielle, mais biologique, mit un milliard d’années à produire ses effets à l’échelle de la planète entière. Tous les milieux, d’abord aquatiques, puis atmosphérique et terrestre, furent progressivement impactés par cette gigantesque pollution par l’oxygène moléculaire. Elle se conclut par la Grande Oxydation. Ce bouleversement conduisit à une chute drastique de la concentration en méthane atmosphérique CH4 (dont la source s’était tarie avec la très grande raréfaction des archées méthanogènes et dont le reliquat se transformait spontanément en molécules de dioxyde de carbone et d’eau, CO2 + H2O, sous l’action de l’oxygène O2, déchet de la photosynthèse). L’effet de serre diminua tellement que la Terre fut plongée de 2,45 et 2,2 milliards d’années (durant 250 millions d’années !) dans son premier épisode de “snow-ball” (boule de neige)…
Une pompe à CO2
Selon des études récentes, la chute du volume de gaz carbonique dans l’atmosphère s’est produite bien plus tard, avec l’expansion des continents et le phénomène de la tectonique des plaques. Un super continent, Rodinia, regroupait alors l’ensemble des terres émergées (il y a 1,23 milliard d’années). Il s’est scindé (il y a 750 millions d’années) en une kyrielle de petits continents qui se sont dispersés le long de l’équateur (une configuration rarissime). Les pluies très abondantes à cette latitude les ont convertis en un puits de carbone géant. En effet, rendues acides par la présence de gaz carbonique dissout, elles ont altéré les silicates, qui sont les minéraux les plus abondants à la surface de la Terre. Ce phénomène a littéralement agi comme une pompe aspirant le CO2 atmosphérique: le calcium et le bicarbonate ont été entraînés par les eaux de ruissellement vers les océans et les carbonates de calcium (composants du calcaire, de la craie) ont précipité sur les fonds marins où ils sont demeurés piégés. Avec la chute drastique du volume de gaz carbonique dans l’atmosphère et de l’effet de serre qu’il engendrait, il s’est produit un nouvel englacement du globe terrestre (entre 717 et 635 millions d’années, soit durant 82 millions d’années).
Oxygène et organismes multicellulaires
L’oxygène n’a commencé à “s’installer” dans l’atmosphère qu’une fois toutes ces opérations d’oxydation effectuées. Ce fut donc un phénomène très lent, au rythme du métabolisme de ces myriades de microorganismes photosynthétiques à la surface des océans et des étendues d’eau douce. Ainsi, l’apparition d’organismes multicellulaire et leur colonisation des surfaces continentales ne sont devenues possible qu’il y a 600 millions d’années. Toutefois, un site exceptionnel a été découvert au Gabon. Il comporte des restes fossiles (au moins 400) d’une impressionnante variété d’organismes coloniaux complexes, les plus anciens documentés à ce jour, de formes et de dimensions diverses, atteignant parfois 10 à 12 cm et une densité de plus de 40 spécimens au mètre carré : ils remontent à 2,1 milliards d’années. Vivant dans un milieu marin peu profond et riche en oxygène, ils auraient bénéficié de la première brusque augmentation de la teneur en oxygène de l’atmosphère, il y a 2,3 milliards d’années. Mais ce pic d’oxygène n’aurait duré que 200 à 300 millions d’années. Dans ce même bassin de Franceville, des traces fossilisées de déplacement ont été ultérieurement trouvées. Il s’agissait d’organismes tubulaires qui traversaient la vase riche en matière organique. Toutefois, la concentration d’oxygène dans l’atmosphère a ensuite diminué, ce qui a probablement conduit à l’extinction de ces organismes multicellulaires précurseurs. Aujourd’hui, l’oxygène occupe le cinquième de l’atmosphère en volume (21%).
L’eau liquide, une condition indispensable à l’émergence de la vie ?
Si, à l’avènement de la vie sur Terre, le Soleil, en raison de sa “jeunesse”, irradiait une énergie 30 % plus faible que celle qu’il dispense actuellement, au moins deux phénomènes ont permis que la Terre ne soit pas glacée: l’effet de serre était nettement plus important qu’aujourd’hui en raison de la très grande proportion de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère, et la radioactivité était nettement plus active qu’aujourd’hui, générant une chaleur interne plus intense. Par contre, alors que l’oxygène devenait prééminent dans l’atmosphère et que chutait le volume de méthane, le rayonnement du Soleil, plus “mature”, devenait plus énergétique. Le temps passant, ces phénomènes ont fini par se compenser. La Grande Oxydation – et la longue glaciation qui en a résulté – sont la preuve parfaite de la nécessité d’un effet de serre bien dosé pour n’avoir ni trop chaud, comme sur Vénus, ni trop froid, comme sur Mars, deux planètes pourtant également situées dans la zone “d’habitabilité” de leur étoile, le Soleil… – Mars a peut-être bénéficié d’une atmosphère et d’un peu d’eau liquide à ses débuts, mais elle a perdu l’une et l’autre. – Cet équilibre est toujours précaire, jamais définitif, comme le montrent les archives géologiques terrestres et le dérapage actuel qui semble nous conduire vers un réchauffement climatique brutal.
