Conférence de François Loustau à Asporotsttipi, Maison de la Corniche basque, CPIE Littoral basque, Hendaye.
Du Néolithique au 21° siècle, l’abeille apparaît insidieusement dans l’histoire de l’art. Aussi bien pour son symbolisme que pour ses caractéristiques biologiques ou sociales, elle s’invite dans nombre d’œuvres visuelles, musicales, architecturales. La conférence suit son vol, du pollen à la ruche, à travers les époques. L’abeille est multiple. Elle peut être associée à des emblèmes de pouvoir (Childéric, Napoléon), inquiéter par son aiguillon (légende d’Éros) mais aussi, être en résonance avec les considérations environnementales actuelles, elle devient emblème écologique, et accompagne des artistes dans des attitudes plus collaboratives ou contemplatives (Wolfgang Laib…). Les constructions des abeilles sont aussi une source d’inspiration pour certaines formes architecturales. Et l’on pourra envisager de surprenantes correspondances entre les abeilles et le début des sociétés humaines. La conférence navigue ainsi entre différentes formes artistiques, plonge dans l’histoire de l’art et évoque des démarches contemporaines. François LOUSTAU est commissaire d’exposition indépendant. Il dirige La Maison, structure de diffusion d’art contemporain située à Bayonne. Il travaille notamment sur les liens entre art, patrimoine, archéologie, géographie et musique. Depuis 2008, la Maison a notamment travaillé avec le Musée d’Aquitaine, le Musée Vesunna, le Frac Aquitaine, Le Bel Ordinaire, la Villa Beatrix-Enea, le Musée Bonnat, le Musée Basque…
Le 20 avril 2019, le conférencier parlera de biodiversité.
La conférence commence par une photo d’Elgorriaga (Navarre) qu’accompagne le son d’une ruche et des voix d’enfants. Il s’agit d’un programme de cartographie sonore du Pays basque. Ce document montre la proximité des abeilles et des humains dans une cohabitation ancestrale.
La Cueva de la Araña (Valencia, Espagne) est ornée de peintures rupestres appartenant à l’art du Levant. Un peu partout en Espagne on trouve de l’art pariétal. Cette peinture représente la récolte du miel, un sujet original dans l’art préhistorique qui représentait davantage les grands herbivores comme ces cervidés par exemple. Le relief est mis à profit pour figurer l’essaim.
Ensuite, c’est une photo de récolte du miel au nord de l’Inde, au Népal, avec des cordes à flanc de falaise, selon une technique qui doit être très ancienne.
Dans l’ancienne Égypte, l’abeille avait une forte symbolique. Elle était prisée pour ses vertus curatives. On voit ci-contre une abeille, des rayons et de pots, sans doute pour récolter le miel. Associée au roseau, elle représentait le rassemblement de la Haute et de la Basse Égypte, le symbole du pouvoir et de l’unité.
A Ephèse, une ville de la Grande Grèce située en Anatolie (Turquie), il y avait le temple d’Artémis, symbole de la cité, déesse de la chasse et de la faune sauvage. Chez les Romains, elle était appelée Diane chasseresse. La statuaire d’Ephèse présentait la singularité de figurer des abeilles.
Chez les Maya, l’abeille était représentée sur le codex dont il ne reste que quatre documents conservés à Dresde, Paris, Madrid et Mexico, tous les autres ayant été détruits par les conquérants espagnols. Sur un grossissement, on voit une abeille représentée de face avec des dents. Elle était un dieu créateur de l’écriture, du calendrier et de la médecine.
Au Moyen-Age, cette illustration montre tout le processus de la récolte. Il existe peu de représentations de l’abeille car elle est très petite. Le problème a été résolu ici en la figurant bien plus grande qu’en réalité.
C’est une peinture du 13e siècle qui a pour sujet le miracle de Galia qui se trouve dans une ruche.
Albrecht Dürer représente Eros, Vénus et les abeilles en 1514. C’est le thème de l’arroseur arrosé, car le rôle d’Eros, c’est de piquer, d’envoyer des flèches qui rendent amoureux. Là, il est puni pour avoir été trop curieux.
