- PACA, des côtes aux cimes, Verdon
- PACA, des côtes aux cimes, Serre-Ponçon
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 1
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 2
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 3
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 4
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 5
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 6
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 7
Le second jour de notre séjour naturaliste avec Rando Oiseaux, le temps est pluvieux, il faut sortir des cartons le plan B: ce sera la visite de Briançon. En réalité, sitôt enfilées nos capes de pluie, nous partons plus précisément à la découverte des oiseaux le long des remparts. Nous cheminons sur les fortifications de Vauban qui sont inscrites depuis juillet 2008 sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco aux côtés de onze autres sites français regroupés au sein du Réseau des Sites Majeurs de Vauban. Yves nous fait un petit rappel historique, sans oublier de préciser que l’une des préoccupations majeures de Vauban était d’épargner les vies humaines. Dimitri réussit à faire une photo magnifique d’une couvée d’hirondelles de rocher dont le nid de boue est collé sous la voûte d’un petit tunnel du chemin des Sentinelles. C’est une migratrice partielle, visible en hiver. Elle niche en ville, comme nous pouvons le voir ici. Nous pointons les jumelles sur un moineau cisalpin (parfois hybridé avec le moineau domestique). Ensuite, nous apercevons brièvement un rougequeue, un serin cini, un chardonneret. Au-dessus de nous se dresse une sculpture : La Grande France ou la France. Œuvre d’Antoine Bourdelle, elle se trouve au point culminant de Briançon, sur le fort du Château, et domine la Cité Vauban. Elle est née du désir d’honorer les soldats américains venus au secours de la France en 1917.
Yves connaît bien sa ville, il nous amène en contrebas jusqu’au pont d’Asfeld et cherche dans les falaises un mouvement. Soudain, c’est la touche ! Un tichodrome échelette patrouille dans le canyon de la Durance. En plus, nous aurons le plaisir immense de l’observer longuement car il niche là et approvisionne ses petits. Cela fait dix ans que j’entends parler de cet oiseau sans jamais avoir eu l’occasion de le voir ! Incroyable ! Nous l’avons cherché dans toutes les falaises du Pays basque en vain, et il se trouve ici, quasiment en pleine ville, nichant et se nourrissant dans les falaises qui surplombent le lit du torrent. Nous le voyons prospecter les crevasses de son long bec pour en extraire toutes sortes d’insectes, araignées et autres invertébrés, voletant de son allure papillonnante avec les éclairs rouge vif de ses ailes déployées. Comme il revient périodiquement au nid dans une fente étroite du rocher, nous réussissons même à le voir très grossi à la lunette. Magnifique ! Je ne suis pas bonne pour photographier les oiseaux, surtout en mouvement et si loin, alors je profite à plein de l’observation à l’œil nu et surtout aux jumelles.
Sur le site Orthomedia, je lis qu’en automne et en hiver, il descend parfois en plaine, loin des montagnes : il recherche alors les vieux édifices dans les villes et les villages, dont il fouille les anfractuosités des murs pour y découvrir des insectes. Des oiseaux sont ainsi vus chaque hiver sur des églises, des cathédrales et d’autres monuments de France, semblant fortement apprécier le patrimoine culturel de l’hexagone… Il a déjà été observé par exemple sur la cathédrale de Chartres (Eure-et-Loir) en janvier 1997, sur le Panthéon à Paris durant l’hiver 2003-2004, sur la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers (Deux-Sèvres) de décembre 2008 à mars 2009, sur la cathédrale d’Angoulême (Charente) en mars 2009 ou sur l’église des Riceys dans l’Aube de janvier à mars 2009. Dimitri nous avait signalé sa présence, il y a longtemps, sur la cathédrale de Bayonne. Il dort chaque nuit dans une cavité ou une fissure, souvent la même. Lorsqu’il séjournait sur le Panthéon à Paris, il rejoignait chaque soir un emplacement précis, et des dizaines d’observateurs étaient alors positionnés avec des longues-vues et des jumelles pour assister au “Coucher du Roi”. Un Tichodrome échelette a été découvert à la mi-décembre 2009 sur les remparts du fort du Mont Valérien, dans les Hauts-de-Seine, non loin de Paris: il explorait le long mur de l’enceinte (surtout la partie sud, où les observateurs ont une meilleure visibilité) et les alentours du mémorial (Croix de Lorraine). L’oiseau était souvent vu au pied des remparts.