Le Soleil rythme le temps
Le Soleil devient la source d’énergie privilégiée du vivant
A l’issue de la première (très) longue glaciation, les océans, dont l’acidité avait décru au fur et à mesure de l’absorption du gaz carbonique par les cyanobactéries, rendirent possible l’organisation de ces dernières en colonies fixées (les stromatolithes). – Les scientifiques pensent que c’est grâce au volcanisme toujours très actif qu’elles auraient presque miraculeusement survécu au cataclysme de glace. Ces émanations brûlantes issues des entrailles terrestres ont dû préserver des îlots de vie tandis que les épanchements gazeux ont fini par accumuler suffisamment de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pour qu’un nouvel effet de serre induise la fonte de cette immense chape de glace. – L’activité photosynthétique des colonies dans des eaux chaudes de faible profondeur entraîna l’oxydation du bicarbonate de calcium Ca(HCO3)2 issu de l’érosion des continents. Le calcaire précipita sous la forme de colonnes, cônes ou dômes (les fameux stromatolithes). Comme on en trouve des vestiges sur tous les continents, il est possible que ces colonies aient été la forme de vie dominante jusqu’à environ 550 millions d’années avant le présent, avec un pic de diversité durant la période de 1,3 à 1 milliard d’années avant le présent. De nos jours, la grande majorité de ces cyanobactéries est symbiotique (alliée avec d’autres organismes), seulement 750 sur 7500 espèces existantes sont indépendantes. Leur taille varie beaucoup selon les espèces, certaines pouvant former des filaments unicellulaires dépassant un mètre de long, capables de se subdiviser en fragments. D’autres espèces forment des biofilms en feuillets, coussins ou colonnes.
Le jour et la nuit
Les cyanobactéries et leurs descendants ont donc tout naturellement intégré l’alternance jour-nuit qui rythme la photosynthèse. Le jour, les cellules phytoplanctoniques (du grec φυτόν, phyton, plante et πλαγκτός, planktos, errante) fabriquent les molécules de base, matière première de leur construction, c’est-à-dire les lipides, glucides et acides aminés, c’est l’anabolisme. La nuit, l’énergie nécessaire à la poursuite des activités métaboliques (respiration) provient de la dégradation des molécules organiques ou minérales qui sont consommées dans des proportions variables, c’est le catabolisme (respiration cellulaire). Au cours d’un cycle cellulaire type, la principale période de croissance du phytoplancton a lieu le jour et les processus de division d’une cellule mère en deux cellules filles identiques s’opèrent la nuit.
Synchronisation des populations
Les premières divisions synchrones en océan ouvert furent rapportées en 1905 sur Ceratium (phytoplancton, photo ci-dessus). Sur la verticale, une synchronisation des populations de picoplancton (entre 0,2 et 2 μm, micromètres, millième de millimètre) dans l’océan Pacifique équatorial fut notée en 1999 avec un décalage temporel de quelques heures entre Prochlorococcus, Synechococcus et les picoeucaryotes (minuscules cellules dotées d’un noyau structuré). A une profondeur fixe, les Chlorophyceae et Euglenophyceae se divisent généralement au crépuscule ou de nuit. Les diatomées (microalgues unicellulaires de 2 μm à 1 mm) montrent, par contre, des pics de division de jour comme de nuit. – Ces dernières, relativement récentes, ne seraient apparues qu’il y a 250 millions d’années. –
Si, dans le milieu naturel, les cycles cellulaires ne sont pas exactement en phase, c’est à cause de l’hétérogénéité des conditions dans la colonne d’eau (atténuation lumineuse, nutriments). Chaque cellule est exposée à un signal lumineux différent (à cause de la turbulence) qui peut être à l’origine d’une désynchronisation de la population. D’autres phénomènes peuvent aussi affecter la synchronisation d’une population, comme le broutage préférentiel du zooplancton sur les grosses particules. Ce phénomène interfère avec le cycle cellulaire en faisant disparaître les organismes les plus gros, et donc les plus avancés dans leur cycle.
Une horloge interne ?
Les organismes photosynthétiques dépendant directement de la lumière du jour, l’adaptation aux variations diurnes du flux de photons a dû constituer une forte pression de sélection. Il existe un rythme endogène (ou rythme circadien, horloge interne) qui permet à l’organisme, par exemple, d’anticiper le lever du jour en préparant l’appareil photosynthétique à recevoir des photons. Cette horloge planifie différents processus dans la cellule, depuis l’expression de certains gènes au phototropisme (orientation en fonction de la lumière) en passant par la division cellulaire, la bioluminescence, l’activité photosynthétique, la respiration, la synthèse, jusqu’à la migration de certains composés ou encore la sensibilité aux UV (ultraviolets).
Rythmes saisonniers
Le bloom du phytoplancton
Le phytoplancton marin, à la base des chaînes alimentaires océaniques, joue un rôle clé dans les cycles biogéochimiques en contribuant à environ 50% de la production primaire. Composé d’algues et de bactéries microscopiques, son importance s’évalue à l’aune de son activité photosynthétique : à l’heure actuelle, il produit autant d’oxygène et fixe autant de dioxyde de carbone que l’ensemble des plantes terrestres ! Le parallèle va même plus loin, car, comme le montre le site en lien, ces organismes unicellulaires sont également sensibles aux saisons. Dans les zones tempérées de l’océan, on peut aisément suivre par des images satellite les variations du niveau de chlorophylle. Elles ont permis de mettre en évidence des rythmes annuels de prolifération du phytoplancton communément dénommée “bloom” (efflorescence).
Ces blooms résultent vraisemblablement d’une combinaison de paramètres physiques (lumière, température), chimiques (nutriments) et écologiques (interactions avec les bactéries, prédation). Cette perception du cycle jour/nuit et de la variation de la durée respective du jour et de la nuit au cours de l’année régule des processus saisonniers : c’est le photopériodisme. La température contrôle la physiologie (productivité, biomasse) du phytoplancton, la photopériode contrôle sa phénologie (le moment des blooms). Dans les océans tempérés, l’abondance et la diversité du phytoplancton augmentent de façon considérable entre l’hiver et le printemps. (Les plantes terrestres des zones tempérées ont, pour la plupart, un conditionnement identique pour le déclenchement de leur floraison : une exposition au froid suivie d’une photopériode adéquate. Certaines y sont indifférentes, comme l’endive, l’épinard, le pois ou le blé de printemps qui fleurissent sans avoir subi de période de froid.)
