Conférencière : Cathy Constant-Elissagaray (Association Libre Cueillette)
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En inventant au Néolithique l’agriculture et l’élevage, l’humanité a modifié son rapport à la Nature. Quel bilan tirer de ces 10 000 ans de bouleversement environnemental ?
Bonjour à tous,
Je vais vous parler aujourd’hui de biodiversité. Ce terme regroupe l’ensemble du monde vivant sur la Terre. Depuis Buffon, Lamarck, Darwin, nous savons qu’il évolue en permanence. Les êtres unicellulaires qui vivaient dans la mer il y a 3,5 milliards d’années se sont diversifiés en fonction de trois facteurs. D’une part, la réplication ou la reproduction des êtres vivants n’est pas un mécanisme parfait, il se produit parfois des erreurs qui, cumulées, peuvent conduire à la formation de nouvelles espèces. Deuxièmement, les conditions environnementales influent sur leur existence et ceux qui ne peuvent pas s’y adapter disparaissent. Enfin, il se produit parfois des cataclysmes d’origine terrestre, comme le volcanisme, ou extraterrestre, comme les météorites, qui effacent de la planète une partie du monde vivant. Celui-ci se régénère à partir des survivants en formant des êtres très différents de ceux de la période précédente. Il y a un dernier facteur très important d’évolution, ce sont les interactions entre les divers êtres vivants, la biodiversité représentant l’équilibre, à un moment donné et dans un environnement donné, de tous ces êtres qui évoluent ensemble. Comme je vous le décrirai de façon plus détaillée après, l’ancêtre des êtres humains est apparu il y a environ 7 millions d’années, et il a vécu ainsi que ses successeurs en mangeant des végétaux et des animaux en fonction des capacités digestives de son organisme et de ses aptitudes à les récolter ou chasser parmi l’éventail offert par son environnement. Mais, il y a environ 10 à 12 000 ans, tout a changé, et l’homme est devenu progressivement un facteur majeur de perturbation de l’actuelle biodiversité. C’est ce que je vais vous décrire maintenant.
SOMMAIRE
Je vais introduire mon propos par une anecdote. Puis j’évoquerai la période, très longue, qui a précédé l’avènement de notre espèce, l’Homo sapiens. Je décrirai son évolution de chasseur-pêcheur-collecteur jusqu’à la période charnière où son comportement a commencé à changer. Quelle a été la raison de ce passage au Néolithique, climatique, culturelle ? Était-ce plus avantageux, est-ce que la vie s’en est trouvée améliorée ? Est-ce qu’il s’est agi véritablement d’une révolution, d’un changement brutal de mode de vie, ou bien est-ce que la transition a été très progressive ? Cette évolution était-elle inéluctable ? Quel est l’héritage que nous ont légué les hommes du Néolithique ? Conclusion.
Il y a quelque temps, un de mes fils a pris une année sabbatique durant laquelle il a fait en stop le tour de l’Amérique du Sud, de Buenos Aires à l’Équateur, en passant par la Patagonie. Quinze jours avant de rentrer, il m’envoyait un mail : « Maman, pourrais-tu m’acheter du bon pain et un bon fromage de brebis pour mon retour ? » Début 2015, alors que je visitais des réserves naturelles au Costa Rica, on m’a servi des petits-déjeuners composés de tortillas, qui sont des galettes de farine de maïs, agrémentées de poivrons et côtoyant une coupelle de haricots noirs, une autre de polenta, un plat à base de semoule de maïs, quelques tranches de pommes de terre et une sauce aux piments verts très piquante.
Pourquoi les aliments de base sud-américains sont-ils différents des européens ? Pour le savoir, il faut remonter au Néolithique, période où l’agriculture et l’élevage furent inventés par nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Nous voyons sur la carte que ce tournant majeur dans l’histoire de l’humanité se produisit indépendamment et à des périodes différentes en une petite dizaine de lieux sur Terre.En Amérique, entre 5000 et 3000 avant notre ère, le Mexique a domestiqué les courges, l’avocat, le haricot, le maïs, le coton, le tabac, le chien.Dans les Andes à la même période sont domestiqués le piment, la pomme de terre, le maïs, le lama, l’alpaga et le cobaye. Au Mississippi, entre 2000 et 1000 avant notre ère, ce sont les courges, le tournesol et l’ansérine (un épinard sauvage) qui sont domestiqués et en Amazonie peut-être le manioc. Sur le continent eurasiatique se trouvent les plus anciens vestiges connus du passage au Néolithique. Au Proche-Orient, c’est entre 10 000 et 9 000 avant notre ère que sont domestiqués le blé, l’orge, le mouton, la chèvre, le bœuf, le porc et le chien. En Chine, entre 8 000 et 7 000 avant notre ère, c’est le riz, avec le millet, le porc, le chien, le poulet qui est domestiqué. En Océanie, la Nouvelle-Guinée domestique entre 7 000 et 5 000 avant notre ère le tarot et la banane. Et enfin sur le continent africain sont domestiqués entre 3 000 et 1000 avant notre ère le mil, le sorgho, le riz africain et le bœuf. Bien que les différences culturelles sur le plan alimentaire se soient atténuées de nos jours, elles continuent de surprendre – et souvent de charmer – le palais du voyageur intercontinental amateur de dépaysement gustatif. D’autres inventions remarquables sont faites durant ces périodes néolithiques, notamment (sauf en Amérique) la roue et l’araire, qui est une charrue primitive.