Nous continuons notre promenade sous la pluie, frigorifiés (mais heureux), puis nous nous arrêtons pour observer l’emplacement du nid d’un hibou grand-duc. Bien sûr, ce n’est plus la saison et les petits se sont déjà envolés. Par contre, comme c’est un animal territorial, sédentaire, il est possible qu’il soit quand même dans les parages. Nous abandonnons notre recherche au bout d’un moment et poursuivons notre chemin quand, soudain, Yves le voit traverser la gorge. Nous nous mettons tous à chercher frénétiquement dans la falaise en face, vers l’endroit où il a disparu, puis nous nous dépêchons de redescendre à notre poste d’observation du tichodrome pour changer d’angle de vue. Au bout d’un long moment, Dimitri finit par le trouver. Quel beau chat !, s’exclame-t-il. Il a l’œil ! Même pointé dans la lunette et avec ses explications pour le voir, nous avons du mal à l’observer. Enfin, avec pas mal de concentration, nous finissons effectivement par reconnaître sa masse sombre dans l’ombre de la roche, avec les deux aigrettes qui pointent de part et d’autre de sa tête comme des oreilles. Il n’a pas l’air du tout d’aimer la pluie et il s’est trouvé là un bon abri sous un auvent. Ce plan B est une réussite ! Deux oiseaux exceptionnels que je n’avais encore jamais rencontrés… Nous sommes congelés, mais… contents !
Remontant vers la ville, nous voyons ramper un très gros escargot coloré. Ressemblant à l’escargot de Bourgogne sous le nom duquel il est parfois mis en vente (pour le manger), c’est en réalité un escargot turc (et des Balkans), Helix lucorum. Introduit en 1883 dans les jardins proches de Lyon, il est resté longtemps cantonné dans ce secteur localisé. Désormais, il est signalé en Haute Provence, dans les Alpes, l’Ariège, l’Aude, le Cantal, le Vaucluse, la Charente maritime et aujourd’hui la Côte d’Or. Il n’est pas encore taxé d’espèce invasive, mais il est tenu sous haute surveillance. Il aurait des capacités supérieures à son homologue français pour grimper des pentes verticales sur de très grandes hauteurs…
Le centre ancien de Briançon a un petit air italien avec ses façades, sa fontaine et ses cadrans solaires | ||
L’après-midi, le temps s’améliore et nous nous rendons par la D35 à la réserve naturelle régionale des Partias, en bordure de la forêt communale de Puy-Saint-André. Elle s’étend sur 685 hectares entre 1600 et 2940 m d’altitude (cime de la Condamine) et elle recèle des milieux très variés: rochers, éboulis, lacs, zones humides, pelouses, combes à neige, landes alpines, mélézins qui favorisent une grande richesse en espèces animales et végétales. Le pastoralisme pratiqué depuis des années permet de maintenir des paysages ouverts. La réserve présente également une grande diversité géologique.
Sur la carte de situation au départ du sentier figure, à la suite du nom Partias, le terme Condamine qui est aussi le nom d’un des pics qui dominent la réserve. Je ne le connais que par l’astronomie, car Charles Marie de la Condamine partit en 1735 mesurer l’arc de méridien à Quito pour contribuer à une meilleure connaissance de la forme de la Terre. Mais dans la langue commune, Condamine , condamina en ancien occitan (XIIe siècle) avec le sens de “terre affranchie de charges” est un terme créé sous la féodalité à partir du latin cum + dominium “propriété commune”. Le mot est resté vivant dans le sud de la France, surtout le sud-est jusqu’au département de l’Aude. Dans la toponymie on le trouve jusqu’en Territoire de Belfort.