Lucas Cranach (1472-1553) a réalisé une série sur le thème de Cupidon qui s’est étalée sur vingt ans. On remarque les styles qui diffèrent au cours des années, les chapeaux de Vénus, les arrière-plans…
Faisons un saut dans le temps pour passer à Dali. En 1944, il peint le rêve de Gala. L’abeille est représentée au bas du tableau, tournant autour d’une grenade en émettant un bruit semblable à la baïonnette qui menace Gala. L’abeille a un rôle de protection, son bourdonnement réveille Gala et la sauve…
Ingres peint en 1806 Napoléon 1er qui prend des emblèmes différents de la royauté. Il choisit l’aigle et les abeilles, pour ancrer sa filiation à partir de Childeric 1er, père de Clovis. Les abeilles ornent son manteau. En 1653, à Tournay en Belgique, une tombe a été découverte. Elle contenait un trésor dans le style des Mérovingiens et l’on a présumé qu’il s’agissait de la tombe de Childeric 1er. Parmi les bijoux, il y avait 300 abeilles cloisonnées d’or et de grenat qui devaient être brodées sur un vêtement. Le trésor a été dispersé, 27 abeilles ont été offertes à Louis XIV. Il est probable que Napoléon 1er a vu le trésor, mais une partie de celui-ci a été volé, la France ne possède plus que deux abeilles.
Pause musicale : le vol du bourdon de Rimsky Korsakov joué au piano par Alberto Lodoretti (vidéo). Cette pièce de musique est devenue un prétexte à concourir pour la virtuosité, c’est à qui la jouera le plus rapidement. Ce sont les Chinois qui sont les champions.
En 1964, Franck Stella crée des œuvres de forme hexagonale, comme les alvéoles de la ruche, l’hexagone est bien présent dans l’histoire.
En 1988, Vasarely réalise des œuvres en jouant sur les formes et les perspectives. En 1976, il peint Hexa. La fondation Vasarely, située à Aix-en-Provence, se situe dans un bâtiment dont le plan est une juxtaposition d’hexagones.
Les mathématiciens ont réfléchi à la cause de la forme hexagonale des alvéoles de cire de la ruche : ces figures identiques ont la caractéristique de permettre la plus grande économie de matière. Elle a donc été une inspiration dans l’architecture.
Par exemple Marcel Breuer fait édifier en 1961 une belle église au Minnesota ; elle a une grande résistance, une belle luminosité pénètre à l’intérieur et elle est construite avec une économie de matériaux. Aux États-Unis, des grands ensembles sont composés d’une juxtaposition de cellules identiques. Au milieu du XXe siècle, c’était une nouveauté. Elles évoquent l’égalité, comme celle qui est supposer régner entre les abeilles dans la ruche. Il y a aussi la ZUP à Bayonne (immeuble Breuer).
Ce systématisme est très ancien. Çatal Huyuk, en Anatolie, est l’une des plus anciennes villes du monde. Elle a été bâtie vers 6000 avant notre ère et elle hébergeait plusieurs milliers d’habitants. Elle regroupe des maisons accolées les unes aux autres, sans rue, il n’y a que des cours intérieures. C’est un urbanisme très différent de celui qui existera par la suite. L’accès aux maisons se fait par le toit, et la circulation s’effectue de terrasse en terrasse. L’ouverture par le toit se distingue des ruches où les abeilles pénètrent par la façade. Une fresque murale représente un volcan qui domine le village représenté comme un plan. S’agissait-il déjà de préoccupation d’urbanisme ? Ces maisons évoquent un ensemble de cellules accolées, même si elles sont cubiques et non hexagonales. Il y a aussi la peinture d’une ruche, qui a donc été observée et a influencé l’urbanisme et les modes d’habitat collectif comme c’est encore le cas à l’heure actuelle.
Eden Projekt, au Pays de Galles.
Séville 2011, Jürgen Mayer.
Le centre Pompidou à Metz.
