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Ehüjarre (suite)

26 min - temps de lecture moyen
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Pavot jaune parmi les valérianes des Pyrénées

Je trouve une réflexion intéressante qui complète les précédentes sur un dossier du blog de La Balaguère intitulé l’isophène des plantes. “The Isophene“, selon l’écrivain naturaliste anglais Richard Mabey (Flora Britannica), est la courbe joignant les points d’un égal stade de développement saisonnier d’une plante. Les primevères fleurissant aujourd’hui à Auch, Toulouse et Millau sont rejointes par cette ligne : demain elle sera à Cahors et Bordeaux, après-demain à Brive, etc. Cet auteur assure qu’il avance “à peu près à la même vitesse qu’un homme qui marche”. Seulement, la marche des isophènes est bien plus compliquée qu’une simple progression vers le Nord. Évidemment, l’avancée de la floraison est influencée par la proximité de l’océan et l’altitude. Dans une région de montagne, on perd 7°C pour chaque 1000 m grimpés, sans compter le vent. L’an passé les hépatiques ont fleuri à 430 m à la mi-février, alors que le début de leur floraison à 1400 m dans les Pyrénées n’a été noté que fin mars, soit cinq semaines plus tard pour une différence de 1000 m.

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Carabus lineatus chrysocarabus

Mais il demeure encore un paramètre non évoqué : dans ces zones fortement accidentées, le printemps commence dans les pâturages autour des villages et descend dans la fraîcheur de la vallée étroite en même temps qu’il grimpe : l’inversion des températures est très nette dans les gorges, avec des gelées de longue durée et une végétation bien plus habituelle à des altitudes supérieures, les hêtraies par exemple. Au mois de mai, l’isophène du merisier rend ce phénomène très évident, les arbres vêtus de leurs fleurs blanches étant bien visibles, avançant vers le bas et vers le haut. Ainsi, ces microclimats et différences d’altitude en montagne constituent un terrain de rêve pour les botanistes, car le printemps dure bien plus longtemps que les trois mois standard. Tout commence avec les espèces de plaine début février (pulmonaires, hépatiques, etc.) et termine au-dessus de 2600 m avec les espèces alpines au mois d’août (renoncule des glaciers, marguerite des alpes, etc.).

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La grande vesce

Dimitri attrape, avec sa prestesse habituelle, un beau carabe bicolore, le Carabus lineatus chrysocarabus, qui est un animal intéressant à plus d’un titre. Il nous apprend que son imago (le dernier stade de transformation) a une durée de vie longue de 3 ans, exceptionnelle pour un insecte, et qu’il crache un liquide nauséabond pour se débarrasser de ses agresseurs. Ce carabe vit pratiquement du niveau de la mer jusqu’à 1500 m, et parfois au-delà. Il occupe les biotopes les plus divers, bois, bosquets, prairies, hêtraies, alpages…, y compris les bords ombragés des routes de campagne, comme aux alentours de Macaye et Mendionde, où il affectionne hiverner dans les talus ! Prédateurs de mollusques (limaces, escargots) et d’insectes (pucerons, larves de taupins…), les adultes sont carnivores à 80% et les larves à 90%. Il faut savoir que chez les carabes, larves comme adultes, la digestion est “extra-orale” c’est-à-dire hors de la bouche. Les tissus de la victime sont mâchouillés à l’aide des mandibules, puis imprégnés de sucs digestifs et d’anesthésiants toxiques afin de la tuer. Ils sont absorbés une fois liquéfiés.

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Céphalanthère à longue feuille (orchidée)

Les coléoptères du genre Carabus, à part quelques exceptions, ne volent pas et, de ce fait, forment des populations qui se différencient volontiers sur des distances restreintes, surtout en montagne où leurs exigences biologiques peuvent les amener à s’isoler génétiquement des populations voisines. Dans ces conditions, ces insectes terrestres sont des témoins privilégiés de l’évolution, un ancêtre commun ayant contribué à l’existence actuelle de nombreuses espèces et sous-espèces dont le territoire est parfois très limité.

