Sommaire
- PACA, des côtes aux cimes, Verdon
- PACA, des côtes aux cimes, Serre-Ponçon
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 1
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 2
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 3
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 4
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 5
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 6
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 7
La vallée suspendue de la Biaysse
Le gouffre de Gourfouran
Ce 18 juillet, cinquième jour de randonnée pédestre naturaliste avec Rando-Oiseaux, Yves choisit de nous emmener dans la vallée suspendue de la Biaysse, un petit torrent affluent droit de la Durance. Nous prenons la route méridionale par laquelle Jean-Louis et moi sommes arrivés à Briançon en venant du lac de Serre-Ponçon. Nous dépassons l’Argentières-la-Bessée, où l’on exploitait du Moyen-Âge jusqu’au début du XXe siècle des mines d’argent, ou plus exactement de plomb argentifère. Le minerai était la galène, un composé cristallisé de sulfure de plomb PbS. L’argent n’y était présent qu’à l’état d'”impuretés”, les teneurs les plus fortes correspondant à 0,6 g d’argent par kilo de galène. Puis nous quittons la route principale non loin du gouffre de Gourfouran.
Il s’agit d’une gorge très profonde et très étroite creusée par le torrent de la Biaysse en moins de 20 000 ans, ce qui est très peu en géologie. Ce “coup de sabre” est dû au fait que le fond de la vallée glaciaire de la Biaysse se trouvait 200 mètres au-dessus du fond de la vallée glaciaire de la Durance, le glacier de la Durance étant beaucoup plus “épais” que celui de la Biaysse. On parle alors de vallée suspendue. Quand les glaciers ont fondu lors de la dernière déglaciation, le torrent a incisé cette énorme marche d’escalier, ce qu’avait peut-être déjà commencé à faire le torrent sous-glaciaire. Cet important dénivelé entre le fond des deux vallées, et la “raideur” de la gorge s’expliquent aussi par le fait qu’il y a juste à cet endroit une puissante barre calcaro-dolomitique du Trias. Nous obliquons vers le village de Freissinières, dont le nom évoque “ces frênes noirs au fond des vallons” et nous remontons le torrent de la Biaysse sur sa rive gauche jusqu’à un parking. Une buse vole au-dessus des prés de fauche arrosés. Yves nous rapporte qu’il a fait un très mauvais temps en mai, ce qui a fait échouer la reproduction des aigles: c’était difficile pour eux de trouver des marmottes sous la neige.
Dormillouse et le protestantisme vaudois
Au départ du sentier, un panneau indique la direction de Dormillouse. Ce fut, nous rapporte Yves, un haut lieu du protestantisme vaudois. Les habitants étaient encore au nombre de 62 en 1901, 35 en 1935, 18 en 1958 et 2 aujourd’hui. Seuls les Enflous, en bas, et surtout Romans, en haut, ont quelque importance. Entre les deux, les autres hameaux sont à peine marqués : la Michelane, Pra Barnéou et les Escleyers, ou plus exactement les Cleyers, ne comportent plus qu’une ou deux maisons, voire seulement des ruines qui ont plus ou moins disparu. On est bien loin des 80 maisons pour 300 habitants de l’optimum du XIXe siècle. Car Dormillouse fut autrefois un village important, avec même une École Normale installée dans la maison du pasteur Félix Neff en 1825. Dans une de ses premières lettres, Félix Neff écrivait :
“Il faut ici tout créer : architecture, agriculture, instruction. Tout y est dans la première enfance. Beaucoup de maisons sont sans cheminée et sans fenêtres. Toute la famille, pendant sept mois d’hiver, croupit dans le fumier de l’étable qu’on ne nettoie qu’une fois l’an. Le pain, qu’on ne cuit qu’une fois dans l’année, est de seigle dur, grossièrement moulu, non tamisé. Si ce pain vient à manquer vers la fin de l’été, on cuit des gâteaux sous la cendre, comme les Orientaux…
L’œuvre d’un évangéliste dans les Alpes ressemble beaucoup à celle d’un missionnaire chez les sauvages ; car le peu de civilisation que l’on trouve dans ces lieux est plutôt un obstacle qu’un secours. De toutes les vallées que je visite, celle de Freissinières est, sous ce rapport, la plus reculée ; […]. Les femmes y sont traitées avec dureté, comme chez les peuples encore barbares ; elles ne s’asseyent presque jamais ; elles s’agenouillent ou s’accroupissent où elles se trouvent ; elles ne se mettent point à table et ne mangent point avec les hommes ; ceux-ci leur donnent quelques pièces de pain de pitance par-dessus l’épaule, sans se retourner ; elles reçoivent cette chétive portion en baisant la main, et en faisant une profonde révérence…
Dans ces tristes contrées, on ignore entièrement le soin des malades ; s’ils se relèvent, ce n’est que la Providence toute seule qui les guérit, car on ne leur donne pas même à boire, si ce n’est quelquefois du vin. Rarement ont-ils le bonheur qu’on leur accorde de l’eau froide. Je fis de la tisane à cette pauvre femme, qui est mère de six petits enfants, et je la veillai cette nuit-là pour lui en donner ; elle avait trop de fièvre pour supporter la conversation ; je ne pus parler de rien.”
