Sommaire
- Albarracin
- Valence
Un voyage impromptu
Cet été, Jean-Louis et moi avons décidé de nous rendre en Espagne pour visiter la région de Teruel et Valence. Nous étions à la mi-août, mais nous n’avons rencontré aucun problème pour réserver à peine deux jours à l’avance un emplacement pour notre petite tente dans le camping autoproclamé “le plus haut d’Espagne” (1727 m), sur la commune de Bronchales (1569 m), dans les Monts Universels. Il faisait très chaud dans toute l’Europe et nous avons apprécié de pouvoir bénéficier d’une température agréable en journée et plus fraîche la nuit, avec un magnifique ciel étoilé. Sa situation dans une pinède au-dessus du village, à seulement une demi-heure d’Albarracin, “la ville médiévale la mieux préservée de nos jours” – selon l’auteur du site Internet du camping, était aussi un avantage non négligeable. En effectuant quelques recherches sur cette petite ville, j’ai découvert une histoire originale, des périodes de fastes et de décadence, de drames et d’abandon, jusqu’à l’amorce d’une reprise depuis quelques décennies.
Un peu de géographie
La Sierra d’Albarracin couvre un petit territoire de 1414 km² situé entre 1000 et 2000 m d’altitude. Bien que le terrain soit calcaire, au modelé karstique, c’est l’un des nœuds hydrographiques les plus importants de la péninsule. C’est ici que naissent les rivières Júcar, Cabriel, Guadalaviar, Jiloca, situées sur le versant méditerranéen, et le Gallo et le Tage, qui se jettent dans l’Atlantique. Son climat méditerranéen continental induit une oscillation thermique annuelle très élevée, avec des hivers froids et longs enregistrant des gelées nocturnes d’octobre à avril, et des étés courts aux températures agréables. – Le hasard a bien fait les choses, notre visite se produit au moment le plus favorable au tourisme. –
Selon l’orientation et l’altitude, les zones sont plus ou moins sèches, la moyenne pluviométrique étant de 800 mm, avec un maximum de 1200 mm pour Griegos et Guadalaviar sur le versant occidental, dont l’altitude respective est de 1604 m et 1522 m, tandis que la zone orientale abritée des vents humides en provenance de l’Atlantique comme Albarracín (900 m d’altitude) n’enregistre qu’une moyenne annuelle de 530 mm. Les forêts occupent plus de la moitié de la superficie du territoire: elles sont constituées de pin sylvestre (Pinus sylvestris), de genévrier sabine (Juniperus sabina), de Genévrier thurifère (Genévrier à encens, Juniperus thurifera), de Chêne vert (Yeuse, Quercus ilex), de chêne des Pyrénées (chêne tauzin, Quercus pyrenaica), de Chêne faginé (Chêne portugais, Quercus faginea). Les pâturages et dehesas (pâtures en sous-bois clairsemé) sont les produits de l’action humaine (élevage et exploitation forestière). Historiquement, la transhumance se pratiquait entre cette montagne et les pâturages méridionaux (Castille, Estrémadure et Andalousie) ou ceux du Levant. Actuellement, Jaén et Ciudad Real sont les destinations les plus habituelles du cheptel de la Sierra.
La dureté du climat et le caractère agreste du territoire a seulement permis le développement d’une agriculture d’autosuffisance, presque exclusivement dédiée à la culture de céréales. C’est seulement dans les plaines ou les parties les plus protégées des hautes vallées qu’il y a des potagers et du fourrage. Ainsi, à l’apogée de son histoire, la population d’Albarracín franchira difficilement le cap des 1500 habitants et la Sierra dans son ensemble celui des 8000 habitants (aujourd’hui respectivement 1100 et 5000 habitants, soit une densité de 3,55 hab/km²). Comparativement aux autres villages de la Sierra, Albarracín n’est donc pas beaucoup plus grande, mais le fait d’avoir été le chef-lieu, la capitale politique et, surtout, le seul noyau à avoir été capable de se défendre par lui-même, lui a conféré une structure urbaine bien distincte de celle des autres villages. La ville s’est construite sur un méandre rocheux du Guadalaviar (nom dérivé de l’arabe oued El-Abiod, la rivière blanche) juste avant l’entrée du fleuve dans la plus petite des plaines insérées dans les montagnes. Initialement édifiée au pied d’un château perché sur un piton, la petite cité devait déjà comporter un rempart au Xe siècle qui l’enfermait et la séparait des alentours.
Un soir, en remontant d’Albarracin vers Bronchales par une petite route de montagne bien sombre, bordée de forêt de pin sylvestre, j’ai aperçu du coin de l’œil un chevreuil qui surgissait de la lisière et pénétrait dans la zone éclairée par les phares de ma voiture. Par réflexe, j’ai freiné autant que j’ai pu, sans piler pour éviter de projeter trop brutalement mon passager qui somnolait, et malheureusement je n’ai pas réussi à l’éviter. Il s’est cogné par son propre élan sur mon aile avant gauche et, probablement fort endolori, il a fait volte face et s’est enfui en quelques bonds. J’imagine qu’il ne s’est rien cassé, mais la tôle était bien enfoncée, même si le mécanicien l’a facilement redressée. Ces voitures sont faites pour amortir les chocs et la carrosserie doit plier afin de protéger les occupants, mais tout de même j’ai eu bien peur, rétrospectivement.
