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PACA, des côtes aux cimes: Digne

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Digne-les-Bains: Le vallon des Eaux-Chaudes. Le rocher de Neuf-Heures, de 891 mètres d’altitude, et celui de Saint-Pancrace font partie du chevauchement dignois, calcaire à silex patiné de roux qui donne de très belles teintes au soleil couchant. Au fond, la barre des Dourbes est la plus belle barre tithonique (du Jurassique supérieur) des Préalpes du Sud.

Digne-les-Bains

Alors que les voitures se pressent sans doute sur l’autoroute vers Valence et Lyon, il n’y a pas foule sur la superbe petite route tortueuse qui relie les gorges du Verdon à Digne. Pourtant, nous échappons de peu à la mort à cause d’un chauffard qui débouche sur nous à fond la caisse dans un virage, largement déporté  sur notre voie et virant pour rectifier le tir dans un crissement aigu des pneus. Heureusement que je roulais pépère (mémère ?) et que le ravin n’était pas trop proche à ma droite, j’ai pu l’éviter de justesse ! Dans l’action, je n’ai pas eu peur, mais Jean-Louis a mis des heures à s’en remettre… J’avais un motard derrière moi que j’ai vu dans le rétroviseur se retourner vers le bolide qui poursuivait sa route sans ralentir. Très probablement, il le maudissait aussi.

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“Progression” est un volume mural réalisé par l’atelier céramique de l’IDBL (école d’art intercommunale) en partenariat avec l’association “A cœur de Digne”. Il évoque formellement et symboliquement les spécificités géologiques du territoire dignois et l’Unesco-Géoparc de Haute-Provence, paysage fait de plissements, soulèvements, résurgences, concrétions et excroissances. Chaque bas-relief est l’œuvre d’un élève, et chacun d’entre eux a été élaboré au regard de ses homologues. Il s’agit donc d’une œuvre à la fois individuelle et collective, qui symbolise le caractère participatif et citoyen de la réhabilitation et de l’aménagement de la vieille ville.

Enfin, nous avons fini par arriver sains et saufs dans cette petite ville qui, nous l’ignorions, est une station thermale. Entourée de montagnes, elle s’est développée au confluent de trois vallées : celle de la Bléone (un affluent de la Durance), du Mardaric et du Torrent des Eaux Chaudes. Nous suivons la direction des thermes construits en toute logique dans la “Vallée des Eaux Chaudes”, un peu à l’extérieur de l’agglomération. Par chance, dans ce cadre bucolique, un camping s’étale tout en longueur en bordure de rivière. Il n’est pas surpeuplé du tout, la tenancière nous propose de nous installer où nous voulons, nous avons l’embarras du choix ! Nous trouvons un joli emplacement, à l’ombre d’un arbre, à l’extrémité opposée à la piscine et au bar, seules sources potentielles d’agitation.

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Vue sur la barre rocheuse depuis le camping de la Vallée des Eaux Chaudes

Le site geol-alp explique de façon détaillée la composition des roches de la région. A propos des thermes, je lis que “Les sources chaudes qui fondent la réputation thermale de la ville sont captées à l’endroit où la barre de calcaires carixiens est recoupée par l’entaille du vallon le plus méridional, descendant d’Entrages. Il n’y a vraisemblablement aucune relation entre la localisation stratigraphique de cette émergence et les vertus minérales et thermales des eaux. Leurs caractéristiques sont très probablement liées à ce qu’elles ont été rassemblées, très en profondeur, le long des niveaux gypsifères triasiques de la semelle de charriage de la nappe de Digne. La raison pour laquelle elles ont emprunté le réseau de fissures des calcaires carixiens pour rejoindre la surface est parfaitement conjecturale, car il n’y a en ce point aucune disposition tectonique qui soit a priori favorable à cela.”

