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PACA, des côtes aux cimes, Briançon 5

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Lac de l’Orceyrette

Les Ayes

Le lac de l’Orceyrette

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Barrage de retenue du lac de l’Orceyrette

Ce matin 17 juillet, il ne fait que 11°C à l’aube. Le petit groupe de Rando-Oiseaux s’en va vers le parc naturel régional du Queyras, dans la réserve naturelle biologique du bois des Ayes. A notre gauche, Yves nous signale l’existence d’une aire d’aigle royal installée sur une corniche dans la falaise. Nous passons Villars-Saint-Pancrace, où se trouvent également des “maisons de la reconstruction”, en réparation des destructions infligées durant la dernière guerre, comme à Cervières où nous avions fait halte le premier jour. Nous prenons une piste forestière qui longe le torrent des Ayes et nous conduit au lac de l’Orceyrette. Il est d’origine glaciaire, mais il a fini par être comblé par les alluvions : dans les années 50, la commune a lancé des travaux d’endiguement via la mise en place d’un seuil de déversement avec vanne, permettant de réguler le débit de sortie. Un lac plus petit devait certainement aussi exister en contrebas au plan du Peyron. Le nom des Ayes signifie un terrain boisé ou anciennement boisé ou enclos de haies, patois adje, adze, “haie vive”, adge, “petite haie”, ancien français agie, “clôture, cloison”, ahaye, “haie, propriété entourée de haies”, bas latin agieta, diminutif du bas latin agia, hagia, haia, “haie ; portion de forêt”, francique hagja, germanique haga, “haie, enclos [entouré d’une haie]”, racine indo-européenne kagh-, kogh-, “saisir ; border, encadrer”. Si je m’attarde sur l’étymologie de ce coin de montagne, c’est pour montrer l’ancienneté de son occupation humaine qui ressort dans son appellation même, une occupation ininterrompue qui a engendré un fort attachement de la part des villageois du cru. Nous verrons plus loin de quelle façon cet attachement s’est manifesté à une date très récente.

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Gentiane jaune
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Alvéoles d’une guêpe poliste fabriquées à partir de cellulose prélevée sur du bois mort

Encore plongée dans l’ombre, son eau calme recèle des espèces prisées par les pêcheurs qui commencent déjà à installer leur matériel: la truite fario, la truite arc-en-ciel et l’omble chevalier. Un des rares lacs de montagne accessible en voiture, il est classé dans la réglementation des lacs d’altitude depuis 2009. La taille légale de capture des salmonidés est de 20 cm, l’utilisation de l’hameçon avec ardillon est interdite et le nombre de salmonidés est limité à six par jour et par pêcheur. La carte de pêche est obligatoire en action de pêche. Depuis 2012, les associations de pêche des Hautes-Alpes proposent des “parcours de pêche attractifs”. Ils sont choisis pour leur facilité d’accès et l’absence de conséquence sur le milieu aquatique (secteur de rivière endigué ou aménagé…). Ils font l’objet tout au long de l’année de déversements de truites adultes issues de pisciculture, faciles à capturer. Le choix des associations de pêche se porte de plus en plus sur un empoissonnement avec des truites arc-en-ciel. La fédération offre une réflexion sur leur cohabitation avec l’espèce autochtone, la truite fario. Les études génétiques montrent que depuis 12 000 ans, les truites fario sauvages de souche “méditerranéenne” peuplent les cours d’eau avec des différenciations d’une vallée à l’autre. Si une pollution génétique pourrait se produire par l’introduction de truites de pisciculture de souche “atlantique” – les seules que l’on parvienne correctement à élever –, aucune hybridation n’est possible avec la truite arc-en-ciel. Qui plus est, les deux espèces ne se font pas de concurrence territoriale ni alimentaire. Par ailleurs, la truite arc-en-ciel, plus active de jour et en surface où elle gobe les insectes, est aussi plus susceptible de mordre à l’hameçon et, par ses sauts endiablés, rend sa pêche plus “sportive” et attrayante. Par conséquent, elle est vite pêchée et extraite du milieu.

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Les alvéoles non operculées contiennent les œufs et les larves nourries avec des chenilles, moustiques ou mouches.

Des myriades de fleurs et de papillons multicolores

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Dimitri transfère le papillon du filet dans le bocal sous l’œil appréciateur d’Yves…
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…puis du bocal dans le sachet.