Comment sait-on tout cela ? En réalité, ces connaissances sont encore très récentes et s’enrichissent au fur et à mesure des découvertes de nouveaux sites archéologiques. Elles sont surtout la conséquence d’un nouveau regard porté sur le passé par les préhistoriens qui s’intéressent de plus en plus, depuis les années 1960-1970, à cette période charnière du passage d’une société paléolithique de chasseurs-pêcheurs-collecteurs à une société néolithique d’éleveurs-agriculteurs. Quelle révolution en effet ! Alors que, pendant la quasi-totalité de leur histoire, les humains ont vécu immergés dans la nature, sur le même plan que les autres espèces biologiques, ils ont développé, en quelques milliers d’années, une économie dite « de production » qui s’avère être une prédation à bien plus grande échelle que celle des anciens chasseurs, au point de menacer la plupart des espèces biologiques, y compris peut-être même l’espèce humaine.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais très rapidement remettre en perspective cet humain d’il y a 12 000 ans. Tortues, lézards, serpents, crocodiles, oiseaux, mammifères, toutes ces familles d’animaux descendent des reptiles. Après diverses péripéties, le monde vivant subit, il y a 65 millions d’années, une grande extinction : les dinosaures et ptérosaures disparaissent.Les mammifères, qui étaient demeurés discrets, effectuent leur radiation et se mettent à occuper toutes les niches libérées par l’extinction des dinosaures, hormis l’espace aérien dont les oiseaux, descendants de certains dinosaures, conservent la suprématie. Les primates, dont les premiers fossiles remontent à 55 millions d’années, ont déjà divergé des autres mammifères il y a 85 millions d’années. En se diversifiant, cette famille donne naissance, il y a 6 ou 7 millions d’années à peut-être notre plus lointain ancêtre, Sahelanthropus tchadensis (un fossile surnommé Toumaï), puis aux Australopithèques (un fossile surnommé Lucy). L’Homo habilis apparaît il y a 2,8 millions d’années, puis l’Homo erectus il y a 1,8 millions d’années. C’est le premier hominidé à maîtriser le feu (il y a 400 000 ans) et à migrer hors d’Afrique. Sous sa forme actuelle d’Homo sapiens*, l’humanité semble avoir émergé en Afrique de l’Est il y a environ 150 000 ans, à partir de formes locales d’Homo erectus.
- Sapiens est un adjectif latin signifiant « intelligent, sage, raisonnable, prudent »
Les descendants des reptiles
Megazostrodon (Mammifère de la fin du Trias, 200 Ma)
La radiation des mammifères après l’extinction des dinosaures
Les primates
Lignée des Homininés
On remarque sur le schéma ci-dessus qu’au moins sept espèces d’humains coexistent au moment de la sortie d’Afrique de l’Homo sapiens il y a 70 000 ans. Que sont-elles devenues ? Il y a deux hypothèses plausibles : soit elles ont été assimilées, intégrées dans celle des Sapiens par le biais du métissage, soit elles ont été exterminées, à moins que ce ne soit une combinaison des deux. Les dernières avancées en génétique confirment la dernière assertion : les populations modernes du Moyen-Orient et d’Europe auraient 1 à 4 % d’ADN de Neandertal, tandis que les Mélanésiens et les aborigènes d’Australie actuels partageraient jusqu’à 6 % de l’ADN de l’homme de Denisova. Cela signifie que les croisements entre espèces d’Homo, bien que distinctes, demeuraient encore possibles. La biodiversité humaine se réduit donc au fur et à mesure de l’expansion de l’Homo sapiens : Homo soloensis disparaît il y a environ 50 000 ans, Homo Denisova vers -40 000, Neandertal vers -30 000, les derniers nains humains de l’île de Florès s’éteignent il y a 12 000 ans. Seul demeure l’Homo sapiens. Quel était son avantage évolutif par rapport aux autres ? La différence la plus notable est la taille extraordinaire du cerveau en comparaison de celui des autres animaux. Pour le corps, il est lourd à porter, surtout enchâssé dans un crâne massif, et il est difficile à alimenter. Chez l’Homo sapiens, il représente 2 à 3 % du poids corporel, mais il consomme 25 % de l’énergie du corps lorsqu’il est au repos, contre 8 % pour les grands singes. La conséquence a été l’atrophie progressive des muscles. D’autre part, du fait de la station verticale, la vue s’est développée.
Comme ses prédécesseurs, l’Homo sapiens est d’abord un chasseur-pêcheur-collecteur. Mais sa progression rapide, après sa sortie d’Afrique, se signale par des extinctions « anormales » d’animaux. On les constate sur tous les continents, mais elles sont particulièrement impressionnantes en Australie et en Amérique du Nord. L’anthropologue et paléontologue Louis de Bonis remarque qu’en Amérique, une extinction notable se produit il y a 10 à 12 000 ans : une quarantaine de genres de mammifères d’un poids supérieur à 4 kg disparaît, ce qui représente une coupe sévère dans la faune et un taux d’extinction très élevé. Curieusement, on remarque qu’à la même époque les micro-mammifères ne sont que très peu affectés. On va retrouver un schéma assez voisin dans le continent australien où une accélération des extinctions se produit dans les trente derniers millénaires.