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Site de l’établissement thermal de Digne (la barre calcaire carixienne ) en 1978

Dès le premier siècle avant Jésus-Christ, les Romains installèrent des thermes dans le Vallon des Eaux Chaudes. Les eaux, qui jaillissent naturellement au pied de la falaise, ont une température comprise entre 22 et 42° C. Fréquentées également au Moyen-âge, les sources furent très appréciées au XVIIe siècle. Encore aujourd’hui, de nombreuses pathologies sont traitées aux Thermes : arthrose et rhumatisme, rhinites chroniques, pharyngites, bronchites, otites, etc. En 1978, Digne-les-Bains confie une étude de développement de son potentiel thermal à trois organismes: Le Cabinet Mare Merlin de Lyon, l’Institut Pasteur de Lyon et le service géologique régional Provence-Corse du Bureau de Recherche Géologique et Minière (B. R. G. M.) basé à Marseille. Ces trois établissements sont chargés respectivement des missions de métrologie et d’étude des conditions d’exploitation des eaux (transfert-stockage) pour le premier ; l’analyse physico-chimique pour le second ; l’étude hydrogéologique (caractérisation du gîte thermo-minéral, possibilités de captage de débit supplémentaire) pour le troisième.

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Panorama de Digne-les-Bains

Le B. R. G. M. conclut que “le caractère relativement peu variable des sources thermales, malgré quelques fluctuations de débit induites par l’exploitation, ne nous incite pas à tenter d’agir directement sur ces sources pour récupérer plus d’eau thermale. Dans ce système à faible perméabilité, aux fractures aléatoires, ces travaux pourraient être délicats et compromettre les venues actuelles, seul bien tangible de la station. Par contre, entre la source C, la source froide D et les griffons du lit du ruisseau, c’est un débit minimal de 7 l/s ou 600 m3/jour qui échappe au contrôle de la station thermale, soit deux à trois fois plus que son actuelle production. Il nous semble donc que c’est sur cette ressource toute proche qu’il faut agir.”

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Une nuisance bien française

Le lendemain matin, pendant que j’explore la vieille ville, Jean-Louis profite de cette opportunité pour se détendre aux thermes où il a pris rendez-vous la veille pour un massage. Il revient ensuite tranquillement au camping à pied par un sentier qui longe le cours d’eau. Le centre ancien se compose d’un habitat dense construit sur une éminence rocheuse. Comme Bayonne et Biarritz, Digne-les-Bains a mis en œuvre en 2017 des chantiers citoyens. De nombreux habitants issus du comité de quartier, d’associations et de l’école d’art intercommunale se sont mobilisés pour revaloriser une petite place et offrir un lieu ombragé propice à la détente. Elle se trouve à l’emplacement d’un bâtiment historique dont l’histoire est rappelée sur un panneau.

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A fleur de pierre, une association active sur le Haut Rochas

“Dans l’enceinte de la cité médiévale, fortifiée à partir du XIIIe siècle, s’élevait “la Maison du Roi” des Comtes de Provence, Roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem. Elle était le siège de l’administration comtale et deviendra par la suite le “palais du bailliage de Digne”. Par la sentence arbitrale rendue en 1257 entre le comte de Provence Charles d’Anjou et l’évêque Boniface, seigneur féodal de la cité, il a été reconnu au suzerain le droit à l’installation d’une “Maison où ce dernier le souhaitera, pourvu que ce soit hors de la hauteur où est la forteresse de la demeure épiscopale”, c’est-à-dire le château fort médiéval situé à l’emplacement de l’actuelle maison d’arrêt. La “Maison du Roi” fut démolie dans la première moitié du XIXe siècle, alors qu’elle hébergeait la première bibliothèque publique constituée après la Révolution de 1789. Le nom de la rue Juiverie limitrophe remonte au moins au début du XVe siècle. Il évoque l’existence d’une communauté juive dans la cité au Moyen-Age, du début des années 1300 à 1475, date à laquelle les Juifs de Digne furent expulsés vers les villes de Basse-Provence.”

