Sommaire
Un clocher foudroyé
Début 2015, la communauté forale de Navarre subit des conditions climatiques parfaitement calamiteuses de la fin janvier à début février : violentes averses de grêle et de pluie provoquant le gonflement des cours d’eau, neige, congères, entraînant la fermeture des routes à la circulation, chute brutale de température, orages et foudre, avec son cortège de coupures d’électricité… Situé près d’Elizondo à un peu plus d’une heure d’Anglet, le charmant petit village de Ziga (Ciga en espagnol) ne fut pas épargné par ces intempéries. A 11h40 très précisément (heure à laquelle s’arrêta l’horloge), la foudre tomba sur le clocher de “la cathédrale du Baztan”, provoquant une détonation qui fit sursauter les habitants du voisinage. Le côté gauche fut éventré, les pierres tombèrent sur le toit inférieur du temple, ce qui causa des dommages matériels à la structure. L’une de ces pierres, de grande taille, fut même projetée à une cinquantaine de mètres et atterrit dans un jardin. La foudre détruisit en plus le tableau électrique et brûla tout le réseau, ce qui explique la panne simultanée de la pendule. A la suite de ce sinistre, beaucoup de maisons se retrouvèrent sans lumière ni téléphone durant une partie de la journée. Ce n’était pas la première fois que la foudre tombait sur le paratonnerre du clocher, mais jamais il ne s’était passé d’événement comparable.
Le Baztan, un lieu chargé d’histoire
Heureusement, aujourd’hui rien de tel. L’église est réparée, le temps est magnifique et moins frais que mardi dernier. Notre groupe d’Anglet Accueille, fort de 27 participants (!), tous excellents marcheurs, envahit Ziga, se gare sur la placette San Lorenzo devant l’église et se prépare -bruyamment- à partir en balade. Nous nous trouvons dans la vallée du Baztan, un lieu chargé d’histoire. Cet hydronyme est le nom d’un affluent de la Nive qui conflue à Bidarray, mais aussi celui du cours supérieur de la Bidassoa qui traverse Elizondo et enfin celui de la vallée fluviale au sud du col d’Otxondo. C’est enfin un toponyme, celui d’une commune navarraise qui regroupe 15 villages de cette vallée -14 historiques, plus Maya del Baztán (Amaiur)-, répartis sur quatre quartiers: Arizkun, Azpilkueta, Erratzu, Amaiur, Elbete, Elizondo (le chef-lieu), Lekaroz, Arraioz, Gartzain, Irurita et Oronoz, Almandoz, Aniz, Berroeta et Ziga. Cette commune de Baztan dispose d’un moyen original de gouvernance par la junta general. Ziga est inclus dans Basaburua, le quartier le plus méridional. Son église paroissiale de San Lorenzo construite entre 1593 et 1600 est dotée d’une façade grandiose dans le style du monastère de l’Escorial construit sous l’égide de l’architecte Juan de Herrera durant la royauté de Philippe II. L’atrium actuel orné de portiques remonte à 1824, le précédent, construit en 1597, ayant été détruit par la foudre. Il englobe la nef sur trois côtés, résolvant ainsi le problème de l’orientation traditionnelle du temple et de sa présentation face au hameau qui est situé derrière le centre de la façade. A l’intérieur, le retable principal du début du XVIIIe siècle, de style baroque, provient de l’église Saint Nicolas de Pampelune d’où il fut transféré en 1904.
Le Baztan est une vallée noble. Sanche II lui donna ses armoiries (un échiquier noir et blanc) pour remercier les Baztandar de leur valeur aux combats face aux Maures et Sanche III le Grand accorda le statut de seigneurie au Baztan, un statut confirmé par Charles III le Noble près de quatre siècles plus tard. Cette noblesse accordée aux habitants se traduit dans l’architecture par d’imposantes bâtisses qui pour la plupart arborent le fameux blason. Plus tard, de nombreux Baztandar participèrent aux expéditions coloniales du royaume de Castille aux Amériques. Les conquistadores enrichis revinrent au pays où ils bâtirent d’imposantes maisons. De ce fait aujourd’hui, malgré la petitesse du hameau, deux au moins sont dédiées au tourisme, la posada de Ziga et la casa rural Zigako Etxezuria. Le linteau de pierre de la posada contient une liste si longue de noms gravés -difficilement lisibles- qu’il a fallu le rallonger de part et d’autre de deux plaques de grès rose.
