

D’ordinaire, lorsque nous passons à Louhossoa, nous poursuivons tout droit en direction de la base de loisirs du Baigura pour faire l’ascension de ce mont, mais aujourd’hui, nous avons décidé d’obliquer à gauche pour démarrer notre randonnée de Macaye. Situé à mi-chemin entre Cambo les Bains et Hasparren, ce petit village est composé de trois hameaux centrés autour des restaurants, du trinquet et de l’église. Ses 540 habitants vivent principalement de l’élevage, pratiqué dans des fermes éparpillées sur les collines: six produisent du lait de vache, 17 du lait de brebis et quatre du lait de chèvre. Ce lait est vendu à la fromagerie Onetik installée sur place. Elle emploie une centaine de personnes et produit, entre autres, la marque Ossau-Iraty. Collectant le lait de 250 producteurs du Pays basque, elle fabrique environ 2 600 tonnes de fromages par an. Le paysage se ressent de ces activités agricoles. Il est entièrement morcelé en parcelles de champs, de prairies et de bosquets entourées de quadruples, voire quintuples rangs de barbelés acérés. En ce début de février, peu de bêtes sont visibles, quelques vaches, un troupeau de brebis, quelques pottoks, des meuglements montent d’une étable, mais sur un chemin d’altitude les bouses sont encore fraîches et odorantes.



En raison de cette appropriation des terres, peu d’espace est laissé au simple promeneur du dimanche et nous devons marcher un bon moment sur la route, certes peu fréquentée, mais peu agréable aux citadins que nous sommes, en quête d’un peu de nature sauvage. Rejoignant enfin un sentier de terre, nous gravissons le flanc sud du Mocorreta, puis sud-est de l’Olhamendi, pour terminer en vue (encore lointaine) de l’Ursuya. Des ruisselets dévalent ces mamelons dans le creux des vallons bordés de platanes – surtout en aval -, bientôt remplacés par de vénérables chênes têtards et de belles châtaigneraies. Les champs et les prairies s’interrompent à mi-hauteur pour laisser place à une lande de fougère qui a été récoltée pour faire des litières au bétail. Les sommets arrondis prennent donc une couleur brunâtre, à l’allure désolée en comparaison du vert éclatant des pâturages. La matinée avance, les nuages se dissipent et l’air se réchauffe. Les vautours ne tardent pas à apparaître, pénétrant les uns après les autres dans une vaste ascendance giratoire qu’ils sont seuls à percevoir. J’adore les voir planer sans un mouvement d’ailes, glissant sans peine et prenant de l’altitude dans un ballet féérique. Deux oiseaux se suivent en un tandem silencieux mais parfaitement coordonné, puis se séparent avec grâce.



A ces grands voiliers se mêlent des rapaces de moindre envergure, au vol plus incisif, plus rapide, dont la silhouette se perd très haut dans l’azur pour réapparaître soudain au ras des arbres et des alpages: ce sont les milans royaux. Ils s’annoncent par un sifflement aigu, c’est curieux d’avertir leurs futures proies de leur arrivée ! Je ne me lasse pas d’observer leur manège: ces chasseurs sont bien plus actifs que les grands charognards, capables d’attendre jusqu’à trois semaines l’aubaine d’un cadavre de grand herbivore. Il y a aussi bien sûr les corneilles, omniprésentes, qui se déplacent bruyamment en petits groupes de deux à cinq individus, et les palombes, celles qui ont choisi d’hiverner au Pays basque, et celles qui effectuent déjà leur trajet de retour vers leur site de nidification et s’offrent une courte pause dans leur long voyage. L’importance de l’avifaune hivernale en plaine du Pays basque s’explique par des pratiques agricoles qui lui offrent d’abondantes ressources alimentaires: le maïs attire le pigeon ramier, le pinson du nord, l’étourneau, et les labours d’hiver laissent les sols nus et boueux, propices aux échassiers. En outre, ces champs avoisinent des dortoirs (les ajoncs pour les grives, les combes boisées pour les pinsons du nord) et des zones où se réfugier en cas d’alerte. Le bocage est favorable aux oiseaux nicheurs et hivernants. En plaine, il accueille 54 espèces nicheuses et 28 hivernants ou migrateurs. La lande n’accueille que 37 espèces nicheuses et pas d’hivernants, le manque de nourriture étant un facteur très limitant. Cette dernière constitue par contre une zone importante de dortoir ou de refuge.