Une longue occupation humaine
Cette province est habitée depuis longtemps, comme en témoignent les gravures rupestres d’art levantin de la période épi-paléolithique réalisées par des chasseurs-cueilleurs dans l’espace naturel maintenant protégé de la pinède de Rodeno. Vers le IIe siècle avant notre ère se produit la romanisation des peuples celtibères. On a retrouvé des arcades et des galeries creusées dans la roche, fragments d’un aqueduc reliant Albarracín à Cella dont la construction remonte probablement au Ier siècle de notre ère. Il a aussi été découvert un gisement hispano-romain de céramique sigillée à Bronchales. La fondation d’Albarracín s’est apparemment effectuée sur les vestiges d’une villa romaine (grande propriété agricole) et une église dédiée à Sainte Marie d’Orient fut construite à l’époque du règne des Wisigoths en Espagne.
Albarracín au Xe siècle (hypothèse)
Durant la domination musulmane de la péninsule ibérique alors appelée al-Andalus, la branche des Ibn-Racin (Banu Razin, Beni Razin) de la tribu berbère hawwara s’installe dans la ville et ses alentours. Deux hypothèses expliquent le toponyme Albarracin qui proviendrait, soit de la déformation des termes arabes ár Ibn Razin, soit du nom Razin précédé du mot alba qui ne serait pas dérivé de ibn, aben (fils, descendant), mais correspondrait à une racine pré-indo-européenne alp, alb (hauteur, colline). Albarracin signifierait dans ce cas “la colline de Razin” (z et c se prononcent pareil en espagnol, ce qui explique les deux orthographes suivant les sources documentaires). La désagrégation du califat de Cordoue dont Albarracin dépendait lui donne son indépendance, et la province devient un royaume de taïfa musulman. Trois rois se succèdent durant cette période de 94 ans qui s’interrompt avec l’arrivée des Almoravides en al-Andalus. Albarracin passe alors sous la dépendance du royaume de Valence. Comme c’est un peu compliqué, voici les cartes de ces trois régimes, Califat, Taïfas et Almoravides avec quelques dates pour se repérer.
- Abderramán III fonde en 929 le Califat des Omeyyades de Córdoue ou Califat de l’Occident. Cet État musulman andalou ayant pour capitale Cordoue succède à l’émirat indépendant instauré par Abderramán I en 756 (711, premier débarquement musulman) et perdure officiellement jusqu’en 1031, date à laquelle il se fragmente en une multitude de royaumes de taïfa. Le Califat de Cordoue marque l’apogée d’al-Andalus sur le plan politique, culturel et commercial. C’est au Moyen-Age qu’Albarracin atteindra aussi son apogée, tant sur le plan économique qu’architectural. Il y a bien sûr les remparts dont les vestiges les plus anciens remontent au XIe siècle – la Alcazaba (enceinte fortifiée pour le refuge de la garnison), mais aussi le château du Juge (el Andador) et le château d’eau.
- Les Almoravides sont une dynastie berbère sanhajienne, qui constitue du XIe au XIIe siècle une confédération de tribus puis un empire englobant la Mauritanie, le Maroc, l’Ouest de l’Algérie ainsi qu’une partie de la péninsule ibérique.
- Dynastie musulmane d’origine berbère qui domine l’Afrique du Nord et l’Espagne aux XIIe et XIIIe siècles, les Almohades sont issus d’un mouvement religieux appuyé par un groupe de tribus berbères du Haut Atlas marocain. Leur nom arabe, al-muhawwidûn, fait référence à l’unité divine (tawhîd) qu’ils proclament, concept religieux objet de controverses importantes dans l’islam médiéval.
Des chrétiens dès le XIIe siècle
A ces 450 années de règnes musulmans succède la Seigneurie d’Albarracín, chrétienne, habituellement qualifiée d’indépendante, enclavée entre la Couronne d’Aragon et le Royaume de Castille. – La domination musulmane en al-Andalus prendra fin trois siècles plus tard avec la conquête de Grenade par les chrétiens en 1492 -. Diverses hypothèses expliquent ce transfert d’une possession musulmane aux chrétiens. Voici l’une de ces versions. Vers 1167, sous la pression des luttes continuelles entre les Almoravides et les nouveaux envahisseurs almohades, le roi Muhammad ibn Mardanis, surnommé par les chrétiens le «Roi Loup», cède la Taïfa d’Albarracín à un vassal du roi Sancho VI de Navarre, le seigneur d’Estella, Pedro Ruiz de Azagra, en récompense de son appui militaire. En 1172, Pedro Ruiz de Azagra réussit à convertir la ville en siège épiscopal (de l’évêque) par l’entremise du siège épiscopal de Tolède, consolidant ainsi son indépendance vis à vis des autres seigneurs de la zone, Castille et Aragon. La seigneurie prospère, basant son économie sur l’élevage, le commerce et l’industrie lainière, avec l’exploitation de moulins à foulon (appelés batán en Aquitaine, Gascogne, Espagne), de métiers à tisser et de moulins. La cathédrale du Sauveur (El Salvador) est construite au XIIIe siècle dans le style gothique. Elle sera transformée en 1567, en lui annexant le Palais épiscopal dont la façade sera refaite dans le style baroque au XVIIe siècle.