Ce qui m’a semblé le plus intéressant dans les sources que j’ai consultées, c’est la mise en évidence de la tendance à l’hybridation des carabes, qui permet l’introgression des gènes d’une espèce dans une autre et génère ainsi toute une gamme d’espèces voisines. Un cas typique est celui de notre Carabus (Chrysocarabus) lineatus, qui s’hybride volontiers avec Carabus splendens dans le Pays Basque. Dans l’Ouest de la chaîne Cantabrique, on trouve Carabus lateralis. L’atténuation des côtes primaires (les lignes noires et en relief que l’on voit sur les élytres) est de plus en plus sensible d’Ouest en Est, au fur et à mesure que ce carabe entre dans le territoire de Carabus splendens, définissant ainsi le phénotype lineatus. Donc, en simplifiant (il y a des populations intermédiaires), la rencontre de lateralis venant de l’Ouest et de splendens venant de l’Est a donné une population polymorphe de lineatus. Ce phénomène d’introgression est susceptible d’exister dans tout le monde vivant (il a aussi été constaté chez des grenouilles et des poissons par exemple). Chez les hominiens, il n’y a par conséquent aucune raison que ce ne soit pas le cas et l’hybridation entre Homo sapiens et Homo neanderthalensis semble avoir eu lieu, au moins localement. Des preuves d’une telle hybridation se trouveraient parmi les squelettes entiers ou fragmentaires de Djebel Qafzeh en Palestine : ils présentent des types intermédiaires entre Néandertaliens et Hommes modernes.

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Gorge d’Ehüjarre

Note : Dans les mécanismes de spéciation, l’un d’entre eux est peu connu ou mal reconnu, c’est l’introgression des gènes d’une espèce dans une autre, par hybridation. Rappelons que le statut d’espèce est donné à un ensemble d’individus capables de se reproduire et de donner des descendants eux-mêmes fertiles. Cette condition est le plus souvent supposée. Deux espèces proches sont parfois capables d’engendrer une progéniture viable mais les produits de cette union, appelés hybrides, sont incapables de se reproduire entre eux. Par contre, ils peuvent éventuellement donner une descendance avec l’une ou l’autre des espèces parentes, et les individus obtenus ne sont pas forcément stériles. C’est ainsi que le patrimoine génétique d’une espèce peut entrer partiellement dans celui d’une autre, créant des particularités dans le phénotype de certains individus, ou à plus grande échelle dans toute une population.

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Saxifrage hirsute

En ce qui concerne la question de l’hybridation entre espèces humaines sapiens-neandertal, l’auteur va même plus loin. “Dans les Pyrénées court la légende de Jean-de-l’Ours, dont toutes les versions sont bâties autour du noyau central suivant : un ours enlève une jeune fille, l’emporte dans sa caverne et la retient prisonnière en fermant la grotte par une lourde dalle. Il lui fait un fils, velu et fort comme un ours, d’où son nom, qui, en grandissant, devient capable de déplacer la dalle et s’enfuir ; il devient forgeron, et s’ensuivent alors nombre d’aventures. On retrouve ce thème de l’ours ravisseur de jeunes filles dans les ”fêtes de l’ours” comme à Prats-de-Mollo, Arles-sur-Tech, ou Saint-Laurent-de-Cerdane dans les Pyrénées Orientales. Des fêtes de l’ours existent aussi en Ariège qui ressemblent aux ”chasses à l’homme sauvage” des carnavals et charivaris médiévaux de l’Europe centrale.

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Pavot jaune
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Lamier jaune

Au Pays Basque, tant français qu’espagnol, courent des légendes sur le Basa-Jaun, l’Homme Sauvage (ou plus exactement le Seigneur Sauvage) local, qui est couvert de poils, comme un ours, se nourrit d’herbes ou de gibier, ne quitte pas les montagnes et les forêts, est cruel, voleur, [ … ]. Il n’est pas sujet aux infirmités, il conserve toujours une force sans pareille, il est insensible aux intempéries des saisons, il marche jour et nuit… Qui plus est, il y a deux siècles tout au plus, des bûcherons de la forêt d’Iraty affirmaient avoir rencontré ses traces de pas, et d’autres l’avoir entendu, et le souvenir s’en perpétuait encore récemment lors de veillées au coin du feu. Un ingénieur de la Marine, Julien David Leroy, dans son ouvrage sur l’exploitation forestière dans les Pyrénées (1776), a fait mention de plusieurs histoires d’enfants ensauvagés, comme le célèbre Victor de l’Aveyron.