Des indicateurs sensibles au changement climatique
Dans le contexte du réchauffement climatique, il sera intéressant de déterminer comment les communautés phytoplanctoniques vont réagir et s’adapter au découplage des forçages par la photopériode (invariante) et la température (en augmentation). Les biologistes constatent souvent un lien étroit entre la distribution du plancton et les conditions du milieu. Mais toutes les espèces n’ont pas la même sensibilité vis-à-vis des conditions ambiantes: certaines sont relativement tolérantes, voire même plus ou moins indifférentes aux variations du milieu. D‘autres sont au contraire peu tolérantes aux mêmes variations. Elles ont donc un comportement bien tranché et une répartition limitée aux secteurs favorables en fonction de la température, de la salinité, de la profondeur, de la nourriture, de la distance à la côte, des agents chimiques, etc. Et c’est dans la mesure où leur distribution est conditionnée par l’un de ces facteurs qu’elles sont indicatrices de changements éventuels de leur milieu de vie.
Blooms dans le golfe du Lion
Depuis plus de 10 ans, l’Observatoire Océanologique de Banyuls s’est attaché à suivre ces blooms en caractérisant les paramètres physico-chimiques de l’eau et la diversité microbienne dans l’étang de Thau (écosystème très productif) et la baie méditerranéenne de Banyuls (limitation en nutriments). C’est par une analyse mathématique que les chercheurs ont mis en évidence des blooms en février-mars, avec des profils similaires. Cette rythmicité annuelle est marquée chez des espèces de microalgues (Mamiellophyceae, Dinophyceae), de bactéries (Alphaproteobacteria dominée par le clade SAR11 – Pelagibacterales), et d’Archaea (Euryarchaeota et Thaumarchaeota), des espèces qui représentent plus de 50% des séquences des espèces identifiées pendant le bloom phytoplanctonique hivernal (de décembre à mars). En outre, par des approches génétiques sur une espèce de Mamiellophyceae, les chercheurs de Banyuls ont montré l’existence d’une horloge circadienne (du latin circa, environ, et diem, jour) de type “plante” dont le rôle est bien établi dans le contrôle des rythmes annuels d’efflorescence. L’hypothèse d’un photopériodisme d’origine génétique dans la régulation des blooms reste maintenant à être testée.
Blooms en mer d’Iroise
Autre exemple, en mer d’Iroise, au large de Brest (Bretagne), la composition en groupes fonctionnels du phytoplancton présente un cycle saisonnier marqué, principalement influencé par la profondeur de la couche de mélange, dont dépendent majoritairement l’intensité lumineuse et les concentrations en nutriments disponibles pour la croissance autotrophe (grâce à la photosynthèse). Ainsi, pendant l’hiver, le picoplancton, dont la taille est comprise entre 0,2 et 2 μm (micromètre, millième de millimètre), domine partout dans la zone d’étude. La stratification de l’eau, qui s’installe à partir du mois d’avril, entraîne par la suite un bloom phytoplanctonique dominé par le microphytoplancton (principalement des diatomées), dont la taille est comprise entre 20 µm et 200 µm. Durant la période estivale, on assiste à la mise en place d’une bio-régionalisation du secteur étudié avec, d’une part, la zone côtière mélangée qui reste fortement productive et dominée par les diatomées (les nutriments étant non limitants grâce à l’homogénéité de la colonne d’eau) et, d’autre part, la zone offshore, plus au large, dans laquelle la croissance est davantage limitée (par les nutriments), ce qui favorise la coexistence entre le micro- et le picophytoplancton.
Plasticité
Comme l’indiquent les études précédentes, les facteurs environnementaux (lumière, éléments nutritifs, température) influent sur la croissance du phytoplancton quant à sa composition chimique, sa physiologie et sa morphologie, mais aussi sa temporalité, variant son délai d’adaptation d’une heure à quelques semaines. Une caractéristique fondamentale des organismes photosynthétiques est leur capacité à faire varier la quantité de pigments collectant la lumière en fonction de la quantité d’énergie reçue. Par exemple, si l’intensité lumineuse diminue, la quantité de chlorophylle augmente, avec un rendement photosynthétique faible. Par contre, lorsque l’intensité lumineuse augmente, la teneur en chlorophylle diminue, mais le rendement photosynthétique s’améliore. En revanche, s’il y a trop de lumière, des mécanismes de prévention sont activés (cycle des xanthophylles), qui permettent la protection des centres réactionnels des photosystèmes. Parallèlement, une augmentation de la température accroît la vitesse de réaction catalysée par les enzymes, mais dans une certaine limite, car au-delà, les enzymes se dénaturent.
