En ce début d’automne, la luminosité est fabuleuse, il faut en profiter avant que le temps se dégrade. Jeudi 4 octobre, Anglet Accueille propose un double programme: petite balade et restaurant pour les uns (les plus nombreux), et pique-nique lors d’une randonnée qui s’avèrera plus coriace que prévue pour les autres guidés par Richard. L’air est limpide, un peu frais, mais moins piquant que les jours précédents. Le parking de la base de loisirs du Baigura est déjà quasiment plein lorsque nous arrivons vers les 9 heures. Il a beau ne pas avoir plu, la rosée constelle l’herbe et les toiles d’araignée de colliers de perles fines qui scintillent au soleil. Les rayons encore bas filtrés par l’atmosphère font chatoyer les fougères déjà roussies par les premiers frimas. On nous a “vendu” une balade facile, par des sentiers à la montée progressive, mais si c’est exact pendant les premiers cent mètres, cela se gâte très vite. Il nous faut gravir “tout schuss” un escalier dont la terre, à peine maintenue par des planches, s’est érodée, laissant des marches de géants. Il est si raide qu’une corde sert de rampe pour se hisser dans la montée et éviter des glissades malencontreuses dans la descente.
Lorsque nous nous retournons enfin, nous découvrons un paysage agreste aux vallées assoupies sous une épaisse cape de brouillard. J’ai l’œil attiré par de jolis capitules sphériques blancs hérissés d’étamines aux anthères délicatement rosées, un peu similaires aux fleurs d’oignons. Sur ce versant encore plongé dans l’ombre, les ajoncs ne fleurissent plus. Je remarque des branches enserrées dans d’épais manchons de toile. En voilà un drôle de piège ! En réalité, il s’agit plutôt d’un abri, à la fois contre les intempéries et les prédateurs, tissé par des myriades de bêtes minuscules réunies en colonies. Il ne s’agit pas d’une araignée mais d’un acarien, Tetranychus lintearius, inféodé à son hôte, Ulex europaeus. – Le site en lien fournit une foule d’informations dont j’extrais quelques détails ci-dessous.
Il fait partie de l’embranchement des arthropodes et de la classe des arachnides, il a donc, comme les araignées, huit pattes et des chélicères qui font office de mandibules. Tetranychus signifie “à quatre griffes” et Lintearius “relatif au linge”, ce qui traduit bien la ressemblance de ses toiles avec des nappes de tissu. Les mâles sont presque invisibles car ils mesurent 360 micromètres (soit 0,36mm) de long, alors que les femelles atteignent les frontières du visible à l’œil nu avec 560 micromètres (0,56mm), soit la taille d’une tête d’épingle. De fait, sur les toiles, ce sont les femelles que l’on voit : de petits points rouge brique qui grouillent au sommet des rameaux enveloppés, formant parfois des nappes toutes rouges de milliers d’individus.
Si ces voiles sont parfaitement blancs ce matin, ce peut être pour deux raisons: soit la colonie est partie (comme un essaim d’abeilles qui migre), soit la température trop fraîche l’a conduite à regrouper ses effectifs au centre de la toile (devenant alors invisibles sous l’épais feutrage). La reproduction se fait essentiellement par la voie de la parthénogenèse (à partir d’œufs non fécondés), un mode qui permet d’accélérer son rythme. Les œufs éclosent et ne donnent que des mâles au cœur de l’été (on parle de parthénogenèse arrhénotoque : « qui engendre des mâles »), selon un mode similaire à la production de mâles (faux bourdons) chez les abeilles. A d’autres époques de l’année, il doit y avoir des accouplements avec production d’œufs fécondés, sans doute ceux qui passeront l’hiver et donneront la première génération printanière.
(*) Bruyère Callune ou Erica ? Calluna : Le feuillage est composé de petites feuilles en forme d’écailles et imbriquées en arêtes de poisson le long de courtes tiges. Erica : Le feuillage est constitué de feuilles linéaires (aiguilles) et verticillées (insérées au même niveau (nœud) par groupe de 3 minimum, en cercle autour d’un axe).