– L’histoire (récit en espagnol) de ce “roi Loup” est croustillante, particulièrement parce qu’il est un muladi (terme issu de l’arabe مولّد, muwallad, adapté ou métis) dont les ancêtres non arabes s’étaient convertis à la foi musulmane. Ce terme ne doit pas être confondu avec les mozarabes qui, eux, conservaient leur religion chrétienne dans les zones sous domination musulmane. Le “roi Loup” affiche toutefois des tenues vestimentaires et des mœurs chrétiennes (entendre “dissolues”) et il entretient de bonnes relations des deux côtés de la frontière, toute une combinaison de facteurs qui finiront par causer sa perte.
Petite précision, c’est seulement au XIXe siècle que les historiens forgeront le concept de “Reconquista“. En réalité, durant des siècles, la péninsule (comme le reste de l’Europe) est agitée par des guerres incessantes aboutissant à des pactes temporaires, puis les alliances changent, les combats reprennent, et ainsi de suite. Ce faisant, l’État espagnol se construit peu à peu. Le mariage en 1469 d’Isabelle de Castille et de Ferdinand II d’Aragon scelle l’union entre les couronnes de Castille et d’Aragon. Ces Rois dits “catholiques” mettent en place en 1478 le tribunal du Saint-Office de l’Inquisition pour veiller à l’orthodoxie, une juridiction ecclésiastique validée par une bulle du pape Sixte IV. L’unité religieuse, facteur important de cohésion des territoires, se fera au prix de l’éviction des Juifs et des Maures qui se conclura par la chute du Royaume de Grenade en 1492.
Il y a une énorme bibliographie sur ce thème de la Reconquête. Par exemple, dans l’ouvrage de Miguel Angel Ladero Quesada, “La “Reconquête”, clef de voûte du Moyen Âge espagnol”, j’ai parcouru le chapitre “La conquête comme récupération de l’Hispania perdue” qui m’a paru très éclairant. J’ai également lu des extraits (en lien) de “Al-Andalus, l’invention d’un mythe” de Serafin Fanjul, traduction française de deux livres, “Al-Andalus contra España – La forja de un mito” (Al-Andalus contre l’Espagne – La création d’un mythe) et La Quimera de al-Andalus (La chimère d’al-Andalus) publiés respectivement en 2000 et 2004. Né en Galice, en 1945, Serafín Fanjul est un des plus prestigieux arabistes espagnols. Ancien directeur du Centre culturel hispanique du Caire, professeur de littérature arabe à l’Université autonome de Madrid, membre de l’Académie Royale d’Histoire depuis 2011, il a consacré sa vie à l’étude de l’Islam comme phénomène religieux, sociologique, économique et politique. Il remet en question une certaine idéalisation romantique d’al-Andalus, rappelant que:
” Il n’y eut pas de confrontation permanente, mais il n’y eut pas non plus d’harmonie ou de tolérance sans limites : tout dépendait des circonstances concrètes et surtout de la proportion plus ou moins dominante des musulmans. Plus le pourcentage de ces derniers était important, moins la société était tolérante. Les communautés soumises voyaient certains de leurs droits (non pas bien sûr la totalité) reconnus en tant que groupes. Une reconnaissance de droits du groupe, et non pas de l’individu, qui n’a jamais été faite sur un pied d’égalité avec les musulmans.”
“Les pouvoirs religieux d’al-Ándalus cherchèrent toujours l’islamisation totale ; jusqu’au XIIe siècle, il y eut des exodes massifs de chrétiens vers le nord, comme il y eut ensuite inversement ceux des moresques vers le nord de l’Afrique.”
“Les critères ethniques étaient couramment utilisés: Arabes du nord contre Arabes du sud, Berbères contre Arabes, arabes contre Slaves (esclaves issus de toute l’Europe) et contre musulmans d’origine hispanique (qui étaient les plus nombreux) et, évidemment, tous contre les Noirs… et réciproquement.”
“Tout au long de l’histoire la Péninsule ibérique a subi de nombreuses invasions, certaines suivies d’une acculturation massive ; la conquête arabo-musulmane fut l’une d’entre elles, la Reconquête (pour utiliser la terminologie traditionnelle) en fut une autre.”