” Il n’y a pas deux ans [donc en 1774] que les pasteurs de la forêt d’Yraty, proche de Saint-Jean-de-Pied-de-Port, aperçurent souvent un homme sauvage qui habitoit les rochers de cette forêt. Cet homme étoit de grande taille, velu comme un ours, & alerte comme les hisards, d’une humeur gaie, avec l’apparence d’un caractère doux, puisqu’il ne faisoit de mal à rien. Souvent il visitoit les cabanes sans rien emporter ; il ne connaissoit ni le pain, ni le lait, ni les fromages ; son grand plaisir étoit de faire courir les brebis, & de les disperser en faisant de grands éclats de rire, mais sans jamais leur faire du mal. Les Pasteurs mettoient souvent leurs chiens après ; alors il s’enfuyoit comme un trait, & ne se laissoit jamais approcher de trop près.

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Hêtraie
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Saxifrage hirsute

Une seule fois, il vint un matin à la porte d’une cabane d’ouvriers qui faisoient des avirons, & qu’une grande abondance de neige tombée pendant la nuit retenoit ; il se tint debout à la porte qu’il tenoit des deux mains, & regardoit les ouvriers en riant. Un de ces gens se glissa doucement pour tâcher de le saisir par une jambe ; plus il le voyoit approcher, & plus son rire redoubloit ; ensuite il s’échappa. On a jugé que cet homme pouvoit avoir trente ans ; comme cette forêt est d’une grande étendue, & communique à des bois immenses appartenant à l’Espagne, il y a à présumer que c’étoit quelque jeune enfant qui s’y étoit perdu, & qui avoit trouvé les moyens d’y subsister avec des herbes “.

Dans toutes les régions où l’on signale des créatures humanoïdes et velues, on a tôt fait d’en faire de prétendus hybrides entre l’homme et le singe. Dans les Pyrénées, faute de singe, on a pris le substitut le plus ‘plausible’, à savoir l’ours. Ainsi s’expliquent les histoires d’hybridations homme/ours, ou plutôt ours/femme, pour rester conforme au mythe de l’Homme Sauvage. L’hybridation homme/ours est évidemment génétiquement impossible, mais s’agit-il réellement d’un ours ? L’habileté manuelle prêtée au rejeton de ces amours contre-nature évoque une main de primate, pas une patte d’ours ; s’agirait-il d’un souvenir confus d’une hybridation entre un type d’Homme primitif et une femme ?

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Une magnifique limace noire luisante (Arion ater) examine le sol de ses yeux minuscules juchés à l’extrémité des tentacules rétractiles prolongeant sa tête

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Notre Carabus lineatus chrysocarabus nous a emmenés bien loin. Dimitri reconnaît une anomalie de pigmentation d’un bugle, qui n’est pas albinos, mais atteint de leucisme : ses fleurs dressées en épi sont blanchâtres au lieu de bleues, et nous avons tendance à le confondre avec une orchidée ou du muguet. Une fauvette à tête noire chante dans le sous-bois, invisible. Nous observons la grande vesce et apprenons à distinguer les fougères mâles des fougères femelles qui sont frisées. En réalité, Nicolas Van Meer-Ordoqui, du jardin botanique Paul Jovet de Saint Jean de Luz, et Jeannette Breton, distinguent un grand éventail d’espèces de fougères. Nous passons devant de jolies raiponces d’un bleu soutenu, apprenons à reconnaître la globulaire, la valériane, l’érine des Alpes, l’iconopsis du Pays de Galles.

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Chrysomèle

Des insectes se décomposent sur les feuilles des grassettes dont ils complèteront le régime alimentaire carencé. Il nous fait remarquer la céphalanthère à longue feuille (une orchidée), la seule en Pays basque car c’est une espèce de milieux calcicoles et secs où domine la hêtraie. C’est un type d’habitat intéressant par l’originalité de sa flore et la présence éventuelle dans son environnement d’espèces protégées comme le Sabot de Vénus (dont nous ne verrons que les feuilles, sa floraison pouvant s’étaler de mai à juillet). Étant donné la fragilité de ce biotope, il faut éviter les coupes d’arbres portant sur de grandes surfaces car cela pose des problèmes sérieux de régénération. J’ignore si les forestiers dont nous avons vu un camion respectent ces prescriptions (seulement recommandées en sites Natura 2000).