En longeant le lac, nous observons fugacement deux oiseaux, un cincle plongeur et un tarier des prés, puis nous débutons l’ascension vers le fond du cirque glaciaire. Rapidement, nous cheminons parmi des myriades de fleurs multicolores butinées par une grande variété de papillons. Dimitri emmanche son filet et commence à en attraper pour les identifier grâce à un livre où ils sont dessinés grandeur nature. Le dessus des ailes n’est pas suffisant pour les reconnaître, car plusieurs espèces peuvent avoir les mêmes motifs, il faut donc examiner également la face inférieure. La taille est également importante, d’où l’intérêt de les capturer pour les poser sur la page qui les concerne. Dimitri a une technique bien rodée. D’un geste preste, le papillon est capturé dans le filet et, d’une rotation du poignet, le piège se referme. Une main le maintient tandis que l’autre plonge en arrière pour se saisir dans le sac d’un récipient transparent. Il transfère délicatement l’insecte qui s’envole par l’orifice, croyant avoir trouvé une porte de sortie, ferme le couvercle pour extirper de sa poche un sachet transparent. Dévissage du couvercle, second transfert du papillon et, dernière étape, la plus délicate, aplatir l’insecte au moment où il ouvre les ailes pour l’observer commodément dessus et dessous. Il faut veiller à le maintenir à l’ombre, sinon il est vite cuit entre les deux couches de plastique, et il faut opérer le plus rapidement possible pour qu’il ne soit pas traumatisé ou asphyxié.

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Une nature merveilleusement colorée (Nacré porphyrin sur du trèfle)
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Ce papillon (Moiré lancéolé) a gardé ses ailes fermées: on ne voit que le dessous.
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Jean-Louis a pris le filet et, très vite, il a réussi à capturer un papillon !

Nous observons de cette manière un moiré lancéolé, un nacré porphyrien, un apollon (un grand papillon blanc aux motifs noirs)… Nos guides n’oublient pas de guetter les oiseaux qui fréquentent ces espaces ouverts. Ils nous signalent la présence d’un accenteur mouchet que l’on entend chanter et celle d’un pipit des arbres.

La forêt

Autour du lac pousse le mélézin (ou mélézein). Cette forêt était entretenue par le pastoralisme, mais avec la déprise agricole, le pin et le sapin reviennent s’installer. En effet, le mélèze est une plante pionnière qui colonise par exemple les bords de route dénudés. Leur vitesse de croissance a été très étudiée, si bien que les forestiers savent évaluer rien qu’en observant ces arbres la date à laquelle a été construite une route dans la montagne, ou bien celle où s’est produite une avalanche. Désormais, la forêt se compose d’un mélange d’essences d’arbres: le mélèze, le pin sylvestre, le pin cembro et le pin à crochet. La cembraie constitue sa phase de maturité (ou climacique) ; c’est vers elle qu’évolue la végétation à l’étage subalpin supérieur (>1 900 m – 1 950 m). Yves nous signale qu’une place de chant du tétras-lyre subsiste encore sur un grand méplat éloigné du village, car la route est fermée à l’époque des parades amoureuses. Le pin à crochet est reconnaissable à ses cônes asymétriques. Le pin cembro, lui, forme des bouquets de cinq aiguilles sur ses rameaux au lieu de deux aiguilles chez les autres espèces.

Cabane d’alpage

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Cabane pastorale de “Bayle”
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Des bouquets de cinq aiguilles pour le pin cembro

Le chemin longe deux bâtiments, dont le plus petit est manifestement flambant neuf. Un panneau estampillé “Union européenne” affiche le nom de l’opération: Construction de la cabane pastorale de “Bayle”. Le maître d’ouvrage est la mairie de Villard Saint Pancrace et le financement, sous l’égide du fonds européen agricole pour le développement rural, se répartit comme suit: 43 725 € d’aide sur le FEADER, 38 775 € d’aide du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour un montant des travaux qui s’élève à 110 000 € HT. Comme si cela ne suffisait pas, un slogan annonce: “L’Europe investit dans les zones rurales”. Pour faire local, le toit est couvert de bardeaux de mélèze, mais c’est seulement pour l’esthétique, remarque Yves. Elle a été construite en 2018, comme je le constate sur un procès-verbal du conseil municipal de la commune. Un guide de restauration des bâtiments d’estive dans les Hautes Alpes rédigé en 2005 évoque la transformation de l’occupation de la montagne. Après une période d’abandon progressif lié à une mutation profonde de la vie agricole et pastorale, les terres d’altitude entre villages d’habitat permanent et haute montagne trouvent un regain d’intérêt, tant auprès des gens du pays que des touristes et visiteurs.