En Eurasie, aucun épisode d’extinction ne se termine par une véritable hécatombe. Quelques espèces spectaculaires disparaissent il y a 10 à 12 000 ans (le mammouth, le rhinocéros laineux, le daim géant), mais les genres Crocuta, Ursus ou Panthera se maintiennent malgré la fin de la hyène, de l’ours des cavernes et du lion des cavernes. En Afrique, les extinctions de cette époque sont aussi beaucoup moins marquées.
Comment expliquer ces extinctions et ces disparités selon les continents ? Les extinctions peuvent être l’effet du climat. La dégradation du climat mondial depuis 15 millions d’années est attestée. Elle n’est pas régulière et ses multiples oscillations se produisent de façon asymétrique, le froid est de plus en plus rigoureux et, par contraste, les réchauffements plus soudains et plus brutaux, assortis d’une forte diminution de la pluviosité et de l’installation de longues périodes de sécheresse, ont pu induire des déséquilibres écologiques importants au début des inter-glaciaires. Mais la disparition des habitats qui peut conduire vers l’extinction n’est généralement pas totale. Il est rare qu’il ne reste pas quelques régions épargnées qui pourraient servir de zones refuges aux espèces en péril. On aurait dû constater en Amérique un phénomène de repli tactique de ces mammifères vers des pâturages plus accueillants avec un taux modéré d’extinction à l’instar de ce que l’on observe en Afrique pendant la même période.
L’augmentation des surfaces désertiques après la dernière glaciation a pu être fatale à certains animaux qui réclamaient un milieu plus humide et plus verdoyant, mais elle ne peut expliquer la disparition de certaines espèces qui pouvaient s’adapter au désert. C’est le cas du camélidé Camelops et surtout du grand paresseux terrestre Nothrotherium dont les crottes fossilisées (les coprolithes) ont livré des pollens de plantes désertiques ou de milieu semi-aride comme le genévrier.
Évolution du climat durant les derniers 65 millions d’années
Camelops
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Le paresseux géant Nothrotherium
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Mais le phénomène le plus frappant dans ces extinctions est certainement le déséquilibre parmi les espèces éteintes entre les grands mammifères et les autres, si on la compare aux extinctions qui l’ont précédée, avec un pourcentage bien plus élevé des grandes tailles. En Australie, la faune, très homogène en raison de l’isolement de ce continent, devait être sensible aux événements extérieurs, d’autant plus que le climat, pendant le Quaternaire, semble avoir été modéré dans ses écarts, sans grande glaciation, et avec des périodes de sécheresse limitées dans le temps et l’espace. Les premières extinctions de masse se produisent il y a environ 35 à 30 000 ans et touchent surtout des formes de taille moyenne à grande au régime alimentaire herbivore spécialisé, bien que, là comme ailleurs, des carnivores puissent s’éteindre à la suite de leurs proies. Curieusement, le phénomène se produit dans l’île voisine de Tasmanie avec un retard d’une dizaine de milliers d’années.
Faune australienne disparue autour de -35 à -30 000 ans
L’Eurasie subit aussi cette sélection basée sur les dimensions durant cette même période, de même que l’Afrique, où la disparition de grands mammifères serait plus marquée que lors des crises précédentes.
Deux autres particularités remarquables de cette crise d’extinctions méritent aussi d’être signalées. Il s’agit tout d’abord de la rapidité du phénomène qui lui confère une allure catastrophique : quelques millénaires, voire parfois quelques siècles, durée extrêmement courte à l’échelle géologique. D’autre part, aucun de ces grands herbivores n’est encore remplacé et cette extinction est une perte sèche pour la faune qui depuis lors reste amputée d’un grand nombre de ses représentants.
Si le phénomène de retrait des glaces, de déséquilibre climatique, ne peut suffire à expliquer à la fois l’intensité et l’allure particulière des extinctions holocènes, il faut faire appel à un autre facteur. Dans le cas de l’Amérique du Nord, les quelques siècles qui précèdent la limite fatale sont le théâtre d’un événement biologique majeur qui est l’arrivée de l’homme dans le nouveau monde.
L’Homo sapiens franchit l’isthme de Béring, voie de passage fréquemment utilisée par la faune durant les dernières périodes glaciaires où le niveau de la mer était plus bas. C’est alors la fin du Paléolithique supérieur et le début de la révolution néolithique. Les hordes humaines en provenance de l’ancien continent sont constituées de chasseurs alors en pleine possession de leurs techniques de chasse.
L’outillage et l’armement ont considérablement évolué au cours du Paléolithique et se trouvent à un niveau qui ne sera dépassé que beaucoup plus tard avec l’utilisation des métaux. Les techniques de piégeages, la traque collective, les armes de jet, l’utilisation probable de filets confèrent une efficacité redoutable à ces nouveaux prédateurs. Après la longue traversée de la plate-forme de Béring dans des conditions certainement difficiles, l’arrivée dans les steppes toundras ou les savanes plus ou moins boisées nord-américaines devait avoir un avant-goût de paradis terrestre. Ni la majorité des animaux présents sur ce continent, ni leurs ancêtres, n’avaient eu le moindre contact avec l’homme et la crainte de ce nouveau prédateur n’était pas encore inscrite dans leur comportement. Si l’on admet que l’homme est bien responsable des coupes sombres effectuées dans les troupeaux de grands herbivores, on comprend mieux ce décalage entre les pourcentages d’extinction chez les macro et les micro-mammifères. En Amérique du Nord, une douzaine d’espèces de grands mammifères subit sans dommage apparent cette tornade humaine. Or, curieusement, à l’exception d’Antilocapra, la pseudo-antilope américaine, ce sont des immigrants de l’ancien monde depuis longtemps conditionnés à la présence humaine et aux dangers qu’elle représente.