Petit rappel astronomique
Rotation et Révolution de la Terre
L’adéquation du vivant à son environnement astronomique est bien naturelle, mais tellement évidente qu’on n’y prend pas garde. L’alternance jour-nuit qui rythme les organismes photosynthétiques correspond à la rotation de notre planète Terre autour de son axe qui pointe en direction de l’étoile polaire. La succession des saisons provient de la combinaison de deux phénomènes: la révolution de la Terre en une orbite elliptique autour du Soleil (l’étoile la plus proche de nous), et l’inclinaison de l’axe de rotation terrestre de 23°26′ par rapport à la normale (la perpendiculaire) au plan décrit par l’orbite. Ainsi, les équinoxes de printemps (20 mars) et d’automne (20 septembre) correspondent aux points de l’orbite où le Soleil à midi (solaire) culmine au zénith à l’équateur (à la verticale au-dessus de la tête de l’observateur): partout sur Terre la durée de la nuit est égale à celle du jour. Au solstice d’hiver le 21 décembre, il culmine au zénith du tropique du Capricorne situé à 23°26′ au sud de l’équateur – cela correspond à la nuit la plus longue dans l’hémisphère nord -, et au solstice d’été le 21 juin, il culmine au zénith du tropique du Cancer situé à 23°26′ au nord de l’équateur – c’est la nuit la plus courte dans l’hémisphère Nord (et la fête de la musique !). Remarque: contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, le Soleil n’atteint jamais le zénith en dehors de la zone intertropicale.
L’importance de la nuit
Donc, la durée du jour change au fil des saisons, mais c’est plutôt celle de la nuit que “mesurent” les végétaux avec leurs capteurs. En ce qui concerne les équinoxes, le premier jour du printemps se trouve au milieu du semestre durant lequel la durée de la nuit diminue de jour en jour (de l’hiver vers l’été), alors que c’est l’inverse pour le premier jour d’automne avec des nuits qui s’allongent durant le second semestre. Le paramètre qui caractérise cette variation au fil des jours s’appelle la photopériode, c’est le rapport entre la durée du jour et celle de la nuit. Comme on l’a vu plus haut, elle conditionne plusieurs activités physiologiques, dont le “bloom” chez le phytoplancton.
La chaleur du Soleil
La photosynthèse par les végétaux de tous ordres n’est bien évidemment pas l’unique moyen de mettre à profit l’énergie solaire. Malgré son importance capitale pour le fonctionnement des écosystèmes actuels, cette énergie captée, correspondant globalement au rayonnement solaire visible, ne constitue qu’une fraction minoritaire du flux énergétique total nécessaire à l’ensemble des êtres vivants. Quelle est donc cette énergie “auxiliaire” discrète, mais néanmoins indispensable ? C’est tout simplement la chaleur émanant du soleil – qui arrive par rayonnement dans les rouge et infrarouge -, amplifiée et bien mise à profit grâce à l’effet de serre. Cette énergie maintient la présence sur Terre de l’eau sous ses trois phases, solide, liquide et gazeuse (ou au moins liquide et gazeuse durant les longues périodes où la Terre a été plus chaude qu’aujourd’hui et dépourvue de calottes polaires). Elle engendre la circulation des fluides, met en branle les vents et les courants océaniques qui transfèrent vers les pôles la chaleur en excédent entre les tropiques, actionne le cycle de l’eau, rend possible le transfert des nutriments et les échanges de matières entre les constituants de l’écosystème…
Cette énergie purement physique engendre aussi la circulation de l’eau dans les plantes : l’évapotranspiration au niveau des feuilles réussit l’exploit d’amener l’eau, indispensable à la photosynthèse, depuis la pointe des racines (et le réseau mycorhizien de champignons symbiotiques qui les prolonge) jusqu’au sommet de la canopée des plus grands arbres. On peut calculer, en tenant compte de la chaleur d’évaporation, qu’une plante consomme lors de son évapotranspiration plusieurs dizaines de fois plus d’énergie entièrement abiotique, amenée par le flux solaire incident sous forme de chaleur, qu’elle n’en consomme au niveau de la conversion photosynthétique de l’énergie solaire en énergie biochimique ! De la même façon, l’énergie thermique met en circulation les courants ascendants océaniques (upwellings) qui amènent en surface les nutriments indispensables au phytoplancton marin, encore un exemple d’énergie auxiliaire. Ainsi, c’est toute la relation de la planète Terre avec son étoile, le Soleil, qui semble rendre possible la vie, telle que nous la connaissons – et sans doute la seule que nous puissions jamais connaître, étant donné les distances qui prévalent dans l’univers -.
Chronologie
- 3,8 à 3,5 milliards d’années : procaryotes marins photosynthétiques (noyau cellulaire mêlé au cytoplasme)
- 3 milliards d’années : cyanobactéries unicellulaires (procaryotes, bactéries photosynthétiques oxygéniques)
- 2,1 milliards d’années à 1,1 milliard d’années : eucaryotes (cellules avec un noyau structuré)
- 1 milliard d’années : algues multicellulaires
- 480 millions d’années : plantes terrestres
- 365 millions d’années : plantes à graines
- 174 millions d’années : premières fleurs
De la cellule photosynthétique à la plante
L’art de capter de nouvelles fonctionnalités
Pourquoi réinventer le monde ? C’est la question qui se serait posée il y a 1,6 milliard d’années environ. Confrontés à un manque de nourriture, des organismes prédateurs de cyanobactéries auraient estimé plus “avantageux” de profiter des capacités photosynthétiques de ces dernières en les intégrant dans leur organisme plutôt qu’en les dévorant. En d’autres termes, toutes les plantes et les algues chlorophylliennes seraient issues d’une endosymbiose entre une cyanobactérie et une cellule eucaryote (la seconde ayant intégré la première à l’intérieur de son enveloppe cellulaire, comme une phagocytose qui ne se serait pas terminée en ingestion). L’ensemble aurait évolué en un organisme contenant un chloroplaste (organite sensible à la lumière) et se développant grâce à la photosynthèse. De nouveaux travaux indiquent que cette endosymbiose n’aurait eu lieu qu’une seule fois et que les plantes – et les algues – (au sens strict, Archaeplastida ou la lignée verte) constitueraient donc un groupe monophylétique.
