Sommaire
- PACA, des côtes aux cimes, Verdon
- PACA, des côtes aux cimes, Serre-Ponçon
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 1
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 2
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 3
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 4
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 5
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 6
- PACA, des côtes aux cimes, Briançon 7
Gorges du Verdon
Dans nos bagages, nous avons emporté notre matériel de camping, ainsi, peu importe la fréquentation d’un lieu, nous trouvons facilement à nous loger. Nous “jetons” notre tente (celle qui s’ouvre et se dresse toute seule) sur la rive droite du Verdon, non loin de Castellane où nous nous promenons en fin d’après-midi. Voici ce qu’indique un panneau sur le patrimoine architectural de la bourgade. “Tout va bien au XIIIe siècle. Castellane a quitté le site de Petra Castellane et elle s’est installée dans la plaine. Le pays est calme est prospère. Ce n’est plus le cas au XIVe où crises économiques et troubles sociaux se multiplient. Les temps ne sont plus sûrs et la ville achève de se fortifier en 1359. Le rempart, jalonné de tours carrées, n’épouse pas les contours de la ville telle qu’elle se présente alors. Elle s’est développée librement pendant un siècle et la muraille n’en enserre qu’une partie, dessinant la forme assez inhabituelle d’une poire. Peut-être des maisons s’accrochaient-elles aux premiers escarpements du relief, jusqu’au pied de la tour pentagonale qui domine le tout. Suivant les réflexes propres aux temps hasardeux, les habitants devaient “voir venir”. D’où la construction à l’angle supérieur de cette haute tour qui domine la plaine. Pour qu’elle se raccorde parfaitement à la forme des murailles défensives, il fallut la bâtir à cinq pans, lui conférant ainsi cette silhouette si particulière.”
Pour mémoire (lien), la peste de 1348, les difficultés agraires, la guerre de Cent ans, la guerre civile et les routiers de la seconde moitié du siècle ont diminué de façon drastique la population. Dans son ensemble, la Provence perdit, selon les régions, entre le tiers et les trois quarts de sa population (lien). Elle avait environ 480 000 habitants vers 1315, mais seulement 225 000 habitants au milieu du siècle pour retrouver vers 1450 une population de 450 000 habitants. Quant aux villes, très peu avaient quelque importance au XIVe siècle: Marseille, Arles, Aix, Nice, Sisteron, Tarascon, Grasse et douze autres dépassaient 400 feux (foyers), soit 2 200 habitants. La peste noire leur porta aussi un coup dur, elles perdirent plus de la moitié des feux. Par contre, elles semblent avoir moins souffert des bandes de pillards que les campagnes. Quel tableau ! Les temps ont bien changé depuis cette époque ! Quand je pense que l’on se plaint de l’insécurité, c’est méconnaître l’ambiance qui régnait en ces siècles de guerre larvée permanente.
C’est un nouveau fléau qui nous menace de nos jours, celui d’une réduction drastique de la ressource en eau potable, bien plus inquiétante que celle du pétrole ou d’autres matières premières devenues nécessaires dans notre monde moderne. Pour ce qui suit, je me réfère à un dossier très complet publié par le Groupe régional d’experts sur le climat en Provence – Alpes – Côte d’Azur (région PACA) et à d’autres sources dont je fais la synthèse.
Répartition de l’eau
Une préoccupation ancienne
Dans le monde
L’organisation et la maîtrise de l’eau sous l’égide d’une autorité centrale ont été, depuis des temps immémoriaux, à la base de plusieurs constructions politiques et administratives, de la Mésopotamie à l’Égypte en passant par la Chine. La maîtrise des eaux et l’approvisionnement de la population en eau potable demeurent l’une des responsabilités principales reconnues de nos jours aux États et l’un des éléments de cohésion des sociétés. A l’inverse, la pénurie d’eau accélère leur déliquescence, voire l’avènement de la guerre civile, une situation qui sévit malheureusement déjà en plusieurs points du globe.
Les premiers efforts pour maîtriser l’eau d’irrigation, nécessaire au développement de l’agriculture par une population qui s’est sédentarisée, datent de l’âge néolithique. Les réalisations les plus spectaculaires dont la trace nous soit parvenue sont localisées en Mésopotamie et en Égypte. C’est un peu plus tard, à l’âge du bronze, qu’apparaissent les premiers systèmes urbains d’adduction d’eau. Les Grecs, notamment durant la période hellénistique, leur apportent de nombreux perfectionnements, fondés sur l’étude des sciences et la métallurgie. Les Romains, qui en recueillent l’héritage, les déploient à une très large échelle dans toutes les villes importantes de l’empire, grâce à une ingénierie sophistiquée. Rome elle-même, archétype de la ville, comporte de nombreuses fontaines publiques mais aussi un réseau d’assainissement, la cloaca maxima, et des thermes.
