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Bambou et Vidourlades

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Sommières

Détournements du Vidourle

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Sommières, moulin et nouvelle passerelle piétonne étonnamment basse, alors que la précédente a été emportée par la crue de 2002

Ce dimanche 1er mars, Jonathan et Marie nous emmènent de Vendargues (dans la banlieue de Montpellier) à la “Bambouseraie en Cévennes”, près d’Alès, avec une halte au petit bourg de Sommières. Sitôt garés, nous passons le pont sur le Vidourle et, tandis que nous lisons le panneau sur l’histoire du fleuve, un homme se lève de son banc et nous apostrophe. Il tient à nous relater la dernière inondation qui, manifestement, l’a beaucoup marqué. Le Vidourle prend sa source dans les Cévennes (montagne de la Fage, au sud-est du massif de l’Aigoual) à 630 mètres d’altitude et il se jette dans la Méditerranée, 95,2 km plus loin au Grau-du-Roi.

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Ancien lit du Vidourle et son ancien pont

Autrefois doté d’un delta, il a vu son cours détourné durant la seconde moitié du XXe siècle par l’installation de deux infrastructures. D’une part, sur le canal du Rhône à Sète des portes l’ont empêché de rejoindre la Pointe de la Radelle où il se jetait dans l’étang de l’Or ou de Mauguio en cas de crue. D’autre part la construction au milieu des années 1960 de la station balnéaire de La Grande-Motte s’est faite en grande partie à l’emplacement du marécage bordant l’étang de l’Or, qui était une zone d’expansion naturelle en période de crues. Par conséquent, ses eaux ont désormais de grandes difficultés à s’écouler en cas de « Vidourlades » (crues dangereuses). Une particularité du Vidourle a une incidence loin de son embouchure : son cours est partiellement souterrain en aval de Saint-Hippolyte-du-Fort. Le fleuve se faufile dans la roche calcaire pour former un vaste plan d’eau indécelable en surface, d’où il se libère par la résurgence de Sauve. Pour étudier son parcours, un colorant a été introduit dans l’eau avant sa disparition dans les profondeurs de la roche, et l’on a découvert avec surprise que ce lac avait en fait une deuxième résurgence,  celle que l’on nommait la source du Lez. Le Vidourle, géniteur du Lez, irrigue donc Montpellier… et ses “Vidourlades” se traduisent aussi par les crues du Lez.

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Mouettes rieuses sur le Vidourle

Des “Vidourlades” récurrentes

Les dernières crues les plus marquantes – les “Vidourlades” – s’échelonnent irrégulièrement: 1858, 1907, 1933, 1958 et 2002, elles sont signalées par des marques qui témoignent de la hauteur atteinte. Après la crue historique de 1958, trois barrages écrêteurs de crues ont été construits. Ils permettent de stoker l’eau et de la relâcher de façon maîtrisée. Mais la crue de 2002 fut si puissante que ces barrages furent submergés. La ville fut inondée sous 4 mètres d’eau et le débit du fleuve atteignit alors 2 500 m3/s, plus important encore que la crue historique qui toucha Paris en 1910 (2 400 m3/s)… Résultat, trente-cinq ruptures de berges dans la basse vallée et donc des inondations considérables dans de nombreuses communes.

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Sommières: des ruelles pittoresques

Sommières figure parmi les communes les plus touchées par les crues du Vidourle. Après cette dernière catastrophe, dix hectares furent aménagés en amont de la commune  pour permettre au Vidourle de déborder : une zone d’expansion de crues pour limiter l’impact des inondations sur les habitations et les commerces. Dans ce bassin a été installé un “peigne à embâcles”, une sorte de filtre pour retenir les troncs d’arbres arrachés par le courant et éviter ainsi qu’ils fassent barrage, surtout sous les ponts où il y a un risque de submersion. Toutefois, les travaux menés par l’EPTB Vidourle (établissement public territorial de bassin) n’ont quasiment rien changé ; la ville est toujours aussi inondée lors des crues chaque année. Il faut dire que Sommières fut érigée en partie sur un pont puis développée sous le pont, dans le lit mineur…

Phenomene Cevenol
Phénomène cévenol

Ces événements se produisent essentiellement à l’automne, ce sont les épisodes cévenols. Sur les pentes des Cévennes, des masses d’air aux températures différentes se rencontrent. Au contact de ce massif, où les températures baissent bien en cette saison, les petites dépressions nées au dessus de la Méditerranée gagnent de l’altitude. Cet air chaud et humide se refroidit alors : par ascendance (butant contre la montagne, cet air léger s’élève naturellement), et par le contact avec les dépressions d’altitude, formées d’un air plus froid… Au fur et à mesure de ce refroidissement, et à un certain point de saturation, la vapeur d’eau contenue dans cet air se condense, forme de gros nuages (cumulonimbus) qui finissent par libérer de fortes précipitations. C’est le même phénomène que celui de la formation de gouttelettes d’eau sur une vitre, en hiver, quand on s’amuse à y souffler dessus ! Les Cévennes bloquent alors ces cellules orageuses durant plusieurs heures, ce qui ne fait qu’accroître la quantité d’eau déversée sur les versants…

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Choucas des tours, petits corvidés effrontés et bagarreurs aux trilles mélodieux

Les inondations, un problème ancien

Première cause, le déboisement des Cévennes

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Jolie vue depuis le château de Sommières

Que ces conditions géologiques, climatiques et orographiques engendrent chaque automne de fortes pluies, soit ! Mais que celles-ci se soldent systématiquement par l’inondation des villes et des dégradations calamiteuses, ce n’est pas normal. Le mont Aigoual, sur les flancs duquel prend sa source le Vidourle, évoque immanquablement l’épopée de son reboisement qui eut lieu à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Voici comment l’ingénieur forestier Georges Fabre analysait en 1895 la nécessité d’une intervention globale. “Les méfaits du déboisement ne seraient pas grands si la basse Garonne ne servait de port à Bordeaux. Mais ce magnifique fleuve s’envase à raison de 2500 m3 par jour. Une prochaine décadence menace notre troisième port marchand de France, jadis le premier. Là est le danger, né et actuel, grave et redoutable (…). La restauration forestière des hautes Cévennes ne peut se faire d’une façon réellement efficace et utile qu’en éteignant une à une les mille ramifications supérieures de grandes rivières torrentielles. Ce résultat ne peut être obtenu qu’en couvrant toutes les pentes ravinées d’un manteau forestier continu. Il faut donc en un mot établir dans le haut bassin des rivières un périmètre largement extensif et non se borner à corriger certains torrents isolés”.