Des vestiges du village, il ne reste que le temple, construit au XVIIIe siècle, et l’école, transformée en gîte. Sa fermeture en 1944, faute d’élèves en nombre suffisant, précipita le départ des dernières familles autochtones et figea le village en l’état. Aucun projet de route ne fut repris après les deux échecs des années 1930. Le temple, accolé à l’école, construit en 1760, fut d’abord une chapelle catholique avant de devenir protestant. Très simple à un vaisseau avec une voûte en berceau et un cul-de-four, il comporte un petit campanile en charpente au dessus de la façade. La gravure de William Henri Bartlett qui représente l’ensemble date de 1838, elle est tirée de The Waldenses or Protestant Valleys of Piedmont, Dauphiny and the Ban de la Roche de William Beattie. Aujourd’hui le tourisme redonne un peu de vie à Dormillouse, devenu emblématique grâce à sa position dans la zone centrale du Parc National des Écrins. Plusieurs maisons ont été restaurées, deux habitants y résident à l’année, le gîte de l’École y accueille les randonneurs. En attendant le câble télé-porteur espéré par les habitants depuis des lustres, le gros du ravitaillement est effectué par hélicoptère deux fois par an.
Les papillons de l’adret
Alors que nous nous tenons encore près des voitures, Yves nous désigne un buisson d’épine-vinette, aux fruits en gouttes. Comme la prunelle dont on fait le patxaran, le fruit se cueille après les premières gelées qui le rendent blet pour en faire des confitures. Cette plante a longtemps fait partie de nos haies bocagères, tout comme l’aubépine, le fusain, l’églantier, la viorne obier… Sa quasi éradication au XIXe siècle tient au fait qu’elle est un vecteur de la rouille noire, un champignon qui s’attaque aux cultures de céréales. Sur l’adret du vallon, le chemin bénéficie d’un maximum d’ensoleillement tout en étant très abrité par les hauts reliefs qui encadrent la gorge. Tout le temps de la balade, ce sera un festival de papillons et d’autres insectes sur une végétation encore très fleurie en cette mi-juillet. Nos guides ont du pain sur la planche pour tenter de mettre un nom sur toutes ces espèces aux couleurs rutilantes. Parfois, ils hésitent, car la différenciation peut ne jouer qu’à quelques détails infimes, la taille ou la position d’un motif alaire, les dimensions de l’insecte, la forme des ailes… Quant à moi, je me contente de noter les noms, entièrement sous le charme de cette nature foisonnante.
L’hespérie sylvaine et les adélides
Le site toujours excellemment bien documenté d’aramel fournit quelques informations sur l’hespérie sylvaine (qui a changé plusieurs fois de noms spécifiques : sylvanus, faunus puis venatus…) . Ce sont des Rhopalocères (papillons diurnes) à caractères primitifs : au repos, les ailes antérieures sont en position verticale (redressées comme les papillons de jour) et les ailes postérieures sont à l’horizontale (comme les papillons de nuit). Sur la photo où il est enfermé à plat dans le sachet transparent et sur la photo ci-contre, on voit bien la tache androconiale noire oblique antérieure (assortie de poils androconiaux) : ces androconies émettent des phéromones sexuelles attractives.
Quant aux adélides, une autre page du même site d’aramel signale leurs principales caractéristiques : ils ont des antennes simples atteignant chez certains quatre fois la longueur du corps, surtout chez les mâles, et ils déploient une activité diurne en voltigeant en “essaims” comme beaucoup de Diptères dans les allées des bois… La coquille d’or trouvée en train de butiner sur une fleur du chemin a ses ailes marquées d’une raie transversale jaune vif. Les autres adélides photographiés n’ont pas été identifiés.
Sur la liste rouge
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est une des régions de France métropolitaine dont la biodiversité est la plus riche, ceci en raison de la combinaison des influences méditerranéenne et alpine sur son territoire. Selon les groupes biologiques considérés, la région abrite de 50% à plus de 90% de la totalité des espèces connues en France métropolitaine. La région porte une responsabilité nationale et même européenne pour la conservation des peuplements de papillons de jour. En effet, avec 218 rhopalocères et 36 zygènes recensés, ces lépidoptères représentent 85% des espèces françaises (257 espèces de rhopalocères et 40 zygènes en France), et 45% des espèces européennes (selon Fauna Europaea: 489 rhopalocères et 67 zygènes).
La liste rouge des espèces menacées est l’outil de référence pour évaluer le risque d’extinction des espèces. Elle a été développée au niveau mondial par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), pour répondre au problème majeur de dégradation de la biodiversité que représente la disparition des espèces. Une liste rouge vise à dresser un bilan objectif du degré de menace à l’échelle du territoire considéré et pour le groupe taxonomique étudié (plantes vasculaires, libellules, papillons de jour, oiseaux, etc.).