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Fleurs de serpolet butinées par une Mélitée de Nickerl
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Cuivré de la Verge d’or
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Des ailes duveteuses

La montagne est devenue un lieu de détente et de ressourcement pour un large public qui apprécie non seulement de la parcourir, mais aussi d’y séjourner de manière ponctuelle ou régulière. Les bâtiments autrefois liés à la pratique de l’estive, aux architectures diverses et rustiques, sont très convoités pour abriter ce séjour, qu’ils viennent d’un héritage familial, ou qu’ils soient acquis par de nouveaux propriétaires séduits par le charme des lieux. On restaure, on aménage. Pour beaucoup, cette dynamique est positive. Mais déjà, certains sites sont très fréquentés. On a réparé les forests (cabanes de forêt ?), les granges, les chalets…, parfois trop vite, avec les standards mis en œuvre dans les secteurs urbanisés. La loi Montagne reconnaît la valeur patrimoniale des bâtiments d’estive. Elle autorise, de manière dérogatoire, leur restauration et exceptionnellement leur reconstruction. A Villar Saint Pancrace, les chalets d’estive, tous accessibles par des pistes, sont implantés sur trois types de sites très différents : des sites fermés dans un environnement boisé pour des regroupements en véritables hameaux au Mélézin (1879 m) et aux Ayes (1715 m) ; des sites de versant pour des regroupements limités à l’Orceyrette (1892 m) et vers le col (2209 m) ; des sites d’alpage pour des bâtiments isolés : l’Alp, l’Orcières, la Taure vers 2200 m d’altitude. La cabane pastorale de “Bayle” semble correspondre au troisième cas, même si manifestement la législation a évolué depuis quinze ans puisqu’il s’agit d’un bâtiment neuf construit avec la bénédiction (et les fonds) de l’Europe.

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Caché, même pas vu !

Charbon et déforestation

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Azuré de l’oxytropide
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Cétoine dorée

Un autre type de cabane subsiste encore: celles qui étaient bâties aux abords des nombreuses veines de charbon qui furent exploitées à partir du début du XIXe siècle. On compte plusieurs centaines de mines paysannes en Briançonnais. De septembre à avril, les villageois, qui étaient principalement des paysans, exploitaient les mines de charbon, ce qui leur procurait un complément de revenus non négligeable. Il en reste encore quelques-unes sur le territoire de Villard-Saint-Pancrace et l’une d’entre elles, la mine de la Cabane, a été réhabilitée et peut être visitée. A proximité de chaque mine paysanne se trouvait une cabane où s’abritaient les mineurs pour manger, et qui servait de lieu de stockage des outils nécessaires à l’extraction du charbon. Dans les années 1970, se clôt, dans le Briançonnais, une activité charbonnière qui a duré au moins deux siècles et demi, continûment et en marge de la grande industrie minière. Cette activité remonte sûrement au tout début du XVIIIe siècle et se trouve alors favorisée par la transformation de Briançon en place forte frontalière à la suite du traité d’Utrecht (1713) : en complément du bois, d’usage restreint en raison de la déforestation, le “charbon de terre” extrait des mines des communautés voisines est massivement utilisé comme combustible dans la fabrication de la chaux nécessaire à la construction des forts militaires qui équipent cette frontière sensible; il commence par ailleurs, mais dans une moindre mesure, une carrière de combustible domestique, en particulier pour chauffer les garnisons.