En Amérique du Sud, le tribut payé par la mégafaune est également très lourd, mais l’enchaînement des faits paraît plus complexe qu’au nord du continent. En Australie, la présence humaine est signalée il y a plus de 30 000 ans et la série d’extinctions qui frappe les mammifères à partir de cette date pourrait bien en être le résultat. Là aussi, la grande taille de la plupart des victimes pourrait indiquer qu’elles ont pu servir de gibier. Cependant, il n’y a pas d’associations directes, ou très peu, entre des vestiges humains et la grande faune disparue. Cela pourrait correspondre à une vie essentiellement nomade des premiers australiens. Ce ne serait donc pas une coïncidence si, en Tasmanie, la vague d’extinctions est retardée d’une dizaine de millénaires comme est retardée l’arrivée de l’homme dans l’île.
En Europe, les disparitions de grands mammifères du début de l’Holocène concernent surtout des lignées spécifiques et n’impliquent qu’une douzaine de genres. Seuls trois d’entre eux disparaissent vraiment, les autres se retrouvent aujourd’hui en Amérique, en Asie ou en Afrique. La pression sur le gibier due à l’activité humaine s’exerçait depuis quelques centaines de milliers d’années. Les nouvelles techniques de chasse et l’utilisation d’armes plus efficaces se sont implantées progressivement sur le continent sans provoquer le choc de l’invasion brutale de l’Amérique et de l’Australie. Il n’en reste pas moins que la prédation humaine a pu jouer un rôle, participant à l’élimination d’espèces de grande taille dont les conditions écologiques optimales étaient bouleversées. Il en est de même pour l’Afrique.
Revenons à cette époque charnière du passage au Néolithique. Pourquoi l’Homo sapiens, qui vivait, comme ses ancêtres depuis des millions d’années, de chasse, de pêche et de cueillette, a-t-il changé de mode d’alimentation ? Y aurait-il eu une cause climatique ? La dernière période glaciaire a débuté il y a 110 000 ans et s’est terminée il y a 10 000 ans. De gigantesques glaciers recouvraient la moitié de l’Europe, retenant une grande partie de l’eau du globe. Voici une courbe sur les derniers 40 000 ans : on voit que la température moyenne terrestre est plus élevée à partir de –12 000. Les glaces fondent, le niveau des mers remonte d’une centaine de mètres. Un climat et une végétation tempérés s’instaurent sur des pans entiers de continents.
La courbe suivante représente un zoom sur les derniers 12000 ans. On remarque un optimum climatique autour de – 8000, suivi d’une dégradation jusqu’à –6000 et une remontée plus progressive des températures jusqu’à –4000. Il s’est donc effectivement produit un réchauffement climatique depuis la fin de la dernière glaciation, mais pas régulier, il y a eu des variations de température assez fortes.
Que révèlent les sites archéologiques ? Un nouveau regard des préhistoriens qui cherchent assidûment des indices de ce passage du paléolithique au néolithique permet une nouvelle interprétation des vestiges. Par exemple, en reprenant l’examen de fragments osseux dans les strates magdaléniennes qui remontent à –15 000, –14 000, ils réalisent que les fragments osseux que l’on attribuait au loup appartenaient en réalité à des chiens. Comment ont-ils fait la différence ? C’est qu’une bête sauvage, au cours du processus de domestication, voit sa taille se réduire assez rapidement, en quelques générations. Par exemple l’aurochs, aujourd’hui disparu, était beaucoup plus imposant que les bovins élevés par les humains. De même le loup a une plus grande stature et une dentition plus impressionnante que celle du chien. Il semble donc qu’un infléchissement du comportement humain se soit déjà manifesté pendant la dernière glaciation, avant le virage néolithique. Toutefois, cette première domestication n’a pas d’incidence significative sur le mode de vie des humains qui restent des chasseurs.
Le premier signe véritable d’un changement de comportement a été la découverte d’habitats permanents occupés par de petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Cette sédentarisation des populations s’opère dans le Croissant fertile aux alentours de –17 000 et surtout –15 000 sous la forme de « maisons rondes » où se trouvait du mobilier lourd tels que des mortiers pour écraser des graines. Mais c’est surtout entre –12 000 et –10 300 qu’apparaissent les premiers villages, par exemple le site d’Eynan (Aïn Mallaha), sur les rives de l’ancien lac Huleh au nord du lac de Tibériade en Israël. Une cinquantaine de “maisons” remonte à -12 000. Les constructions circulaires et semi-circulaires à demi-enterrées étaient construites en terre avec un parement en pierre, la toiture était soutenue par des poteaux dont il reste des traces. Nombre d’entre elles avaient le sol pavé et possédait un foyer central. Il y avait des fosses de stockage à l’extérieur des habitations.