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Château de Sommières

Il existe alors une théorie en vogue, la théorie “de l’éponge”. “Lorsque l’éponge est saturée, son action bienfaisante cesse de s’accomplir. Mais cette action peut être considérablement accrue: d’abord si l’éponge peut atteindre un très grand volume; ensuite si on arrive à accroître sensiblement le pouvoir d’absorption de l’éponge. La première considération implique la nécessité de constituer un très vaste manteau forestier. La deuxième commande de créer une forêt riche en humus, à plusieurs étages superposés de végétation (forêt jardinée) avec le plus possible d’arbres à feuillage persistant.” En l’occurrence, les deux essences de base de la forêt définitive à installer sur les Hautes Cévennes cristallines sont le hêtre et le sapin, essences climatiques qu’impose leur indigénat ancien. Aujourd’hui, 16 124 hectares sont répartis entre les départements du Gard et de la Lozère :

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Des noms moyenâgeux

– dans le Gard, 11 452 hectares échelonnés entre 347 à 1565 mètres, avec pour principales essences arboricoles : Hêtre (42%), Sapin (14%), Épicéa (14%), Chêne (6%), Pin noir d’Autriche (5%), résineux divers (12%), feuillus divers (7%) ;

– en Lozère, 4 672 hectares plantés entre 721 à 1565 mètres, avec pour principales essences arboricoles : Hêtre (48%), Sapin (13%), Épicéa (12%), Pin sylvestre (9%), Mélèze (4%), résineux divers (10%), feuillus divers (4%).

Deuxième cause, les aménagements artificiels et l’urbanisation dans le lit du fleuve

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Tocsin sur la porte

L’auteur de l’étude en lien estime (en 1959) qu’on ne peut guère améliorer le couvert végétal en amont. Selon lui, les goulots d’étranglement dangereux pour l’écoulement des crues sont constitués davantage par des aménagements artificiels que par les encaissements naturels du lit mineur: les ponts, les endiguements, les constructions édifiées dans les lits majeur et mineur sont responsables des montées d’eau extraordinaires observées dans les localités riveraines (9 mètres au-dessus de l’étiage repérés à Sauve, 8,50 mètres à Quissac, 7,70 mètres à Sommières).

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Porte de la ville

Le cas de Sommières est caractéristique. Cette ville s’est développée autour d’un pont romain qui est aujourd’hui amputé de près de 50% de sa section d’écoulement. Il comportait primitivement, sur 190 mètres de développement, 17 arches offrant à l’écoulement des eaux une section totale de 800 m². Les quais actuels réduisent le lit du Vidourle à la moitié de son ancienne largeur, soit 90 mètres environ et les crues ne disposent pour leur écoulement que de la section des 7 arches majeures du pont (425 m² au total). Les 10 arches manquantes existent encore, enfouies sous l’agglomération (7 en rive gauche et 3 en rive droite).

Contrairement à ce qui a été dit plus haut, les crues du Vidourle les plus violentes se produisent, selon cet ingénieur, à partir de précipitations d’origine cyclonique qui résultent du soulèvement des masses d’air méditerranéen humide et instable par un flux d’air polaire maritime descendant le couloir rhodanien. Cette évolution déclenche sur tout le bassin des précipitations intenses, amplifiées par effet orographique, qui se déplacent d’abord dans la direction des vents pluvieux de secteur sud, pour redescendre ensuite vers la mer au fur et à mesure de l’avancée du front froid vers le sud. Cette circonstance est particulièrement importante pour expliquer le caractère subit et violent des crues du Vidourle et de ses affluents: le sens de déplacement des averses de l’amont vers l’aval tend à renforcer et raidir le front d’onde de crue au fur et à mesure de sa propagation. Il ne s’agit donc pas d’épisodes cévenols, mais de phénomènes engendrés par des facteurs différents, bien mis en évidence sur l’animation ci-dessous. Une fois encore, la méconnaissance ou la négation de ces phénomènes naturels est la cause de pertes humaines, matérielles, et de la mise en œuvre de palliatifs peu efficaces devant la violence des éléments.

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Précipitations de septembre 2002
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L’air froid descend par le couloir rhodanien et rencontre l’air chaud du pourtour méditerranéen (animation Météo France)
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Ancienne maison bourgeoise cossue
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Des commerces jusque dans le lit du Vidourle

La Bambouseraie en Cévennes

Comme dans un film…

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Bambous
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Lieu de tournage de certaines scènes du film

Voilà des années que je rêve de m’y rendre, mais j’imaginais qu’il s’agissait d’une véritable forêt et non d’un parc d’agrément privé d’une quinzaine d’hectares. Il n’empêche que cette visite m’a beaucoup plu en dépit du temps maussade et de la faible luminosité. Tout d’abord, le parc est esthétique, le cheminement varié et la collection de plantes très intéressante. En outre, les panneaux pédagogiques, concis mais instructifs, sont assortis de touches reliées à un haut-parleur de façon à avoir le choix entre la lecture et l’audition de l’information, ce qui est très plaisant. Enfin, le parc comporte deux attractions, un labyrinthe, que nous n’aurons malheureusement pas le temps d’explorer à cause de l’averse diluvienne qui a interrompu notre visite, et la reconstitution d’habitats à base de bambou sous la forme d’un petit hameau.

Dans un article paru en 2006 à l’occasion des 150 ans de la bambouseraie, voici ce qu’on peut lire. “Qui ne se souvient pas du Salaire de la peur, avec Yves Montand en mercenaire crasseux, traversant l’Amérique centrale au volant d’un camion chargé de nitroglycérine? Pour tourner son film en 1953, Henri Georges Clouzot n’a pas choisi le Mexique ou le Guatemala, mais… la France! Plus précisément, la bambouseraie d’Anduze, à 45 kilomètres de Nîmes. En entrant par la grande allée, on comprend pourquoi le lieu a séduit le cinéaste: sur 400 mètres, deux haies de bambous immenses, jalonnées par une dizaine de séquoias bicentenaires, se rejoignent en ogive, formant une spectaculaire cathédrale de verdure. […] Cette forêt plantée sur les berges du Gardon et de l’Amous comporte quelque 700 000 pieds et plus de 200 variétés de bambous. Des jaunes, des verts, des noirs; des chinois, des japonais, des mexicains; des nains et des géants de plus de 20 mètres… Et dire que le bambou n’est pas un arbre, mais une herbe cousine du blé (graminée), capable, pour certaines espèces, de pousser jusqu’à 1,20 mètre par jour! Le jardin compte d’autres monuments végétaux: un magnolia de plus de 35 mètres qui fleurit blanc, un immense ginkgo biloba aux drupes nauséabondes, des chênes majestueux, des palmiers de Chine.” D’autres films y ont été tournés comme Les héros sont fatigués d’Yves Ciampi (1954), avec Yves Montand, ou Paul et Virginie de Jacques de Casembroot (1967).