L’ancêtre monocellulaire de toutes les plantes est rapproché d’un groupe actuel, celui des glaucophytes. Ces modestes organismes, et plus particulièrement Cyanophora paradoxa, une algue d’eau douce considérée comme un “fossile vivant” parmi les organismes unicellulaires photosynthétiques, intéressent particulièrement les évolutionnistes car ils n’auraient pas beaucoup changé depuis leur formation, il y a plus d’un milliard d’années. Les chercheurs ont analysé le génome de Cyanophora paradoxa, qui contient environ 70 millions de paires de bases (ou nucléotides). Ils y ont trouvé des traces d’un ancien parasite bactérien, de type Chlamydia. Au cours d’un transfert horizontal, il aurait fourni au couple cyanobactérie-cellule eucaryote (chloroplaste-glaucophyte) les gènes nécessaires aux échanges de nourriture, un outil indispensable à l’endosymbiose.
L’ozone, une condition nécessaire, mais pas suffisante
L’enrichissement en oxygène de l’atmosphère primitive a conduit à la création de la couche d’ozone O3 dans la stratosphère, entre 20 et 40 km d’altitude. Il y a 600 millions d’années, son épaisseur est devenue suffisante pour protéger la Terre d’une bonne fraction du rayonnement ultraviolet. Pourtant, la colonisation des continents a été très lente. Tout a commencé au Précambrien (avant 541 millions d’années) avec de minces communautés de microbes vivant à la surface des roches: microalgues, bactéries photosynthétiques et leurs prédateurs. Puis, à l’Ordovicien (485 à 443 millions d’années), de grandes algues sont sorties des eaux.
Algue d’eau douce + Champignon = Plante
Il s’agissait d’algues d’eau douce, car les plus proches parents actuels des plantes – les characées (une famille d’algues vertes) ou les spirogyres (des algues vertes filamenteuses) – y vivent toujours. Il a été calculé que la divergence entre les algues et les plantes terrestres remonterait à quelque 500 millions d’années. Pourquoi avoir tardé si longtemps (100 millions d’années après la mise en place de la couche d’ozone) ? Il est possible que le délai ait été lié à la nécessité de mettre en place une symbiose “algue + champignon” pour pouvoir coloniser le milieu aérien à l’état pluricellulaire. Le fait que plus de 80 % des plantes actuelles soient associées aux gloméromycètes est un indice de l’ancienneté de cette symbiose. Et les partenaires des gloméromycètes sont divers, depuis les hépatiques, de petites plantes prostrées, aux plantes à fleurs en passant par les fougères.
Une protection anti-UV
En lisant l’excellent livre de Marc-André Selosse, “Les goûts et les couleurs du monde”, je découvre que certaines algues de la “lignée verte”, les Zygnématophytes et les Charophytes, possèdent, entre autres points communs avec les plantes terrestres, de la sporopollénine, une matière qui emballe et protège leurs spores, de même que le pollen des plantes actuelles. Aujourd’hui, quand des lacs ou des rivières s’assèchent, l’algue qui approche de la mort engendre des spores. Dispersées par le vent à l’issue de l’évaporation, elles germeront quand elles retrouveront le milieu aquatique. La sporopollénine incrustée dans la paroi leur offre une protection mécanique et une photoprotection. En effet, les ultraviolets sont filtrés par l’eau et ne posent guère de problèmes aux organismes aquatiques, mais ils deviennent dangereux en milieu aérien, par exemple lors de cette dissémination, car ils provoquent des dégâts chimiques ou des mutations s’ils ne sont pas interceptés par la paroi cellulaire. Cette nouvelle faculté aurait facilité la colonisation des continents.
Une cause biologique de la chute du CO2
Mieux nourris grâce aux plantes, les champignons ont accru leur capacité à altérer les roches. Les débris altérés ont été retenus par les racines des plantes et les filaments des champignons, en même temps que les débris organiques issus des plantes : un vrai sol ! Sous l’attaque intense des champignons, les roches ont libéré des quantités accrues de minéraux, entraînés par le ruissellement jusque dans l’océan. Parmi eux, le calcium et le magnésium s’y combinent avec l’ion carbonate (CO3 2–), dont la concentration océanique est en équilibre avec la concentration atmosphérique du CO2. La sédimentation calcaire accrue a piégé massivement le CO2 et, ajoutée à la photosynthèse terrestre, a contribué à appauvrir l’atmosphère en CO2, ce qui a réduit l’effet de serre. Ainsi, la structuration des écosystèmes terrestres a eu une conséquence climatique majeure. Ce phénomène expliquerait 80 % de la chute de concentration atmosphérique du CO2 qui a eu pour effet, vers 460 millions d’années, une nouvelle grande glaciation à l’Ordovicien. L’emballement de l’altération des roches et de la photosynthèse aurait aussi contribué à une glaciation vers la fin du Dévonien (359 millions d’années). Ces deux glaciations se sont accompagnées d’extinctions massives d’espèces.
Biorythmes des plantes
Jour long, jour court
Si ces biorythmes (rythmes circadien, saisonnier) se sont mis en place dès le stade des organismes unicellulaires, ils ont dû subir des adaptations pour coordonner le grand nombre de cellules et d’organes qui composent les algues et plantes multicellulaires. L’intensité de leur métabolisme est ainsi soumise à des fluctuations rythmiques quotidiennes spécifiques entre la nuit et le jour (l’orientation spatiale des feuilles comme pour l’Oxalis ou des corolles comme pour la Ficaire) ou bien annuelles, selon les saisons (par exemple, la quantité de pigments photosynthétiques dans les feuilles). La transition d’une croissance végétative à la floraison varie selon les plantes qui sont classées en plantes de jour court, plantes de jour long, plantes neutres, etc.