Dans les parlers franco-provençaux condemine signifie “prairie appartenant au seigneur”, en dauphinois “terre arable” et en languedocien “bonne terre réservée dans un domaine”. Cela me fait aussi penser au terme condominium qui est, en droit international public, un territoire sur lequel plusieurs États souverains exercent une souveraineté conjointe au terme d’un accord formel. Il y a eu par exemple le condominium anglo-égyptien sur le Soudan (1899-1956). L’île des Faisans, sur la Bidassoa près d’Hendaye, est administrée alternativement par la France et l’Espagne, six mois chacun, depuis le traité des Pyrénées de 1659. Il s’agit du seul exemple actuel de souveraineté alternée sur un territoire.
Comme Cervières avec la station de ski de Montgenèvre, le village de Puy Saint André subit le voisinage encombrant de la station de Serre Chevalier. Ici aussi, c’est grâce à la mobilisation des habitants que ce vallon a été préservé, et tout particulièrement dès 1974 grâce à l’Association des Amis des Combes qui a œuvré pour préserver le vallon des Partias dont la richesse naturelle avait été mise en évidence par l’INRA en 1965. La municipalité de Puy Saint André s’est d’abord prononcée en 1990 pour un classement en réserve naturelle volontaire (RNV), qui a ensuite été convertie en site classé. En 2009, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en accord avec la municipalité et avec le soutien de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), a créé une réserve naturelle régionale. Elle est incluse dans le site classé “Massif du Pelvoux” (pour partie en ce qui concerne le secteur d’extension) et dans le périmètre de l’inventaire ZNIEFF type II “Massif de Montbrison, Condamine, vallon des Combes”. Elle se trouve en limite mais en dehors de l’aire d’adhésion du Parc National des Écrins, et hors site Natura 2000. Enfin, elle se place au sein de la Réserve de biosphère du Mont Viso.
Cette année 2019, elle dépose par anticipation – avant les élections municipales de 2020 – un dossier de demande de renouvellement de classement car le projet prévoit une révision globale de la réserve avec une extension du périmètre en milieu naturel sur le secteur du Rocher Blanc et le déclassement partiel des secteurs à forts usages récréatifs liés au domaine skiable préexistant. Partant du principe que ces pistes et le téléski existent depuis de nombreuses années et que les activités qui s’y déroulent (circulation de véhicules et dameuses notamment, travaux d’entretien d’infrastructures, etc.) sont incompatibles avec la règlementation de la réserve, une réflexion s’est engagée dès 2016 pour résoudre une situation préexistante non compatible avec la réserve. En parallèle, les co-gestionnaires ont travaillé sur une extension de celle-ci afin d’y intégrer des secteurs à fort intérêt environnemental comme le secteur du Rocher Blanc car il s’agit d’une zone refuge pour le Lagopède alpin et la Perdrix bartavelle en hivernage. Au final, le projet prévoit un déclassement sur 12,4 ha (-2%) et une extension de 128,2 ha (+19%), soit une augmentation nette de 115,8 ha (+17%) faisant passer la réserve de 685,9 à 801,7 ha. Le projet de périmètre de la réserve représente 53% de la surface de la commune, contre 45% avec le périmètre actuel.
Les galliformes de montagne (Tétras lyre, Lagopède alpin et Perdrix bartavelle) sont des espèces à enjeu fort pour la réserve, toutes trois nicheuses et en hivernage. Un important travail a été mené sur ces espèces : prospection des zones de reproduction et d’hivernage, protection des zones d’hivernage du Tétras lyre, prospection avec chiens d’arrêt (en 2016), essai de suivi par bioacoustique (depuis 2016). La proposition est donc de fixer dans la réserve une interdiction de la chasse au Tétras lyre et au Lagopède alpin. La marmotte n’est pas chassée sur la réserve, mais éventuellement autour de la cabane de Chavet, hors réserve actuelle et projetée. La proposition est d’interdire aussi la chasse de la marmotte dans la réserve pour l’image envers le public plus que pour l’enjeu écologique. Située dans le Pays du Grand Briançonnais qui a signé un contrat de transition écologique avec l’État, la réserve des Partias est vue de plus en plus comme un territoire d’expérimentation sur la biodiversité alpine et comme outil de résilience des écosystèmes face au changement climatique.