La liste rouge des papillons de jour pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a été établie selon la méthode préconisée par l’UICN. Le bilan s’établit comme suit: 2 espèces disparues au niveau régional, 3 en danger, 12 vulnérables, 15 quasi menacées, 11 aux données insuffisantes, 209 de préoccupation mineure. Ainsi, 17 espèces sont menacées ou éteintes en PACA, soit un pourcentage de 6,7 %. Ce résultat est très proche de celui obtenu à l’échelle de la France métropolitaine; mais il faut noter qu’il est largement inférieur aux autres régions françaises bénéficiant de listes rouges établies selon la même méthodologie. L’analyse révèle que les espèces menacées de disparition en région Provence-Alpes-Côte d’Azur concernent tous les domaines biogéographiques et des types d’habitats variés, illustrant que les perturbations d’origine anthropique sont multiples.
En effet, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur présente un très fort taux d’urbanisation sur le littoral et en plaine, qui remonte jusque dans les vallées des Hautes-Alpes. C’est probablement la région française qui a connu les bouleversements sociaux-économiques les plus marqués depuis 60 ans, avec une augmentation de la population de l’ordre de 73% depuis 1962, progression la plus forte en France. Cet état de fait se traduit par la régression d’espèces, notamment celles associées à des habitats littoraux ou aux zones humides, ces dernières ayant déjà fait l’objet de dégradations au cours du siècle précédent. Dans les plaines alluviales du Rhône et de la Durance, c’est l’agriculture intensive et chimique, dite “conventionnelle”, qui contribue le plus à appauvrir ces territoires. Ces pratiques uniformisent les paysages, réduisent la diversité des biotopes, et dispersent des pesticides. Les conséquences néfastes de la pollution chimique sur les communautés de lépidoptères sont d’autant plus grandes que ces territoires sont fortement soumis au mistral.
Les habitats couvrant les reliefs ont également fait l’objet de profondes modifications. Le spectaculaire recul du pastoralisme sur les collines et moyennes montagnes a entraîné la fermeture généralisée des milieux, diminuant d’autant les milieux ouverts et leur capacité d’accueil. En haute montagne, c’est la concentration des troupeaux de brebis et leur arrivée plus précoce sur les alpages qui dégradent les pelouses subalpines. A contrario, les reliefs escarpés et peu valorisables économiquement représentent une défense naturelle en région PACA, à condition qu’ils ne soient pas recouverts par des plantations de résineux exogènes. Les menaces liées au changement climatique global se précisent sans qu’il soit encore possible d’évaluer exactement leur degré d’implication. Mais il est admis que ce facteur participe désormais à la raréfaction de plusieurs espèces se trouvant en limite d’aire méridionale en Provence ou dans les Alpes du Sud. Les origines biogéographiques des 17 espèces menacées ou disparues sont majoritairement méditerranéennes (8 espèces). Les autres espèces menacées sont d’affinités euro-sibériennes (3 espèces), alpines (3 espèces) ou propres à la zone tempérée (3 espèces).
Oiseaux de la Biaysse
Les falaises ont été taillées par la glace et les eaux torrentielles venues des hautes vallées pour rejoindre la Durance. La lente érosion a fini par décrocher des blocs et de la pierraille qui s’amoncellent au pied des parois en grands cônes d’éboulis. Les gorges forment d’étroits corridors écologiques qui relient le milieu de haute montagne et celui presque méditerranéen de la vallée de la Durance. Le pin sylvestre se développe volontiers sur sol siliceux, il s’accommode bien de conditions difficiles et contribue à fixer les sols instables. Il abrite peu d’espèces animales, mais certaines sont rares et menacées (papillon isabelle). L’hirondelle des rochers est strictement inféodée aux milieux rupestres, tandis que l’hirondelle de fenêtre, plus éclectique, trouve là un milieu plus naturel que les villages où elle niche. Le hibou grand duc d’Europe fait retentir le houhou bas qui trahit sa présence dès la fin de l’hiver. Ce super-prédateur peut même s’attaquer au faucon pèlerin, allant jusqu’à l’éliminer de la falaise. Ce n’est pas le cas aujourd’hui dans ce vallon de la Biaysse: Dimitri nous signale un faucon pèlerin femelle qui crie en volant, une proie dans ses serres. Un faucon crécerelle vole plus bas. Le martinet à ventre blanc fonce dans l’air chaud en gobant au passage les insectes oubliés par les hirondelles.
