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Organisateurs : Mag et Jean-Jacques Delétré – Guide naturaliste : Hervé Roques – Participants du Groupe Dimitri : Viviane; Mylène; Jacques et Marie-France; Jean-François et Danièle; Jacqueline; Françoise R.; Françoise I.; Claudine; Cathy et Jean-Louis; Anita et Jean-Vincent |
Une étude de Jean-Claude Hocquet, directeur de recherche émérite (CNRS) retrace l’histoire du sel de la Baie. “Vers l’an Mil, la région côtière entre Loire et Gironde commence à développer une activité salinière plus importante, car elle dispose de deux éléments favorables, l’ensoleillement estival et la proximité de grandes rivières par lesquelles le sel gagne l’intérieur du pays. Au centre se trouve la baie de Bourgneuf avec les îles de Bouin et Noirmoutier, au sud Brouage, la basse vallée de la Seudre et les îles de Ré et Oléron, au nord enfin la vaste lagune entre Guérande et Le Croisic. Au-delà, dès les côtes de Bretagne, il fallait chauffer l’eau avec un combustible pour produire du sel. Ces marais adossés à des régions peuplées mais dépourvues de sources salées comptaient déjà des milliers de petits bassins de cristallisation autour de l’an Mil. Ils se développèrent lentement les deux siècles suivants, puis, au XIIIe siècle, la croissance démographique, l’expansion des villes, la création de nouvelles nourritures et le développement des pêches maritimes dans les mers du Nord, la conservation par le moyen des salaisons, les conséquences de la révolution nautique qui invente de nouveaux navires plus sûrs, aux capacités de chargement accrues, créent de nouveaux débouchés pour le commerce du sel de la Baie. Les marais salants reçoivent la visite de vaisseaux de Hambourg dès la fin du XIIIe siècle. Au XIVe siècle, les vaisseaux hanséatiques ou anglais descendent régulièrement le long des côtes de France pour embarquer le sel et les vins. Une véritable fièvre d’aménagements de salines se produit, mais l’offre est irrégulière, assujettie aux intempéries, soumise aux troubles politiques ou militaires, et la zone devient l’un des enjeux principaux du long conflit franco-anglais.”
“Ravitailler les trois-quarts du royaume de France, vocation première des marais de l’Atlantique et, en situation de quasi-monopole, l’Europe du Nord, de la Grande Bretagne aux rivages orientaux de la Baltique, impliquait une production massive. Au XVIe-XVIIe siècle, production et commercialisation portaient sur plus de 300 000 tonnes, 500 000 tonnes paraissant une capacité vraisemblable. Les rois de France dont les besoins et les soucis fiscaux étaient immenses avaient imposé au sel vendu sur le marché intérieur une pesante taxation, la gabelle. Cet impôt impopulaire avait pour effet de contenir la consommation à un niveau très faible. Mais le sel exporté était exempt de taxe, de peur de perdre ces marchés fructueux qui se seraient approvisionnés à des sources plus lointaines (Portugal, Espagne). Tant que les salines continentales produisirent du sel à coût élevé à cause de la multiplicité des travaux, puisage de la saumure, entretien du puits, transport de la saumure, coupes, achats et transport de bois, cuisson en petites poêles, faible productivité, le sel de la Baie jouit d’un monopole de situation indiscuté. Le roi de France en fit une arme économique qui l’opposait régulièrement aux pays maritimes du Nord, la Hollande ou l’Angleterre. En temps de blocus, les navires gagnaient la péninsule ibérique, allaient jusqu’aux îles du Cap Vert ou aux Caraïbes. Le trafic du sel constituait un des frets les plus importants des marines atlantiques et méditerranéennes.”
“Mais dès la fin du XVIIe siècle, le sel solaire subissait à son tour la concurrence des sels ignigènes écossais et anglais produits au charbon. Depuis le bas Moyen Age, la Grande-Bretagne s’approvisionnait pour les trois quarts de ses besoins en sel atlantique de la Baie, du Portugal ou d’Espagne. En 1700, elle continuait d’importer des sels marins, mais elle avait commencé à exporter ses sels communs vers les Pays-Bas, l’Irlande, les Indes occidentales et ses colonies d’Amérique du Nord. Le coût relativement réduit du sel de la Baie tenait à l’utilisation d’énergies gratuites, soleil et vent. Il fallait découvrir des énergies meilleur marché que le bois au faible pouvoir calorique utilisé dans les salines ignigènes continentales. Le charbon anglais d’extraction facile allait offrir une alternative, rendue d’autant plus nécessaire du fait de l’épuisement des forêts à partir du XVIe siècle. Celui-ci servit d’abord à faire évaporer directement l’eau de mer autour de Shields (Northumberland) et du Firth of Forth (Ecosse), appelées les “coal and salt towns” (villes charbon et sel). Les exportations de sel écossais furent favorisées durant la guerre de Trente Ans (1620-1640) quand les troubles civils, religieux et militaires paralysaient toute activité commerciale sur le continent. A partir de 1657, Newcastle fit de même, puis au milieu du XVIIIe siècle, le sel du Cheshire provoqua en quelques dizaines d’années la fermeture de toutes les raffineries côtières.”