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Une maison du hameau laotien en bambou

Une passion pour l’horticulture

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Nichoir à pipistrelles
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Nichoir à pipistrelles (petites chauve-souris)

Jeune orphelin issu d’une famille protestante cévenole, Eugène Mazel (1828-1890) est confié à son oncle maternel, un riche armateur marseillais. Les épices importées des Indes orientales embaument le vieux port et aiguisent sans doute la curiosité du garçon pour la botanique. La période est propice. Dès le XVIe siècle, l’engouement pour l’exotisme végétal dans les jardins royaux d’Europe ont permis aux princes de « s’émerveiller devant les orangers et les palmiers ». Après les herbiers et les graines, les plantes voyagent, grâce aux progrès de la navigation et de meilleures conditions de transport — la vie en mer n’est pas du tout faite pour le végétal. L’heure est venue pour l’avènement des horticulteurs, des pépiniéristes, des producteurs et marchands grainiers avec l’introduction de multiples plantes exotiques : limoniers (citronniers), cotonniers, indigotiers, goyaviers, bananiers, canne à sucre, mais pas encore de bambous. Ce ne sont que de curieux arbres « en forme de tube » qui ne présentent pas vraiment d’intérêt pour l’exploitation agronomique ou horticole en Occident. Sous le ciel clément de la Méditerranée, on tente d’acclimater des cultures utiles à l’industrie, comme le coton, l’ortie blanche ou ramie (Boehmeria nivea), et l’indigotier. À la mort de son oncle et après une liquidation embrouillée de la succession, Eugène Mazel hérite d’une coquette fortune qu’il met au service de sa passion pour l’horticulture et les sciences naturelles. Il crée un premier arboretum à Golfe-Juan, puis retourne en 1855 dans les Cévennes de son enfance. Il joint à la ferme paternelle de Montsauve, située à Générargues, son village natal, les 40 hectares du domaine contigu de Prafrance, des terres agricoles comprenant des vignes et des vergers. – Cette propriété était franche de taxes seigneuriales, d’où son nom : le prat franc, le pré franc -.  Grand voyageur et marchand d’épices en contact avec des pépiniéristes du monde entier, il échange et achète des graines de plantes exotiques, alors bien souvent inconnues en Europe.

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Ver à soie à ses divers stades. Louis Figuier, 1867 (source: Jacques d’Aguilar, Pasteur et le ver à soie)
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Louis Figuier – Les merveilles de la Science – Machine et bateaux à vapeur 1867

Pour donner une idée de l’ambiance de l’époque, voici les thèmes d’un livre de Louis Figuier paru en 1857 et qui sera maintes fois réédité par la suite. Il a pour titre: L’Année Scientifique et Industrielle, ou exposé annuel des travaux scientifiques, des inventions et des principales applications de la science à l’industrie et aux arts, qui ont attiré l’attention publique en France et à l’étranger. Son auteur évoque dans ce premier tome le percement de l’isthme de Suez (grand sujet d’actualité) avec l’historique du projet et une carte en couleurs hors-texte, les difficultés rencontrées pour la pose de câbles télégraphiques sous-marins à travers la Méditerranée et l’Atlantique, le creusement du puits artésien de Passy, la découverte de l’ozone, la maladie du ver à soie et la détresse de l’industrie séricicole, les inondations consécutives au déboisement des montagnes, l’épidémie de typhus au Val-de-Grâce après la guerre de Crimée, les voyages scientifiques au Chili et dans les mers du Nord. Pierre-Gilles de GENNES (1932-2007), Prix Nobel de Physique en 1991, dont le champ de recherche était si vaste que certains l’ont parfois qualifié de « touche à tout » confiait : « Dans mon enfance, j’ai eu la chance de dévorer Figuier. Ses Merveilles de la Science ont déclenché mon rêve de physicien et m’ont révélé l’infinie diversité du savoir ».

Coup de cœur pour le bambou

Parti en Orient à la recherche de mûriers pour l’élevage des vers à soie, Eugène Mazel est revenu “amoureux” des bambous. La propriété deviendra un magnifique arboretum qu’il irrigue grâce à un petit barrage qu’il fait faire en amont sur le Gardon. Son eau, captée dans un petit canal de 3 kilomètres – creusé à ses frais -, circule dans le parc en un réseau de 5 kilomètres de canaux et tuyaux d’irrigation, en bambou bien sûr ! En 1856, il réalise ses premières plantations de bambous Phyllostachys Mitis, Phyllostachys viridiglaucescens et Phyllostachys edulis (bambou géant), et il essaie d’acclimater des espèces exotiques en provenance du Japon, d’Amérique du Nord et de la région himalayenne. Il expérimente aussi l’acclimatation d’autres végétaux exotiques susceptibles de s’accommoder d’une terre siliceuse et d’un climat souvent rigoureux sur ces contreforts des Cévennes: séquoias, palmiers de Chine, érables du Japon, magnolias, camélias… Eugène Mazel habite toujours Marseille, mais se rend régulièrement à Prafance. Au fil du temps, il y aura jusqu’à 40 jardiniers pour veiller sur ses arbres et ses bambous.

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Un hameau en bambou des peuples Lao
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Grenier ?