Une panoplie de photorécepteurs
La perception des fluctuations lumineuses sur le plan quantitatif et qualitatif est rendue possible par la présence de photorécepteurs spécifiques où la lumière joue davantage un rôle de signal plutôt que de source d’énergie. Ils sont situés dans tous les organes des plantes à des concentrations variables. Les phototropines, sensibles à la lumière bleue, interviennent dans les phénomènes de croissance et de développement, d’ouverture stomatique, de mouvement chloroplastique et de mobilisation du stock calcique. Les cryptochromes sont sensibles au rayonnement UV/bleu.
Les phytochromes sont très répandus: ces photorécepteurs sont présents chez toutes les plantes terrestres, les algues streptophytes, les cyanobactéries et autres bactéries, les mycètes et les diatomées. Les formes ancestrales des phytochromes des plantes sont présentes dans les cyanobactéries. Ils sont sensibles au rayonnement rouge et infrarouge du spectre lumineux. Les plantes en contiennent plusieurs (on en a identifié cinq différents chez l’Arabette des Dames, Arabidopsis thaliana). Ils déclenchent une cascade d’événements biochimiques qui influent sur le réglage de l’horloge interne, la forme et la couleur des plantes, la germination de certaines graines, la formation des chloroplastes, la pigmentation, la floraison (plantes de nuits courtes ou longues), l’occupation de l’espace (évitement de l’ombre), la mémorisation de la température extérieure (sur quelques heures), la biosynthèse de diverses substances telles que la chlorophylle, les anthocyanes... Leur diversité permet de s’adapter aux variations des qualités de la lumière incidente, ainsi qu’aux modifications de son intensité et de sa périodicité (s’il fait jour ou nuit, combien de temps dure la nuit, quelle quantité de lumière est disponible…). Les pousses croissent généralement vers la lumière, tandis que les racines s’en éloignent. Leur horloge interne se synchronise chaque jour en captant la lumière du soleil, enregistrant ainsi le cycle des saisons.
Une extraordinaire polyvalence
Biotechnologies
La pomme de Newton
La gravitation universelle est ressentie par tout organisme qui sait pertinemment où se trouve le haut (vers le ciel) et le bas (vers le centre de la Terre), une information indispensable par exemple au plancton photosynthétique qui doit se maintenir le plus près possible de la surface éclairée des océans ou des lacs pendant la journée. Pour lutter contre la tendance à couler, le phytoplancton dispose de divers caractères ou dispositifs qui assurent sa flottabilité. La légèreté du corps est due en particulier à sa très forte teneur en eau (jusqu’à 98 %), à la présence de cloches dites natatoires, de flotteurs, de globules d’huile diminuant le poids spécifique. La forme du corps, aplatie ou rubanée, a également son importance, de même que la présence de larges appendices ciliés augmentant la surface portante, d’épines, piquants, spicules rayonnant en tous sens. Leur rôle est de ralentir la plongée et de maintenir les organismes en suspension.
Mais la gravité agit surtout hors du milieu aquatique. Ainsi, les plantes, dès la germination de la graine, voient leurs jeunes racines tout naturellement se diriger vers les profondeurs du sol alors que la tige ou l’ébauche du tronc s’élance vers la lumière. Une plante (herbe, liane ou arbre) penchée ou aplatie pour une raison quelconque cherche toujours à se dresser grâce à l’action conjuguée de diverses hormones, de façon à optimiser ses chances de capter la lumière par ses organes aériens, et l’eau et les sels minéraux par son système racinaire.
Le champ magnétique terrestre
Protection du rayonnement cosmique
Contrairement à la planète Mars aujourd’hui, la Terre émet un champ magnétique (qui agit sur l’aiguille aimantée de la boussole). Il est produit par les mouvements convectifs d’un alliage de fer et de nickel dans son noyau liquide. Ces mouvements contribuent à refroidir le noyau, et donc à réchauffer le manteau qui l’entoure. A la surface de notre planète, cela se traduit notamment par du volcanisme. Le champ magnétique forme la magnétosphère qui baigne et entoure la Terre. De concert avec la fine couche de notre atmosphère, elle constitue un écran protecteur, de sorte que seulement 0,05 % du rayonnement cosmique arrive au niveau de la mer (le double à 1 500 mètres d’altitude). Ce flux est composé d’ions très énergétiques en provenance des galaxies d’une part et de protons formant le “vent solaire” d’autre part. En perdant son champ magnétique, Mars, n’étant plus protégée, aurait vu son atmosphère “soufflée”, éjectée, érodée par le vent solaire. Des simulations récentes indiquent que les champs magnétiques de la Terre et de la Lune étaient fusionnés dans le passé, assurant une protection encore supérieure à aujourd’hui. Ils ne se seraient dissociés qu’il y a un milliard d’années. Par la suite, la Lune aurait subi le même sort que Mars.
Sensibilité au champ magnétique
A l’intérieur des cellules, les cryptochromes sont des pigments qui absorbent la lumière bleue et verte et forment des “paires radicales” (des molécules qui répondent au champ magnétique). Ils participent à la régulation du rythme biologique des êtres vivants. Ils permettent de réguler la croissance, le développement, les rythmes circadiens ou encore le stress. Ils ont une sensibilité aux variations du champ magnétique. L’activation des cryptochromes chez la plante de laboratoire Arabidopsis thaliana bloque la croissance de l’hypocotyle, une partie de la tige qui pousse quasiment sans division cellulaire. Les chercheurs ont soumis des plants d’Arabidopsis à la lumière bleue et à des champs magnétiques variables. Ils ont observé que l’augmentation du champ magnétique renforce le blocage de la croissance de l’hypocotyle, mais seulement en présence de lumière bleue. Quant aux plantes mutantes dépourvues de cryptochromes, elles sont insensibles aux variations du champ magnétique. Les cryptochromes ont été fortement conservés au cours de l’évolution et sont présents chez les plantes et les animaux. Tous pourraient donc être dotés de ce “‘sixième sens” à condition d’en faire usage.