Le fourmilion
Nous recentrons notre attention sur d’autres espèces de papillon rencontrées en chemin: le nacré porphyrin (orange à motifs noirs), le tabac d’Espagne (un grand papillon orange à motifs noirs, très présent sur le site), la zygène transalpine (?), la grande coronide (brun foncé), la piéride de la moutarde, le moyen nacré (orange-jaune à motifs marron-noir), également doté d’androconies, une mélitée (orange à motifs bruns), un fourmilion. Celui-ci ressemble, à l’état adulte, à une libellule. Il s’en distingue néanmoins aisément par la présence d’antennes en massues bien développées, et par la conformation de ses ailes. Ces dernières sont très grandes, densément nervurées (un peu à la manière d’une résille), et l’apex est pointu. Au repos elles recouvrent en outre l’abdomen à la manière d’un toit, alors qu’elles restent horizontales ou sont accolées face à face chez les Odonates, autrement dit les libellules. Pour finir ces dernières sont diurnes alors que les fourmilions sont eux crépusculaires, voire plus ou moins nocturnes. Dans la mesure où ils affectionnent les buissons et les grandes herbes pour leur repos diurne, il arrive parfois de les y déranger et de les voir prendre un très bref et piteux essor, tant leur vol apparaît mou et peu assuré en regard de celui des libellules, y compris des espèces les moins “douées”.
Ces Névroptères sont surtout connus par leurs larves qui, pour la plupart des espèces, creusent de très typiques entonnoirs qui s’avèrent d’astucieux et redoutables pièges pour les menus insectes, et notamment pour les fourmis (d’où les noms vernaculaires de fourmilion, ou de fourmi-lion). Ces entonnoirs sont généralement creusés là où la granulométrie du substrat est fine. De ce fait les zones sablonneuses sont particulièrement prisées, et à titre d’exemple ces insectes sont très fréquents dans les clairières, talus, et grandes allées ensoleillées des pinèdes du littoral atlantique. On peut cependant rencontrer des fourmilions en bien d’autres lieux, mais leur présence est toujours subordonnée à l’existence d’un substrat suffisamment fin et fluide pour que les larves puissent y creuser leurs fameux entonnoirs.
Globalement ovoïde et très trapue, la larve du fourmilion atteint le centimètre. La tête est relativement petite, plate, et allongée. Elle est dotée de mandibules très longues, fortement denticulées, et les extrémités recourbées en crochets sont particulièrement acérées. En outre ces mandibules sont canaliculées, ce qui permet à la fois d’injecter des sucs digestifs, et bien sûr de réabsorber le tout après liquéfaction des tissus de la victime. Une fois cette dernière littéralement vidée de toute substance, la dépouille est rejetée à l’extérieur de l’entonnoir.
Une jolie pyrale: le ptérophore
Une russule (champignon à lamelle) pousse à l’ombre de la végétation buissonnante. Parmi les fleurs, on nous désigne la coronille bigarrée (fleurs bicolores aux pétales roses et blancs), la mélitte à feuille de mélisse (c’est une grande labiée), un laser (grande ombellifère dont je remarque à chaque fois la forme originale des grosses graines). Haut dans le ciel planent les vautours fauves, tandis que les hirondelles patrouillent d’un bord à l’autre de la gorge. Orientée est-ouest, la lumière y pénètre de plus en plus au cours de la journée.
De nouveau nous nous tournons vers notre environnement immédiat. Nous attrapons (Dimitri et Yves attrapent) encore des papillons: le fadet des garrigues (jaune pâle à motifs noirs), un ptérophore, curieux petit papillon aux ailes divisées et plumeuses, à la silhouette en croix. Il appartient à la famille des “Pyrales” qui renferment, avec les Tortricoïdes, les 9/10 des espèces mondiales nuisibles à l’agriculture; c’est un groupe important par le nombre d’espèces (plus de 10 000) et les dégâts causés : ce sont des ravageurs des Graminées (Poacées) cultivées comme le maïs, la canne à sucre… et des farines, des denrées entreposées et des fruits secs (Ephesties, Plodies, Alucites…); elles sont souvent appelées “Mites” (mites du blé, mites grises de la farine) ou “Teignes” (teignes de la farine, fausses teignes de la cire…). Elles sont souvent cosmopolites : il existe des ravageurs mondiaux comme la Pyrale du maïs ou de la farine; certains de ces insectes nocturnes ou crépusculaires semblent avoir un “museau” à cause des longs palpes pointés vers l’avant. Chez les Ptérophores, les ailes sont très divisées longitudinalement et plumeuses. Ces derniers n’ont pas d’importance économique.