Le bambou est alors quasiment inconnu des Européens. Cette plante appartient à la famille des Poacées (anciennement Graminées) comme le maïs, le blé ou la plupart des herbes constituant nos gazons. Pour cette raison, la tige principale est appelée chaume. Au sein d’une même famille végétale, les plantes sont classées par genre, espèce, variété… d’après l’organisation de leurs fleurs. Il se trouve que la majorité des bambous fleurit très rarement, d’où la difficulté pour les botanistes de les identifier. C’est ce qui explique que bien des bambous aient plusieurs noms et puissent en changer au cours du temps. Au cours du XIXe siècle le bambou aura les faveurs de quelques botanistes voyageurs et trouvera donc pendant longtemps une meilleure place dans les herbiers que dans les jardins ! Les horticulteurs diffusent très peu les bambous car la plupart des amateurs de jardins de l’époque les considèrent comme « une plante vivace » qui « ne produit son effet qu’à longue échéance ».

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Volaille et cochons derrière ces bâtiments.

Cependant, la diffusion sélective de ces plantes eut très tôt ses champions. Si la diffusion des palmiers prit son essor avec l’invention du chauffage central (*), celle de l’énergie produite par la vapeur permit l’introduction in vivo des bambous. L’arrivée tardive des bambous en Europe s’explique par « la rareté des fructifications, le peu de temps que les graines de beaucoup d’espèces conservent leur faculté germinative et la lenteur des transports avant l’emploi des navires à vapeur ». En effet, avant l’équipement des Clippers avec des moteurs à vapeur, on peut supposer que les botanistes et pépiniéristes n’imaginaient pas de rapporter des touffes de bambous en raison du risque de dessèchement et de la durée du transport entre l’Extrême-Orient et l’Europe qui pouvait durer jusqu’à six mois. Il aurait fallu de volumineuses tontines de paille enveloppant les mottes pour transporter des plants assez forts (touffes de 500 kg à 1 tonne), avec l’exigence de réserves d’eau très importantes tout au long d’un voyage de plusieurs mois. Techniquement c’était possible mais l’enjeu économique était bien faible par rapport à d’autres plantes.

(*) Au début du XIXe siècle, les nouvelles techniques de la fonte et de la fabrication du verre, puis l’invention du chauffage central, vont permettre d’abriter dans des serres des végétaux de plus en plus grands et de nouvelles espèces, avantage dont va bénéficier le palmier qui était encore considéré comme plante de collection, à cultiver en serre chaude ou en jardin d’hiver. Seules les personnes fortunées et les botanistes de l’époque pouvaient se permettre d’entretenir cette végétation exotique.

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Paquebot français en partance de Marseille pour la Cochinchine (L’Illustration, 1er novembre 1862) (source)
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Il faudra donc attendre le début de la révolution industrielle pour qu’arrivent enfin les premiers bambous sur pied en Europe. L’invention de Robert Fulton en 1802 va permettre aux clippers équipés de moteur de pallier le manque temporaire de vent. Plus tard, la technologie de l’hélice et de la coque en fer vers 1870 permettra de rallier par exemple Marseille depuis la Cochinchine en un temps record. Le Phyllostachys nigra est la première espèce à prendre racine en Occident. Les Arundinaria gracilis (Drepanostachyum falcatum), Bambusa arundinaceaBambusa Thouarsi (Bambusa vulgaris), Bambusa aurea (Phyllostachys aurea) en provenance de l’Inde et Phyllostachys mitis (Phyllostachys viridis) originaire de Chine sont importés en 1840 par Alphonse Denis, historien et maire de Hyères.

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Camélia

Le Phyllostachys nigra fut réintroduit de Chine en France en 1846 par le vice-amiral Cécile qui emporta également du nord de la Chine Phyllostachys viridi-glaucescens. Les premiers Arundinaria Falconeri (Drepanostachyum f.) furent importés du nord de l’Inde un an plus tard et commercialisés rapidement par le célèbre pépiniériste belge Van Houtte. C’est le botaniste Philipp Franz von Siebold qui introduisit l’Arundinaria japonica (Pseudosasa j.) en 1850. Après une accalmie de douze ans, une nouvelle vague d’importation permit de découvrir et de cultiver en France et en Belgique l’Arundinaria Simonii (1862) grâce à Eugène Simon (*), consul de France en Chine, l’Arundinaria Fortunei (1863), le Phyllostachys flexuosa (1864), le Phyllostachys sulfurea (Phyllostachys bambusoides ’holochrysa’) un an plus tard et le Phyllostachys bambusoides importé du nord du Japon en 1866 par l’Amiral du Quilio et qui le confia à Auguste Rivière, directeur du Jardin d’essai du Hamma à Alger. Cette première période trouva son terme avec l’importation de Chine du Phyllostachys violascens.

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Aqueduc en bambou à Hong Kong (XIXe s.) (source)

(*) Ancien élève de l’Institut agronomique, Eugène Simon a été envoyé en 1860 en mission par le Ministère de l’Agriculture en Chine où il remonte le Yang-tse et visite les provinces de l’intérieur. En 1865, il y repart, envoyé cette fois par le Ministère des Affaires étrangères comme Consul à Ning-Po, puis à Fou-tchéou (Fuzhou, capitale du Fujian, grande ville chinoise la plus proche de Taipei, capitale de Taiwan). Entre temps, il rassemble les résultats de son enquête agronomique dans sa Carte agricole de l’Empire chinois, publiée en 1866. Au cours des années suivantes, des articles sur l’Agriculture en Chine dans le bulletin de la Société de Géographie, et sur Les petites sociétés d’argent en Chine achevaient de le poser en enquêteur sérieux. Au cours de son séjour à Fou-tchéou, il fait le point de ses connaissances et réunit une série d’études sous le titre La Cité chinoise publiée en 1886. […] Au-delà des apparences qu’offrait aux voyageurs le vieil Empire croulant des Tsing, il a su deviner le formidable potentiel de force, de travail et d’énergie humaine que recélait le colosse endormi. Il a aussi, l’un des premiers, pressenti les dangers qu’un dumping asiatique présenterait pour l’Europe le jour où la Chine se déciderait à adopter les techniques industrielles du monde occidental tout en conservant les avantages d’une main d’œuvre intarissable et bon marché et d’une production sans entraves fiscales. “Le danger est réel”, affirmait-il, “et n’est peut-être pas aussi éloigné qu’on le pense.” Il ne fut pas entendu par ses contemporains.