L’importance des remparts
Un rempart enserre déjà la ville au Xe siècle. Il est agrandi en même temps que la ville au XIe siècle et toujours entretenu depuis cette date. Après l’échec de la conquête par Jaime I en 1220, c’est Pedro III d’Aragon qui la poursuivra en 1285, la ville d’Albarracin passant à la Couronne d’Aragon en 1300 et perdant définitivement son indépendance en 1387. Cette série de faits d’armes s’appuie sur la forteresse et le système défensif d’Albarracin.
Il suffit pour s’en persuader de voir avec quel soin Jaime II et Pedro IV ont à cœur de conserver et restaurer cet ensemble. A l’intérieur de son enceinte de remparts, l’exiguïté de l’espace impose de tracer des rues étroites, sans quasiment ménager de places ni d’espaces libres, les habitants n’ayant aucune vue sur l’extérieur. A partir du XVIe siècle, ces fortifications perdent de leur intérêt, le quartier du portail de Molina est construit extra-muros et une partie de la population agricole s’installe dans la plaine (el Arrabal). En perdant son indépendance, Albarracin perd son rôle politique singulier, mais conserve une économie dynamique durant plusieurs siècles, comme en témoigne l’existence à l’époque d’un important quartier industriel de confection de draps et de filatures situé entre le château et l’église Sainte Marie.
Une indépendance jalousement préservée
En décembre 1999, l’assemblée générale de la Communauté d’Albarracin décide de réaliser une étude sur sa propre histoire à partir des archives soigneusement conservées au cours des siècles depuis sa fondation. Dans le document publié en 2003, la Communauté explique que son objectif est de comprendre quels sont les éléments spécifiques qui ont permis qu’elle maintienne si longtemps (800 ans) son organisation collective pour la gestion des communaux. Elle a même survécu malgré l’ordre de dissolution des communautés édicté par le gouvernement de la nation en 1837, tandis que d’autres communautés de la péninsule comme Calatayud, Daroca et Teruel, également fondées au Moyen-Age, disparaissaient. Ce qu’elle espère également, c’est qu’en comprenant son évolution au cours des siècles, ses difficultés et ses succès, les membres actuels puissent dynamiser la Sierra d’Albarracin qui périclite. Je n’ai pas lu les 638 pages, je n’en ai parcouru que quelques passages, il m’est donc difficile d’en faire une synthèse. Voici simplement ce que j’ai relevé. Dès la prise de possession du territoire, Pedro Ruiz de Azagra le convertit en Seigneurie d’Albarracin. D’une part, il organise le repeuplement du territoire (d’abord avec des familles navarraises) qu’il divise en districts ayant à leur tête un fonctionnaire pour le recouvrement de la “pecha” (terme aragonais, ou le “pecho“, terme castillan), impôt personnel appelé « service ordinaire et extraordinaire » dont les contribuables varient selon les époques. D’autre part, il prévoit l’exploitation rationnelle des ressources, principalement les pâturages, les chemins de transhumance et de déplacement des troupeaux, les montagnes, puisque l’activité principale est l’élevage. Ensuite, lors de l’intégration de la seigneurie au royaume d’Aragon vers la fin du XIIIe siècle sera établie l’institution communautaire. L’unité de ces terres se maintiendra donc et la Communauté sera un instrument politique de cohésion au sein du territoire.
Il faut préciser que cette Communauté s’est dotée d’une répartition particulière des propriétés et bénéfices communaux. La ville d’Albarracín qui, depuis le début de la fondation de la Seigneurie, arbore une position dominante, s’en réserve la moitié, le solde étant distribué entre les 23 localités (aldeas) qui forment la Communauté (y compris Albarracín, ce qui fait qu’elle perçoit en réalité 52% des revenus). Ce mode de répartition suscitera évidemment certaines querelles à son encontre. L’élevage avait énormément d’importance dès les débuts de la Communauté, mais les attributions de cette dernière ne se limitent pas à l’exploitation collective et la préservation des pâturages et des forêts, elles portent également sur les activités industrielles qui ont permis – soit dit en passant – que la population soit bien supérieure à la population actuelle. Il y avait la sidérurgie, l’exploitation minière, et surtout l’industrie textile (élevage ovin pour la laine).
Les chercheurs étudient les autres Communautés de la péninsule à titre de comparaison, l’évolution fiscale, juridique, judiciaire, le contrôle des montagnes, la police. Jusqu’au privilège de séparation de 1689, la ville a toute une série de compétences sur le territoire de la Communauté qui se reflètent dans ses dispositions. On remarque aussi, spécialement en 1564, l’interventionnisme royal dans l’administration de la justice qui débouchera finalement sur la dérogation en 1598 des fueros, selon laquelle ces territoires seront régis par les fueros en vigueur dans le reste de l’Aragon.