Coléoptères
Clytres
Un œil inattentif aurait jugé que nous étions face à une coccinelle orange. Mais non, cette forme allongée, cette couleur jaune, ces six points montrent qu’il s’agit d’un clytre, de la famille des chrysomèles. Les Clytra vivent dans les endroits humides, sur les feuilles de saule, d’osier, les fleurs de sureau… Est-ce un Lachnaia sexpunctata avec une forte pilosité blonde antérieure, ou un Lachnaia italica ssp. italica, de 9 mm, à la pilosité réduite sur la tête et le pronotum (le disque en est dépourvu) ? Sur ma photo zoomée, je distingue une pilosité blonde, mais rien à voir avec celle de l’hespérie sylvaine, par exemple. Qui plus est, l’italica a plus de probabilité de se trouver dans le sud-est de la France, alors que la sexpunctata n’y est pas mentionnée. En outre, j’opte pour un mâle, car les pattes avant me semblent très développées. Dans le cadre d’une étude d’impact commanditée par RTE, le Réseau de transport d’électricité, avant d’entreprendre des travaux en Haute Durance dans les Hautes Alpes, je lis sur l’inventaire des espèces que cette chrisomélidae (L. italica) est bien présente dans ce secteur. Les adultes se nourrissent principalement sur les Rosaceae (ronces, framboisiers…) et les Fagaceae (châtaignier, hêtre, chêne…). Les larves vivent dans les fourmilières de la fourmi rousse des bois (Formica rufa), se nourrissant de détritus végétaux. Le site d’aramel mentionne ce comportement myrmécophile pour trois espèces: le “Clytre lustré” ou “Clytre du saule” (Clytra laeviuscula), Clytra quadripunctata et Lachnaia tristigma. En voici la description:
“La femelle de Clytra laeviuscula pond à proximité d’une fourmilière de Formica rufa. Elle entoure ses œufs d’excréments et de sécrétions diverses qui leur donnent un aspect particulier en “cône de pin”. Cela attire les fourmis qui les emportent dans la fourmilière, pensant peut-être les utiliser comme matériaux de construction. Comme beaucoup de clytrines, la larve du clytre est protégée par un fourreau (statoconque) constitué de débris, d’excréments et de terre, qu’elle agrandit avec ses propres excréments. Demeurant à l’intérieur de la fourmilière, elle se nourrit de débris végétaux et probablement d’œufs et de larves de fourmis. En cas d’attaque par celles-ci, elle se retire dans son fourreau dont elle ferme l’entrée avec sa tête tronquée qui sert de bouclier. Comme pour les chenilles de l’azuré du serpolet, on peut donc parler de myrmécophilie.”
Capricornes: lepture et chlorophorus
Les numéros 83 et 84 de la Hulotte sont consacrés, nous signale Dimitri, aux insectes sur les ombellifères. Nous en voyons toute une ribambelle, dont le lepture (longicorne, capricorne) qui appartient à la famille des Cérambycides. Les imagos (adultes) ont de longues antennes insérées dans une échancrure des yeux. La taille de celles-ci atteint au moins la moitié de celle du corps mais elles peuvent être aussi bien plus longues chez certaines espèces. C’est dans cette grande famille que l’on trouve la plus importante variation de taille du corps chez une espèce donnée : en effet, elle est fonction de la qualité de la nourriture ingérée (on peut trouver des individus variant en taille du simple au triple !). Beaucoup sont xylophages ou saproxylophages (consommateurs de bois mort ou vif), surtout aux stades larvaires, mais certains adultes sont floricoles; ils sont souvent très grands et magnifiquement colorés et font l’objet d’un trafic commercial spéculatif dans certains pays… Ils ont un système sensoriel qui leur permet de détecter les types d’essences forestières et les sujets affaiblis (lorsqu’ils sont xylophages) : les longicornes inféodés aux conifères le sont grâce à la reconnaissance du mannose et des terpènes des gymnospermes (chez les angiospermes, le sucre est le xylose). Beaucoup d’imagos de nos régions sont floricoles (ils se nourrissent de nectar) et sont actifs en plein soleil sur les Apiacées et Astéracées (Lepturines).
Coévolution des coléoptères et des champignons
Sur mes notes, je lis deux noms: cryptoporus et chlorophorus. Le premier est un champignon, le Polypore à volve ou champignon “petite bouchée” (Cryptoporus volvatus). Classé “sans intérêt à la rubrique “Comestibilité”, il est assorti d’un commentaire intéressant sur la base de données mycologique. “Nous l’avons toujours trouvé hébergeant des coléoptères xylophages (Scolytinae) dans la crypte, qui semblent se régaler de l’hyménium, à en juger par le vacarme que font leurs mandibules la nuit suivant la récolte et sur les tables d’exposition. Transformée en mangeoire dès que l’ouverture le permet, la résonance semble être très amplifiée par la cavité, tendue d’une membrane souple comme une peau de tambour (une vraie membrane de stéthoscope !). Le champignon semble étroitement associé à ces insectes qui creusent des galeries, provoquant la “carie blanc-grisâtre de l’aubier”. Ils facilitent certainement la propagation du mycélium, l’ouverture de la crypte coïncidant avec la maturité des spores.” Quant aux chlorophorus, ce sont des insectes de la famille des Cérambycides ou “longicornes”, sous-famille des Clytines. On trouve plusieurs espèces de chlorophorus dont les larves polyphages vivent sur ou dans différents arbres et dont les adultes sont floricoles. Les genres Clytus et Plagionotus ont des larves xylophages dans les bois morts. – Clytine importé de Chine (sur bambou), Chlorophorus annularis, d’environ 18 mm, est arrivé en Europe dans les années 2000. On le trouve sur la canne de Provence, le maïs…
Un article du journal international Mycology intitulé “Fungivory and host associations of Coleoptera” (Fongivores et associations d’hébergement des coléoptères). Les champignons (Fungi) et les coléoptères font partie des organismes hétérotrophes qui ont le mieux réussi sur le plan de l’évolution et de la diversification. Grâce à leur capacités adaptatives uniques, champignons et coléoptères occupent de concert des habitats terrestres variés et interagissent ensemble depuis au moins cent millions d’années (à l’ère géologique de l’Albien selon une découverte dans de l’ambre en France en 2010). En plus de leurs relations commensales et mutualistes, des interactions de lutte engagent des agresseurs des deux côtés, comme les champignons entomopathogènes et les coléoptères fongivores. La consommation de champignons, plus généralement combinée avec la saprophagie et la xylophagie, sont une caractéristique commune à de nombreuses familles de coléoptères. La consommation de champignon se produit en même temps que celle du substrat du bois. La perte et la fragmentation d’habitat met en danger la stabilité des systèmes champignon-insecte: le taux de colonisation des fongivores est affecté par la distance à laquelle se trouve une réserve de forêt ancienne.