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Jolie affiche de jardin partagé

Ce quartier ancien est bien tranquille, pas de commerces, pas de touristes hormis un couple qui, comme moi, s’élève par les petites rues et ruelles pour atteindre le sommet du mamelon d’où nous bénéficions d’un beau point de vue sur les montagnes alentour. C’est au pied des murailles qui enserrent la prison (l’ancien château-fort) que j’admire un panorama dont les pensionnaires sont évidemment privés, autant que de leur liberté. Je suis sur le Rochas, un nom qui signifie rocher, bien sûr. En effet, le plateau de Bellegarde se termine par des affleurements rocheux dont les couches calcaires redressées témoignent des mouvements du sous-sol qui, voici seulement quelques millions d’années, construisirent le paysage actuel.

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Une placette aménagée sous une vigne par les habitants du Haut Rochas

Le quartier du Roucas remonte au XIIe siècle, à l’époque où les Dignois abandonnèrent le Bourg pour venir se réfugier sous la protection du château construit au XIe siècle et devenu la résidence de l’évêque. Les noms des rues évoquent un monde aujourd’hui révolu, la rue du Four (un des quatre fours banaux de la ville, utilisables par les habitants moyennant une taxe perçue par l’évêque), rue Haute-Ville, montée Saint-Charles (nom d’une chapelle qui se trouvait à l’emplacement de la prison), rue Saint-Jérôme, rue du Figuier, rue des Chapeliers, ainsi que la rue de la Juiverie déjà mentionnée.

C’est à peine si, entre les maisons étroitement accolées, un espace est ménagé ici ou là pour faire place à un mini-jardinet: un pommier colle son tronc contre un mur, un prunier couvert de fruits déborde sur la ruelle. Et voilà encore la mention de ces habitants aussi idéalistes que vaillants, qui cherchent à créer une véritable ambiance de quartier grâce à des activités artistiques, de jardinage, de compostage et d’aménagement d’espaces communs. Mes pérégrinations m’amènent dans la ville nouvelle, animée, commerçante, tout le contraire du Rochas. Attirée par sa devanture attrayante, je pénètre dans la librairie en bordure de la grande place et j’ai le plaisir d’y rencontrer un libraire qui connaît ses livres, aime son métier et trouve à satisfaire mes centres d’intérêt du moment. Me voilà comblée !

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Pierre Gassendi, grand philosophe du XVIIe siècle natif de Champtercier, près de Digne

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L’après-midi, il fait très chaud. Nous avons envie de marcher, mais pas en plein “cagnard”. Dans la documentation touristique disposée à l’accueil du camping, j’ai repéré un lieu qui me paraît intéressant: le Musée Promenade, centre d’interprétation muséographique de l’UNESCO Géoparc de Haute-Provence, dont j’ai aperçu des pancartes publicitaires avant d’arriver à Digne. L’inspiration est bonne: il se trouve un peu en amont de la ville, sur la berge opposée de la rivière et à flanc d’une colline boisée. Quatre sentiers sont proposés, le sentier de l’eau, des papillons, des remparts, du jardin japonais, ponctués tout le long d’œuvres d’art originales.

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Mare, ruisselet, cascade, l’eau est omniprésente sur le parcours du Musée Promenade.

C’est incroyable ! Sur le parking, le soleil tape tellement que nous n’avons qu’une envie, c’est de partir de là. Et sitôt que nous nous engageons sur le sentier de l’eau, nous nous sentons bien: les cigales chantent, nous cheminons sur un sentier bien calibré, qui monte, certes, mais progressivement, à l’ombre d’un bois mixte de feuillus et de résineux. Mais, surtout, ce qui change tout, c’est la présence d’un mini-torrent dont les eaux chantent et adoucissent l’air qui s’imprègne de l’humidité vaporeuse. J’ai du mal à trouver des informations sur l’origine de cette eau omniprésente, que j’imagine issue d’un circuit fermé entre un réservoir amont et un réservoir aval qui recueille les eaux et les remonte à l’aide d’une pompe. C’est totalement faux ! Cette eau coule naturellement et elle est exploitée depuis longtemps.