De nombreuses sépultures ont été dégagées. Dans l’une d’elles, un chiot a été inhumé auprès d’un homme : c’est l’une des plus anciennes traces de la domestication de cet animal. Une des maisons enduite de plâtre rouge fut réutilisée comme tombe pour un couple de quelque importance, la femme avait une coiffe ornée de coquillages. Les habitants d’Eynan (Aïn Mallaha) vivaient de la chasse (gazelle, cervidés, sanglier, bouquetin, etc.), de la pêche et de la cueillette (amandes, noix, céréales sauvages comme l’engrain, légumineuses comme les lentilles, les pois…).
A cette époque, la région était boisée et abondamment arrosée. Ces Natufiens* disposaient d’un matériel microlithique caractéristique de la période (objets en silex débité formant des lamelles) ainsi que du matériel plus lourd servant pour le broyage (meules, pilons, mortiers). Il y avait aussi des vases en pierre. Les microlithes servant pour les armes et les outils étaient incisés dans des manches. L’art est essentiellement zoomorphe avec des têtes animales sculptées sur des manches de couteaux. Des parures de coquillages ou d’os attestent d’une grande habileté.
* Natufien : culture du Levant entre –12500 et –10000 caractérisée par les premières expériences de sédentarisation.
Transformer son environnement plutôt que s’y adapter |
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Art natufien
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Outils en pierre et en os
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Jean Guilaine, un des plus grands spécialistes du Néolithique, analyse cette période comme une phase très longue de tâtonnements appliqués au monde végétal et animal durant laquelle sont expérimentés des stratagèmes pour ne plus être dépendant des contraintes du milieu : transformer son environnement plutôt que s’y adapter. En examinant les vestiges de ces sociétés de chasseurs-pêcheurs-collecteurs sédentaires, il en déduit que la première étape a été d’apprendre à vivre ensemble, d’élaborer des règles de comportement social, des codes, des interdits, c’est-à-dire de socialiser toujours plus les humains. Il s’étonne de la place tenue par les rituels tout au long de la « construction » de ce premier monde agraire qui est tout, sauf une révolution, puisqu’elle s’effectuera sur plusieurs milliers d’années. Ainsi, la domestication des humains se révèle avoir été le préliminaire à la domestication des plantes et des animaux.
Le Néolithique est l’aboutissement de millénaires d’observation de la nature. Au Proche-Orient, les communautés de chasseurs-collecteurs consommaient déjà céréales et graminées depuis -20 000 et, dès ces lointaines époques, utilisaient meules et molettes pour en écraser les grains et les transformer en farine. – La pita (petite galette de pain) est un mets traditionnel en Israël -. Mais le Néolithique est aussi le produit d’une forme d’évolution sociale et cognitive, sous la forme d’un buissonnement de tentatives diverses, de percées et d’échecs, qui ont fini par aboutir, dans des environnements propices, à de nouveaux comportements, de nouvelles façons de vivre, de penser et de se penser.
La sédentarisation et l’alimentation par l’agriculture et l’élevage étaient-elles réellement plus avantageuses ? Des études ont montré que le temps consacré par le chasseur à l’acquisition de sa nourriture est inférieur à celui que l’agriculteur doit investir dans la préparation des champs, la mise en culture, les récoltes, le traitement de celles-ci et leur conservation, le gardiennage des troupeaux et leur entretien, etc. Mais l’économie de production apporte une sécurité que la chasse et la collecte, plus aléatoires, n’apportent pas. Elle permet de nourrir un plus grand nombre de bouches qui compensent et dépassent le taux de mortalité.
Ainsi, le néolithique s’est traduit par une croissance de la population mondiale accompagnant l’amélioration des conditions climatiques. Depuis environ deux siècles, cette croissance démographique a subi une accélération phénoménale : la population était de l’ordre de 5 millions il y a 12 000 ans, puis elle est passée à 100 millions il y a 4000 ans, 500 millions au XVe siècle, 1 milliard au début du XIXe siècle et 7 milliards à l’heure actuelle. Cette prolifération des humains, associée à la croissance des surfaces cultivées, pâturées et exploitées, deviendrait, selon certains scientifiques, la cause d’une sixième extinction massive des espèces animales et végétales.
La prolifération humaine, cause d’une sixième extinction massive ?
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Cette évolution était-elle inéluctable ? Le Néolithique est apparu indépendamment et à diverses époques en une dizaine d’endroits dans le monde. Ces trajectoires autonomes, toutes différentes, ont pourtant fini par transformer la très large majorité des humains en producteurs de nourriture, agriculteurs et/ou éleveurs. En effet, à partir de ces foyers, tantôt par déplacements de groupes migrants, tantôt par processus de diffusion culturelle, les acquis du Néolithique vont se transmettre à la plus grande partie du monde. Toutefois, certaines régions du globe refuseront pendant plusieurs millénaires d’adopter l’agriculture.
Par exemple, alors que dès le Ve millénaire la péninsule coréenne a assimilé la culture du millet initiée par la Chine et vers la fin du IIIe millénaire celle du riz, le Japon résiste à l’introduction de la riziculture. Cependant, dès –15 000, la civilisation Jōmon voit apparaître la plus ancienne poterie connue. En outre, les Japonais acquièrent bien des traits propres aux civilisations néolithiques. Ils construisent des maisons en bois rectangulaires ou circulaires sur les bords des estuaires qui leur fournissent coquillages, poissons et mammifères marins. Jusqu’en –300 ils développent des techniques de stockage, ils édifient des bâtiments cérémoniels, des inégalités sociales apparaissent sans doute. De même, les Amérindiens de la côte nord-ouest du Canada et des États-Unis vivaient dans de grands villages permanents grâce aux ressources fixes que leur assuraient glands et saumons.