Dans le monde d’après-guerre, la tradition des recherches en histoire naturelle était encore vivace. Par exemple, Benick (1952) rapporte que Polyporus squamosus héberge 246 espèces de coléoptères ! Ce chercheur a étudié 1116 espèces (32 004 spécimens) de coléoptères fongicoles du nord de l’Allemagne. Puis, à l’exception du bloc soviétique, ces recherches tombèrent en désuétude au bénéfice d’études écologiques moins généralistes. A partir des années 1960, dans les études écologiques champignon-insecte, les descriptions et les observations furent progressivement remplacées par des expérimentations destinées à tester des hypothèses écologiques spécifiques. Elles se centrèrent sur une espèce déterminée de champignon ou de coléoptère. Les années 1990-2011 marquent le boom européen du bois mort. A la fin du XXe siècle, les coléoptères fongivores devinrent un sujet d’étude populaire dans le domaine de l’écologie de population et mathématique. Dans le même temps on démontra la valeur du bois mort comme un habitat propice à une très grande biodiversité. Plusieurs études se sont centrées sur quelques champignons très répandus ou visibles, comme par exemple Cryptoporus volvatus. Parmi les découvertes notables de la période, on relève l’influence directe des caractéristiques forestières et des activités humaines sur la présence et le nombre d’espèces de coléoptères chez les polypores. Le rôle de plus en plus important attribué aux organismes associés au bois mort ou saproxyliques dans la conservation biologique et l’amélioration du flux de l’information par le biais d’Internet ont engendré un récent pic des recherches dans ce domaine.
Mordelle, tipules, clairon des abeilles
A côté de la lepture se trouve une mordelle. De la famille des Hétéromères, ce sont les seuls coléoptères à savoir à la fois voler et sauter. Ils se caractérisent par un abdomen caréné en dessous qui se termine en pointe aigüe dépassant les élytres. Les tipules, de très grands moustiques à très longues pattes (Ctenophora), sont aussi appelés “cousins”. Les “cousins” sont des insectes totalement inoffensifs, du moins pour l’homme et les animaux, car à l’état larvaire ils sont très polyphages et certaines espèces peuvent s’avérer préjudiciables à toutes les formes de cultures, qu’elles soient fourragères, vivrières, potagères, ou encore ornementales à l’instar des pelouses. Par-delà la potentialité de leurs nuisances, les Tipules (tant à l’état adulte que larvaire), représentent une véritable manne pour de nombreux animaux, à commencer par les oiseaux et les batraciens. Par ailleurs ces insectes sont plus ou moins détritiphages et contribuent efficacement à la génération de l’humus (dégradation des feuilles mortes par exemple), mais aussi à l’aération des sols et à leur fertilisation. Les espèces qui figurent sur le site d’aramel ont un faux air de guêpe avec les antennes des mâles pectinées (3 ou 4 branches par article) et des larves qui vivent dans le bois pourri. Le clairon des abeilles (Trichodes apiarius) est sans doute le plus fréquent des Cleridae. Il se développe aux dépens des nids et ruches d’abeilles sauvages (Osmies, Anthophores, Megachiles), ses larves y dévorant le couvain, autrement dit les larves et nymphes des insectes parasités. Les abeilles domestiques sont en principe épargnées, mais le mauvais état des colonies ou des installations peut semble-t-il favoriser des attaques ponctuelles du parasite. Les Trichodes adultes se rencontrent fréquemment sur les fleurs, et notamment sur celles des ombellifères. Ils s’y gavent de pollen, mais à l’occasion ils peuvent croquer quelques menus insectes, histoire d’améliorer l’ordinaire.