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Une cascade moussue rafraîchissante
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Des œuvres d’art ponctuent le sentier

Depuis des siècles, l’eau et l’homme modèlent cet espace. La Maison des remparts est bâtie sur un massif  qui porte encore les traces de l’exploitation du tuf, une roche claire et poreuse qui se forme selon le processus suivant. Les eaux de pluie chargées en gaz carbonique (CO2) atmosphérique s’infiltrent dans le sol où elles puisent celui produit par l’activité biologique des végétaux et des bactéries. Ainsi, l’eau s’acidifie et dissout petit à petit le calcaire dont sont formées les roches dans lesquelles elle s’écoule lentement. Après presque deux ans de cheminement souterrain, l’eau retrouve enfin l’air libre dans le domaine de Saint-Benoît, la propriété qui héberge le Musée Promenade, il s’agit donc d’une résurgence (ex. la Grande Bidouze, dans les Arbailles, Pays Basque) ou d’une exsurgence (ex. la Fontaine de Vaucluse).

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Le tuf du domaine Saint-Benoît (Musée Promenade)

Le CO2 est libéré partiellement et progressivement. Le calcaire se dépose alors autour des végétaux. Par leur activité de photosynthèse, ils accentuent encore le phénomène en absorbant le CO2 de l’eau. C’est ainsi que les mousses de la cascade se retrouvent « enrobées » de calcaire, meurent et donnent naissance à la roche calcaire appelée tuf ou travertin. La colonisation de nouvelles mousses est immédiate : la cascade se construit ainsi et grandit en continu depuis plusieurs centaines d’années. Le tuf déposé sur ce domaine de Saint-Benoît a été utilisé dans le passé comme matériau de construction sur place pour construire les remparts, pour le clocher de la cathédrale Saint-Jérôme de Digne, ou encore pour l’hôtel Thoron de la Robine à Digne, remontant à la deuxième moitié du XVIe siècle, pour son escalier et son décor de stuc. Ainsi, l’aspect de cette colline a considérablement changé, puisqu’elle devait être déboisée lorsqu’elle n’était qu’une carrière d’extraction du tuf, et son flanc devait être découpé en degrés ou marches géantes puisque, du fait de la formation de la roche, c’était une exploitation à ciel ouvert.

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Un espace très “cosy”

Les remparts qui délimitent l’aire des bâtiments remontent au XIIIe siècle. Aux XVIe-XVIIe siècles, c’est une teinturerie qui occupait le site à l’emplacement de l’atelier d’artiste. Des fouilles ont montré la présence d’une roue utilisant la force motrice de l’eau. Les bâtiments actuels remontent pour leurs parties les plus anciennes aux XVIIIe-XIXe siècles. Il s’agissait alors d’une maison de maître convertie ultérieurement en exploitation agricole. Les terrasses qui apprivoisent la pente en témoignent encore. Au XXe siècle, des essais de pisciculture réutilisent les bassins de plaisance dont un seul subsiste aujourd’hui. Un centre d’apprentissage puis la colonie de vacances de la ville d’Aix-en-Provence modèlent à leur tour les locaux. Enfin, la ville de Digne acquiert la propriété en 1978. Elle abrite aujourd’hui un parc, des espaces d’exposition, le centre administratif du Musée Promenade, du Géoparc de Haute-Provence et du réseau mondial des Géoparcs en partenariat avec l’UNESCO.

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Un “cairn d’eau”

Une étude de 2009 et un article de 2017 retracent la genèse de la création du Géoparc, une initiative très innovante. Vers la fin des années 1970, l’adjoint à la culture du maire de Digne avait imaginé proposer aux personnes venues en cure dans la ville thermale des activités autour de la découverte et de la collecte (!) des fossiles qui avaient déjà acquis localement une valeur identitaire avec les étoiles de Saint-Vincent et les ammonites. Les fameuses étoiles, encore appelées étoiles des Alpes, sont de petits éléments d’organismes marins, proches des oursins, que les orfèvres de Digne ont eu l’idée de monter en bijoux. À la fin du XIXe siècle, les Bas-Alpins partis au Mexique pour tenter de faire fortune portaient ces bijoux en signe de reconnaissance. La production des bijoux s’est poursuivie jusque dans les années 1960 puis a périclité.