Interlude musical : Franz Schubert, The bee, avec Joseph Szigeti au violon.
Kew Garden, vidéo : Wolfgang Buttress, The hive (la ruche), 2015-2016. Des capteurs de son et de mouvement ont été mis à l’intérieur d’une ruche. Ils animent une structure qui vit au rythme de la ruche (lumière et son). C’est une façon de parler de ce qui est caché en transposant dans une autre dimension. Site Internet : www.kew.org
L’abeille est un symbole écologique fort, une espèce en voie de disparition (?), une espèce pollinisatrice. Les artistes s’emparent de cette charge émotionnelle pour toucher le grand public. Elle a aussi une charge poétique.
Pierre Grangé-Praderas est en résidence au domaine d’Abbadia. Il a des ruchers à Bordeaux, c’est un scientifique et un artiste. Au musée CAPC il y a une œuvre d’art ouverte sur l’extérieur, dans laquelle les abeilles pénètrent par un pavillon. Travail sur la relation animal/homme. Une autre de ses œuvres est à Asporotsttipi.
La prochaine conférence de samedi prochain sera de ce « poète ».
intermède vidéo sur Tomas Libertiny (hollandais) qui travaille avec les abeilles. Il fabrique des objets fragiles, précieux, éphémères, faits par les abeilles sans rapport de domination.
Ren Ri fait un travail similaire de fabrication de rayons de cire par des abeilles à l’intérieur d’une boîte transparente munie d’ouvertures et traversée par deux baguettes. Il la pivote au fur et à mesure de la construction pour faire évoluer la structure de cire construite en fonction de la gravité.
Wolfgang Laib a fait des études de médecine et il a longtemps vécu en Inde. Il travaille avec des matériaux bruts, le riz, le lait, le pollen. Par exemple, une dalle de marbre blanc légèrement creusée est placée dans une grande salle de musée. On y verse un peu de lait qui finit par cailler, signe de la fragilité du vivant, de la nécessité d’entretenir cette œuvre (en renouvelant le lait). Ses œuvres invitent à la contemplation. Il travaille aussi avec le pollen et la cire d’abeille. Il passe beaucoup de temps dans la nature à prélever le pollen, comme une séance de méditation.
Interlude : vidéo sur le travail de cet artiste. Œuvre « Pollen from Hazelnut » (pollen de noisetier ?) : lien avec la nature, temps démultiplié de sa collecte, vibration du pollen, fragilité (car il est juste déposé au sol à travers une passoire). C’est une œuvre profonde, qui demande de l’attention.
La chambre des certitudes est faite d’alvéoles couvertes de cire d’abeille, « interdépendance », on est à l’étroit à l’intérieur, il faut prendre garde à ne pas se cogner, il y a une résonance. Il a des œuvres à Berlin et dans les Pyrénées orientales.
Jeroen Eisinga, Springtime, 2011. Cet artiste travaille le contrôle de soi, la méditation, il s’applique à rester immobile alors qu’il est piqué une trentaine de fois pendant que les abeilles lui recouvrent progressivement toute la tête (nez et oreilles obturés) formant un essaim autour de la reine.
Pierre Huyghe se préoccupe beaucoup de biodiversité : il réalise des environnements qu’il laisse évoluer.
To the moon, 2012 : performance réalisée dans l’amphithéâtre d’Arles. L’acteur porte la reine et l’essaim se forme autour. Il montre une œuvre en train de se faire, comment l’homme cohabite et coopère.
Intervention à la fin de Birgit Munsch : birgitmunsch.com, elle réalise une œuvre collective située en Alsace (elle réside à St Martin de Seignanx).
Petit partage, plasticienne j’ai réalisé une série de dessins aux crayons de couleur évoquant, par une suite d’abeilles mortes, la pollution par les substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir :
https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html
Une seconde série en écho “Hommage à Magritte” : https://1011-art.blogspot.com/p/hommage-magritte.html
Ces séries sont présentées dans le cadre des Rencontres Philosophiques d’Uriage en octobre et novembre 2019 répondant à la question “L’art peut il changer le monde ?”