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Champignons bioluminescents

Les premières girolles, appelées aussi chanterelles, émergent déjà de la mousse. Il faut prendre garde à ne pas les confondre avec le clitocybe trompeur qui peut fréquenter les souches de châtaignier et de chêne (et d’olivier dans le sud-est). Ce champignon très toxique présente une particularité assez rare : ses lames sont bioluminescentes, c’est à dire qu’elles émettent une lumière “froide”, verte, un phénomène distinct de la fluorescence, de la phosphorescence ou de la lumière réfractée. Elle peut être générée par des organismes symbiotiques hébergés au sein d’un organisme plus grand, et résulte de l’activité d’un composé chimique, la luciférine, qui émet de la lumière en s’oxydant grâce à la luciférase, une enzyme. Chez quatre espèces étudiées (Armillaria mellea, Mycena citricolor, Omphalotus olearius et Panellus stipicus) parmi les 42 espèces de champignons répertoriées avec cette caractéristique, on constate que la température a un effet significatif sur la croissance et la bioluminescence, 22°C étant la température optimale. Le pH a un effet considérable sur la croissance et sur la luminosité des champignons. Le développement mycélien des quatre espèces est favorisé par un pH de 3,5 à 4 (milieu acide) tandis que le pH optimal pour la bioluminescence est variable selon les espèces.

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Longicorne ?

Toujours dans le sous-bois pousse l’épipactis, une orchidée dont nous ne voyons que les feuilles qui ressemblent à celles de l’arum. Dans ce milieu humide se développe le carex (ou laîches), un genre de plantes aux feuilles souvent coupantes et à tige souvent de section triangulaire, dont l’allure, en plus petit et menu, me fait penser à l’herbe de la pampa. Autrefois, en France, ces feuilles étaient utilisées pour le paillage des assises des sièges. Au Japon elles servaient à confectionner le chapeau de paysan “sandogasa” (littéralement parapluie/ombrelle/chapeau chinois trois fois), plat, légèrement courbé au bord comme une assiette creuse, dont le nom provient des sando hikyaku, des coursiers qui, trois fois par mois, faisaient le chemin entre Edo (aujourd’hui Tokyo), Osaka et Kyoto. Je remarque que les plantes que nous indique Dimitri sont répertoriées dans le CORINE Biotopes dont la typologie va être remplacée par celle d’EUNIS (European Nature Information System).

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Carabus Cychrus Dufouri

Selon ce répertoire, nous sommes donc dans une Hêtraie sur calcaire / Cephalanthero-Fagenion décrite ainsi : Forêts medio-européennes et atlantiques xéro-thermophiles sur sols calcaires, souvent superficiels, généralement sur des pentes escarpées, avec une sous-strate habituellement garnie d’herbacées et d’arbrisseaux abondants, caractérisée par des Laîches (Carex digitata, C. flacca, C. montana, C. alba), des Graminées (Sesleria albicans, Brachypodium pinnatum), des Orchidées (Cephalanthera spp., Neottia nidus-avis, Epipactis leptochila, E. microphylla) et des espèces thermophiles, transgressives des Quercetalia pubescenti-petraeae (chênaies pubescente et sessile).

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Carabus Cychrus Dufouri

La strate arbustive renferme plusieurs espèces calcicoles (Ligustrum vulgare, Berberis vulgaris) et Buxus sempervirens – le buis – peut dominer. Elle se subdivise en une sous-section intitulée Hêtraie à laîches / Carici-Fagetum : Hêtraies médio-européennes de pente à Carex et Orchidées. Ces classifications permettent, lorsqu’on connaît un des éléments, d’en déduire les autres. Par exemple, nous savons que nous sommes dans les Pyrénées, dans le massif calcaire de la Pierre Saint Martin et dans une gorge du versant nord, nous avons donc de fortes chances de trouver la plupart des espèces (ici végétales) répertoriées sur cette base de données, regroupées dans ce qu’on appelle un ‘cortège floristique’ (une association de plantes pour un milieu donné).