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Dalle aux ammonites, Digne

Les ammonites, mollusques marins à coquille spiralée qui ont vécu à l’époque des dinosaures, sont des fossiles que l’on trouve en abondance en Haute Provence ; près de Digne, en bord de route, une couche calcaire est couverte de ces gros « escargots pétrifiés ». La dalle aux ammonites au milieu du XXe siècle n’était pas encore devenue le site emblématique de Digne ; cela dit les Dignois semblaient déjà attachés à ces pierres et enclins à les protéger sur les quelques mètres carrés qui affleuraient alors. Ainsi un grillage avait été posé pour empêcher les visiteurs et collectionneurs de fossiles d’exploiter le gisement.

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“Cairn d’eau”

L’arrivée à Digne en 1978 d’un jeune étudiant – Guy Martini – envoyé par l’université de Provence (à la demande de la Ville) pour réaliser un inventaire des sites géologiques des environs, allait changer la donne. Soutenu par un groupe d’élus locaux et d’universitaires, Guy Martini a pu faire émerger l’idée d’une Réserve naturelle, malgré l’opposition farouche d’une partie de la population (peur de voir arriver des gardes) et de certains universitaires. Ces derniers craignaient d’une part de n’avoir plus accès à certains sites mis « sous cloche » et redoutaient d’autre part que la publicité faite autour de la Réserve accroisse dangereusement l’exploitation des sites fossilifères de la région par les collectionneurs et surtout par les marchands de fossiles. La Réserve géologique « des environs de Digne » a tout de même vu le jour officiellement après 5 années de négociations à toutes les échelles.

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Des myriades de papillons

Le décret ministériel créant la Réserve (1984), puis l’arrêté préfectoral définissant le périmètre de protection (1989) ont offert un cadre réglementaire visant à enrayer le pillage des sites. Suite au procès retentissant de pilleurs de fossiles qui se déroula à Digne en 1989, un garde fut désormais affecté à la surveillance des zones sensibles. Mais la répression n’ayant jamais été le meilleur outil pour assurer la protection des gisements, la Réserve a développé depuis ses origines une politique de sensibilisation à destination de la population locale (dont certains collectionneurs locaux) et surtout des enfants, par le biais de classes de découverte.

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Un “hôtel à insectes”

En 1991, le premier Symposium international sur la protection des sites géologiques organisé à Digne-les-Bains sous l’impulsion de Guy Martini, fondateur de la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence, réunit près de 200 spécialistes, chercheurs, universitaires d’une trentaine de nationalités différentes, qui mettent en commun leur expérience et leur approche de la protection des sites ou des objets géologiques. Ils adoptent après quatre jours de travaux la « Déclaration Internationale des Droits de la Mémoire de la Terre », texte fondateur du « patrimoine géologique », qui met en évidence le lien insécable de l’Homme avec la Terre.

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Fossile présenté dans le Musée Promenade

La « Déclaration de Digne » a également été à la base du concept de Géoparc né dans les années 1995. Les Géoparcs sont des territoires labellisés par l’UNESCO pour leur patrimoine géologique d’intérêt international, mais aussi leurs patrimoines naturel, culturel et immatériel remarquables. Les sites et paysages géologiques y sont gérés selon un concept global de protection, d’éducation et de développement durable. Le Géoparc de Haute-Provence, situé sur 2000 km² autour de Digne-les-Bains, a été le premier Géoparc créé au monde en 2000, sous la supervision de Guy MARTINI et avec l’appui de l’UNESCO. Il a servi de modèle au développement des Géoparcs à travers le monde. L’Europe a pris le relais en 1997 avec trois autres territoires de Grèce, d’Allemagne et d’Espagne, puis l’Unesco a créé en 2004 le réseau mondial GGN (Global geopark network) qui compte aujourd’hui 147 membres répartis sur les cinq continents.