Le sentier que nous empruntons à la sortie du village passe sous le porche d’une maison. Sur le mur de l’ancien lavoir construit juste à côté figure une curieuse inscription gravée : “CIGA: se prohibe lavar toda clase de ropa bajo la multa de 3 pesetas – año de 1904” (Ziga: interdiction de laver toute sorte de linge sous peine d’amende de 3 pesetas – année 1904) ! Comprenne qui pourra… Au fur et à mesure que nous montons à travers prés et bois, nous découvrons des vestiges de pratiques anciennes parfois encore en usage, comme les meules de fougères dressées autour d’un poteau ou les bergeries, parfois reconverties en maisonnettes. Il arrive aussi que les bordes tombent en désuétude, les toits s’écroulent et les murs ne tardent pas à en faire autant, mais qu’importe, si nous les voyons encore dans le paysage, c’est qu’elles ont encore servi il n’y a pas si longtemps.
Le bédégar
Chemin faisant, j’aperçois une touffe curieuse à l’aspect chevelu. De quoi s’agit-il ? Au fil de l’été, d’étranges pompons bigarrés font parfois leur apparition sur les rameaux de l’églantier. On les appelle communément barbe de saint Jean ou bédégar, un nom qui signifie en persan “emporté par le vent”. Le bédégar est en réalité une galle (ou cécidie), autrement dit une excroissance végétale (une sorte de tumeur) provoquée par la ponte d’un insecte parasite. L’agent cécidogène est un Hyménoptère de la famille des Cynipidae : le Diplolepis eglanteriae (ou Diplolepis rosae). La morphogenèse de la galle résulte de la réaction des tissus du végétal aux substances secrétées par les larves nées des œufs introduits par piqûre. Certaines plantes réagissent à l’agression en construisant des billes, des soucoupes ou des fusées. Le rosier sauvage a plus de panache. Il isole l’un de ses agresseurs – le cynips de l’églantier – dans une perruque rouge extravagante qui peut atteindre 10 cm de diamètre, en particulier lorsqu’elle abrite plusieurs espèces différentes. Le bédégar apparaît plus fréquemment sur des rosiers sauvages maladifs que sur des plantes vigoureuses.
Champignons
Nous traversons un joli sous-bois de hêtres moussus aux formes serpentines particulièrement tourmentées. Pourtant, bien des souches paraissent très anciennes, mais les troncs demeurent grêles et peinent à se dresser verticalement vers le ciel. Le sous-sol doit leur poser problème d’une façon ou d’une autre. Alors que les feuillages resplendissaient la semaine dernière, huit jours plus tard, nous trouvons les parures gisant à terre. Sur le sentier, la couche est si épaisse qu’on dirait un torrent immobile où nos jambes disparaissent et nos pieds ignorent où ils se posent, ce qui est un peu stressant. Gare à l’entorse ! En s’y enfonçant, la sensation est curieuse, la surface est sèche, plutôt craquante, le dessous humide et mou, peut-être y a-t-il une foule de petites bêtes enfouies dedans ? Bon, la peau ne me démange pas, mais il y a tout de même ces pierres instables qui nous font trébucher…