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Camélia
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Camélia

Mazel fait venir plusieurs dizaines de variétés de bambou d’Asie et les introduit sur son domaine. Ils s’adaptent au microclimat et au sol composé d’alluvions fertiles qu’il irrigue avec les eaux du Gardon. A l’extérieur et dans de vastes serres victoriennes qu’il fait construire en 1860 – infrastructures de pointe à l’époque -, il se met également à collectionner azalées, rhododendrons, bégonias, orchidées, camélias… Mais les finances d’Eugène Mazel n’ont pas la vigueur du bambou. En 1882, c’est la ruine. Prafrance est cédé au Crédit foncier de France. Mazel mourra à Marseille 8 ans plus tard. Excès de dépenses pour assouvir sa passion ? Train du domaine d’Anduze avec ses 40 jardiniers ? Sens malheureux des affaires ? Un peu de tout ça peut-être. Deux facteurs, bien que de moindre importance sans doute en ce qui le concerne, ont peut-être contribué à sa déconfiture…

La soie, de la Chine à la France

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Introduction de l’élevage du ver à soie à Constantinople (BNF)

Mise au point au IVe siècle en Chine, la culture du ver à soie, ou sériciculture, s’exporte peu à peu le long de la route de la soie, de l’actuelle Xi’an en Chine à Antioche, en Syrie médiévale. Vers 550, l’élevage du ver à soie arrive à Constantinople, porte de l’Occident, avant d’être diffusée dans les pays dont le climat chaud permet la culture du mûrier blanc, arbuste sur lequel se nourrit le ver à soie. Le tissage de la soie aurait été pratiqué en France dès le XIe siècle. Le fil utilisé était importé d’Italie méridionale, de Sicile, de Grèce et du Proche-Orient. Le tissage a donc précédé la production de cocon et du fil. Pour les régions méridionales dont le climat est particulièrement favorable à la culture du mûrier et à l’élevage des vers à soie, les débuts de la sériciculture se situeraient au XIIIe siècle.

Des précurseurs en Cévennes

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Le hameau laotien de la Bambouseraie

Un document relatif au commerce de Marseille daté du 12 avril 1246 indique que cette ville a reçu des ouvrages de soie en provenance des Cévennes. Il s’agit du premier document attestant de l’existence d’une production séricicole locale. Durant cette période, les Cévennes sont à l’écart des violences qui mettent à feu et à sang le Languedoc lors de la croisade contre les Albigeois et le calme relatif qui y règne favorise l’essor de la sériciculture naissante. Une cinquantaine d’année plus tard, en avril 1296, Raymond de Gaussargues, un habitant d’Anduze, est qualifié dans un acte notarié de « trahanderius », c’est-à-dire tireur de soie. A partir de cette date, de nombreux documents confirment le développement de la sériciculture. Le tissage s’est également développé, comme en témoigne en 1399 l’achat en Avignon par les consuls de Lyon de quelques pièces de satin rouge afin de confectionner des robes d’apparat. Par lettres patentes, Louis XII autorise les habitants de Nîmes à exercer « l’art et métier de la draperie de soie ». A cette époque, Montpellier est le centre régional du commerce de la soie.

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Du bambou plaqué en bardeaux sur le toit

Après diverses péripéties et aléas politiques, c’est une catastrophe climatique qui va ouvrir la voie à la prospérité séricicole en donnant à la culture du mûrier une impulsion décisive. En 1709, les Cévennes subissent un hiver exceptionnellement rigoureux. Les oliviers et les châtaigniers ne résistent pas au gel et périssent en grand nombre. Ils sont alors remplacés par des mûriers dont la croissance est beaucoup plus rapide. Le mûrier conquiert alors la montagne cévenole. L’essor de la sériciculture entraîne celle des filatures, moulinages, tissages et bonneteries durant tout le XVIIIe siècle. Sous la Restauration, l’industrie séricicole retrouve un nouveau souffle après les perturbations de la Révolution française. La sériciculture et la filature cévenoles entrent dans une période de prospérité exceptionnelle. En l’espace de onze ans, le nombre de mûriers est multiplié par deux. Le développement séricicole s’accompagne de nombreux perfectionnements dans le domaine industriel. Grâce à l’invention par Gensoul du système de chauffage à la vapeur des bassines, la filature va connaître une mutation technique et économique sans précédent même si de nombreux paysans continuent de travailler avec des tours manuels. La production de cocons atteint, en 1853, vingt-six mille tonnes (62% dans les Cévennes et le Gard) et, en 1855, celle de soie grège dépasse avec ses cinq mille tonnes celle des royaumes lombard et vénitien réunis.

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Une éducation du Ver à soie chez un paysan des Cévennes (Louis Figuier, 1867)

Des “graines” malades

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Des murs tissés comme des nattes

Pas moins de six filatures sont installées dans le village de Générargues en raison de l’abondance de la production de cocons: la filature de la Coste, la filature Boisset, la filature de Coudoulous, la filature Thérond au hameau de Montsauve. La filature de Maguielle se trouve à l’entrée de la propriété de Prafrance: c’est une importante filature construite en 1839 par le vicomte Jules de Narbonne Lara. Elle fonctionne à l’énergie hydraulique et thermique. Elle comporte alors 80 bassines. Le bâtiment de plus de 400 m² est élevé sur deux niveaux, l’atelier est à l’étage. En 1856, le personnel est composé de 90 ouvriers. La filature est vendue en 1861 à Eugène Mazel qui la transforme en 1866 en carderie de laine et de frisons de soie. En 1882 s’y ajoute une fabrique de manches d’outils. Le gros œuvre et la cheminée subsistent encore dans l’actuel magasin de la Bambouseraie.

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Un tressage différent pour la porte

Eugène Mazel n’a pas vraiment fait une bonne affaire en acquérant cette filature. Malheureusement, cette progression rapide de l’élevage des vers à soie en France s’est faite au détriment des exigences sanitaires: en 1845 une maladie des vers, la pébrine, fait son apparition à Cavaillon. L’épidémie, par sa virulence, pousse les négociants à rechercher toujours plus loin des “graines” saines, indemnes de cette pathologie. Cela les conduit d’abord en Espagne, puis en Italie. En 1855 cette dernière ayant été également touchée, la France importe à son insu des “graines” contaminées, d’où la récolte catastrophique de 1856 réduite à 7500 tonnes de cocons. M. Jeanjean, secrétaire du comice agricole du Vigan (Gard), rapporte que « les plantations de mûriers sont entièrement délaissées ; l’arbre d’or n’enrichit plus le pays ». Des importations de “graines” sont alors effectuées à partir du Japon et de la Chine. Mais les mauvaises conditions de stockage dans les entrepôts à Yokohama ou à Shanghai ainsi que la durée du transport compromettent leur qualité. Des importations sont également faites de Géorgie et du Caucase. Pour maintenir l’activité des industries de filage, des cocons sont également importés du Japon.