Cétoine dorée
Une cétoine dorée occupe seule une ombelle. Les cétoines sont des Coléoptères qui appartiennent à la très grande famille des Scarabéidés. De nombreuses espèces sont floricoles et héliophiles (aimant les fleurs et le soleil), mais d’autres ne quittent guère les hautes frondaisons où elles recherchent les suintements issus de plaies ou de maladies. Ces insectes sont très prisés des collectionneurs, car beaucoup sont très vivement colorés, et par ailleurs les espèces exotiques comptent parmi les plus gros coléoptères connus. A titre d’exemple le Goliathus giganteus africain peut dépasser les 10 cm pour une largeur avoisinant la moitié de sa longueur. En France les cétoines sont d’une taille nettement plus modeste, puisqu’elle est comprise entre 1 et 3 cm selon les espèces. La plus connue et répandue de notre faune est la cétoine dite dorée. La cétoine dorée est parfois appelée “hanneton des roses”, eu égard au fait qu’elle affectionne ce type de fleurs, et même un peu trop aux dires des rosiéristes qui la considèrent souvent comme nuisible, car elle “mâchouille” plus qu’elle ne butine, ce que la délicatesse de la fleur n’apprécie guère.
Hors de nos parcs et jardins la cétoine dorée se rencontre le plus fréquemment sur les chardons et les inflorescences d’ombellifères, mais aussi sur les fleurs du sureau, de l’aubépine, et bien sûr de l’églantier (rosier sauvage). La larve de cétoine dorée est dite saproxylophage car elle se développe dans les bois très décomposés, les terreaux, les composts (c’est une auxiliaire du jardinier). Trois années semblent nécessaires à son développement complet. Autrefois l’espèce était commune partout, y compris en milieu urbain. Elle s’est globalement raréfiée, notamment sous l’effet des multiples biocides répandus dans notre environnement. Un certain “renouveau” de l’espèce est toutefois observable, notamment en milieu péri-urbain, compte tenu de la pratique quasi généralisée du jardinage (qu’il soit d’agrément ou utilitaire). Suite à la fréquente élimination des gîtes larvaires conventionnels (souches, bois morts, etc.) la bestiole s’est en effet reconvertie dans le compostage bio à domicile… Encore faut-il que le jardinier prête vie à une larve trop souvent confondue avec celle du hanneton !
Une biodiversité foisonnante
Poursuivant notre promenade, nous découvrons de nouveaux papillons: un thècle du frêne, l’ascalaphe (qui hésite entre la libellule et le papillon), un très joli argus bleu céleste, un azuré Escher femelle (moins coloré que le mâle), une zygène de la bugrane (z. hilaris), une zygène de la filipendule, une hespérie de la houque, un géomètre à barreaux (sur fabacée, ici un trèfle), des soufrés (grands papillons jaune pâle très pressés). Nous assistons à un accouplement de coronides, puis nous observons un argus bleu nacré femelle, un cuivré mauvin mâle. Dimitri nous montre une sésie – un microlépidoptère -. La mouche à scie (tenthrède) n’est pas une mouche, puisqu’elle a quatre ailes. Sa larve est une fausse chenille car elle est dotée de 6 à 9 paires de pattes-ventouses abdominales (alors que les vraies chenilles n’en possèdent au maximum que 5 paires). Bien qu’ils soient dépourvus de “pétioles” (fin segment reliant le thorax à l’abdomen), et qu’ils soient donc privés de la fameuse – et enviée – “taille de guêpe”, certains de ces Hyménoptères primitifs rayés de noir et jaune peuvent être confondus avec des guêpes. La scie, c’est l’ovipositeur qui permet tout à la fois d’inciser le végétal, d’y déposer les œufs au fur et à mesure, et de colmater l’ouverture avec une sécrétion ad hoc. La mouche asile (grande et velue), est une prédatrice d’insectes, dont les papillons.
L’aspect de la trichie fasciée hésite entre le bourdon et le coléoptère, c’est pourtant bien un scarabée. Le grand nacré, le beau tabac d’Espagne, tombent encore dans les filets de nos guides. A la volée, Dimitri attrape un taon. Souvent, nous n’avons pas sitôt vu la bête sur notre peau que nous l’écrasons, si bien que jamais nous ne l’observons. Il nous fait remarquer qu’il peut le tenir tranquillement entre ses doigts. En effet, il pique pour se nourrir de sang et non pour se défendre, contrairement aux abeilles ou aux guêpes par exemple. Là, coincé délicatement pour ne pas l’écraser, il reste placide et n’est pas agressif. Pour la première fois de notre vie, nous prenons le temps d’admirer ses très beaux yeux verts à facettes… Nous croisons une zérène du groseillier, un beau papillon blanc à motifs noirs et jaunes. Parmi les fleurs, Dimitri nous désigne la gentiane de la croisette, la valériane, la gentiane asclépiade (à ne pas confondre avec la campanule en épi) et, parmi les orchidées, une épipactis, un orchis moucheron et un dactylorhiza aux feuilles tachetées. Il y a aussi un bolet de Satan.