J’ai toujours l’œil attiré par les champignons, c’est un monde si curieux, à mi-chemin entre l’animal et le végétal, un autre ordre du vivant. Je remarque un chêne qui semble encore bien vivant, mais qui est rongé de l’intérieur. Déjà, le champignon songe à la suite, il perce l’écorce et développe à l’extérieur ses sporophores (l’équivalent des fleurs chez les plantes) pour aller infester d’autres arbres. Manifestement, le sort de celui-ci est déjà sérieusement compromis. Sauf erreur, ce doit être un polypore soufré (Laetiporus sulphureus), un champignon parasite ou saprophyte qui colonise les troncs de nombreuses espèces de feuillus, mais très rarement de conifères. Il provoque à son hôte une pourriture cubique rouge. Il semblerait que ce champignon soit comestible, et même prisé en Amérique où on le surnomme “Chicken of the woods” (Poulet des bois) ! Les Québécois achètent des billots ensemencés qui produisent durant quatre à cinq ans. Attention, je ne garantis pas mon identification, il y a beaucoup de possibilités de méprise en mycologie, je ne voudrais pas induire quelqu’un en erreur et avoir des intoxications sur la conscience…
Carrière à ciel ouvert
Arrivée non loin du mont Abartan (1095 m), le point culminant et le but de notre randonnée du jour, j’aperçois sur la gauche une vaste balafre claire dans le paysage: c’est une carrière à ciel ouvert qui grignote la montagne près du village d’Almandoz, à peu de distance à vol d’oiseau de Ziga. Fondée en 1907, Canteras Acha est une entreprise familiale d’extraction à ciel ouvert qui fournit du calcaire et de l’ophite aux secteurs de la construction, des travaux publics et de l’industrie en proposant un large éventail de granulométrie depuis le sable fin, en passant par le gravier, le ballast, jusqu’à des pierres de dimensions plus grandes. Au début du XXe siècle, il y avait déjà au moins deux exploitations d’ophite en Navarre, mais les quantités extraites étaient très faibles, de l’ordre de 1000 à 3000 m3 pour un prix de 3 pesetas le m3. A partir de 1969, il commence à y avoir une production plus importante, la Navarre représentant 40% de la production nationale. Pour l’exploitation du calcaire, c’est en 1907 qu’entre en fonctionnement la fabrique de ciment artificiel connue sous le nom de Cementos El Cangrejo, devenue ultérieurement Cementos Portland, SA., qui se fournit auprès de plusieurs carrières. Je trouve un article de 2012 sur Canteras Acha qui offre un bon exemple de la façon dont fonctionne la Junta General de Baztan. En voici la traduction.
Lundi 23 avril 2012, la Junta General de la vallée du Baztan approuva par 21 votes pour, 4 contre et 2 abstentions l’extension de la carrière d’Arritxurri que Canteras Acha exploite dans la localité d’Almandoz. Elle donna son accord à ce qui avait été décidé le dimanche par l’assemblée des villageois d’Almandoz, soit une extension de quelque 6,7 hectares. La Junta avait nommé une commission pour étudier les problèmes que cette exploitation engendrait dans son voisinage. Après avoir mis en présence les plaignants et les entrepreneurs, elle demanda à l’entreprise de procéder à une série d’améliorations présentées par le conseiller et membre de la Junta Jon Elizetxe (Bildu). Parmi celles-ci, dans les trois prochains mois, l’entreprise devra construire un mur afin que l’eau sale de la carrière ne s’écoule plus sur les prés situés en contrebas ni sur le chemin. En outre, elle devra réaliser un bassin de décantation et, dans un délai de six mois, remettre en état le chemin existant.