La LPO, dont Yves fait partie, a une compétence montagne. Il nous dit que pour accéder facilement à la réserve (notamment l’hiver, où la route est fermée), il prend les remontées mécaniques de Serre Chevalier. Ensuite, il chausse ses skis de randonnée pour se rendre sur les sites fréquentés par le tétras lyre et le lagopède. A l’époque de la reproduction, la zone de combat se trouve à la limite de la forêt qui jouxte la pelouse alpine. Le tétras se creuse un igloo dans la forêt, mais si des skieurs passent, ils induisent un dérangement nuisible. Yves s’interrompt dans ses explications pour nous montrer un phénomène amusant. Il cueille une campanule, de couleur bleue, et l’approche d’une grosse fourmilière qui ressemble davantage à un tas de brindilles : c’est le domaine des fourmis rousses. Dérangées, elles envoient des jets d’acide formique vers la fleur. Surprise ! Elle change de couleur et vire au rose… Les abeilles viennent se frotter à la surface du nid pour se faire asperger et se débarrasser ainsi du varroa, un acarien parasite originaire d’Asie du Sud-Est et introduit dans le reste du monde par le biais du commerce mondial d’essaims.
Passant devant un conifère, Dimitri nous montre un cône bizarrement coincé dans un creux de l’écorce. C’est la forge du pic épeiche: il extrait ainsi plus facilement les pignons dont il se nourrit. Parfois, il agrandit même le trou pour l’adapter à la bonne taille. Il fait de même avec des noisettes, comme on peut le voir sur la vidéo du site en lien. De temps à autre, nos guides nous signalent la présence (souvent perçue à l’oreille, plus rarement vue) d’oiseaux dans le voisinage: un pouillot véloce, un pinson, un faucon crécerelle, une mésange boréale, un merle à plastron, plusieurs corvidés, un coucou, un pipit des arbres. Ce dernier est connu pour sa jolie parade: il s’envole vers le ciel en pépiant vers les aigus, puis il redescend comme en parachute avec une mélodie qui va vers les graves. Soudain, un chevreuil franchit une clairière et disparaît en quelques bonds. Nous montrant une coulée d’avalanche qui a arraché des arbres, Yves nous apprend que les tétras lyres se sont adaptés : ils ont déplacé leurs igloos sous les cordes qu’il a fallu du coup reculer également jusqu’au bosquet voisin pour protéger l’emplacement. Trois micros ont été posés de façon à couvrir 360 mètres jusqu’aux cordes bleues. L’un d’eux a été subtilisé, c’est malheureux…
Deux petites chouettes de montagne, la Chouette de Tengmalm et la Chevêchette d’Europe nichent dans ou en limite de la réserve. Pour favoriser leur présence, des nichoirs sont placés ici et là. La chouette de Tengmalm est une espèce typique de la taïga. Elle affectionne donc les forêts de résineux, surtout dans le nord de son aire de répartition et dans les zones montagneuses. Elle est inféodée aux vieux peuplements possédant des cavités favorables à la nidification. Elle peut adopter de très jeunes plantations et des boisements secondaires pourvus en nichoirs. Le nid est placé dans un trou d’arbre, souvent une ancienne loge de Pic noir. 59% de la forêt communale de Puy-Saint-André qui bénéficie du régime forestier sont inclus dans le périmètre de la réserve naturelle régionale des Partias, soit 29% de la réserve. Le mélèze domine très largement la proportion des essences relevées en forêt communale. La proportion d’arbres âgés dans le mélézin approche les 40%. D’après les carottages sur tronc effectués par l’ONF (Office National des Forêts), l’âge maximum de ces arbres est de 200 ans. L’existence de la chouette est menacée en raison de la disparition et de la modification des habitats (exploitations forestières, reboisement) et des dérangements dans les lieux de nidification dus notamment au développement des infrastructures touristiques et sportives.