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Gentiane printanière ?
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Gentiane des champs

À la fin de l’Ancien Régime et tout au long du XIXe siècle, cet usage domestique se généralise. La “domestication” du charbon de terre s’accomplit de façon très hétérogène : des communes rurales, des groupes de propriétaires-cultivateurs, des entrepreneurs locaux puis, plus tardivement – à partir de la Première Guerre mondiale –, des sociétés capitalistes investissent le cadre réglementaire de l’exploitation minière, c’est-à-dire la forme d’État de la concession, régie par la loi minière de 1810 et contrôlée par le service des Mines. Entre 1805 et 1904, quarante-neuf concessions sont instituées, qui partagent les gisements charbonniers entre ces différents acteurs. Ces propriétés connaissent des fortunes très diverses : selon la qualité fort variable des gîtes, selon l’altitude – entre 1 000 et 2 000 mètres, parfois plus – ou les moyens mis en œuvre, se côtoient des concessions activement et régulièrement exploitées et d’autres qui ne connaîtront jamais que quelques “grattages” superficiels, épisodiques et saisonniers.

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Joubarbe (des toits ?)

Le pin cembro (arolle), récolte et multiplication

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Tarare, alias crible à vent, van mécanique ou traquinet. En langue d’oc, ventaire, ventadouiro ou vanaire.

Pour nous montrer comment il faisait, Yves grimpe prestement dans un pin cembro et cueille quelques cônes qu’il jette à terre. Il nous raconte que ce n’était pas une sinécure: non seulement ces cônes sont très collants, à cause de la résine, mais en plus, ils sont piquants ! Pour se prémunir des blessures aux mains causées par l’extrémité pointue des écailles, il devait s’équiper d’une paire de gants épais. Ainsi, lorsqu’il complétait ses revenus par la cueillette, Yves récoltait jusqu’à 1500 kg de cônes de pin cembro qu’il descendait dans des sacs de 60 kg jusqu’à sa voiture. Ensuite, il les stockait dans la sciure humide où les écailles pourrissaient. En les frottant contre une grille, il extrayait des cônes les graines qu’il passait dans un vannoir (sic) tourné à la manivelle pour en éliminer les parties légères. Il récoltait ainsi 300 kg de graines vendues à raison de 180 F le kilo ! Une manne non négligeable !

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Un arole au tronc et aux racines totalement imbriqués dans la roche.

La multiplication de l’arolle, ou arole, ainsi qu’on appelle cet arbre dans les vallées alpines, est particulière. C’est un arbre à croissance très lente (donc d’une grande longévité) qui pousse entre 1500 et 2500 mètres d’altitude. Il a une régénération naturelle difficile et peu abondante, les graines sont très lourdes, ce qui empêche la dispersion ailleurs qu’à l’aplomb de l’arbre. Pour couronner le tout, ces graines sont souvent détruites ou mangées par les rongeurs et les oiseaux. En outre, il ne procède pas non plus par rejet à partir de ses racines ou de la souche. C’est un oiseau au bec spécialisé, le casse-noix moucheté, qui aide à sa propagation. Ce dernier se nourrit de ses graines (mais aussi de celles d’autres conifères, de noisettes, de fruits secs et d’invertébrés). Il les attrape en glissant son bec entre les écailles des cônes, frappe le cône ou la noisette sur une branche ou un rocher pour l’ouvrir. Il frappe parfois si fort qu’on peut l’entendre à plus de 50 mètres. Il avale une partie des graines, mais il en réserve un peu dans son jabot qu’il régurgite pour les cacher de ci, de là, par poquets de dix ou de vingt dans des cachettes creusées par lui dans le sol, à quelques centimètres de profondeur, puis recouvertes de mousse, de lichen… Ce sont ses réserves pour l’hiver. Mais il lui arrive d’en oublier l’emplacement et les graines qui n’ont pas été découvertes par des rongeurs ou autres amateurs finissent un jour par germer. Sans cette aide aussi involontaire qu’inconsciente, l’arolle aurait sans doute beaucoup plus de mal à se propager. Le geai fait pareil dans la hêtraie, ce qui explique qu’il y ait des bouquets de hêtres qui jaillissent d’un même point dans la forêt.

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Yves nous explique l’histoire du pin cembro

Mélèze et changement climatique

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Renouée bistorte
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Un syrphe déguisé en bourdon terrestre, c’est la Volucelle-Bourdon, aux antennes plumeuses.