Un site (en lien) fait le bilan des effectifs du milan royal en hivernage. Sur l’ensemble des Pyrénées, soit le regroupement de 7 départements, Pays basque-Béarn, Hautes Pyrénées, Haute Garonne, Ariège, Aude, Gers, Pyrénées orientales, le comptage effectué en décembre 2017 – janvier 2018 révèle la présence d’environ 5 500 milans royaux en hivernage, dont 2 000 en Pyrénées atlantiques.



Le rédacteur du site relate les difficultés d’appréciation de leur population réelle. “Conditions météorologiques contrastées ? Meilleure disponibilité alimentaire ici et/ou médiocre ailleurs ? Progression de la connaissance ? Conséquence d’une situation de l’espèce ou plutôt de la population nicheuse en amélioration dans certains territoires ou pays de son aire de répartition ? Après un effectif de passage record sur les cols basques cette année (Observatoire de la migration en Aquitaine –LPO), un important hivernage qui se confirme en Suisse (A. Aebischer) et peut-être dans d’autres pays du nord et de l’est de l’Europe, et cet effectif, pour le moment «historique», des Milans royaux hivernant dans les Pyrénées, les dernières nouvelles de cette espèce apparaissent plutôt prometteuses.” L’an passé (cf. lien), il écrivait aussi: “L’évolution de l’action (et non de la population !) affiche une progression de la connaissance, que ce soit en nombre de dortoirs ou bien d’estimation de la population… Une approche objective de la tendance de la population apparaît donc encore et toujours prématurée, relativement à la progression de la connaissance.” Il ajoute, toujours en 2017, un commentaire sur les mentalités très spéciales de notre département des Pyrénées atlantiques: “Cette carte relève malheureusement encore et toujours un «vide» entre le Béarn et le Pays basque, lacune qui semble correspondre davantage, pour l’instant, à un «no observers land» qu’à un véritable «no Red kite land» non confirmé. Elle met par contre en évidence une progression de la connaissance dans les territoires les plus septentrionaux de nos départements.”

Le comptage s’effectue le soir, lorsque les milans royaux se regroupent en dortoirs pour y passer la nuit. Toujours sur le bilan 2017, le rédacteur explique la difficulté de ce relevé. “Les dortoirs sont localisés, souvent fixes, enregistrant au mieux des variations d’effectifs, au pire une inoccupation. Sur certains secteurs, en périphérie de ces dits «dortoirs», de nouveaux regroupements localisés affichent également d’importantes variations et à y regarder de plus près,… en relation avec le site initial ! Ces différents sites peuvent être appelés: pré-dortoir, post-dortoir, dortoir principal, secondaire, annexe, satellite, de repli, etc., sachant que dans la majorité des cas ces sites seront, selon les années, et même les soirs, utilisés pour l’une ou l’autre «fonction». La difficulté réside dans l’appréhension de l’occupation de toute cette «unité fonctionnelle», et bien sûr d’en localiser les différents sites qui peuvent être distants de quelques centaines de mètres à 5, 6 km, voire davantage.”



Aujourd’hui ce sont 5 550 individus enregistrés sur 124 dortoirs comptés (sur 153 connus) contre une moyenne de 3100 individus sur un maximum de 83 dortoirs entre 2007 et 2011. Cette évolution numérique n’est pas tant attribuée à l’augmentation du nombre de dortoirs connus et contrôlés qu’à une meilleure appréhension de l’étendue desdits dortoirs, dont l’organisation est complexe, et «en complexes» (unités fonctionnelles intégrant plusieurs sites dortoirs à occupation variable et dépendante).” En 2017, à Louhossoa / Macaye était enregistrée une trentaine d’oiseaux en raison de la présence d’un important dortoir à l’Est en cours de localisation (à titre de comparaison, le comptage était de 1 en 2018, 20 en 2016 et 48 en 2013). Le Milan royal est désormais inscrit sur la liste rouge des espèces “presque menacées” de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En effet, comme on le voit sur la carte ci-contre, son aire de répartition se réduit et se restreint à l’Europe et deux pays d’Afrique du Nord.