Radioactivité terrestre
Mais ce bouclier magnétique ne nous protège pas de la radioactivité du sol (ou rayonnement tellurique) à laquelle est soumise le vivant. Émise par de nombreux éléments radioactifs naturellement présents dans l’écorce terrestre, comme l’uranium et le thorium, elle est cinq à vingt fois plus élevée dans les massifs granitiques que sur des terrains sédimentaires. L’eau et l’air peuvent également présenter une certaine radioactivité. Toutes ces radiations peuvent engendrer des cancers, des mutations ou la mort des cellules impactées.
La Lune
Stabilisation de l’axe terrestre
Enfin, dernier paramètre astronomique pouvant influer sur le vivant, la Lune est un satellite exceptionnellement gros comparativement à la taille de la Terre. Sa présence stabiliserait l’axe de rotation terrestre qu’elle empêcherait de basculer de façon chaotique. Notre sort serait bien différent si, à l’instar de Vénus, notre rotation était rétrograde avec une période de 243 jours (terrestres), associée à une période orbitale de 224,7 jours (un jour vénusien plus long que l’année vénusienne) : la durée du « jour » Vénusien est donc de 116 jours terrestres, avec un Soleil qui se lève à l’ouest et se couche à l’est ! Quant à Uranus, un jour dure environ 17 heures (terrestres). C’est vrai pour l’intérieur de la planète, mais sa haute atmosphère effectue une rotation en 14 heures. Ce phénomène induit certains des vents les plus violents du Système solaire. Près des pôles, les vents soufflent dans le sens de la rotation de la planète. Mais près de l’équateur, ils vont dans le sens contraire! Il faut 84 ans (terrestres) pour qu’Uranus fasse une révolution autour du Soleil. Uranus tourne autour d’un axe horizontal, couché sur le plan de son orbite autour du Soleil, contrairement à toutes les autres planètes, qui tournent sur un axe oblique, proche de la verticale. D’après les scientifiques, une planète de la taille de la Terre aurait percuté Uranus et l’aurait fait basculer sur le côté. Son inclinaison unique de 98° lui donne les saisons les plus extraordinaires du Système solaire. Pendant près de 21 ans (terrestres), un quart de l’année d’Uranus, un pôle est baigné de lumière solaire tandis que l’autre est plongé dans l’obscurité totale…
La marée
Océans et mers
Par ailleurs, la Lune et le Soleil, par leur attraction gravitationnelle conjuguée, engendrent le phénomène des marées sur Terre. L’intensité de cette attraction varie en fonction de la distance Terre-Lune au cours du mois, de la distance Terre-Soleil au cours de l’année, de l’angle d’inclinaison du plan de l’orbite de la Lune, et de divers autres paramètres. Pour les océans, les caractéristiques des marées sont également fonction de la topographie côtière et elles peuvent être amplifiées ou amoindries en fonction des conditions météorologiques par exemple. Les continents se soulèvent également au rythme de la marée, mais l’amplitude est plus faible et moins évidente à percevoir, bien qu’elle soit mesurable avec une instrumentation appropriée.
Peu de chercheurs se sont intéressés aux biorythmes impulsés par la marée, un sujet qui passionne pourtant le public et notamment les tenants du jardinage, de l’exploitation forestière ou de l’agriculture “avec la lune”. Selon des études portant sur quelques espèces animales de la zone de balancement des marées (crabes, poux de mer, moules), il ressort que les rythmes circadien (en fonction du soleil) et intertidal (en fonction de la marée) sont indépendants et inscrits en des lieux différents du génome de chacune de ces espèces.
Une étude originale de l’Ifremer a porté sur la faune d’un biotope qui était considéré jusqu’à présent comme “arythmique”, et plus précisément sur les modioles (Bathymodiolus azoricus), de grosses moules des profondeurs marines. De manière surprenante, alors qu’elles vivent dans l’obscurité totale, à 1700 mètres sous la surface océanique, au niveau de cheminées hydrothermales, leurs coquilles sont marquées de stries de croissance dont le rythme correspond au cycle des marées ! Prélevées à intervalles réguliers par un robot, elles ont été « fixées » immédiatement dans une solution pour offrir des conditions idéales de séquençage du génome et pour éviter que les gènes exprimés par l’animal ne soient modifiés par le stress de la remontée. Autre précaution, c’est à la lumière rouge que le site d’échantillonnage a été éclairé pendant les prélèvements, afin d’influer le moins possible sur leurs réactions physiologiques.
En effet, la lumière “blanche” (où se mêlent toutes les longueurs d’onde de la lumière) est connue pour modifier les cycles biologiques, alors que le rouge est la première couleur absorbée dans l’eau de mer. La difficulté pour les chercheurs, c’est qu’avec la lumière blanche on voit à 15 mètres, et à 4 mètres maximum en lumière rouge ! Les résultats confirment qu’au niveau moléculaire, le transcriptome temporel (c’est-à-dire l’ensemble des gènes exprimés, qui donnent une photo de l’état physiologique d’un organisme à un instant « t ») présente des oscillations dont la période correspond à celle de la marée. La prochaine étape sera d’identifier d’éventuelles horloges biologiques internes chez les modioles des grands fonds pour évaluer si les oscillations observées dans l’expression des gènes sont une réponse à un stimulus environnemental ou si elles sont générées par une ou plusieurs horloges biologiques internes.