“Lors de la prospection de charbon, de nouveaux bancs de sel gemme furent découverts à Marbury. Alors que sur la côte Nord-Est il fallait 6 à 8 tonnes de charbon pour produire une tonne de sel à partir de l’eau de mer, en Cheshire vers 1660 Nantwich produisait 6 à 8 fois plus de sel à la tonne de charbon. Le port de Liverpool, déjà converti d’un modeste port de pêche en un florissant port de commerce grâce au trafic triangulaire, dopa sa croissance avec l’exportation de sel gemme, celui-ci constituant un excellent fret de retour pour les vaisseaux commerçant avec la Baltique et l’Europe du nord. Bien placée par rapport aux mines de charbon du Lancashire proche, Liverpool fit transporter le sel gemme en solution depuis sa zone d’extraction et, pour abaisser ce coût, canalisa la Weaver. De 1747 à 1777, les chargements de sel gemme descendant la rivière quadruplèrent et ceux de sel blanc doublèrent. Le troisième grand changement intervint alors avec l’introduction de la pompe à vapeur dès 1778 pour extraire la saumure du gisement salin et l’invention de la locomotive, machine à vapeur sur rail, qui libéra de la dépendance à l’égard des voies fluviales. Au XIXe siècle, le sel contribua au développement de trois industries à Liverpool : l’industrie chimique, le savon et le verre. Après 1870, un million de tonnes par an fut régulièrement exporté. Le sel était devenu, après le charbon et le fer, le troisième article d’exportation anglais. Au XXe siècle, ces nouvelles industries ne cessèrent de gagner en importance et en puissance, faisant la fortune de leurs entrepreneurs. De nos jours, ce sont d’énormes sociétés multinationales qui se partagent les bénéfices de l’exploitation et du commerce du sel.”
“En industrialisant ses productions, y compris pour les aliments, l’homme va modifier encore une fois très rapidement son régime alimentaire. En moins de 200 ans nous nous sommes de plus en plus éloignés du produit frais. Cette tendance s’accompagne d’un surcroît de denrées alimentaires, auxquelles s’ajoutent les sucres “rapides” de la confiserie et de la pâtisserie, les acides gras saturés de la charcuterie et de la crémerie, le sel à foison, et divers toxiques, conservateurs, colorants… et d’une carence en fibres végétales. Après la carie ce sont véritablement l’obésité généralisée et ses complications (diabète, maladies cardio-vasculaires, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, rétention d’eau) qui nous guettent ! Toutes ces pathologies sont liées, l’une pouvant entraîner les autres. L’hypertension peut être à l’origine d’insuffisance cardiaque, qui peut conduire à une diminution du débit urinaire et ainsi à de la rétention d’eau. Une restriction trop drastique peut mener à une déshydratation, un manque d’appétit et des troubles neurologiques, en particulier chez les sujets âgés et les sportifs (perte de sodium par sudation). A l’inverse, l’hyponatrémie, c’est-à-dire une faible concentration de sodium dans le sang (inférieur à 130 mmol/l*), est à l’origine de nausées, vomissements, maux de têtes, fatigue physique, difficultés à respirer, dégoût de l’eau et même de troubles neurologiques (confusions, convulsions pouvant parfois évoluer jusqu’au coma, etc.). Les causes peuvent être variées, mais ces états peuvent être dus à un apport en eau trop important et une carence en sel.”