“Un programme de marquage alaire a été mis en place en 2005 dans certaines régions françaises et il est appliqué également dans d’autres pays européens (Allemagne, Espagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Suisse…). Le contrôle de ces oiseaux est une donnée précieuse, concourant à une meilleure connaissance de l’espèce, son statut de présence, ses déplacements, sa fidélité aux sites d’hivernage… Cette année encore, ces informations sont enrichies de la présence de Milans royaux «étrangers» équipés de Balises (Autriche, Tchéquie, Suisse, Allemagne). Au total, ce sont 8 individus qui nous livrent quelques pistes intéressantes pour la recherche de dortoirs encore inconnus ou la confirmation de sites suspectés, dont 2, de retour sur les mêmes sites que l’an passé, et malheureusement 3 morts précocement (immatures de premier ou second hiver seulement).”

“De début octobre 2017 à mi-janvier 2018, 9 Milans royaux ont été retrouvés morts ou en détresse (plus 2 morts qui n’ont pu être récupérés) : 3 blessés, victimes de tir, actuellement au centre de soins à Hegalaldia (Pays basque), 6 morts dont 3 portant une balise suisse. Ces oiseaux sont stockés pour une prochaine autopsie et analyse toxicologique. En 2017, sur 18 cadavres signalés, 14 cadavres ont été collectés, sans recherche dédiée. 11 ont été autopsiés et 9 analysés: 9 ont été victimes d’une intoxication directe, 9 ont été intoxiqués sinon exposés. Sur 5 individus retrouvés blessés, 3 ont été victimes de tir. La présence de plomb dans l’organisme a des effets collatéraux générant une forme d’intoxication chronique, provoquant dès lors des troubles du comportement et/ou des aptitudes physiques.”

L’auteur du site termine par la recommandation suivante: “Si vous découvrez un Milan royal blessé ou mort, contactez rapidement votre association locale, l’ONCFS de votre département, le PNP (pour les individus trouvés sur le territoire du Parc national), et la coordination Milan royal Pyrénées.”
Ceux que j’observe sont en bonne forme. Comme leurs congénères, ils ne sont guère farouches et prospectent parfois en volant à seulement quelques mètres de nous. Alors que nous entamons le chemin du retour, je reste un long moment à observer l’un d’eux qui a trouvé un “spot” dans une lande fauchée. Il pique à plusieurs reprises sur des proies au sol. Une fois, il se pose et reste en place, peut-être dépité d’avoir raté son but, ou bien en train d’avaler sa prise, sans que je puisse m’en assurer à la distance où je me trouve.
Je finis par reprendre ma marche, l’œil irrésistiblement attiré par le manège de tous ces oiseaux. Soudain, surprise ! Deux silhouettes bien différentes volent parmi les vautours fauves et les milans royaux. Est-ce l’éclairage, je ne sais, mais ils me paraissent très clairs, presque blancs, et bien plus petits. L’un d’eux se met à faire du sur-place en battant des ailes frénétiquement: des faucons crécerelles ! J’en vois régulièrement tout au bout de la piste de l’aérodrome, tellement concentré sur sa proie qu’il ne prête guère attention à la circulation intense sur la route toute proche. Mes deux faucons effectuent à tour de rôle “le vol du Saint-Esprit”, c’est très impressionnant de voir à quel point ils maintiennent leur position fixe dans l’espace. S’ils n’étaient pas si éloignés, j’aurais largement le temps de faire le point avec mon appareil photo avant qu’ils ne décrochent d’une glissade pour reprendre leur guet un peu plus tard.


La température a bien monté, ce sont maintenant les papillons qui s’activent. Depuis quelques jours, je vois le Citron (Gonepteryx rhamni, Pieridae) traverser mon jardin, ce grand papillon jaune annonciateur des beaux jours. Il se pose rarement, je profite donc de le voir en montagne pour l’immortaliser à distance alors qu’il butine un pissenlit précocement fleuri. Peu après, c’est un Paon du jour qui se pose sur des tiges fanées de graminées. Nous ouvrons une barrière et empruntons un sentier couvert d’une épaisse couche de feuilles de châtaigniers: c’est superbe, mais un peu casse-figure, le pied dérape et trébuche sur des cailloux ou des racines invisibles. Nous retrouvons la chaussée bitumée et voulons couper de nouveau par un pré. Malheur ! Le propriétaire arrive justement en voiture, il pile et sort en criant. Nous lui expliquons gentiment que nous cherchons juste à couper pour rejoindre le village. Il se calme bien vite et nous explique comment regagner un sentier en traversant la cour de sa ferme. Ouf ! Il nous demande même si nous avons emporté suffisamment d’eau. Il n’a pas si mauvais fond, allez !








Cathy , notre photographe qui nous transporte dans les moindres recoins
heureusement qu’elle ne marche pas aussi vite qu’elle dégaine son appareil