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Système de fixations
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Fixations multiples

De nombreux ateliers et usines ferment. A la décharge d’Eugène Mazel, bien que l’inquiétude ne cesse de croître au fur et à mesure que la production diminue, on ne parle toutefois pas de déclin : dans l’esprit des observateurs de l’époque, il ne fait aucun doute que tout rentrera dans l’ordre lorsque l’épizootie sera enrayée. C’est ainsi que le microbiologiste Louis Pasteur (1822-1895) est appelé à la rescousse. D’abord réticent, car il ne connaît rien aux insectes, ainsi que le rapportera avec une pointe de raillerie Jean-Henri Fabre (*), auteur de la magnifique somme des Souvenirs entomologiques, il acceptera de se pencher sur la question. Entre 1865 et 1870, il se déplace à plusieurs reprises à St-Hippolyte-du-Fort dans le Gard, un peu en amont de la Bambouseraie de Générargues,  afin de trouver des solutions pour enrayer la progression d’une des maladies (la pébrine) qui ravage les magnaneries. Mais avant la fin du siècle la plupart des magnaneries auront mis la clef sous la porte.

(*) “Il ne sait rien de la transformation des insectes ; pour la première fois, il vient de voir un cocon et d’apprendre que dans ce cocon, il y a quelque chose, ébauche du papillon futur ; il ignore ce que sait le moindre écolier de nos campagnes méridionales ; et ce novice, dont les naïves demandes me surprennent tant, va révolutionner l’hygiène des magnaneries ; il révolutionnera de même la médecine et l’hygiène générale.” Jean-Henri Fabre, après sa rencontre avec Louis Pasteur en 1865.

Introduction végétale, danger !

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Phylloxera de la vigne (Daktulosphaira vitifoliae) (source)

Eugène Mazel, lorsqu’il a acquis Prafrance, est devenu un propriétaire terrien à la tête d’une exploitation agricole qui comporte de la vigne et des vergers. Par conséquent, ses finances ont peut-être été également fragilisées par un autre fléau. Le progrès des transports intercontinentaux et l’accroissement du commerce international ont été indirectement la cause, ces mêmes années, d’une autre catastrophe économique. En raison certainement de la crise de l’oïdium qui a sévi entre 1850 et 1857, les pépiniéristes et les amateurs ont pris l’habitude de cultiver, ici ou là, quelques pieds de vigne d’origine américaine dans l’espoir de trouver une espèce à la fois productive, de haute qualité vinicole et résistante au champignon. Leurs espoirs ont été déçus, mais l’habitude de collectionner les vignes est restée. Or, en même temps que la plante s’est invité un parasite : il s’agit du Phylloxera vastatrix, de triste mémoire. On découvrit après une longue enquête que les deux foyers primitifs d’infection par cet insecte piqueur apparenté aux pucerons se situaient, pour la France, près de Bordeaux et près du Rhône. Les transports se faisant surtout par bateau, c’est à proximité des ports que l’importation de plants américains avait été la plus massive.

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Ferme de Montsauve à la Bambouseraie

Inconnu en France jusqu’en 1868, cet insecte minuscule fut responsable après cette date d’épouvantables dégâts sur les vignobles et ramena en quelques années la production française de vin à la moitié ou au tiers de sa valeur annuelle normale. Cet effondrement dura quinze ans et engendra une crise économique majeure dans le Midi de la France. Nos voisins italiens et espagnols furent aussi sévèrement touchés. On découvrit que la meilleure façon de sauver la vigne française était de la greffer sur des pieds américains, en sélectionnant pour cela des espèces aux racines insensibles aux ponctions de sève effectuées par les myriades de larves de cet insecte. A partir de 1883 un quart du vignoble de l’Hérault était déjà greffé. Mais l’insecte poursuivit son œuvre de destruction. En 1888, à quelques milliers d’hectares près, il ne resta plus, dans ce département, de vignes françaises franches de pied, c’est-à-dire reposant sur leurs propres racines. D’une certaine façon, la victoire du Phylloxera fut totale. 

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Tonnelle en bambous

Reprise de la Bambouseraie

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Thomas Edison a réalisé des centaines d’expérience avec presque 600 végétaux : les filaments de bambou résistent le mieux à la chaleur pour une longévité conséquente. (source)

Suite à la ruine en 1882 et au décès d’Eugène Mazel huit ans plus tard, le Crédit Foncier de France récupère le domaine et le laisse en friche. Pendant douze ans, le domaine végète et les collections s’appauvrissent. C’est alors qu’intervient la famille Nègre, qui préside encore aujourd’hui aux destinées de la bambouseraie. En 1902, Gaston Nègre remporte la vente aux enchères à la bougie. C’est un passionné de plantes; il relance l’œuvre de Mazel, passe devant notaire pour le règlement des eaux, acquiert d’autres variétés, imagine des solutions pour viabiliser l’exploitation – en développant notamment une activité agricole sur les terres disponibles afin de financer son entretien -. Le domaine reçoit en 1905 la visite de Jean Houzeau de Lehaie, bambouphile éperdu venu de Mons en Belgique. Le pèlerin belge s’extasie au pied des Phyllostachys edulis d’Eugène Mazel et leur consacre un des articles du premier numéro du Bambou, un bulletin périodique dédié aux graminées arborescentes qu’il publie à compte d’auteur.