La Grande Queue-fourchue
Alors que nous reprenons la route, Dimitri pousse un cri et gare la voiture en urgence sur le bas-côté. Comme d’habitude, il reste en permanence attentif à son environnement, même lorsqu’il conduit. Son œil de lynx nous étonne une nouvelle fois : au milieu de la route rampe une chenille très originale. Certes, elle est grande et grosse, mais sa taille n’a rien à voir avec celle d’un crapaud ou d’un hérisson par exemple. Qu’a-t-elle donc de spécial ? Il nous montre sa queue fourchue qui lui a donné son nom “Grande Queue fourchue” (Cerura vinula, famille des Notodontides). Il s’agit de fausses pattes anales transformées en appendices extraordinaires, longs et grêles, avec des filaments mobiles rouge vif. Elle a une peau glabre, épaisse, faisant penser à du cuir ou du caoutchouc, aussi bien à la vue qu’au toucher. Pour la montrer en position plus naturelle, il la pose sur une brindille où elle avance sans cesse. Lorsqu’il la titille un peu, elle se retourne à la vitesse de l’éclair et lui crache dessus ! (enfin, sur sa main, pas dans ses yeux, heureusement !) Il s’agit d’acide formique dont nous humons l’odeur de vinaigre. Elle s’est mise aussitôt en position de défense, la tête rentrée dans sa peau comme un bouchon dans un tube. Elle a été surnommée Harpie en raison de son caractère irascible. C’est la chenille à son dernier stade (le quatrième) avant sa transformation en un papillon de nuit blanc et gris assez joli, mais beaucoup moins spectaculaire. Elle vit dans les saules et les peupliers.
L’araignée-crabe
Je fais un dernier arrêt sur une petite araignée blanche, appelée l’araignée-crabe. C’est peut-être le thomisus onustus, à l’abdomen plutôt triangulaire, ou plus probablement la thomise variable (Misumena vatia). Son surnom est dû à la longueur plus importante des deux premières paires de pattes. Elle ne tisse pas de toile pour piéger ses proies. Elle est certes pourvue de filières, ces organes qui permettent la production de la soie et qui sont situés à l’extrémité postérieure de son abdomen, mais elle s’en sert uniquement pour fuir “en rappel” en cas de danger. Elle chasse à l’affût, attendant le passage d’un insecte pollinisateur sur lequel elle referme ses deux premières paires de pattes allongées comme les deux mors d’une pince. La proie est ensuite tuée par une injection venimeuse après que l’araignée y ait planté ses chélicères. Elle consommera ensuite les liquides extracellulaires de sa capture pendant plusieurs heures avant de n’abandonner qu’un cadavre sec.
La capacité de Misumena vatia et d’autres araignées-crabes à changer de coloration en fonction de la fleur qu’elle a choisie pour chasser n’a cessé d’intriguer les biologistes depuis le début du XXe siècle. L’animal est en effet capable, en quelques jours, de virer du blanc teinté de rose au jaune, et inversement. Dès 1941, Weigel, un biologiste allemand avait remarqué que les araignées-crabes dont les yeux étaient recouverts de peinture noire n’étaient plus capables de changer de couleur. De même, il a été montré que la lumière réfléchie par l’environnement immédiat de la fleur influençait la couleur de l’animal. Enfin, les propriétés de la rétine des quatre paires d’yeux de Misumena vatia ont été étudiées: l’araignée dispose de l’équipement rétinien nécessaire à la vision dichromatique (dans le vert et l’ultraviolet). Il semble que des stimuli visuels influent sur ses talents mimétiques.
La coloration jaune est due à la présence de pigments appelés ommochromes. Ce sont des produits terminaux du métabolisme du tryptophane (un acide α-aminé). Ils peuvent être excrétés ou bien stockés par les Arthropodes. Dans le cas de l’araignée-crabe, on constate la présence de nombreux progranules translucides contenant les précurseurs des ommochromes dans les cellules de l’épiderme, juste sous la cuticule, lorsque l’araignée présente une coloration blanche. Ces progranules sont sécrétés par un réticulum endoplasmique granuleux très dense dans ces cellules. Le passage à la couleur jaune correspond à une maturation de ces progranules en granules d’ommochromes toujours à l’intérieur des cellules épidermiques. Le retour à la coloration blanche met en jeu l’autolyse des granules matures ainsi que le recyclage des composés par autophagie au niveau des cellules épidermiques, puis la synthèse de nouveaux progranules translucides.
Le positionnement des araignées-crabes sur les fleurs ne semble pas être aléatoire. Par exemple la thomise Thomisus spectabilis (une espèce australienne) ne se positionne en général pas au centre d’une Astéracée de type marguerite ou pâquerette. Au contraire, l’araignée demeure à l’affût au niveau des fleurs ligulées blanches. Des tests ont montré qu’une inflorescence portant une araignée en son centre est moins visitée par les pollinisateurs qu’une inflorescence dépourvue d’araignée. Au contraire, une inflorescence présentant une araignée placée sur les fleurs ligulées est davantage visitée qu’une fleur vide. L’ensemble de ces résultats montre que la stratégie de chasse des araignées-crabes basée sur le camouflage est un mélange complexe de comportements et de mécanismes physiologiques.