Durant toute la balade, nous demeurons attentifs à ce qui nous entoure. Au loin résonne le chant d’un coucou. Plus près, une mésange noire se manifeste. Les marmottes sifflent, toujours inquiètes d’un danger qui pourrait survenir de terre ou des airs. Un pinson module ses trilles. Une mésange boréale (très semblable à la mésange nonette, nous signale Dimitri) volette dans les ramures. Un piège à insectes vert est suspendu à un arbre. Yves nous dit qu’il a été posé par l’INRA pour étudier les incidences du changement climatique sur le mélèze. Une thèse sur l’adaptation génétique du mélèze en fonction de l’altitude fournit des informations sur ce sujet dont j’extrais ci-après des éléments relatifs aux insectes (en faisant l’impasse sur les descriptions mathématiques et statistiques). Bien que ce soit un peu technique, je pense que cette lecture permet de se rendre compte du grand nombre de variables qui interviennent dans la croissance de la végétation (ici, chez le mélèze) et de la difficulté à en extraire un diagnostic sur l’influence propre au changement climatique. Dans les Alpes, près de Briançon, Larix decidua est régulièrement attaqué par un insecte défoliateur, la tordeuse du mélèze, au doux nom savant de Zeiraphera diniana Guénée. Les attaques surviennent cycliquement tous les 8 à 10 ans, avec une perturbation possible du cycle après 1980 liée au réchauffement climatique. Les défoliations produites par les insectes peuvent causer une forte réduction de la croissance radiale ainsi que des variations des valeurs des variables de densité des cernes annuels. Autrement dit, la présence d’insectes diminue la croissance (que ce soit en termes de largeur de cerne ou de surface de cerne) ainsi que la densité moyenne du bois final.

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Papillon ? et raiponce globuleuse
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Nombre de chenilles par kilogramme de rameau au niveau des combes (1850 m) comparé aux moyennes annuelles des largeurs de cerne (RW, en mm) de dix mélèzes sur la période 1960-2010.
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Nombre de chenilles par kilogramme de rameau au niveau des combes (1850 m) comparé aux moyennes annuelles de la densité moyenne du bois final (LD, en g/cm3) de dix mélèzes sur la période 1960-2010.

Par ailleurs, le climat varie non seulement avec l’altitude mais également fortement entre années consécutives. Les caractères de croissance sont généralement interprétés comme des marqueurs de la qualité de l’environnement : un environnement favorable induit une croissance plus rapide. Les résultats suggèrent que le niveau intermédiaire de 1700 m est celui qui présente l’environnement climatique le plus favorable au mélèze. La croissance plus faible à 2300 m d’altitude semble indiquer l’existence de limitations environnementales. La forte variation climatique, notamment de la température qui est associée à la distribution altitudinale de certains peuplements d’arbres forestiers peut induire des pressions de sélection divergentes favorisant l’expression de phénotypes différents en fonction de l’altitude. L’analyse indique que l’hypothèse d’adaptations locales avec l’altitude peut être raisonnablement avancée pour les caractères de hauteur, circonférence, pourcentage d’aubier et densité du bois initial. Au contraire, l’adaptation locale n’apparaît pas comme une hypothèse acceptable pour les caractères de largeur de cerne, surface de cerne, largeur du bois final et densité du bois final.

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La vallée glaciaire du lac de l’Orceyrette

Une belle biodiversité

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Linaire commune

Une trentaine de vautours s’élèvent tout d’un coup dans le ciel et battent des ailes. Ce n’est pas un vol aléatoire, ils sont en train de prendre une ascendance. Leur grand nombre fait penser qu’ils ont peut-être repéré une vache en train de vêler. Il n’y a que des vautours fauves et d’autres individus arrivent de tous les points cardinaux. Le début d’une curée est-il pour bientôt ? Finalement, parvenus à très haute altitude, ils se dispersent. C’est donc qu’ils attendaient simplement le moment favorable pour prendre leur envol, profitant de l’échauffement de l’atmosphère en cours de matinée.