Qu’avons-nous hérité du néolithique ? En premier lieu la maison, puisque l’un des traits culturels majeurs des populations agricoles est généralement la sédentarité, la fixation près du champ productif. Il faut toutefois relativiser, puisque, outre les Japonais et les Amérindiens, la civilisation paléolithique de Lepenski Vir, sur les bords du Danube, a établi il y a 8000 ans des habitats pérennes, et même des cimetières. A Kostenki XI (Russie), des vestiges d’occupation pérenne remontent à 35 000 ans. Des ossements de mammouths formaient la structure porteuse des bâtiments, l’un d’eux atteignant même 35 m de longueur sur 16 m de largeur et ces habitations étaient regroupées pour former de véritables villages.
Au Proche-Orient, les maisons deviennent peu à peu rectangulaires entre –8700 et –8000. Ainsi, elles peuvent être plus étendues et bénéficier d’un découpage interne plus complexe. Les murs deviennent porteurs, plus besoin de s’adosser à une paroi naturelle, et le confort s’accroît, avec des sols de plâtre, de même que l’esthétique, avec des parois parfois décorées de motifs peints. A Çayönü (Anatolie, Turquie), les habitants expérimentent pendant 2000 ans diverses solutions pour tirer au mieux parti des matériaux disponibles.
En nous léguant la maison pérenne, cellule familiale de base, le néolithique nous a également donné le village, groupe d’habitations permanentes dont les habitants, en majorité, sont engagés dans le secteur agricole. L’un des traits les plus marquants du néolithique proche-oriental réside dans le développement relativement rapide de certains villages. Dès le VIIIe millénaire, on peut déjà distinguer de grosses agglomérations, fortes de plusieurs hectares, à côté de localités moyennes ou petites, voire de simples campements dans des aires dévolues au pastoralisme nomade. Cette hiérarchisation traduit une forme de pyramide sociale.
Dans les plus grandes localités, à demande forte, transitent les produits exotiques (obsidienne de Cappadoce ou de Turquie orientale, coquillages de la mer Rouge, vaisselle de pierre raffinée). En Occident, de grands établissements se manifestent dans le courant du Ve millénaire et pourront couvrir plusieurs dizaines d’hectares, comme à Villeneuve-Tolosane, 28 ha ou Saint-Genès à Castelferrus, 30 ha et bien davantage sur la péninsule ibérique. Ces espaces sont souvent enclos derrière des fossés, des palissades, des murailles qui forment une démarcation entre l’intérieur et l’extérieur de l’enceinte.
L’espace communautaire s’étend bien au-delà du village : il comporte l’ensemble du territoire sur lequel la population exerce son emprise immédiate, pour la production comme pour la prédation. Il est l’objet d’une domestication réelle (champs, pâtures) ou mentale (balisage idéologique par des témoins divers, édifices, stèles, pierres dressées, blocs gravés, sépultures, tumulus, etc.). Le noyau dur de la communauté villageoise se définit par son attachement économique et affectif à l’espace de la localité et de son terroir. C’est une sorte de centre du monde.
Des chasseurs-collecteurs ont inventé le néolithique. De la même façon, des néolithiques inventeront la ville. Elle se caractérise par la présence de bâtiments publics à l’architecture imposante, de grands greniers collectifs. C’est le centre d’un important réseau d’échanges de matériaux et de produits finis, elle possède de nombreux sceaux destinés à authentifier et fermer divers types de contenants, indice probable d’un contrôle des productions. Désormais, des rapports hiérarchiques s’installeront entre les villes, centres dominants, et les campagnes, lieux assujettis, qui modifieront en profondeur le tissu des relations économiques et sociales. On sent que pointe un pouvoir qui met la population sous contrôle politique, administratif et religieux.
Les villes ne sont pas nées dans les berceaux même du néolithique, mais ailleurs. Tandis que les berceaux impliquaient la présence de plantes et d’animaux domesticables pour émerger, la ville peut désormais se passer complètement de ce volet naturel. Elle est une création cent pour cent humaine, née de la volonté des Homo sapiens de s’établir en masse dans certaines régions choisies comme des centres de gravité politique et économique.
Un autre monde s’organise, lourd de conséquences : aussitôt que les villes, un temps indépendantes, se fédéreront sous le contrôle d’une entité supérieure, s’instaurera le système de l’État, une formule d’intégration sociale qui est demeurée la nôtre.
Tout au long du néolithique, les humains ne cessent d’effectuer des avancées techniques pour mieux tirer parti de leur environnement, en premier lieu, l’eau. Par exemple, dans le courant du IXe millénaire, les communautés agricoles de Chypre creusent des puits d’un mètre de diamètre et jusqu’à 5 à 7 m de profondeur. L’irrigation débute probablement aussi très tôt, bien que la présence de canaux ne soit attestée qu’au VIe millénaire à Choga Mami, au pied du Zagros.