La Junta obtint l’unanimité pour que ces mesures soient appliquées par l’entreprise. Il en fut de même pour que les gardes réalisent une évaluation économique des noyers qui poussent dans cette zone pour savoir quelle indemnisation devra payer l’entreprise. Pour réaliser ces travaux, celle-ci accroît son occupation des sols de 8 911 m². “En réalité, c’est une régularisation, plus qu’une extension”, signale Begoña Sanzberro (Unión del Pueblo Navarro, UPN). Le village d’Almandoz, qui s’était positionné contre le projet, s’est de nouveau réuni en assemblée dimanche dernier à la demande des habitants. Sur les 188 enregistrés, 150 personnes y assistèrent. 87 votèrent en faveur de l’extension, tandis que 62 votèrent contre et il y eut un vote blanc. Néanmoins, à la Junta General, le maire-juré d’Almandoz, Luis Roldán, s’abstint. Il motiva sa position en expliquant qu’il trouvait “suspect l’augmentation significative des enregistrements (17 personnes)”. La Junta approuva aussi par 21 votes pour et 6 abstentions le tracé du chemin de Abrei, conformément à la décision des habitants d’Almandoz. 67 habitants votèrent pour la création de ce nouvel accès à la carrière, 48 pour le chemin actuel et 21 pour celui de Gonyure. Il y eut 9 votes blancs et 5 nuls.
Sanzberro, qui en plus réside à Almandoz, souligna : “Avec ces mesures, nous n’avons rien résolu, nous avons seulement jeté quelques bases. Des pierres tombent sur le village, il y a des dynamitages dangereux, mais ce thème n’a pas été traité. En outre, la concession est au nom de Canteras Acha, mais nous sommes en présence de trois entreprises distinctes. Nous devrions savoir s’il y a une sous-location”. Elizetxe convint qu’il s’agissait bien des premières bases et il expliqua : “Avec l’extension de la carrière, l’exploitation se décalera vers le nord, par conséquent elle s’éloignera du village et de ses voisins”. UPN demanda “si la licence pour l’ouverture de la carrière d’ophite avait été accordée et si l’aval obligatoire sur le plan environnemental avait été obtenu”.” L’article se termine ainsi, sans réponse sur ces derniers points.
Broussin, loupe ou chancre ?
Sur le chemin du retour, un hêtre attire mon attention: contrairement à ses voisins, il est couvert de tumeurs sur presque toutes ses branches. C’est vraiment très bizarre, je n’ai jamais rien vu de tel. Je trouve une étude qui s’attache justement aux malformations des hêtres et (surtout) des chênes, bien entendu dans un objectif d’exploitation forestière, afin de comprendre ce qui les génère et pour réduire dans la mesure du possible les défauts du bois. Elle définit une typologie qui comprend huit types de formations épicormiques (que l’on voit apparaître à la surface des troncs et branches maîtresses d’arbres vivants) : les bourgeons, les amas, les pousses épicormiques (poils, gourmands et branches gourmandes), les picots, les sphéroblastes (seulement pour le hêtre) et les broussins.
Le botaniste Francis Hallé offre un nouvel éclairage sur ce phénomène. Les végétaux sont apparus sur Terre bien avant les humains et les animaux en général. Comparant ces deux ordres, végétal et animal, il montre que, à masse égale, la proportion de la “surface d’échanges biologiques” est toujours considérablement plus étendue chez les végétaux : “Au niveau fondamental de l’appropriation de l’énergie, la surface externe – assimilatrice – de la plante équivaut à la surface interne – digestive – de l’animal”. Il s’attache donc à étudier l’architecture des plantes et montre que la majorité des arbres n’est pas constituée d’individus simples mais de colonies. Il considère les bourgeons comme des individus reliés entre eux à la façon des polypes sur un récif corallien. La réitération, ou capacité à se multiplier végétativement, prouve la divisibilité de l’arbre, un phénomène qui se traduit par la production de rejets, spontanés ou traumatiques. Or l’individu par définition n’est pas divisible. De plus, Francis Hallé observe sur certains arbres des racines au sein même des unités réitérées, c’est-à-dire des racines au sein même des branches…
Du point de vue de l’ébéniste, le broussin a une surface rugueuse, tandis que la loupe a une surface lisse. Les loupes peuvent atteindre de très fortes dimensions. La cause de formation ne semble pas non plus la même pour les loupes et les broussins. Les broussins sont formés de bois aux fibres enchevêtrées en tous sens entourant des petites taches foncées qui proviennent de bourgeons arrêtés en cours de développement. On constate la présence de nombreux broussins dans le bouleau de Norvège où des froids brutaux peuvent arrêter brusquement le développement déjà commencé de bourgeons adventifs. Mais des broussins peuvent aussi se former dans une zone irritée : chocs répétés, taille ou élagage, incendies de forêts renouvelés, peut-être attaque de certains insectes. Les broussins du thuya du Maroc ont probablement comme origine l’irritation produite par des feux de broussailles. Un arbre couvert de broussins, ou arbre brogneux, est normalement déclassé en bois de charpente. Les broussins situés près du sol peuvent se transformer en racines mais ce sont aussi souvent des points d’entrée pour les insectes foreurs et autres parasites. Ils sont généralement provoqués par un obstacle à la circulation de la sève (ordinairement la gelée). Cette excroissance anormale est parfois confondue avec la « loupe » et le « chancre ».