Une recherche ultérieure publiée en 2008 vient compléter ce document : La Communauté d’Albarracin aux XVIe et XVIIe siècle, Finances (Hacienda), Élites et Pouvoir. Elle doit informer sur la façon dont ce territoire très réduit, mais disposant de l’indépendance financière et politique, a perduré et conservé le contrôle de son patrimoine. Sur la Communauté s’exercent deux tendances antagonistes, d’une part l’action institutionnelle des élites en faveur de la sauvegarde du bien commun, du bien public, et d’autre part la recherche d’un bénéfice direct et de la perception immédiate des rentes. Étant donné la taille de cette petite Communauté (au maximum 8000 habitants), il faut relativiser les termes d’élite et de pouvoir : ils sont incarnés par des seigneurs, des artisans, des petits propriétaires ruraux ou des fonctionnaires au service de la justice. Mais ce monde à l’échelle réduite demeure proche des centres politiques de décision grâce à ses réseaux institutionnels, à ses négociations et il est bien présent dans la problématique générale de la monarchie espagnole. Même s’il se passe des événements importants aux XVIIIe et XIXe siècles, en réalité, peu de communautés de la péninsule surmonteront les difficultés dues aux guerres, à l’endettement et la chute démographique aussi bien que celle d’Albarracin, et il y en a encore moins qui réussiront à résister à la fin du XVIe siècle à la soif d’unification que manifeste la nouvelle dynastie monarchique (constitution de l’empire de Charles Quint).
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est le désir d’indépendance des villages (aldeas) face à la ville d’Albarracin, constant et permanent jusqu’à la concession, à la date très tardive de 1689, du privilège de séparation de la Communauté, qui contribua sans aucun doute à assurer la continuité d’une gestion appropriée sur le plan économique et politique et lui permit d’être pérenne jusqu’à aujourd’hui. Tous ces efforts déployés pour trouver les finances afin de payer le “service” (la “pecha“, ou le “pecho“, les impôts) au roi, toute cette énergie dépensée pour s’adapter à la nouvelle législation de 1696 selon laquelle les fonctionnaires de l’État acquéraient un statut économique, politique et une prééminence sociale supérieure, ont abouti à la permanence de cette institution de Communauté de villages (aldeas).
La ville et la Communauté ont des objectifs communs qui les font agir de concert, mais ceux-ci vont à l’encontre des intérêts des élites. C’est durant les XVIe et XVIIe siècle que la communauté d’Albarracin assoit et renforce ses structures de gestion politique et économique. Il se produit aussi la professionnalisation des élites d’origine médiévale et des autres qui recherchent un statut supérieur. Dans les sources du XVIIIe siècle, quelles familles ont surmonté les moments difficiles du siècle antérieur (guerres de succession) et se sont adaptées aux nouvelles formes politiques imposées par la nouvelle dynastie (initiée par Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, héritier de la Maison des Bourbon) ?
Les facteurs qui peuvent expliquer la persistance des institutions de la Communauté d’Albarracin sont à mettre en relation avec le genre de noblesse qui réside dans la ville, anciens chevaliers (hidalgos) et anciens artisans, qui se satisfont de recevoir ponctuellement de la part des “aldeas” (villages) une somme couvrant le salaire des fonctionnaires royaux ainsi que les charges d’entretien des remparts. Elle est complétée par d’autres compensations économiques comme le “montazgo” (tribut payé pour le transit du bétail par une montagne) qui rapporte bien à la ville. Toutefois, le mérite revient plutôt aux fonctionnaires qui, avec l’appui de quelques élites ayant d’excellentes relations avec la monarchie, administrent les biens communs, la terre, grâce à une bonne organisation économique qui permet de répondre sans faillir aux obligations de la Communauté: payer son dû à la ville en vertu d’un contrôle sévère de la population, de l’exploitation des ressources et de la défense inconditionnelle des frontières intérieures et extérieures. Quand, en 1689, la Communauté obtient le privilège de sa séparation à l’égard de la ville, elle a acquis l’organisation nécessaire pour que l’institution survive aux différentes conjonctures politiques et économiques ultérieures. Les “pecheros” (ceux qui payent la “pecha“), les habitants, ceux qui exploitent directement et convenablement les ressources, sont les véritables acteurs de la permanence de l’institution.
Néanmoins, l’exercice du pouvoir est aussi exercé par les élites locales des villages, c’est-à-dire les familles dont le patrimoine est suffisamment élevé pour qu’elles ne soient pas tenues d’en détailler la composition pour s’acquitter des obligations fiscales. Ce sont des héritiers possédant de vastes propriétés agricoles ou dehesas (pâturages avec un boisement clairsemé), de gros éleveurs de bétail, ainsi que, souvent, des familles de notaires. Leurs membres occupent les charges de juge, de majordome, d’almutazaf (almotacén, fonctionnaire affecté au contrôle des poids et mesures ou anciennement majordome représentant les finances du roi), de gestionnaire général ou de dirigeant de la Communauté tout au long de ces deux siècles. A la tête de ces familles villageoises, deux familles exercent la fonction d’intermédiaire auprès de la Cour et leurs membres ont la charge de “baile” (bailli, agent de l’autorité seigneuriale chargé des affaires administratives et judiciaires, officier d’épée ou de robe qui rend la justice au nom du roi ou d’un seigneur) : Fernandez Rajo et Martinez Rubio.