Depuis 1992, la gestion de l’activité pastorale est assurée par l’Association Foncière Pastorale de Puy-Saint-André. L’AFP permet la mise à disposition de foncier privé auprès des agriculteurs. Elle dispose d’une surface totale de 1026 hectares, dont environ 473 ha sont situés dans la réserve naturelle des Partias et en représentent près de 70% de la surface. Yves nous demande de prendre garde en marchant à ne pas écraser de jeunes pins Cembro. Ils ont été plantés en 2012 et 2017 grâce au financement octroyé par un mécène. Ses aiguilles sont regroupées par cinq, chose rare chez les pins. Il pousse très lentement, il lui faut 30 ans pour devenir un arbrisseau de 1,30 m de haut, mais son espérance de vie est de 600 ans avec une taille de 25 m. Le mélézin des Partias, Bois d’en haut et Bois d’aval, est encore relativement jeune. La faible productivité de ces boisements de montagne permet d’envisager une exploitation forestière restreinte à son minimum afin de laisser évoluer la forêt naturellement, voire de favoriser l’évolution vers la Cembraie climacique. A terme, ils provoqueront la fermeture du milieu. La plupart des espèces d’intérêt patrimonial recensées nécessitent une forêt avec de vieux et gros arbres ou des arbres morts, avec une végétation étagée dans laquelle le dérangement est faible. La zone semi-ouverte faisant la transition entre la forêt et les alpages est particulièrement favorable au Tétras lyre (espèce à forte valeur patrimoniale) pour sa place de chant et sa zone de combat.
D’autres oiseaux nous sont signalés: la mésange boréale, le merle à plastron, le coucou, plusieurs corvidés, le casse-noix moucheté inféodé au pin cembro, le pinson des arbres, la grive draine, le grand corbeau. Nous traversons une zone propice pour la perdrix bartavelle. Il y a aussi le monticole et une grande colonie d’hirondelles de rocher, le traquet motteux, le venturon montagnard, le pipit spioncelle, le pipit des arbres…
Je reprends ici les notes que j’ai prises lors d’un diaporama présenté par Yves la veille au soir. En préambule, suite à la balade du jour aux Fonts de Cervières dont nous avons découvert la richesse en orthoptères (du grec orthos, droit, et ptéron, aile), il nous dit qu’il en existe en France 200 espèces : ce sont des insectes qui se caractérisent au repos par des ailes alignées avec le corps (sauterelles, criquets, grillons…). Pour en faire l’inventaire sur une zone donnée, on peut utiliser la technique de la bioacoustique. Elle est déjà couramment utilisée pour les chiroptères (chauves-souris), dont on distingue les espèces avec des capteurs à ultrasons. Pour les galliformes, le comptage s’effectue au printemps. Les effectifs de la gélinotte des bois sont en chute libre à cause de la fermeture des milieux (buissons et forêt). En 1992, des comptages ont été organisés pour l’évaluer. En ce qui concerne le tétras-lyre, le lagopède alpin et la perdrix bartavelle, on procède à un “baguage acoustique”. Yves mentionne le nom du spécialiste français en la matière : Thierry Langagne. Voici ce que je trouve à son sujet.
La bioacoustique constitue une approche intéressante pour travailler sur la biodiversité. Les signaux émis par les animaux peuvent en effet apporter de nombreux renseignements pour leur gestion : outre la présence d’une espèce, elle peut donner l’indication d’une provenance ou de caractéristiques physiques au niveau individuel. Chercheur CNRS à l’université Lyon 1, spécialiste des systèmes de communication chez les animaux, Thierry Lengagne mène des travaux en recherche fondamentale pour étudier par exemple les processus mis en jeu dans la formation des couples chez les amphibiens, mais aussi l’organisation vocale des communautés d’oiseaux tropicaux ou la communication interspécifique chez les passereaux européens. En plus de ce travail, il s’intéresse aux conséquences des activités humaines sur la faune sauvage. Il a ainsi travaillé à Fukushima sur les répercussions des radiations sur la faune. Dernièrement, il a mené plusieurs études expérimentales alliant travail de terrain et travail de laboratoire sur les effets de la pollution sonore générées par le trafic routier sur les amphibiens.