Par contre, les loupes sont en quelque sorte des tumeurs végétales, parfois très importantes, provenant d’une activité désordonnée du cambium (la face interne de l’écorce irriguée par la sève). Les traumatismes répétés, la taille (arbres exploités en têtard), des irritations locales comme les morsures de rongeurs, des attaques d’insectes ou de champignons, peuvent être à l’origine des loupes. Le bois d’une loupe est très prisé en ébénisterie.
Quant au chancre, c’est une maladie causée par une bactérie ou un champignon qui provoque des boursouflures, des craquelures et des décollements de l’écorce. Loupes et broussins mettent rarement la vie de l’arbre en danger, contrairement au chancre. Un chancre est une nécrose localisée de l’écorce et du cambium associée à une bactérie ou un champignon. Les champignons du chancre se développent et libèrent leurs spores lorsque les conditions de température et d’humidité sont propices. Le champignon apparaît sur les plaies sous forme de moisissures blanches qui provoquent de petites boursouflures sur l’écorce de l’arbre, causant des distorsions. Sur les rameaux, la plaie grossit progressivement jusqu’à entourer complètement le rameau et empêcher la sève de passer. Le rameau ou la branche finit alors par se dessécher puis mourir, ou par se rompre. Sur le tronc, la plaie commence par des craquelures qui s’agrandissent ensuite pour former de larges plaies boursouflées.
Alors, broussin, loupe ou chancre ? Au lecteur d’y réfléchir et de trouver la réponse.
L’Éphippigère gasconne
Une découverte fort intéressante a été faite lors de cette randonnée: un randonneur du groupe a remarqué dans la descente en bordure du chemin la présence d’une Ephippigère gasconne (Platystolus monticolus, anciennement Callicrania monticola, Callicrania ramburi, Ephippiger monticola). Cette sauterelle est une espèce endémique franco-espagnole que l’on trouve principalement dans la chaîne pyrénéenne. Sur le versant Nord des Pyrénées, l’espèce est présente dans les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne et l’Ariège. Elle est absente des Pyrénées-Orientales. Sur le versant sud, elle est présente dans les provinces de Navarre, de Huesca et de Cantabrie (secteur de Santander). Elle a également été observée en Catalogne (province de Lérida), et au sud-ouest de l’Andorre. Mais de nouvelles observations ont été faites à basse altitude : en 2000 à 40 mètres d’altitude à Hendaye, en 2002 à 450 mètres d’altitude à Zugarramurdi en Navarre et à la même altitude au mont Baigura (Mendionde, Pyrénées atlantiques), en 2001 et 2002 au village de Lüe dans les Landes, à plus de 100 kilomètres des Pyrénées et encore en 2002 à Saubrigues (Landes), à 35 kilomètres des contreforts pyrénéens. Comment a-t-elle pu passer inaperçue aussi longtemps ? On peut avancer à cela plusieurs raisons: en premier lieu, le manque de naturalistes prospectant l’Aquitaine en général et les Landes en particulier, deuxièmement, la confusion possible avec l’Ephippigère carénée (Uromenus rugosicollis).