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Exuvie de libellule

Lorsque je lis les propos du maire de Digne-les-bains qui souligne que « Leur rôle (celui des Géoparcs) est essentiel pour porter les enjeux de changement climatique et de transition énergétique sur les territoires; ils œuvrent pour l’adoption de bonnes pratiques environnementales notamment en termes de tourisme durable », je ne peux pas m’empêcher de faire le parallèle avec l’histoire de la route des dinosaures dans la Rioja (Espagne) que j’ai évoquée dans un récit de 2015. Je la résumerais brièvement comme suit. Acte I: Exploitation peu durable des terres au point que la roche se trouve mise à nu; Acte II: Prise en main par l’État qui bouleverse l’économie locale et détruit l’ordre ancien, ce qui se traduit par un vaste exode rural ; Acte III: Entrée dans l’ère du tourisme par la valorisation de richesses géologiques (notamment les fossiles devenus visibles avec la disparition de la végétation et l’érosion de la fine couche de terre) afin de revitaliser la zone en mettant en avant le développement durable ; Acte IV: Actions et communication sur le plan international pour attirer un public toujours plus nombreux, pour des raisons de rentabilisation économique – ce qui aura forcément un impact sur la “durabilité” du projet…

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La Bléone, affluent de la Durance, serpente sur un lit immense de galets. Son ancien nom Bledona est composé du mot gaulois pour loup, et du suffixe hydronymique -ona ; Bléone signifie donc « la rivière du loup ».

Depuis le sentier pédagogique, je jette un coup d’œil sur la Bléone, infime cours d’eau qui serpente au milieu d’un lit énorme de galets. Pourtant, le barrage EDF de Trente Pas situé sur la Haute Bléone n’est plus exploité depuis les crues de 1994. Qui plus est, cet ouvrage datant de 1938 a été entièrement déconstruit en 2015. La largeur du lit est donc le résultat des fortes crues qui sévissent à la fonte des neiges, grossies du flux des affluents. Pour s’en protéger, le cours de la rivière a été endigué à partir de Digne. Suite au sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro en 1992 et à la loi sur l’eau, la santé du biotope de la Bléone fait l’objet d’un contrôle régulier. Une étude fait état de signes d’eutrophisation sur le cours aval, à partir de la station d’épuration de Digne. Un développement régulier d’algues filamenteuses est observé sur l’ensemble de ce tronçon en période estivale. Il résulte d’une synergie de plusieurs facteurs :
– l’augmentation nette des teneurs en nitrates et phosphates dans les eaux, apportés par le rejet de la station d’épuration de Digne,
– des conditions hydrodynamiques, morphologique (débit faible, écoulement en lame d’eau) et climatique (réchauffement des eaux) en été, propices et déterminantes. En ce qui concerne les taux de nutriments, il faut rappeler que l’élément phosphore issu des rejets domestiques est le paramètre limitant dans le processus d’eutrophisation.

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Une œuvre d’art insérée dans la nature

Outre le parcours très agréable dans cet environnement naturellement tempéré par la présence de l’eau, nous apprécions particulièrement les œuvres d’art qui y sont disséminées, comme ce kiosque dont l’auteur a peut-être puisé à la fois son inspiration dans l’architecture chinoise ou japonaise, mais aussi dans l’astronautique ou la science fiction. Un artiste de renommée internationale faisant partie du mouvement Land Art, Andy Goldsworthy, a réalisé des œuvres sur tout le territoire du Géoparc de Haute-Provence (Refuge d’Art). Il réalise en 1998 pour le Musée Promenade cinq “cairns d’eau”. L’eau qui circule à l’intérieur des cairns creux est audible et invisible comme l’eau dans le Musée-Promenade: elle est présente partout même si on ne la voit pas. Chaque cairn est une chambre d’écho amplifiant le son d’un ruisseau souterrain les reliant.

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La limule, un “fossile vivant”

La Maison des Remparts est à la fois un musée sur la géologie, avec l’accent mis sur les fossiles présents dans la région, mais aussi un aquarium exotique où j’ai la surprise de voir la vivacité d’une limule en train de chercher sa nourriture en creusant le sable avec la partie antérieure de son corps qu’elle utilise comme une pelle tenue à l’envers qui fait levier. C’est un arthropode marin ressemblant à un crabe ayant une forme de fer à cheval. Le conservatisme morphologique exceptionnel des Limulidae au cours des 150 derniers millions d’années a conduit à leur réputation de « fossiles vivants ». Cependant, certaines études montrent qu’un grand nombre de caractères moléculaires distinguent les organismes actuels des espèces éteintes, même morphologiquement proches. La Limule est parfois appelée « crabe des Moluques » ou « crabe fer à cheval » ou encore « crabe au sang bleu », bien qu’il ne s’agisse pas de crustacés mais de chélicérés, comme les araignées et les scorpions.