A la différence des élites des villages, celles de la ville comptent en plus parmi leurs membres des professionnels du notariat et de la jurisprudence. Enfin, hors du gouvernement communautaire, il y a des familles ayant d’importantes possessions, des moulins à farine ou à foulons, et qui font office de banquiers en prêtant d’importantes sommes d’argent. Dans ce sens, ces élites trouvent que la Communauté est un bon placement pour y investir.
La principale stratégie de ces familles consiste à contracter des alliances matrimoniales. Au cours des siècles, elles cherchent à étendre leur réseau, accroître le nombre de lignages et la fortune familiale. Elles maintiennent leur oligarchie et étendent leurs pouvoirs en tendant leur rets à l’intérieur d’Albarracin, entre la ville et les villages de la Sierra (qui sont associés à la gestion communautaire), avec des villages et villes des provinces alentour, ainsi qu’avec les organes de pouvoir étatique comme la Chambre des députés d’Aragon. La grande majorité de ces lignages étend sa stratégie de liens dans le pays et l’institution d’œuvres pieuses et d’aumôneries. La permanence de ces familles au cours des siècles est le fait le plus remarquable.
Deux siècles de décadence
Et aujourd’hui, qu’en est-il ? La Sierra est totalement déprimée, tant sur le plan économique que démographique, avec une densité de trois habitants au kilomètre carré qui la classe au quatrième rang des comarques aragonaises les moins peuplées. Ses activités traditionnelles demeurent l’élevage pour la laine (transhumant dans quelques villages de montagne) et l’exploitation forestière, complétées par de petites industries et des services qui ont commencé à se développer grâce au tourisme. Que s’est-il passé ? Ce dépeuplement massif est le résultat cumulé de la Guerre d’Indépendance et de la Guerre Civile.
La Guerre d’Indépendance
La Guerre d’Indépendance éclate dans le contexte des guerres napoléoniennes durant lesquelles l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni s’opposent à la France du Premier Empire entre 1808 et 1814. Madrid se soulève contre l’armée française stationnée dans la capitale espagnole et l’insurrection se généralise à tout le pays lorsque Napoléon obtient l’abdication du roi d’Espagne au profit de son frère Joseph. L’armée française doit lutter contre une guérilla, puis contre l’armée britannique venue aider le Portugal également occupé par les troupes de Napoléon. En 1813, les soldats de l’empereur refluent en deçà des Pyrénées. En ce début de XIXe siècle, la Communauté d’Albarracin a beaucoup perdu de son pouvoir politique car elle est présidée par le magistrat du parti qui est également à la tête de la mairie d’Albarracin. Ses revenus servent à payer l’impôt royal et surtout les intérêts d’emprunts contractés il y a plus d’un siècle. La Guerre d’Indépendance va achever de la ruiner, provoquant sa faillite financière. La guérilla se déroule durant plusieurs mois dans la région, et Albarracin est rançonnée tantôt par l’armée française, tantôt par les combattants espagnols.
La Guerre d’Espagne
Mais c’est surtout la guerre d’Espagne (Guerre civile) qui provoque tellement de destructions à Albarracin que des parcs, des jardins et des places plus grandes pourront par la suite y être aménagés. Les caractéristiques de l’ancienne ville médiévale se conservent seulement dans les quartiers de la rue Azagra et du Portail de Molina. Depuis plusieurs générations, des malaises sociaux, économiques, culturels et politiques accablent l’Espagne. Après la proclamation de la IIe République en 1931, l’exacerbation croissante des tensions entre Espagnols culmine avec l’insurrection durement réprimée des Asturies (1934) et la résurgence de troubles civils et de violences réciproques au printemps 1936, après la victoire électorale du Front Populaire.
Préparé de longue date, le soulèvement militaire et civil du camp nationaliste éclate le , mais sa mise en échec partiel débouche sur une guerre civile imprévue, longue et meurtrière, qui s’achèvera le 1er avril 1939. Il y a d’un côté le camp des républicains, orienté à gauche et à l’extrême gauche, mais qui comprend également des libéraux – dont le premier président de la République, Alcalá Zamora, qui va à la messe chaque jour. Il compte dans ses rangs des loyalistes à l’égard du gouvernement légalement établi de la IIe République, des communistes, des trotskystes et des révolutionnaires anarchistes. De l’autre côté se tiennent les nationalistes, le camp des rebelles putschistes orientés à droite et à l’extrême droite mené par le général Franco. La défaite de la République est attribuée en bonne part au manque d’entente entre socialistes, communistes et anarchistes. La victoire des nationalistes débouche sur l’instauration d’une dictature qui durera 36 ans jusqu’à la transition démocratique qui n’interviendra qu’à la suite de la mort de Franco le 20 novembre 1975.