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Pin cembro

Nous passons en vue de Fontfroid, une dépression à l’ombre où subsiste la neige en été. Nos regards se tournent de nouveau vers la prairie alpine. Les petits papillons bleus sont des argus, des azurés. Il y a aussi le nacré subalpin, le fadet céphalion (ou un satyrion), un moiré arverne, un marbré de Cramer, un cuivré de la verge d’or, une sidonie, un moiré piémontais (? très localisé dans le Mercantour). Quant aux fleurs, on nous désigne la crépide dorée qui est une astéracée orange vif, le népéta, la gentiane printanière, la dryade octopétale… Pour l’identification des plantes, nos guides nous recommandent la lecture de la Méthode simplifiée de Gaston Bonnier (1853-1922) dont je trouve le texte sur Internet. Voici ce qu’en dit l’auteur. “Est-il impossible de trouver les noms des plantes sans savoir la Botanique ? Les personnes qui connaissent les plantes n’arrivent-elles à les nommer qu’à la suite d’une grande habitude, et les caractères dont elles se servent, sans s’en rendre compte, avec leur flair particulier, sont-ils impossibles à traduire par une rédaction simple, à la portée de tout le monde? Comme tous ceux qui ont étudié la Botanique systématique, j’ai cru très longtemps qu’il fallait répondre affirmativement à ces diverses interrogations. Et cependant je constatais à chaque instant qu’en général, ce n’était pas à l’aide des caractères de la classification que je reconnaissais les diverses espèces, mais bien au contraire, par une détermination directe, et pour ainsi dire inconsciente. Je me suis alors demandé si, en combinant la méthode des clés dichotomiques de Lamarck avec l’examen de ces “gros caractères bien visibles, bien tranchés et toujours réunis” dont parle Bersot, en y joignant, comme il le souhaitait, de nombreuses figures en noir et en couleurs, on pouvait arriver à faire trouver facilement les noms des plantes à tous ceux qui n’ont fait aucune étude préalable de Botanique…”

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Jolies fougères
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Tarier des prés ?
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Criquet “Popeye”

Nous entendons le pic épeiche. Un coucou gris passe juste devant nous. Nous observons un casse-noix moucheté. Alors que nous pique-niquons, Dimitri attrape le criquet “Popeye”, reconnaissable aux tibias enflés chez le mâle, aussi appelé criquet de Sibérie ou Gomphocère des alpages. Depuis la dernière glaciation, il s’est réfugié à plus de 1 500 m d’altitude dans les Alpes, d’où son nom évoquant une période froide durant laquelle il était présent en plaine. Sur un méplat un peu marécageux, la boue asséchée a gardé l’empreinte de pas de plusieurs animaux: celle de la patte postérieure d’une marmotte, aux longs doigts fins prolongés de griffes (ceux du blaireau sont plus courts), deux de chamois, trois de chevreuil, quatre de grand chamois. Dimitri en profite pour rappeler la différence entre les ongulés et les plantigrades. Poursuivant notre chemin, nous continuons notre récolte virtuelle de fleurs, de papillons et d’oiseaux: le moiré lancéolé, le nacré porphyrin, la gentianelle, la fétuque des pâturages, l’arnica, la centaurée en fleur ou fanée (filet rond), le tarier des prés (mâle). Des effluves de serpolet embaument notre promenade. Yves nous reparle du tétras-lyre. Au printemps, le mâle parade en haut des arbres et chante. Il recommence un peu à l’automne. Les chasseurs français sont opposés au baguage, car la bague doit être retournée à l’ONCFS et on doit lui enlever une aile: les chasseurs veulent l’empailler entier. De notre position, nous apercevons au loin les chalets d’altitude de l’Orceyrette.

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Empreinte de pas de chamois ?
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Abattages de vieux arbres au Bois des Ayes

Le bois des Ayes et sa protection

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Pin cembro, cône déchiqueté et graines extraites par le casse-noix moucheté
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Arbre partiellement scié

La boucle se termine par le sentier de découverte du bois des Ayes. Dès que nous y pénétrons, nous sommes frappés par la présence de souches auprès desquelles gisent les arbres abattus et celle de troncs encore vivants qui présentent l’entame béante d’une scie interrompue dans son œuvre de destruction. Que s’est-il donc passé ici ? L’attachement à cette forêt s’est soudainement exprimé lors d’une exploitation forestière sur un secteur d’arbres très vieux. A l’été 1983, des dégâts sont constatés : abattages de nombreux arbres morts souvent multiséculaires (laissés sur place), création de nombreuses pistes d’exploitation (traînes) dont les fortes pentes sont soumises à un ravinement important. Au 4ème trimestre 1983, le C.R.A.V.E. émet une protestation officielle et constitue un premier dossier : “Le Bois des Ayes, introduction à l’étude du milieu et action anthropique”. C’est une association Loi 1901 qui depuis 1979 s’occupe de la faune sauvage des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence. Le C.R.A.V.E. travaille en partenariat avec d’autres associations locales (S.A.P.N. -Société alpine de protection de la nature-, Arnica Montana, …), et diverses administrations et collectivités selon les projets: Parc national des Écrins (aigle royal, Atlas); ONCFS – Office national de la chasse et de la faune sauvage – (Tétras lyre, comptage des hivernants); ONF – Office national des forêts – (Chaudun) et certaines mairies (Villard Saint-Pancrace).