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La limule galope sur le fond du bassin

Récemment, le Musée Promenade a fait l’objet de deux polémiques. En effet, bien que ce soit le troisième site le plus visité du département, la structure connaissait des difficultés financières depuis plusieurs années. Il y a eu des licenciements et la communauté de communes qui gère le musée a décidé de renflouer les caisses en rendant payante l’entrée du site et en projetant d’augmenter sa fréquentation de près de 20%. Pour les Dignois, payer pour se promener dans leur forêt était inacceptable, ce changement de cap n’était pas du goût des habitants qui ont obtenu l’accès libre du musée hors saison.

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Clyménie, Dévonien (360 Ma), Erfoud (Maroc)
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La limule fait penser à un tank ou un casque militaire.
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Mene rhombea, Eocène (40 Ma), Vérone (Italie)

Une autre dérive a été récemment observée avec la nécessité de « rentabiliser le patrimoine géologique » et d’augmenter le flux touristique. De nouveaux projets d’exposition de collections de fossiles sont évoqués, pour présenter des pièces toujours plus belles, toujours plus grosses, toujours plus rares… mais malheureusement toujours plus loin de leurs sites d’origine. Collecter pour exposer : mais n’était-il pas question du patrimoine géologique dans un espace naturel ? Que nous raconteraient les 1 550 ammonites de la dalle de Digne, si elles avaient été extraites de leur environnement pour être présentées dans une exposition ?

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Scénographie de fossiles devant des œuvres d’art
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La grande cascade, présentée comme une œuvre d’art

Les ammonites, par leur forme et leur aspect esthétique, ont longtemps fasciné les peuples de tous les âges et tous les continents. Beaucoup de mythes et de légendes ont circulé sur le compte de ces céphalopodes aujourd’hui disparus. En Grande-Bretagne, dans la région de Whitby dans le Yorkshire, la légende raconte que les ammonites étaient des serpents qui auraient vécu jusqu’au XIIe siècle après J.-C. L’abbesse saxonne Sainte Hilda (614-680), voulant construire son couvent, trouva un moyen original de libérer la zone de ces reptiles envahissants: elle les transforma en pierres qui gardèrent leur forme d’origine et perdirent la tête en mourant. Le terme “snakestone”, ou pierre-serpent, est ainsi devenu usuel pour désigner les fossiles d’ammonites. Avec le temps, le “snakestone” est devenu l’emblème de Whitby et des monnaies comportant trois de ces figures sont connues dès 1667.

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Un torii japonais à Digne !

Nous passons devant la grande cascade, puis descendons par le sentier des papillons avant de nous rendre au jardin Kamaishi, nom d’une ville japonaise avec laquelle est jumelée Digne-les-Bains depuis le 20 avril 1994. Ce jardin s’appuie sur la symbolique japonaise entre l’homme et les saisons: le Printemps qui représente l’enfance est symbolisé par des végétaux à floraison printanière de couleurs blanches et roses, l’Été représente la jeunesse et est symbolisé par des végétaux à floraison estivale de couleurs blanches et roses, l’Automne qui représente la vie adulte est symbolisé par des végétaux à coloration automnale décoratifs, l’hiver représente la vieillesse et l’immortalité, symbolisé par des végétaux persistants.

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Un jardin japonais au Musée Promenade de Digne
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Nautile impérial, Philippines (Indopacifique)
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Marie Christine Auriau
4 années

Coucou Cathy,
encore un très bon moment passé en ta compagnie… C’est toujours un régal de te lire, j’ai l’impression de voyager avec toi dans l’espace et dans le temps. Merci de prendre le temps de nous écrire tous ces merveilleux récits qui nous font rêver et nous apprennent beaucoup ! Bonne continuation de votre voyage, et rentrez… sains et sauf !

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