En Provence
En ce qui concerne cette région du sud-est de la France, la gestion de l’eau a commencé depuis fort longtemps. Si elle ne manque pas d’eau aujourd’hui, c’est bien parce qu’elle a souffert historiquement de la sécheresse. Des glaciers des Alpes aux villes des franges côtières l’eau circule, non pas dans un continuum naturel mais grâce à de nombreux aménagements dont certains peuvent être datés de l’époque romaine. Dériver l’eau, la conduire là où elle faisait défaut, a été l’œuvre des différentes sociétés locales qui se sont succédé depuis 2000 ans. Les procédés utilisés ont été aussi ingénieux que nécessaires, captage de sources, creusement de puits, de galeries souterraines, construction de restanques, et surtout édification de canaux utilisés d’abord pour les moulins, puis pour l’agriculture et l’énergie électrique.
Les initiatives sont longtemps restées dispersées, les utilisateurs étant loin d’être tous des riverains des cours d’eau. La répartition des ressources de l’intérieur pour assouvir les besoins à la périphérie où se sont concentrés les hommes et les activités ont conduit depuis longtemps les habitants de la Provence occidentale à solliciter les eaux de la Durance, puis du Verdon. C’est dans les plaines de Basse-Durance, du Comtat et de la Crau que les eaux de la Durance ont été le plus précocement utilisées pour faire tourner des moulins et irriguer de vastes superficies.
Un changement d’échelle à la Révolution industrielle
En Europe, l’adduction d’eau potable commence à se développer à la fin du XVIIe siècle, au moment où l’urbanisation repart. Mais elle ne se généralise qu’au XIXe siècle, à l’avènement de la Révolution industrielle. Le réseau d’assainissement se produira un peu plus tardivement, après la décimation opérée par le choléra dans les grandes villes européennes vers 1850. Les premières stations d’épuration feront leur apparition au début du XXe siècle.
Marseille a ainsi recours à la Durance grâce à un canal achevé en 1849. Jusqu’en 1970, il sera la source quasi unique d’alimentation en eau de la ville et il en fournit encore les deux-tiers de nos jours. Dès 1875, le canal du Verdon amène l’eau au cœur d’Aix-en-Provence, grâce à l’ancien barrage de Quinson et au canal d’Aix-en-Provence, réalisés en 1868. Par la suite, cinq nouvelles retenues seront créées entre 1949 et 1975 (barrages de Castillon, Chaudanne, Sainte-Croix, Quinson, Gréoux) et, grâce au réseau de canaux et de conduites de la Société du Canal de Provence (SCP), cette eau coule par les robinets de nombreuses villes de la région comme Aix-en-Provence, Marseille ou Toulon. Une concession donne à la SCP un droit d’eau de 660 millions de m3 par an. Dans les lacs de barrage du Verdon, elle dispose d’une réserve de 225 millions de m3 qui correspond approximativement à la quantité d’eau qu’elle prélève par an actuellement.
D’un bassin versant à un bassin déversant
Une mutation du paysage
Une étude (lien) fort intéressante éclaire ce soudain accroissement des besoins dans les plaines et les villes périphériques provençales. Les forêts méditerranéennes que nous admirons de nos jours n’étaient pas encore plantées à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. La lente modification du paysage provençal est le fruit de mutations démographiques, politiques et économiques mais aussi culturelles. Avec la Révolution de 1789 et la mise en place d’une politique centralisatrice, les débuts de l’industrialisation et de l’urbanisation, sans oublier les théories libérales, physiocrates et productivistes, l’aménagement des bois provençaux est soumis à des remises en cause radicales, à l’instar de ce qui se passera pour les Landes (lien conférence de 2015) dont l’économie sera également bouleversée pour des raisons analogues.
Des regards différents sur la végétation provençale
Dès le XVIIIe siècle, les administrateurs royaux, les voyageurs étrangers et les notables locaux qui sillonnent la Provence déplorent une diminution des surfaces boisées au profit des maquis et des garrigues présentés comme des formes dégradées, des boisements arides, pauvres et donc fort laids. Brossé par les administrateurs de l’État, le tableau d’une situation forestière dramatique refléterait alors l’inquiétude du pouvoir dont la force militaire dépend de la fourniture de bois pour les arsenaux de la marine ou pour les forges à canons.