Yves nous dit que cette méthode de comptage acoustique est surtout valable pour dénombrer les mâles. On projette de poser des micros sur les zones de chant de façon à pouvoir assurer à l’espèce une meilleure protection grâce à un meilleur comptage, et donc un meilleur plan de chasse. En 2016, il a été prouvé que c’était techniquement possible. Le problème, c’est le prix: un enregistreur SM4 (Song Meter 4) vaut 1200 €. L’instrument doit être étanche, programmable. Il est fabriqué par Wildlife acoustics. Les places de chant sont différentes pour le tétras lyre et le lagopède alpin. On les appelle des “lek” (du suédois, “reine”). Les lagopèdes sont territoriaux et vivent en couples. Yves se rend à la réserve des Partias pour la pose des micros le 15 avril et vient les récupérer le 10 mai. Pour ce faire, il parcourt de 1000 à 1500 m de dénivelé : il prend les remontées mécaniques, puis chausse ses skis de randonnée pour le reste du trajet. Ce comptage de printemps a été abandonné. Les galliformes nichent au sol dans l’herbe haute: le pastoralisme leur est donc néfaste. D’autre part, si les buissons se multiplient, l’espace tend à se fermer, ce qui nuit également à ces oiseaux.
Yves fait de l’éthologie et il étudie ainsi les déplacements de ces oiseaux: 30 km. Le mâle alpha reste sur place, mais les jeunes se déplacent. Dans la station de ski voisine de Serre Chevalier, une piste installée sur l’ubac a un nom qui rappelle la présence de ces places de chant: la piste rouge “Bois des coqs” qui descend du col de la Ricelle. A l’heure actuelle, cinq coqs isolés chantent encore sur la station. En 2017, 25 enregistrements de 3 heures ont été réalisés sur le “wulu” (onomatopée de leur chant donnée par Yves), un sonogramme en trois morceaux. Ils peuvent être lus et travaillés sur ordinateur avec le logiciel gratuit Audacity. Sur le graphe, on reconnaît l’espèce, mais pas l’individu. “lulu”, “chuintement” sont des sons émis par les oiseaux. Il a été fait appel à la société Nuance Communications pour la réalisation du logiciel. Basée à Burlington, à la périphérie de Boston (Massachusetts), c’est une multinationale américaine fondée en 1994 qui crée et commercialise des logiciels d’imagerie et de reconnaissance vocale pour les particuliers, les entreprises de toute taille, le secteur de la santé, mais également le secteur de la défense et les organisations gouvernementales. Les fonctionnalités phares des produits de Nuance sont la reconnaissance vocale intégrée, la reconnaissance optique de caractères, les solutions d’imagerie de bureau, les systèmes d’orientation des appels (call steering) et les systèmes de transcription médicale.
Nuance Communications utilise le “deep learning” (apprentissage approfondi), terme qui caractérise les plus récents logiciels d’intelligence artificielle, dont les algorithmes permettent à ces ordinateurs d’améliorer leurs résultats – et donc d’apprendre au fur et à mesure de leur utilisation -. Le concept d’apprentissage approfondi a pris forme dans les années 2010, grâce à la convergence de quatre facteurs :
- Des réseaux de neurones artificiels multicouches (eux-mêmes issus entre autres du concept de perceptron, datant de la fin des années 1950) ;
- Des algorithmes d’analyse discriminante et apprenants (dont l’émergence remonte aux années 1980) ;
- Des machines dont la puissance de traitement permet de traiter des données massives ;
- Des bases de données suffisamment grandes, capables d’entraîner des systèmes de grandes tailles.
En octobre 2015, le programme AlphaGo, à qui l’on a “appris” à jouer au jeu de go grâce à la méthode de l’apprentissage approfondi, a battu le champion européen Fan Hui par 5 parties à 0. En mars 2016, le même programme a battu le champion du monde Lee Sedol par 4 parties à 1.