Sur une branche basse de hêtre en bordure du chemin, une Pudibonde (Calliteara pudibunda) se hâte lentement. Tandis que j’approche mon objectif, elle tourne insensiblement, plongeant la tête au ralenti derrière le rameau. “Suivant les régions le papillon (de nuit) est visible entre avril et juin, mais une seconde génération est possible (septembre) là où les conditions climatiques le permettent, au Pays basque en l’occurrence. Faute de trompe (et donc de pouvoir s’alimenter !) de nombreuses espèces de papillons sont contraintes de vivre sur des réserves épuisées en quelques jours… telle cette “Pudibonde” ! Quant à la chenille, dont la couleur est variable selon les individus, de très nombreux arbres et arbustes font son bonheur sitôt l’œuf éclos (hêtres, saules, chênes, noisetiers, bouleaux, sorbiers, pommiers, peupliers, ormes, charmes, rosiers, houblons, …). Elle déjeune de nuit en se contentant de grignoter là où d’autres dévorent, son activité diurne confine le zéro absolu quand d’autres ont la bougeotte, et enfin elle pourrait s’appeler la “lambine” car 2 mois et demi lui sont nécessaires pour parvenir à terme, quand la majorité des espèces “bouclent” leur croissance en guère plus d’un mois.”
Des bosquets de beaux hêtres, probablement d’anciens têtards qui ne sont plus taillés depuis longtemps, sont les vestiges épargnés d’anciennes pratiques, comme le pacage des porcs friands de faînes et de glands. En France, un « droit de faînée » s’est souvent calqué sur le droit de glandée. Une ordonnance prise en 1669 par Colbert interdit d’enlever (sauf autorisation du roi ou des « Maîtres des Eaux et Forêts ») certaines productions des forêts, dont « d’herbages, de glauds ou de faines ». Durant la Révolution, on interdit le pâturage des porcs dans les bois contenant des hêtres (car ils nuisent à la régénération en mangeant toutes les faînes) mais on autorise la collecte par les hommes des faînes et glands et autres fruits sauvages (ce qui pourra donner lieu à des surexploitations de ressources) dans les bois nationaux. Au passage, j’aperçois de loin un gros champignon qui annonce sans doute la perte inéluctable à terme de l’arbre rongé de l’intérieur.
Au fur et à mesure de notre progression, les brumes se dissipent, les premiers vautours fauves apparaissent dans le ciel limpide qu’ils parcourent en lentes arabesques selon des voies à eux seuls perceptibles. Plus près du sol, les papillons s’affairent et, rarement, s’accordent une pause dans leur quête urgente de l’âme sœur avec laquelle s’unir le temps d’une brève étreinte. Soudain par-dessus la crête surgit une silhouette insolite : l’air échauffé offre une belle portance aux adeptes du vol plané, soumis à la même gravité qui fit chuter Icare. On pourrait imaginer le coup d’œil moqueur d’un de ces rapaces dont le vol s’ajuste au moindre frémissement d’une rémige et qui se maintient des heures entières sans un battement d’ailes.
J’adore les petites bêtes, et je me réjouis toujours lorsque j’en rencontre une nouvelle. Il me semble bien qu’il s’agisse d’un bousier, mais sa couleur dorée m’enchante, je croyais qu’ils étaient tous noirs. En regardant plus attentivement sa photo, j’ai l’impression qu’il s’est fait arracher une partie de son élytre, et peut-être même un peu de son abdomen. Il ne cherchait pas à s’échapper lorsque je l’ai approché, était-il mort dans cette position, accroché aux brins d’herbe sèche ? Je profite de la pause déjeuner sur le col entre le Baïgoura et le Laïna pour sortir les jumelles et observer les petits passereaux qui picorent dans l’herbe pâturée par les brebis. Elles font la sieste dans des positions invraisemblables, blotties à l’ombre, debout, la tête enfoncée dans une anfractuosité, ou bien encastrées les unes dans les autres pour s’abriter mutuellement du soleil de midi.