Avec le siècle des Lumières, les lettrés se sont mis à observer les espaces ruraux en s’intéressant aux sciences de la nature mais aussi aux problèmes économiques, agronomiques, démographiques et même anthropologiques. Les bois sont parés d’une image positive lorsqu’ils sont exploités méthodiquement et constituent une ressource pour l’homme. A l’inverse, « le gaspillage » du sol laissé à la nature est en soi condamnable et les espaces non cultivés, souvent jugés insalubres, sont dévalorisés. Avec de tels a priori, ils critiquent sévèrement les taillis utilisés par les paysans comme terrain de parcours pour les troupeaux.
Cela dit, la description de garrigues dénudées et arides n’est pas seulement le fruit d’une vision productiviste et utilitariste. Sous l’Ancien Régime, seule l’élite bénéficiait du droit de chasse et de la possibilité de faire croître des futaies. L’aristocratie déchue regrette l’organisation sociale et l’ordonnancement sylvicole des temps anciens. Après l’abolition des privilèges, les « vilains » jouissent désormais eux aussi des mêmes avantages. Pire encore, avec la vente des biens nationaux et le code civil, les roturiers s’emparent des bois des émigrés et peuvent partager les patrimoines. Par ailleurs, certains lettrés portent sur les paysages un regard rêveur en idéalisant un passé auréolé d’équilibre et de charme. Dans cette contemplation, ils exaltent tout particulièrement la place de la forêt, d’une forêt sombre et profonde, d’une forêt encore mystérieuse. Pour des motivations sans doute différentes, Jean Giono (1895-1970) écrira bien plus tard, en 1953, une nouvelle magnifique sur ce thème du déboisement et de la reforestation en Provence, “L’homme qui plantait des arbres“, mis très poétiquement en images en 1987 dans un film d’animation (lien) de Radio Canada, avec la voix de Philippe Noiret qui en lit le texte intégral.
Les ruraux accusés de déforestation
Dans la réalité, les surfaces boisées reculent de manière inquiétante. Pour tous les observateurs, cette disparition des arbres représente une menace profonde. En détruisant l’équilibre naturel, elle provoquerait de nombreuses catastrophes, notamment des inondations. Les témoins de la fin du XVIIIe et du début du XIXe sont également unanimes : les responsables de cette situation sont les paysans qui détruisent ce potentiel indispensable par leurs prélèvements et leurs défrichements.
Afin d’exploiter au mieux l’ensemble des ressources forestières, les sociétés rurales poursuivent encore l’ancienne exploitation agro-sylvo-pastorale. Dans ce système de gestion, l’utilisation des différents terroirs se complète. Pratiquant les brûlis, l’essartage ou les taillades, les agriculteurs et les éleveurs gagnent sur les bois des terres de cultures temporaires ou des terrains de parcours pour leurs troupeaux. Avec une agriculture vivrière sans engrais chimiques, les activités agricoles, sylvicoles et pastorales sont obligatoirement complémentaires. Enrichies par la cendre des brûlis, les terres bénéficient surtout de la fumure apportée par les bêtes. Parcourant les sous-bois, le bétail y puise les éléments fertilisants qu’il restitue sous forme d’excréments. Rien ne se perd puisque la richesse de la forêt utilisée par l’élevage profite aussi à l’agriculture. En théorie, l’espace rural est donc organisé pour servir les besoins de l’ensemble de la communauté et éviter tout conflit.
De nouvelles tensions sur la forêt
Or dès la fin du XVIIIe siècle, la forte pression démographique qui règne dans les campagnes provoque « une faim de terre » qui vient perturber ce système de gestion complémentaire des activités, des espaces et des ressources. Avec les faibles progrès techniques, la seule solution pour produire plus est d’exercer une plus forte pression sur les terres non cultivées c’est-à-dire les bois. Espaces limités et convoités, les terrains sylvicoles deviennent un espace conflictuel qui doit dans le même temps satisfaire l’éleveur, l’agriculteur et l’artisan.
Au-delà de ces antagonismes, l’organisation du terroir est un sujet de discorde entre ceux qui possèdent la terre et la communauté rurale. Inspirés par les théories physiocratiques, individualistes et libérales, les propriétaires veulent exploiter leurs biens en toute liberté. Ils souhaitent donc sortir du cadre contraignant de la communauté rurale qui impose des règles et des limites d’exploitation. Leur rêve est même de supprimer les terres collectives et de clore leur propriété en prenant modèle sur le mouvement des enclosures en Angleterre. Loin des espaces incultes peuplés de taillis, ils pourraient alors cultiver leur bois idéalisé, sorte de verger ou de jardin planté d’arbre à fruit.