Pendant le conflit, dans certains territoires sous contrôle républicain, une révolution sociale aboutit à la collectivisation des terres et des usines, et différentes sortes d’organisations de type socialiste (soutenues notamment par des anarchistes de la Confédération Nationale du Travail) sont expérimentées. Avant la bataille de Brunete (entre le 6 et le 25 juillet 1937), l’armée républicaine décide de réaliser une série d’actions de diversions pour empêcher l’arrivée des troupes nationalistes à proximité de Madrid. Les troupes franquistes en Aragon ont une position de faiblesse car elles défendent un large front allant des Pyrénées à Teruel et au-delà jusqu’aux Monts Universels et la source du Tage. Pour obliger l’ennemi à maintenir ses positions, les républicains projettent de lancer une petite offensive sur Albarracin après s’être emparés de Teruel. Fuyant Teruel, la majeure partie des défenseurs franquistes prennent position dans la partie haute d’Albarracin tandis que l’Aviation nationaliste bombarde les enclaves républicaines.
La commission provinciale de Teruel
Un dossier publié en 2006 révèle l’un des mécanismes mis en œuvre sous Franco pour soumettre la population civile qui défend d’une manière ou d’une autre le gouvernement de la République démocratiquement constitué. C’est la création de commissions provinciales de saisie des biens et l’application effective de leurs prescriptions au fur et à mesure que les forces rebelles prennent le contrôle militaire des zones de résistance. Tel sera le cas de la Sierra d’Albarracin, dont l’armée factieuse (la droite nationaliste) prend possession durant les mois de juillet et août 1937. A partir de ces dates, le bulletin officiel de la province fait état d’individus qui, en raison de diverses situations personnelles, sont déclarés “desafectos du Mouvement”. Il s’agit de personnes n’ayant pas soutenu ni aidé à mettre en place le nouveau régime. Outre les combattants républicains, il suffit qu’un témoin dise que quelqu’un n’a pas œuvré de façon enthousiaste à l’instauration du nouveau régime pour que ce dernier se voie dépossédé de ses biens ou emprisonné. Ceux qui font l’objet de représailles sont marqués au fer rouge. Leurs familles sont également frappées par l’infamie et exposées à la vindicte de la part des “afectos“, un discrédit forcé qui se prolongera bien après la fin de la guerre.
Rapidement, des maires s’interrogent sur certaines procédures employées à l’égard des “biens meubles et immeubles, propriété de personnes “desafectos du Mouvement National” qui disparaissent ou passent au camp ennemi”. La circulaire du 14 septembre 1937 clarifie la question. Les mairies doivent porter à la connaissance de la commission les noms des individus qui – rappel du décret du 11 janvier 1937 – seraient en plus passés au camp ennemi ou qui, sympathisant avec l’idéologie du soit-disant front populaire…, se trouveraient dans un endroit inconnu. Les maires peuvent nommer un administrateur des biens “abandonnés” si c’est nécessaire pour leur conservation. S’il s’agit de bétail, la circulaire indique que l’administrateur peut alimenter les personnes les plus nécessiteuses de la population, les familles sans ressources, en puisant dans ces biens dont il a la gestion. Les maires ont ainsi la faculté de vendre les biens saisis, avec l’obligation de verser cet argent à la Commission de saisie.
Les motifs qui incitent ces hommes et ces femmes à abandonner leur village sont toujours les mêmes: la crainte d’être détenus et incarcérés, voire même assassinés. Il s’agit de personnes qui ont fait partie des municipalités de gauche, ou qui simplement se sont montrées favorables au gouvernement républicain légalement constitué, affiliées à des syndicats et des partis de gauche ou simplement sympathisantes. Ce sont des agriculteurs ou petits éleveurs, journaliers ou tailleurs, forgerons, praticiens… Beaucoup s’enfuient avec leur famille, ceux qui décident de rester sont ultérieurement emprisonnés.
Un nouveau dynamisme
Un article décrit le processus de renouveau actuel que connaît la ville d’Albarracin. En voici la traduction. “Il y a 30 ou 35 ans (1980-85), Albarracin, qui avait été déclarée Monument National en 1961, subissait un processus de décadence commun à toute la Sierra dont elle était la capitale historique et qui affichait un des taux de dépeuplement les plus importants d’Europe. En 1996, la Fondation Sainte Marie d’Albarracín fut créée avec la participation du Gouvernement d’Aragon, de l’Évêché de Teruel et Albarracín, de la banque Ibercaja et de la mairie de la ville. Elle prit pour siège l’ancien Palais Épiscopal abandonné depuis le rattachement du diocèse à celui de Teruel. – La perte de son siège épiscopal avait eu lieu en 1851, après l’éviction de son dernier titulaire en raison de son adhésion au carlisme (mouvement politique légitimiste espagnol apparu dans les années 1830 qui revendique le trône pour la branche aînée des Bourbons d’Espagne) -. Cette Fondation se donna pour objectif de convertir la restauration du patrimoine en un élément moteur de l’économie.”