Le bâton à fouir est peut-être l’instrument agricole le plus rudimentaire qui soit : il sert à creuser le sol, faire des trous, remuer la terre, casser des mottes, semer, voire déterrer des tubercules ou des racines. Ce sera l’instrument de base sur les hauts plateaux andins jusqu’à l’arrivée des Européens, de même que chez les Bochimans en Afrique. L’herminette à déforester, qui permettait aussi de travailler le bois pour les menuisiers, est l’outil classique du néolithique qui complète l’usage du feu, les incendies de forêts pour ouvrir des clairières, créer des champs et des pâturages. Le travail du sol s’opère à l’aide de pics, de pioches, de houes jusqu’à ce que l’araire vienne contribuer de manière plus efficace à l’arrachage des mauvaises herbes.
Les moissons ont entraîné l’usage de faucilles déjà en possession de divers groupes de chasseurs-collecteurs se nourrissant de graminées. Il y a aussi des instruments à manche courbe ou rectiligne armés de plusieurs silex contigus, des couteaux à moissonner à fil tranchant latéral. Pour extraire les graines, un simple bâton, devenu fléau, formé de deux perches reliées par des lanières de cuir, puis dès –8000 au Proche-Orient, la planche à dépiquer, constituée d’une planche tractée hérissée de nombreux éléments tranchants de silex, qui permettait d’isoler le grain et de récupérer, après vannage, les déchets (tiges sectionnées, barbes, balles) repris dans la confection de briques et torchis.
Les hommes préhistoriques ont toujours eu besoin de nombreux matériaux (roches, os, bois, etc.) pour fabriquer leurs instruments. Le silex tout particulièrement, roche siliceuse incorporée dans certaines couches calcaires ou carbonatées, a fait l’objet de prospections et d’exploitations diverses depuis nos plus lointaines origines. Au néolithique, la pression démographique et les activités de déforestation ont accentué la demande en matière première. A côté des exploitations de plein air sont alors apparus de véritables complexes miniers chargés de produire, de façon désormais industrielle, des blocs transformés en ébauches, voire en outils. Ces centres se convertissent rapidement en pôles de diffusion de leurs produits sur des distances plus ou moins grandes. Ce processus démarre très tôt, dès que les premières communautés agricoles s’implantent dans une région donnée.
La métallurgie débute déjà au IXe millénaire à Çayönü (Anatolie, Turquie) par le martelage à froid de blocs de malachite. Un peu plus tard, l’énergie-bois est mise à contribution : des essais de pyrotechnie à température réduite permettent de fournir des tiges à bout affûté, des fils, des crochets, des perles de cuivre. Le processus se poursuit au VIIe millénaire sur certains établissements de Turquie connaissant la céramique, une activité nécessitant également la cuisson au four alimenté par le bois des forêts abattues. A Çatal Höyük ou Hacilar, on a trouvé de menus objets de cuivre ou de plomb, ainsi que des scories révélant des procédés de fonte du métal. Les premières haches plates de cuivre fondu dans des moules sont signalées à Mersin, toujours en Turquie, au VIe millénaire. En Mésopotamie, le point de fusion du cuivre (1083°C) est atteint dans des fours pour produire des lames de haches et de houes. Au Ve millénaire, le métal est également travaillé au Pakistan, de même qu’en Europe du Sud-Est où il connaît un grand développement, avec le moule bivalve qui fournit des outils composites (haches-marteaux, haches-herminettes à emmanchement médian).
Malachite et roche contenant du cuivre
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Çayönü Tepesi (Turquie) : objets de cuivre (poinçon)
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Les arbres des forêts fournissent encore le bois pour l’attelage, le joug, le chariot qui, dans l’ancien monde, sont utilisés avec des bovins. Ils suivent l’invention de l’araire et de la roue. Toutes ces techniques agricoles n’ont pas encore disparu, puisque 80% des agriculteurs africains, 40 à 60% de ceux d’Amérique latine et d’Asie continuent de travailler uniquement avec des outils manuels et seulement 15 à 30% d’entre eux disposent de la traction animale.
Quant à la céramique, elle a été inventée par les chasseurs-collecteurs en Chine méridionale et au Japon entre –17000 et –15000, puis en Sibérie orientale vers –14000/-13000 et en Afrique (Egypte-Soudan-Niger) dès le IXe-VIIIe millénaire. Les sociétés néolithiques ne découvriront cette technique que lors de leur expansion hors de leur berceau d’origine.
Ainsi, le néolithique, c’est la période qui englobe la mise en place à la fois de la pratique agricole (et de l’élevage qui, en général, l’accompagne), des instruments nécessaires à son fonctionnement et du cadre social correspondant (les premiers villages, le territoire exploité, les systèmes de relations entre individus). Le paysage perd son naturel pour subir la griffe d’une communauté qui modèle à son gré son propre décor. Ces humains mettent en branle un engrenage qu’ils auront bientôt du mal à maîtriser : brûler toujours plus de bois, accroître l’érosion des sols, détruire les faunes rebelles pour faire place à des bêtes soumises, créer par hybridation de nouvelles lignées, végétales ou animales, bref artificialiser progressivement son environnement et son quotidien.