8 tonnes de bambous pour la Belgique

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Des bouquets serrés de bambous

“L’un des massifs les plus impressionnants, composé de l’espèce que nous allons décrire, est d’un puissant effet décoratif. Qu’on se figure des centaines de tiges : ici serrées les unes aux autres, fuyant vers le ciel comme des fusées, là espacées régulièrement ; plus loin par deux, par trois, en petites troupes comme des promeneurs. Toutes sont sveltes et élancées, robustes pourtant ; leurs cimes, à la ramure dorée, au feuillage s’étalant comme les parasols multiples de l’Inde, se balancent doucement au gré du vent. Des glycines, des chèvre-feuille (sic), des clématites les escaladent, passent de cime en cime, retombant en guirlandes de fleurs. Gigantesques plumes d’autruche, ces chaumes dépassant parfois vingt mètres de hauteur rivalisent avec les plus superbes productions des forêts tropicales. Ils ne craignent pourtant pas les intempéries de nos climats. L’hiver dernier, Prafrance a connu les frimas ordinairement réservés aux pays du Nord. Durant trois jours, du 1er au 3 janvier 1905, le vent a fait rage, puis une neige abondante est tombée, le thermomètre centigrade est descendu à – 14° : il a fallu bien vite secouer tous ces grands chaumes dont les têtes ployées sous le fardeau menaçaient de se briser : mais quand la tourmente fut passée, quand le soleil eut fondu cette neige on put constater avec joie que pas une feuille n’était gelée, que la plante, admirable de résistance au froid, était aussi vigoureuse que si l’hiver tiède du Midi n’avait pas été interrompu par le froid et la tempête du Nord.”
Le Bambou, Bulletin périodique, n° 1, 15 janvier 1906, p. 7-8

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Une mise en valeur soignée des différentes espèces de bambous

De sa visite, il rapporte quelques souvenirs bien sûr. Huit tonnes de bambous, hissées sur 1100 km et une semaine jusqu’à Mons ! A cette époque, le bambou devient une manne précieuse. On utilise alors ses fibres pour les filaments des ampoules électriques et ses chaumes pour le mobilier, les cannes à pêche, et plus tard les antennes de télévision… Le bambou a le vent en poupe, comme le montre l’appel de ce même naturaliste belge l’année suivante.

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La revue de Jean Houzeau de Lehaie

Amis des Oiseaux, plantez des bambous !

“Quand la gelée a dépouillé nos arbres et durci la terre, les oiseaux, qui sont si utiles dans les jardins, ne trouvent que difficilement des refuges contre la bise. Les bambous au feuillage touffu et persistant, l’Arundinaria japonica surtout, leur servent admirablement d’abri. Pendant tout l’hiver, c’est par centaines que nous voyons chaque soir des oiseaux d’espèces variées s’abattre sur chacun de nos massifs de bambous. Ils y sont aussi à l’abri des chats, dont la griffe ne mord pas sur les chaumes durs et lisses, et des rapaces dont le vol est arrêté par la multitude des branchettes. La plante protège l’oiseau ; ce n’est pas en pure perte pour celle-ci : il lui paie tribut en engrais. Amis des oiseaux, qui pensez à nourrir en hiver ces charmants hôtes de nos jardins, n’oubliez pas de leur fournir un bon gîte qui les protège du froid : plantez des bambous ! Extrait de la revue périodique “Le Bambou” (Jean Houzeau de Lehaie), 1907

Remarque: Les bambous sont cependant répertoriés aujourd’hui parmi les espèces invasives. Par leurs aptitudes à coloniser rapidement un milieu via leurs rhizomes, certaines espèces peuvent, localement, porter un réel préjudice à la biodiversité. En France, les meilleurs terroirs se situent au Pays basque et dans les Landes où le bambou entre en concurrence directe avec des productions locales, maîtrisées de longue date ou moins chères, comme le pin maritime pour sa cellulose (papeterie) ou le chanvre pour ses fibres (isolation, plasturgie). Le bambou français ne peut être rentable que sur des marchés à forte valeur ajoutée : architecture, design, produits alimentaires frais vendus en circuit court.

Tourisme et pépinière

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Autel du génie protecteur, ho phi ban.
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Torii dans l’entrée du vallon du Dragon

A partir de 1948, Maurice Nègre, ingénieur agronome, succède à son père, poursuivant l’œuvre familiale avec succès jusqu’à sa mort accidentelle qui contraint Janine, son épouse, à porter seule la gestion du domaine. Puis sa fille Muriel prend le relais en 1976, aidée de son mari, Yves Crouzet, ingénieur horticole. Ils réorientent la propriété vers le tourisme, l’horticulture et la production de plantes de pépinière. Des réfugiés laotiens, accueillis au début des années 1980, font partager leurs connaissances sur la «plante miracle» qui sert à tout en Asie. En guise d’animation pédagogique, Bounsy et sa famille reconstituent ainsi un village entièrement bâti en bambou dans une clairière au cœur de la forêt. Situé à l’entrée du village, l’autel du génie protecteur, Ho phi ban, est construit près d’une grosse pierre ou d’un vieil arbre porteur de l’histoire des lieux. Traditionnellement, les villageois et les passants lui offrent quelques friandises, des fleurs et des bâtons d’encens pour vénérer les ancêtres. On lui demande la permission d’entrer ou de sortir, la protection et le bien-être.

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Le hameau laotien

2000, selon l’astrologie chinoise, c’est l’année du dragon de métal (traditionnellement, l’an 4698) qui a commencé le 5 février 2000 avec le Nouvel An Chinois, pour se terminer le soir du 23 janvier 2001. Ce signe du dragon se retrouve de fait, les mêmes années, dans l’astrologie coréenne, japonaise, mongole, tibétaine et vietnamienne. Ainsi, pour les 150 ans de la Bambouseraie, le sculpteur et paysagiste français Erik Borja offre la création d’un vallon de 15 000 m² où l’on pénètre par un torii, porte de temple shinto. L’eau du Gardon qui y serpente donne corps au projet en épousant la forme de l’animal mythique.

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Selon les légendes Hmong, leurs ancêtres Gao Joua et Dao Na sont les constructeurs des jarres géantes de la province de Xieng Khouang (source)

Les bambous, dont on connaît plus de 75 genres et 1500 espèces, constituent le principal groupe de la famille des Poaceae (graminées). Près des deux tiers (65 %) de ces espèces sont originaires de l’Asie du Sud-Est, 32 % croissent en Amérique latine, et le reste en Afrique et en Océanie. En Amérique du Nord, il existe trois espèces de bambous indigènes, contre 440 en Amérique du Sud. Dans la forêt de la Bambouseraie, 240 espèces ont pu s’acclimater, dont le Phyllostachys Edulis, avec ses chaumes de 20 à 25 mètres de hauteur à maturité, ce géant du sud-est de la Chine, ou le Phyllostachys Sulphurea aux superbes jeunes chaumes striés de vert à chaque entrenœud. Du sol au plafond, c’est l’unique matériau de la maison laotienne sur pilotis qu’on peut voir sur place ou de la demeure hmong, en forme de carapace de tortue, capable de résister aux pires intempéries. – Les Hmong ou Mong (Miao en Chine) sont originaires des régions montagneuses du sud de la Chine (principalement la province du Guizhou), ainsi que du nord du Vietnam et du Laos -.