Les plantes aussi ?
Qu’en est-il des plantes terrestres qui, pour la plupart et comme les modioles, ne sont aucunement dans la zone côtière de balancement des marées ? Les traditions forestières et agricoles de beaucoup de pays dans le monde, y compris le nôtre, attribuent à la lune une influence sur les végétaux, que ce soit au stade de la semence, de la croissance, de la fructification, ou encore de la période favorable à la coupe des arbres selon l’usage que l’on fera du bois. Toutefois, à part Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie, et les tenants de la biodynamie, je ne trouve guère d’articles scientifiques en français qui se rapportent à l’étude des rythmes lunaires des plantes, si ce n’est pour en faire la détraction. C’est en langue anglaise que je finis par trouver un article scientifique publié en 2017 dans les Annales de botanique et qui offre une nouvelle approche sur ce sujet controversé.
Un chercheur en physique théorique, Gerhard Dorda, a proposé un nouveau modèle astro-géophysique du rôle de la gravitation sur les processus vivants. La gravitation influerait sur la structure supramoléculaire de l’eau, les molécules s’agrégeant ou se séparant de manière réversible, à partir notamment des liaisons hydrogène. Cette variation rythmique de la cohérence des molécules d’eau au sein de l’organisme végétal constituerait une horloge biologique, liée au système des trois astres Terre-Lune-Soleil, avec une influence prépondérante de la Lune. Étant donné que de nombreuses études (en références dans l’article) apportent des preuves substantielles des effets de la gravitation sur la faune et la flore, aussi bien sur le plan physiologique que comportemental, deux chercheurs se joignent à Gerhard Dorda pour apporter leur pierre à l’édifice par une méthode originale.
Ils choisissent pour objet d’étude l’Arabette des Dames (Arabidopsis thaliana), une plante de la famille de la moutarde (Brassicacées) très appréciée dans les laboratoires de biologie. Le taux d’allongement des racines de l’Arabette montre une oscillation de 24,8 heures* lorsqu’elle pousse dans des conditions de fonctionnement libre, un rythme qui correspond à la variation de marée gravimétrique luni-solaire. Les chercheurs montrent que ce rythme est perceptible au niveau cellulaire des racines de la plante et se manifesterait par une dynamique particulière de l’eau contenue dans les cellules végétales, conformément au modèle développé par Gerhard Dorda. Affinant ce modèle sur le plan mathématique, ils en concluent que ce comportement collectif des molécules d’eau sous l’effet gravitationnel agirait comme une horloge interne contrôlant la croissance racinaire de la plante avec une périodicité de 24,8 heures.
(*) Jour solaire: C’est le temps que met le Soleil pour revenir au méridien d’un lieu (midi solaire): 24 h (combinaison de la rotation de la Terre sur elle-même et de sa révolution autour du Soleil) – Jour sidéral: C’est le temps que met une étoile donnée pour revenir au méridien d’un lieu: 23 h 56 min 4 s – Jour lunaire: C’est le temps que met la Lune pour revenir au méridien d’un lieu: 24h 50m 28s, soit 24,8 heures (combinaison de la rotation de la Terre sur elle-même et de la révolution de la Lune autour de la Terre).
Conclusion
Faire de l’astronomie, ce n’est pas seulement observer des étoiles ou des galaxies dans le ciel nocturne. C’est aussi comprendre comment des phénomènes astronomiques influent et conditionnent la vie sur la Terre jusqu’à sa plus simple expression, la cellule. Notre planète est située dans la zone “habitable” du soleil, et grâce à l’effet de serre de certains gaz de son atmosphère, elle bénéficie depuis très longtemps de l’eau à l’état liquide, un milieu privilégié où est apparu la vie. Si elle a pu être ainsi préservée, c’est grâce à son bouclier magnétique qui la protège des rayonnements et des particules trop énergétiques en provenance du cosmos et du soleil. Dans l’univers, tout bouge, et nous ne faisons pas exception. La terre tourne sur elle-même, nous plongeant tour à tour dans le jour et la nuit, elle évolue autour du soleil, et les saisons alternent dans un cycle qui nous paraît immuable. Ces mouvements s’expliquent par la gravitation universelle, ainsi, sur notre planète sphérique, personne n’a la tête en bas, mais tout le monde ressent l’attraction vers le centre de la terre. D’autres attractions influent sur la planète et les êtres qui l’habitent: ce sont principalement celles conjuguées de la lune et du soleil. Les marées en sont la conséquence la plus manifeste, mais le vivant les intègre de manière plus discrète dans l’élaboration des coquilles des mollusques ou des enrochements des coraux. Plus subtile encore, elles s’insèreraient même dans les rythmes du vivant, la lune et le soleil imposant chacun un tempo différent.
Merci passionnant cet article. Depuis quelques temps, je m’intéresse au cycle des fleurs, ouverture fermeture, en lien avec la pollinisation, j’adorerais créer une horloge florale.
Sonia
Astrofleurs est un article comme les autres, mais ce qui veut dire : exceptionnellement bien documenté, très bien illustré ; les photos sont magnifiques, et pour le lecteur ou la lectrice qui n’est pas toujours trop scientifique, c’est l’illustration qui donne envie de prendre le temps de lire l’essentiel des textes . En effet, il faut être “à la hauteur” et assez concentré pour lire l’intégralité du récit, qui est en effet semblable à une conférence . Bravo pour ces productions !
Bon repos et bonnes recherches pour les futurs articles du monde de Cathy !