Le néolithique est arrivé en Europe par les Balkans, et il s’est répandu en deux millénaires sur l’ensemble de l’Europe, par mer et par la vallée du Danube. Les chasseurs-collecteurs indigènes nomadisaient dans une forêt vierge de chênes et de tilleuls, ou d’espèces méditerranéennes dans les régions méridionales. Ils n’ont visiblement pas pesé lourd, face à cette colonisation avec appropriation des sols. Venus d’une région méditerranéenne, les néolithiques ont dû adapter plantes et animaux à ce nouvel environnement tempéré.
Ainsi, les bovidés et les porcs deviennent les animaux majoritairement consommés. Bien qu’ils existent à l’état sauvage dans les forêts européennes, ce sont leurs formes domestiques issues du Proche-Orient qui continuent d’être exploitées. La culture toutefois évolue, de longues maisons rectangulaires collectives pouvant atteindre 45 m de longueur sont construites, bien différentes des petites maisons des Balkans au modèle directement copié du Croissant fertile. Durant son expansion sur cet immense espace, depuis l’Ukraine jusqu’à l’Atlantique et les îles Britanniques, et depuis les Alpes jusqu’à la mer Baltique, la culture matérielle se simplifie, les poteries sont plus sommaires et l’art s’appauvrit.
Vers 4500 avant notre ère, tout l’espace européen est occupé par des communautés d’agriculteurs, à l’exception des zones les moins propices, septentrionales ou montagnardes. Durant des millénaires, ces populations, en constante augmentation, doivent vivre sur le même territoire, limité par l’océan. Cela a deux conséquences. Les Néolithiques améliorent leurs techniques de production (invention de la traction animale, de la roue, de l’araire), consommation des laitages, invention de la métallurgie (d’abord du cuivre et de l’or, puis du fer), domestication du cheval, etc.
Du point de vue social, des phénomènes de violence apparaissent à une échelle beaucoup plus large qu’auparavant, parallèlement à la croissance des inégalités et de la hiérarchie. Elle se manifeste non seulement par des traces de traumatismes retrouvées sur les squelettes, mais surtout par le développement de fortifications autour des villages, qui souvent s’installent sur des hauteurs inconfortables.
Haches de jade funéraires (masculines)
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Parure féminine, tumulus St Michel (Calais)
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Quant à l’inégalité, elle est surtout visible dans les tombes où sont déposés les symboles du statut social du mort. Ils comprennent des objets sans aucune utilité pratique sinon celle de produire du prestige pour ces premiers « chefs » néolithiques.
Ainsi, très tôt, le pouvoir est lié à la capacité de « manipuler l’imaginaire » communautaire. La cohésion ne peut pas être acquise durablement par la contrainte physique. Deux autres moyens sont disponibles : la contrainte idéologique acceptée et la contrainte environnementale. En Europe, on découvre des pratiques funéraires complexes (monuments mégalithiques), des lieux cérémoniels spécifiques.
Mais, contrairement au Croissant fertile, cette civilisation n’évolue pas vers la concentration des populations dans des villes, au contraire, au cours des IVe et IIIe millénaires avant notre ère, les tombes se démocratisent, elles deviennent accessibles à un plus grand nombre de personnes, et l’art plastique disparaît presque entièrement. Dans cet espace encore peu peuplé, aux ressources naturelles abondantes et au climat clément, il était beaucoup plus difficile de maintenir en place un groupe social qui subissait un pouvoir excessif. Rien ne s’opposait donc à son éclatement, à sa dispersion.
Après de nombreuses fluctuations du pouvoir, c’est donc seulement au cours du dernier millénaire avant notre ère que des cités-Etats font à nouveau leur apparition, en Grèce, en Italie (avec les cités de la Grande Grèce et les cités étrusques) et en Espagne (Ibères). Cette fois, la marche vers un pouvoir central urbain s’appuyant sur l’écriture devient irréversible en Europe. Ce retard relatif par rapport aux berceaux des civilisations illustre le degré de liberté dont les sociétés humaines ont pu et peuvent disposer. Si les agriculteurs-éleveurs ont quasiment éliminé les chasseurs-cueilleurs de la planète, si ce mode de vie a engendré une explosion démographique sans précédent chez l’espèce humaine et, en contrepartie, l’élimination de nombreuses espèces biologiques qui lui paraissaient inutiles ou néfastes, l’archéologie et l’histoire nous montrent l’exemple de trajets et de choix variés et complexes. Il a existé des mauvais choix : ceux des Mayas ou des habitants de l’île de Pâques par exemple. Il n’y a pas de déterminisme qui nous imposerait une croissance indéfinie au détriment de pans entiers de la nature. Il n’est donc pas interdit de réfléchir sur nos choix actuels, voire de les infléchir.
Moaï de l’Ile de Pâques
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Pyramide à degré maya
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FIN
Sources bibliographiques
Évolution et extinction dans le règne animal – L. de Bonis |
La seconde naissance de l’homme – Le néolithique – Jean Guilaine |
Pourquoi j’ai construit une maison carrée – Jean Guilaine |
Chasseurs-cueilleurs – Sophie A. de Beaune |
La révolution néolithique – Jean-Paul Demoule |
La plus belle histoire de l’homme – André Langaney, Jean Clottes, Jean Guilaine, Dominique Simonnet |
Caïn, Abel, Ötzi – L’héritage néolithique – Jean Guilaine |
Sapiens – Une brève histoire de l’humanité – Yuval Noah Harari |