De multiples usages

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Un cadre en bambou (source)

En Chine, il est rarement absent du paysage, même en pleine ville, où les Phyllostachys géants servent à réaliser les échafaudages. Il y a quelque 6000 ans, le caractère 竹 (zhu) désignant le bambou était gravé sur des poteries de la culture néolithique de Yangshao. Il occupe une place de premier choix dans les jardins en Chine car il incarne à côté du pin et de l’abricotier japonais (Prunus mume, originaire du Sichuan et Yunnan) l’un des “trois amis qui ne craignent pas l’hiver”. Il symbolise à ce titre, pour les adeptes de Confucius, la constance et l’amitié durable. Il entre dans la fabrication de nombreux objets quotidiens depuis les palanches jusqu’aux paniers pour le riz ou les ustensiles de la cérémonie du thé au Japon. Éventails, lanternes traditionnelles, cerfs-volants, cannes à pêche, flûtes, sabres de kendo, arcs de Kyudo et, depuis peu, le textile (tissu molleton, éponge, velours utilisé pour la fabrication de couches lavables, car très absorbant, etc.).

 

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Structure du bambou (source)

Un “acier vert” ?

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Bambou fendu en deux dans le sens de la longueur
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Détail du rhizome

J’ai été intriguée par le contenu d’une des pancartes où l’on peut lire que la résistance mécanique du bambou serait comparable à celle de l’acier. Deux des caractéristiques botaniques du bambou sont particulièrement intéressantes pour son utilisation comme bois de construction. Tout d’abord, sa tige formée d’un chaume (ou canne) est dite ligneuse. La présence de fibres cellulosiques, extrêmement serrées notamment sur la couche externe du chaume, offre également une grande souplesse. La tige du bambou est creuse entre deux diaphragmes, ce qui donne au bois une grande légèreté. « La lignine est le béton : elle tient les fibres de cellulose en place et les empêche de se déformer. La seule lignine, comme le seul ciment, s’effondrerait sous le poids d’un toit. La cellulose joue le rôle des barres de renfort en acier. La cellulose seule, comme des fers à béton seuls, se tordraient. Ensemble, cependant, la cellulose et la lignine sont une expression inégalée de la magie botanique, le tout étant plus grand que la somme de ses parties. (Professeur Jansen) » Le bambou atteint sa pleine croissance en quelques mois et sa résistance mécanique maximale en quelques années. Actuellement, le bambou est surtout utilisé en milieu rural pour la réalisation d’ossature, de planchers ou de toiture dans la construction légère.

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Sharma Springs, construction en bambou, Bali (source)

Le bambou est-il pour autant un «acier vert»? Dans les années soixante, certaines études ont démontré qu’il pourrait aussi être utilisé comme armature dans le béton. Cela généra un intérêt considérable de la part de la communauté scientifique. Le marché des produits écologiques étant en plein essor, le bambou serait bien accueilli comme substitut à des matériaux industriels comme l’acier. Différents types d’essais (traction, compression et flexion) ont permis de caractériser la solidité et la rigidité d’une espèce de bambou cultivée en France, le Viridi glaucescens. Deux difficultés majeures se sont présentées : le bambou est un matériau hygroscopique. Au moment de la coulée du béton dans le coffrage, il a tendance à gonfler, puis diminue de volume au séchage. Cependant, le béton a eu le temps de durcir et on observe alors une désolidarisation avec les tiges de bambou. En outre, l’adhérence moyenne bambou-béton est relativement faible. Des traitements préalables (séchage prolongé, sablage des tiges, pose d’une couche de bitume) et un choix judicieux des chaumes comportant un nombre important de nœuds permettent d’obtenir de meilleurs résultats. En revanche, pour des raisons vibratoire, acoustique et thermique, le bambou ne peut constituer à lui seul un élément de plancher ou de voile. Dans les pays où il pousse à l’état naturel, des architectes commencent à utiliser ce matériau à grande échelle. Ils développent ainsi les connaissances en termes d’assemblage et permettent de faire avancer la recherche, notamment sur le calcul de structures et le dimensionnement des joints pour inscrire ces constructions dans la durée.

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Temple of NoReligion, Cartagena, Colombie, 2009 (architecte Simón Velez) (source)

Témoignage de Jacques D.

Bonjour Cathy,

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Mialet

(…) Comme tu le sais, je suis en partie originaire de cette région. Le village s’appelle Mialet, à 5 km de la bambouseraie. Tout ce que tu décris sur le Vidourle est vrai pour le Gardon. Il y en a trois, celui de St Jean du Gard, d’Alès et de Mialet. Les années de crues exceptionnelles correspondent, 1902, 1958 et 2002 pour la dernière. Certes l’homme n’arrange rien mais ces “Gardonnades” sont vraiment dévastatrices. Celle de 1958 a vu des maisons anciennes emportées par les eaux, je te joins quelques photos de la maison. Sur la vue ancienne, plus facile à voir, le niveau de la crue a atteint le bas des deux arches.
Un barrage écrêteur de crue était en projet, mais les associations de défense de l’environnement ont fait capoter sa réalisation. Les crues ont un côté bénéfique, elles nettoient les berges et le lit de la rivière. Le Gardon est très fréquenté en été, un barrage aurait refroidi l’eau et donc refroidi aussi les touristes !

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Mialet

La maison (datée de 1680 environ) est un ancien moulin à huile, d’où la digue pour acheminer l’eau sous la maison; l’activité a cessé à la dernière guerre. Ils faisaient aussi des vers à soie, mais il n’y a plus beaucoup de mûriers maintenant. La pièce la plus proche des toits, la “magnaneraie” (magnanerie), servait pour éduquer les vers et aussi sécher les châtaignes. Au début du siècle dernier les vallées étaient encore florissantes avec les nombreuses filatures dans toutes les petites villes cévenoles. L’homme était cultivateur, les femmes et les filles, même très jeunes, étaient “fileuses”. Puis la fibre synthétique de Lyon et du couloir chimique rhodanien ont eu raison des usines cévenoles. (…)

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Mialet

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