(*) Le sel de table est du chlorure de sodium (NaCl) dont les éléments (chlore et sodium) sont séparés lors de la digestion. La mole est une unité de comptage au même titre que la centaine, la vingtaine ou la douzaine, sauf que cette unité de comptage est immense (environ 600 000 milliards de milliards d’unités). De la même manière qu’il y a autant d’éléments dans une douzaine de pommes que dans une douzaine d’œufs, il y a le même nombre d’atomes dans une mole de carbone que dans une mole de plomb (c’est-à-dire 602 214 milliards de milliards d’atomes). Comme toutes les unités, les multiples de la mole sont décrits avec les préfixes du système international d’unités. Son sous-multiple le plus courant est la millimole (mmol) = un millième de mole. Ici, la concentration s’exprime en millièmes de moles par litre.
D’après une étude menée par L’Agence française de sécurité sanitaires des aliments (Afssa) en 2002, les français consomment en moyenne 10g de sel par jour dont seulement environ 20% serait trouvé naturellement dans les aliments ou rajouté lors de la cuisson. Ceci signifie que 80% du sel consommé provient des produits alimentaires issus de l’industrie. Les fruits de mer sont riches en oligo-éléments dont le sodium. Les œufs (surtout le blanc : 0,16g de sodium par 100g de blanc d’œuf), le lait, la viande et certains légumes frais (asperge, betterave, céleri, radis et laitue) sont également des sources non négligeables. Une enquête a été menée par 60 Millions de consommateurs entre 2003 et 2008 sur 357 produits afin d’évaluer leur teneur en sel. Cette étude a montré que celle-ci était restée constante pour la majorité des produits malgré les recommandations de l’Afssa.
Parmi les aliments enquêtés se trouvaient :
- Le pain : environ 1,9g de sel pour 100g de produit.
- La charcuterie : 2g/100g pour le jambon cuit, 5,1g/100g pour le jambon cru et 4,6g/100g pour le saucisson.
- Les fromages : par exemple camembert 1,6g/100g, chèvre 1,8g/100g et bleu 2,5g/100g ; alors que l’emmental n’en contient que 0,7g/100g.
- Les soupes : liquides et déshydratés 0,75g/100g.
- Les plats cuisinés : entre 1,3 et 0,9g/100g.
- Les snacks (quiches, pizzas, etc.) : 1,3g/100g.
Bien que leur teneur ait baissé, les céréales pour petit déjeuner restent toutefois trop riches en sel (en moyenne entre 1,9 et 0,9g/100g). En plus de ces produits, les viennoiseries, les biscuits, les pâtisseries, les biscottes, les jus de légume, les sandwiches, les gâteaux apéritifs, les fruits oléagineux salés, le beurre salé, la margarine et certains condiments (la sauce soja, le ketchup, la mayonnaise…) sont particulièrement salés. On remarque que ceci concerne non seulement les aliments à goût salé mais également ceux à goût sucré. Le sel est utilisé de plusieurs façons. C’est un exhausteur de goût. Il est très largement utilisé comme agent de conservation naturel. En réduisant la quantité d’eau présente dans le produit, le sel limite la croissance des microorganismes indésirables. Les aliments concernés sont la viande, le poisson et les produits laitiers, en particulier le fromage et le beurre.
Malgré l’apparition des réfrigérateurs, la conservation par le sel reste importante et aide à maintenir une bonne hygiène pour certains aliments. C’est aussi un agent de liaison, il permet de maintenir la texture de la viande et d’éviter les pertes durant la cuisson. Il fait également dégorger certains aliments tels que les légumes (aubergines, champignons, concombres…). Il peut avoir le même effet sur les viandes à condition que les fibres musculaires aient été coupées de travers comme pour le blanc de poulet ou l’entrecôte. Tout comme les nitrates, le sel donne à la charcuterie telle que le jambon, le bacon et le saucisson une couleur plus attrayante. Il intensifie également la couleur dorée de la croûte de pain en réduisant la destruction des sucres dans la pâte et augmentant la caramélisation. Le sel permet de limiter la levée des pains en régulant la fermentation et retardant la croissance des bactéries, des levures et des moisissures. Ceci permet aussi de conserver le produit en limitant le développement des bactéries nocives pour la santé. Il intervient dans la fermentation et l’élaboration de la croûte des fromages. Le sel renforce la tenue du pain, apporte un grain et une texture uniforme en agissant sur le levain ainsi que sur la teneur en eau contenue dans celui-ci. Modifier la quantité de sel présent dans les aliments, en particulier le pain, la charcuterie et le fromage, aura des conséquences sur leurs qualités organoleptiques mais également apportera des contraintes technologiques et sanitaires durant la fabrication de ces aliments. Il est ainsi difficile de réduire la quantité de sel présent dans la charcuterie sans porter atteinte aux critères de production et d’hygiène.