“En partant d’ateliers-écoles, elle donna une impulsion à la vieille idée de la régénération, c’est-à-dire de convertir la restauration et la conservation du patrimoine artistique et architectural en une source de revenus, qui peut être maximale dans un lieu comme Albarracín dont la richesse sur ces deux plans trouve difficilement l’équivalent dans notre pays (l’Espagne). C’est au Néolithique que remontent les peintures rupestres de style levantin qui se trouvent dans divers abris des canyons et pinèdes des alentours. Et c’est à la tribu celte antérieure que la ville doit son nom romain: Lobetum (des Lobetanos). Albarracín a gardé de son passé les traces de toutes les civilisations, la principale étant celle qui lui a laissé son nom actuel, ainsi que son aspect singulier: la civilisation islamique berbère de la dynastie des Banu Racín, qui en fit la capitale de sa Taïfa arabe durant le haut Moyen-Age. De cette époque se sont conservées une tour, celle du Juge (el Andador), et l’ancienne grande enceinte maure (alcazaba).”
“Et à la civilisation chrétienne qui lui succéda, elle doit le grand périmètre de remparts, de nombreuses tours et constructions, dont la cathédrale du Sauveur (el Salvador) qui remonte au XIVe siècle. En effet, Albarracín fut offerte par le roi Loup de Murcia aux Azagra navarrais en reconnaissance de leur aide dans la lutte contre les almohades. Ces chevaliers conservèrent l’indépendance de la Sierra durant 200 ans, avant qu’elle soit intégrée au royaume d’Aragon.”
“Le paysage qui l’entoure fit l’objet dans les années 1990 d’une thèse de doctorat du géographe Antonio Jiménez qui, devenu gérant de la Fondation Sainte Marie d’Albarracín, vit naître et croître d’année en année un projet culturel qui sortit de l’incurie et de l’oubli, et en de nombreux cas, sauva de la ruine des maisons privées et des monuments. Cette œuvre permit la création de quarante postes de travail, restaurateurs, installateurs, vigiles de musées et personnel administratif et d’entretien des édifices. Ce faisant, elle a généré une activité économique qui a permis non seulement qu’Albarracín cesse de se dépeupler, mais que la tendance s’inverse et qu’elle se reconstitue légèrement. Le respect du paysage qui entoure la localité a été considéré comme primordial: le plan spécial protège d’une part le quartier historique et les murailles (12,2 hectares), et d’autre part les 155 hectares de paysage, y compris les flancs des montagnes. Aujourd’hui, Albarracín postule pour figurer sur la liste des observatoires européens du paysage.”
“Les éléments traditionnels de la construction d’Albarracín sont le bois, le plâtre rouge et la tuile arabe (tuile canal, historiquement fabriquée manuellement, pièce par pièce). Lors du processus de restauration du village (non seulement les façades, mais aussi les intérieurs pour une actualisation cohérente), la priorité a été donnée aux tonalités d’ocre, de rouge et d’orangé pour une meilleure intégration au paysage. La mairie favorise l’emploi du plâtre rouge en accordant une licence pour ces travaux. Il s’agit d’un plâtre moulu artisanalement, de dureté et flexibilité singulières, à appliquer sur les façades. En dépit de la prééminence du béton, le travail qui se déroule en atelier-école a réussi à convertir beaucoup d’ex-étudiants en inconditionnels du plâtre rouge. Les cours de restauration qui se déroulent à Albarracín attirent 70 professionnels chaque année.”
Conclusion
L’histoire de cette courageuse petite Communauté est exemplaire: elle montre que la taille importe peu, ce qui compte, c’est la volonté et la suite dans les idées. Ces gens revendiquent depuis toujours leur indépendance et la liberté de gérer eux-mêmes leurs affaires. Toutefois, ils ne s’enferment pas dans leurs particularismes et demeurent intimement liés au tissu provincial et national, évoluant, par force peut-être, mais pour mieux rebondir et résister. Loin de l’immobilisme, la Communauté se projette sans cesse vers l’avenir en s’ancrant dans un passé bientôt millénaire. Les projets de la Fondation sont ambitieux, rebâtir la ville dans l’harmonie des techniques anciennes et de son environnement paysager, l’intégrer dans l’entité plus grande de la Sierra par la mise en valeur sur le plan touristique de tout ce qui peut l’être, depuis les peintures néolithiques jusqu’aux vestiges bétonnés de la Guerre civile en passant pas les merveilles naturelles de ses canyons humides et de ses forêts préservées. La Communauté exploite au maximum ses modestes ressources, faisant fonctionner les réseaux de ses relations pour parvenir à ses fins. Les aléas des deux derniers siècles auraient pu la décourager, la faire disparaître. Non ! Sitôt qu’apparaît une embellie, elle redémarre selon les nouveaux codes en vigueur, s’adaptant aux goûts du jour pour y puiser des idées de nouvelles recettes et retrouver un nouveau dynamisme…