Lorsque nous reprenons la marche, mes compagnes se piquent au jeu et m’aident à dénicher de nouvelles bestioles. Nous observons deux espèces d’orthoptères (ailes droites). Ces deux insectes ont des antennes fines et longues (ensifères), ce ne sont donc pas des criquets qui les ont épaisses et plus courtes que leur corps (caelifères). Deuxième critère, la couleur: il n’existe pas de grillon européen au corps vert. Troisième critère, les ailes: les sauterelles les ont de part et d’autre de l’abdomen, alors que celles des grillons sont à plat sur le dos, l’une placée au-dessus de l’autre. Ce sont donc deux sauterelles, et des femelles, puisque leur abdomen est prolongé par un oviscapte très long plus ou moins recourbé, ce qui leur vaut le surnom de “porte-sabre“. La verte et brune a des ailes presque vestigiales, plus courtes que son abdomen et vertes comme son thorax. Il existe environ 7000 espèces de sauterelles (Tettigonoïdes) dans le monde et 210 espèces d’orthoptères en France métropolitaine, je ne me hasarderai donc pas à chercher leur petit nom… Plus nous avançons dans l’après-midi, et plus nous en croisons sur notre chemin, surtout lorsque nous coupons à travers pré dans l’herbe haute où chacun de nos pas dérange ce petit monde. Nous les voyons bondir en tous sens pour ne pas se faire écraser.
Il y a aussi bien sûr quantité d’araignées, mais je n’ai guère le temps de les photographier, d’autant qu’elles sont rapides en diable et se carapatent dans le labyrinthe de brins d’herbe à la moindre alerte. Soudain, l’une de mes compagnes me prévient: elle a cru voir des grenouilles. Elles lui paraissaient brunes mais, bizarrement, elles ne sautaient pas et s’échappaient en courant. J’ai fait encore davantage attention et j’ai fini par apercevoir les coupables: c’était de tout petits lézards minces et vifs, effectivement très rapides, sitôt vus, sitôt disparus. Arrivés sur un terrain caillouteux, je surprends le manège d’abeilles qui s’agitent autour d’un trou creusé dans la terre. Ces abeilles dites solitaires nichent dans le sol et sont absolument inoffensives (mais je me suis toutefois approchée le plus lentement possible pour ne pas les inquiéter ou les irriter). Elles creusent des galeries dans le sol pour y déposer leurs œufs et effectuent d’incessants aller-retour pour apporter de quoi alimenter les futures larves. Très utiles à la pollinisation, elles servent aussi de nourriture aux oiseaux. Lorsqu’elles ont trouvé un lieu favorable à leur nidification, elles ont tendance à y venir en nombre, creusant leurs nids sur un même site en une concentration parfois impressionnante qu’on appelle “bourgade”, comme un village… Celles que j’ai rencontrées appartiennent peut-être à la famille des Collétidés (Colletidae), abeilles à langue courte appelées en France abeilles plâtrières, abeilles masquées ou encore abeilles à face jaune.
Plus loin, je vois de nombreuses chenilles se déplacer sur le chemin, chacune de son côté, contrairement aux processionnaires qui, comme leur nom l’indique, se suivent à la queue leu-leu. Dernière rencontre (très) notable de la journée avant de rejoindre l’escalier mémorable, je gravissais la dernière côte le regard dirigé vers le sol lorsque je découvris à même le sentier, mais un peu en marge, une forme lovée en colimaçon: un serpent ! Oh, certes, très petit et très mince, mais j’étais tout de même ravie de cette trouvaille. En plus, il était curieusement immobile, alors je me suis saisie d’une brindille et je l’ai légèrement bousculé. Il a un peu bougé, mais pour sitôt reprendre sa position initiale. Puisque c’était comme ça, j’en ai profité pour le photographier sous toutes les coutures, et je me suis même enhardie à l’approcher de fort près. Après étude des photos, l’œil à la caractéristique pupille verticale (et non ronde) révèle qu’il s’agissait d’une vipère, peut-être une jeune vipère aspic qui commençait sa nuit ou digérait un bon repas !