– Cette sauterelle, par sa taille et sa morphologie ressemble aux Ephippiger et Uromenus que l’on rencontre en France. Toutefois, elle se différencie de ces deux genres par les carènes latérales du pronotum très saillantes. Si la différence avec une Ephippiger est évidente, un risque de confusion existe avec Uromenus rugosicollis. La principale différence avec cette dernière est la présence de carènes très marquées, saillantes, sur le pronotum en forme de selle de cheval à l’aspect rugueux. En outre, elle a les yeux plutôt jaunâtres alors que U. rugosicollis les a blancs. –
Étant donné que l’espèce est microptère (dotée d’ailes de taille très réduite), cela implique une colonisation hors de son aire pyrénéenne très lente, et qui n’est donc pas récente. Comme l’un de ses habitats préférentiels est la lande à Fougère aigle, très commun dans les Landes de Gascogne, il est fort possible qu’elle soit présente sur l’ensemble du plateau sablonneux landais, ce qui repousserait son aire potentielle de répartition au nord jusqu’à la Gironde et le Lot-et-Garonne et à l’est jusqu’au Gers. La Garonne, au nord, et les grandes zones agricoles à l’est représentent probablement des limites à sa répartition du côté français.
L’un des sites mentionnés dans cette étude est justement la vallée du Baztan dont nous parcourons un tronçon entre Ziga et le mont Abartan. Les entomologistes signalent que la quasi-totalité des sauterelles observées étaient vertes (vert clair à kaki foncé) avec parfois des taches violacées. Ils en ont vu jusqu’à la mi-octobre en montagne, mais notre spécimen était en fond de vallée (donc moins exposé qu’en altitude), et il est vrai que nous avons un mois de novembre remarquablement doux pour la saison. En vallée d’Aspe et de Baztan, l’Éphippigère gasconne fréquente divers milieux: les landes basses à Myrtilles pâturées par des bovins, les zones pré-sylvatiques à Hêtre, les pelouses pâturées plus ou moins envahies par le Genévrier, l’Ajonc d’Europe et/ou la Fougère aigle. L’Éphippigère gasconne affectionne donc principalement les pelouses pâturées plus ou moins envahies de zones buissonneuses (Ronces, Genévriers, Ajoncs…) et les landes à Fougères aigle.
Petite remarque, l’individu photographié est une femelle: l’extrémité de son abdomen est prolongée d’un long ovipositeur (oviscapte, tarière) légèrement recourbé vers le haut. Cet appendice sert à déposer les œufs en des lieux favorables à leur incubation (sol, végétation ou corps d’un hôte). Chez les sauterelles, cet organe de ponte a typiquement la forme d’un sabre. L’Ephippigère carénée (Uromenus rugosicollis) pond dans les tiges d’Asphodèles à l’aide de sa tarière; je n’ai pas trouvé où pondait l’Ephippigère gasconne, peut-être est-ce dans le pétiole des frondes de fougères aigle ?
Ses ailes sont atrophiées comme celles d’autres espèces de sauterelles éphippigères. C’est le frottement de leurs élytres coriaces qui produisent leur chant caractéristique ou stridulation. Chez les sauterelles, ce sont les mâles qui stridulent; l’organe stridulant n’occupe que la base de l’élytre ou tegmen; l’élytre gauche a une partie colorée et épaisse avec une nervure stridulante ou râpe très marquée; l’élytre droit a des nervures faibles et un tympan (tambour, miroir) transparent (surface vibrante). C’est toujours le dessous de l’élytre gauche dont l’archet frotte le bord de l’élytre droit et dont le grattoir est le bord interne de l’élytre droit (nervure saillante). L’appareil stridulant n’occupe que la base du tegmen (élytre) chez les “Sauterelles” mâles. Les élytres effectuent un mouvement de ciseaux qui amène le grattoir à frotter sur toute la longueur de la râpe ; c’est généralement le mouvement de fermeture qui s’accompagne de l’émission sonore.