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Raiponce parmi des géraniums

Parmi celles-ci, Dimitri nous montre encore la luzule, un hôte également des sous-bois de hêtres, la mercuriale (mâle et femelle), l’hépatique, la renoncule. L’étrave d’un haut promontoire fend, tel un paquebot, le sentier qui se divise en Y en remontant vers les prairies d’altitude. Ses flancs escarpés sont des falaises à rapaces (vautour fauve, faucon pèlerin, gypaète barbu, percnoptère). Nous obliquons sur la gauche et trouvons sur notre route un carabus Cychrus Dufouri (très rare) dont je trouve une photo d’un grossissement de sa tête qui donne une idée de la spécialisation de ses appendices buccaux. En France, on dénombre 35 200 espèces d’insectes, dont 9 600 espèces de coléoptères (scarabées, coccinelles…), parmi lesquelles se distinguent quelques espèces rares. En second lieu viennent les hyménoptères (guêpes, abeilles, fourmis…) avec 8000 espèces, les diptères (mouches, moustiques…), 6500, les lépidoptères (papillons…), 5100, etc. Par contre, il est impossible de savoir combien il y a d’insectes dans le monde, 4, 10 ou 100 millions ! En ce qui concerne ce carabe, c’est le troisième que Dimitri voit en 15 ans. Pourtant, il considère qu’il a de la chance puisqu’en Corse, il avait trouvé presque sous son pied un autre insecte rarissime, le bousier Sisyphus Schœfferi Lin. immortalisé par Jean-Henri Fabre qui compare ses membres aux outils du boulanger et disserte à son sujet sur l’instinct de la paternité dans une prose admirable.

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Sceau de Salomon
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Ail des ours

Dans cette humidité ambiante poussent aussi l’angélique, le lys Martagon, le lamier (surnommé ortie jaune, bien qu’il ne soit pas urticant et n’appartienne pas à la même famille), le sceau de Salomon que Dimitri nous avait fait découvrir dans le cirque de Lescun et qui se trouvait alors sous la neige, en plein mois de mai ! L’ail des ours en pleine floraison illumine le sous-bois de ses ombelles blanches. C’est une plante ‘sociale’ qui forme de vastes colonies le long du chemin et entre les arbres. Outre ses qualités alimentaires (elle n’est pas que pour les ours), c’est une plante médicinale très ancienne connue des Celtes et des Germains et dont on a retrouvé des restes dans des habitations du Néolithique. Depuis quelques années, il a regagné une certaine popularité du fait de sa haute teneur en vitamine C et de ses propriétés amaigrissantes. Il est aussi très riche en une huile essentielle sulfurée. Sa floraison a pris le relais de la scille lis-jacinthe qui arbore maintenant le long de ses hampes des fruits en capsules emplies de fines graines et dont il faut savoir que toutes les parties de la plante sont toxiques.

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Orchis
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Primevère farineuse

Ici même justement, nous rapporte Dimitri, un ours a été vu en plein jour, mais les gens de Sainte-Engrâce et de Larrau n’en conviennent pas et disent qu’il n’y en a pas. Une brebis a été trouvée éviscérée et désarticulée. En réalité, il reste deux à trois mâles autochtones. Autrefois, les ours des Pyrénées françaises étaient répartis en deux noyaux. En Béarn il y en a toujours eu, contrairement à la Haute Garonne, d’où il avait disparu. Selon l’avis de Dimitri, il n’est pas utile de l’y réintroduire. Le seul intérêt que l’on pourrait y trouver, c’est que c’est une espèce ‘parapluie’, qui impose la restauration de tout le biotope pour préserver son existence. Dans le monde, il y a huit espèces d’ours et l’ours brun est le moins menacé (au contraire du panda). Les craves et les chocards, reconnaissables de loin à leur silhouette noire différente en vol, franchissent d’un coup d’aile la gorge, d’une cime à l’autre. Nous parvenons à l’étage de la prairie au-dessus du bois et nous nous regroupons dans une grotte, ou plus précisément un abri sous roche qui domine la faille.

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Carabus Cychrus Dufouri

Même si nous n’observons pas la luxuriance des fleurs rencontrées le mois dernier, plusieurs espèces continuent d’agrémenter le parcours : l’horminelle bleue, une orchis rose, le populage des marais qui ressemble à un gros bouton d’or, bien mis en valeur par d’abondantes feuilles arrondies à la base des tiges, peut-être de l’armérie, de petites fleurs roses regroupées en boule à l’extrémité de fines tiges, appelées la primevère farineuse. Dans le ruisseau qui serpente plus tranquillement sur le doux vallonnement, nous apercevons trop brièvement une silhouette beige qui est peut-être celle de l’euprocte, un amphibien de la famille des salamandres, endémique des Pyrénées.