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Gentianes jaunes au Bois des Ayes

Le 22 juin 1984 est organisée une visite du Bois des Ayes par le C.R.A.V.E., avec la S.A.P.N. (Société alpine de protection de la nature), l’O.N.F. (Office national des forêts) et la D.D.A. (Direction départementale de l’Agriculture). En 1984 est déposée une demande d’arrêté de biotope par les associations de protection de la nature. En 1985, le Bois des Ayes est inscrit dans l’inventaire Z.N.I.E.F.F (n° de zone 05.10.00). De 1984 à 1988, des demandes d’arrêté de biotope sont faites par les associations de protection de la nature des Hautes-Alpes. Ces associations effectuent des études sur le terrain qui aboutissent à la publication d’une brochure (en juin 1987). Une nouvelle protestation est émise après une coupe effectuée en 1988. Début 1989, la commune de Villard-Saint-Pancrace fait arrêter l’exploitation d’une coupe.

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Le papillon reprend ses esprits après sa capture.
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Orchidée

En juin et juillet 1989, le C.R.A.V.E. et Arnica montana rencontrent l’O.N.F. de Briançon qui propose l’instauration d’une réserve biologique forestière dirigée, intégrée dans le nouveau plan d’aménagement des forêts (mettant à profit l’expiration en 1988 de l’ancien aménagement). Une rencontre est organisée avec le maire de Villard-Saint-Pancrace qui est favorable à ce projet. Le 8 décembre 1989, lors d’une réunion où sont présents l’O.N.F., le Conseil municipal de Villard-St-Pancrace et le C.R.A.V.E. – Arnica montana, sont établies les règles de gestion de la future réserve. En janvier 1990, le conseil municipal de Villard-Saint-Pancrace approuve par vote le projet de réserve biologique forestière dirigée et son contenu.

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Calament népéta

Le 27 janvier 1990 a lieu une projection de diapositives (montage C.R.A.V.E. – Arnica montana) à l’attention des habitants de Villard-Saint-Pancrace. Elle présente l’intérêt biologique du Bois des Ayes et les règles de gestion de la réserve, avec la participation du maire de la commune et de la division O.N.F. de Briançon. En 1990 et 1991, les association Arnica montana, le C.R.A.VE et la S.A.P.N. (Société alpine de protection de la nature) présentent la candidature de Madame E. Ferraro, maire de Villard St Pancrace, pour le “Prix gentiane”, distinction décernée par France Nature Environnement à une personnalité ayant œuvré positivement pour la protection de la Nature. En mai 1991, Madame Ferraro est désignée “Prix gentiane 1991” (par 242 mandats sur 308) lors de l’assemblée générale de France Nature Environnement à Montpellier. Depuis la création de la réserve biologique, le comité de gestion se réunit une à deux fois par an pour résoudre les problèmes qui peuvent se poser (pâturage, VTT…).

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Le criquet “Popeye”
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Des plumes de grive draine arrachées par un rapace
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Les indices du “crime”

En terminant notre boucle vers le lac à travers la belle forêt, nous faisons quelques dernières observations. En ce qui concerne les papillons, nous voyons une pyrale (un tout petit papillon blanc), un fluoré (Colias alfacariensis), un sablé du sainfoin, un azuré de l’oxytropide, un azuré du trèfle, une mélitée de Nickerl et une piéride de l’arabette, ainsi qu’une bétoine en fleurs. Quelques derniers oiseaux: une sittelle, un casse-noix, un circaète Jean-le-Blanc en vol, une mésange huppée et trois bergeronnettes près du torrent. Dimitri déploie ses talents de police scientifique de la gent ailée pour déterminer l’auteur d’un “crime” qui a laissé pour indice un parterre de plumes arrachées… C’est l’œuvre d’un rapace qui a occis (pour s’en nourrir) une grive. Laquelle ? Une grive draine. C’était pour l’emporter plus facilement avant d’aller la manger en lieu sûr…

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Cône du pin Cembro ou arolle

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