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Couple de timarques

Dimitri explique que l’hémolymphe fait office de sang chez les insectes. Elle est de couleur variable (jaune, brun, rouge, vert) en fonction de sa composition et ne sert pas à respirer (elle ne transporte pas l’oxygène dans le corps), mais véhicule seulement les nutriments aux cellules du corps. Par ailleurs, les insectes sont très faiblement vascularisés, pratiquement tout le corps étant rempli d’hémolymphe dans laquelle baignent les organes. Un couple de timarques mange du gaillet. Appelé aussi crache-sang ou chrysomèle noire, cet insecte présente la particularité, en cas de dérangement, de faire le mort puis d’émettre par la bouche mais aussi par les articulations, un liquide rouge-orangé qui aurait un très mauvais goût pour les prédateurs. Ce phénomène de « saignée réflexe » existe chez d’autres insectes aptères (sans ailes).

aP1110533Dimitri nous rapporte une autre particularité à propos d’un papillon, l’azuré du serpolet. La biologie de ce Maculinea arion est assez compliquée. On le voit voler sur des pelouses rases où fleurit sa plante hôte, le thym serpolet (parfois l’origan), d’où son nom vernaculaire. Les papillons pondent sur le thym où les chenilles se développent jusqu’au moment où elles tentent de se faire adopter par des fourmis du genre Myrmica en leur offrant des sécrétions très attractives (du miellat). En cas de réussite, la chenille passera l’hiver dans les meilleures conditions car les fourmis l’emportent à l’intérieur de la fourmilière, bien à l’abri des intempéries. Parmi les cinq espèces de Maculinea, deux d’entre elles, dont Maculinea arion, sont carnivores et dévorent les larves des fourmis sans que les ouvrières s’en offusquent ni réagissent ; les autres se contentent de la nourriture normalement destinée à ces larves, ce qui n’est guère mieux et les conduit à mourir de faim, sans doute. Elle hiverne donc chez ses hôtesses, cessant son activité en même temps qu’elles pour la reprendre au printemps, en parfaite symbiose. La nymphose a lieu dans la fourmilière, et le papillon s’en extrait pour aller s’accoupler à la surface, où le cycle recommence avec sa descendance.

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Gentiane de Koch

aP1110539Cette exploitation du confort des nids d’insectes sociaux n’est pas rare, avec parfois des formules compliquées. Ainsi, les larves du Coléoptère Atemeles pubicollis se font adopter au printemps par des fourmis rousses des bois du genre Formica. Elles offrent des sécrétions irrésistibles et imitent le comportement de demande de nourriture des larves de fourmis. Mais la situation se complique car le développement larvaire d’Atemeles pubicollis n’est pas terminé lorsque la fourmilière suspend ses activités et particulièrement l’élevage des larves. Le staphylin quitte alors les Formica et le milieu forestier pour chercher une espèce de prairie, du genre Myrmica, chez qui se termine le développement. Nous marchons parmi des touffes d’alchemille à la floraison discrète dans les jaunes pâles qui font ressortir le polygale du calcaire aux petites fleurs dont la première corolle d’un bleu intense entoure une corolle centrale blanche. Une fois de plus, Dimitri abat les idées reçues : les buissons que nous voyons dans les Pyrénées basques ne sont pas du rhododendron (dont le dessous des feuilles est rouge), à la floraison rose, mais du daphné lauréole (à feuille de laurier) au dessous des feuilles vert et à la floraison jaune. Nous dominons désormais la profonde échancrure de la gorge d’Ehujarre.

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Myrtilles en train de mûrir

Selon Emmanuel Amar, les pelouses calcaires constituent des milieux dont l’entomofaune comporte de nombreuses espèces d’origine méridionale qui atteignent dans ces biotopes chauds et secs leur limite de répartition en Europe nord occidentale. Les insectes vivant dans ces biotopes se caractérisent par leur adaptation aux contraintes engendrées par un milieu xérique (sec). Il en résulte que la plupart sont strictement inféodés à ces écosystèmes et représentent de par leur étroite localisation, une valeur patrimoniale importante, notamment dans les régions les plus septentrionales. Les pelouses calcaires sont malheureusement menacées par le mitage, voire la destruction pure et simple, par l’urbanisation mais aussi par la déprise agricole : anciennes terres de parcours, l’abandon du pâturage entraîne la reconquête de la forêt et, par là même, la banalisation de la faune. Riches d’une forte biodiversité, la pérennité des pelouses calcaires nécessite non seulement leur préservation mais aussi une gestion raisonnée.

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Éboulis de roches de l’ère primaire ?

Alors que le temps est en train de tourner définitivement à la pluie, Dimitri nous montre les légères fleurs blanches de saxifrage granulée, des tapis, blancs aussi, d’aspérule, des bouquets de lathrée clandestine violette parasitant les racines de hêtres, la néottie nid d’oiseau à l’air sempiternellement fané et l’orchis laxiflora, d’un rose soutenu. Dans la boue, il reconnaît une empreinte de chevreuil. C’est aussi ici le seul endroit du Pays basque où les isards se sont sédentarisés. Ils se déplacent jusqu’à Holzarte où nous étions le mois dernier. Une mésange charbonnière chante dans le fourré. Les couches géologiques s’entremêlent. Je crois d’abord, en voyant une surface au sol sans végétation, que l’endroit a subi du surpâturage. En réalité, il s’agit d’une roche grise en éboulis de gros cailloux anguleux instables, peut-être du schiste remontant à l’ère primaire. Il occupe de larges portions de la pente et il est entrecoupée de flysch qui recouvre sur les cimes le calcaire laissé à nu dans les falaises du canyon. Un amadouvier attaque un arbre par une blessure et infecte rapidement les tissus. Du moment qu’apparaissent ses fructifications, l’arbre est condamné à court terme. Cette espèce de champignon est pérenne. Elle se rencontre toute l’année sur les troncs de hêtre, aussi bien morts que vivants, plus rarement sur d’autres feuillus (peuplier, saule, marronnier, platane) et exceptionnellement sur résineux. Chez cette espèce, les vieux champignons âgés de plusieurs années abritent des colonies d’insectes (familles des Ciidae, des Tenebrionidae…), mais je ne trouve pas d’information s’ils le consomment ou simplement y logent. La dégradation du bois par le mycélium est très rapide, produisant un décollement des cernes et une fragilisation de la structure. A terme, il décompose le bois en pourriture blanche. Rien ne peut entraver la dégradation mécanique d’un arbre parasité.

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Empreinte de chevreuil

D’un point de vue environnemental, l’abondance de l’Amadouvier dans une hêtraie traduit sa naturalité. De récentes études indiquent que cette espèce est indicatrice d’une bonne diversité en champignons. L’amadouvier est doué de géotropisme, c’est à dire qu’il oriente ses couches successives de façon à présenter son hyménium fertile toujours vers le bas afin de le protéger des intempéries et de permettre une meilleure diffusion des spores. Ainsi, sur certains arbres à terre, on peut distinguer la partie qui a poussé lorsque l’arbre était debout, de celle qui croît depuis qu’il est au sol. L’Amadouvier a connu de nombreuses utilisations en médecine au cours des siècles en raison notamment de ses vertus cicatrisantes.

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Une plante d’éboulis

Il était employé comme hémostatique en raison de sa texture très absorbante et de sa forte concentration en tanins. Un homme du chalcolithique (ou âge du cuivre) trouvé dans un glacier autrichien portait sur lui un morceau de pyrite, un silex et un champignon. Il s’en servait pour faire du feu. En frappant le silex contre le morceau de pyrite ou de marcassite (sulfures de fer), il obtenait une étincelle qui enflammait l’amadouvier réduit en poudre par raclement avec un outil de pierre. Près de l’arrivée, je découvre un pauvre papillon de nuit suspendu sous une brindille au sol. Ses pattes qui l’enserrent sont écrasées par une grosse limace: elle se réjouit de la pluie qui tombe dru et n’a cure de ce qui se passe sous elle. Nous tentons de le libérer, mais ses pattes demeurent engluées dans un épais mucus, je doute que notre opération de sauvetage soit utile. Handicapé comme ça, il est condamné inexorablement à être mangé par un prédateur quelconque, d’autant qu’il attire l’attention sur lui par des battements d’ailes souffreteux.

Ehüjarre

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