Rongé de l’intérieur, le système d’une exploitation complémentaire se détériore d’autant plus qu’il est contraint de faire face aux nouveaux enjeux de l’industrialisation et de l’urbanisation. À partir des années 1830, les entreprises industrielles mais aussi les constructions civiles et navales réclament de plus en plus de résine, de bois d’œuvre et de grumes pour les étais, les coffrages ou les poteaux. En parallèle, de nombreux notables locaux et le corps des Eaux et Forêts veulent restaurer les massifs forestiers par le reboisement ce qui permettrait d’atteindre un double objectif : fournir la société industrielle naissante en bois d’œuvre et lutter contre les dégradations écologiques liées au manque d’arbres.
Destruction du système agro-sylvo-pastoral
Pour satisfaire ces demandes, la nouvelle administration des Eaux et Forêt veut réorganiser totalement les massifs forestiers en Provence. Elle souhaite par exemple faire disparaître les taillis de chênes au profit des futaies de pins, essence à la croissance rapide et au tronc long et rectiligne. Forts de ces objectifs, les officiers des Eaux et Forêts condamnent sévèrement les usages traditionnels et le système agro-sylvo-pastoral. Originaires des villes du Nord-Est de la France, ils sont étrangers au monde rural provençal. De plus, techniciens formés dans une école forestière à Nancy, ils refusent les savoirs vernaculaires qui deviennent les symboles de l’arriération et de l’insouciance. Avec le code forestier de 1827, puis les lois sur le reboisement et le regazonnement des montagnes de 1860-1864, ils obtiennent le contrôle de la gestion des forêts domaniales et d’une grande partie des taillis communaux. Par ces aménagements à long terme, ils visent surtout à conserver et à développer les arbres dans un régime uniformisé, régulier, planifié et rationnel qui permette de réguler la consommation et la production du capital boisé et de l’adapter aux nouveaux besoins du marché industriel. Avec cette nouvelle politique forestière, il n’y a plus simple concurrence entre les différents usagers, il y a incompatibilité entre les espaces forgés par les sociétés agraires et ceux qu’exige la société industrielle.
Spécialisation des terroirs
Mais dans les années 1860, ces clivages s’estompent avec l’affirmation et l’acceptation de la nouvelle organisation économique. Devenu moins avantageux, le système agro-sylvo-pastoral s’efface rapidement au profit d’une nouvelle répartition des terroirs et des productions. Les mauvais sols, autrefois voués au pâturage, sont incorporés dans la masse des terres délaissées appelées désormais terres incultes et mélangées. À l’inverse, les cultures spécialisées – vignes, cultures maraîchères ou fruitières – les plus rentables glissent rapidement vers la plaine et les littoraux, ne laissant guère d’espace aux troupeaux. Désormais, la plupart des propriétaires ne trouvent plus aucun intérêt à soutenir les modes d’exploitation traditionnelle. Bien au contraire, ils se rangent aux côtés de l’administration forestière pour interdire les anciennes pratiques agricoles et pastorales. Dans le contexte de l’application des lois sur le reboisement et de la spécialisation des cultures, cette alliance fait naître une forêt méditerranéenne inédite. Ce nouveau paysage forestier parvient à concilier un développement économique régional axé sur le tourisme et la vision nostalgique et provençale des nouvelles élites urbaines.
Une société excentrée, plus dépensière en eau
A l’état naturel, le bassin de la Durance ne pouvait satisfaire des utilisateurs aussi variés, d’intérêts parfois contradictoires, comme en témoigne la création au début du XXe siècle d’une Commission de la Durance chargée de régler les litiges sur la répartition de l’eau. En 1908, la société de l’Énergie Électrique du Littoral Méditerranéen construit la première usine hydro-électrique à La Brillanne près de Manosque pour fournir du courant aux consommateurs du littoral, tandis que Péchiney en installe une autre en 1909 sur le site de l’Argentière, non loin de Briançon dans le pays des Écrins, pour les besoins de sa production d’aluminium.
Envisagé globalement, le capital hydraulique apparaît toutefois sous-utilisé, ressources et besoins ne coïncidant pas dans le temps. La demande d’électricité est maximale en hiver, alors que la Durance connaît des basses eaux liées à la rétention nivale sur son cours montagnard et à la sécheresse relative de l’hiver méditerranéen. Les besoins en eau d’irrigation très élevés en été souffrent des étiages prononcés en cette période. Au contraire, les hautes eaux de printemps engendrées par la fonte des neiges excèdent la demande en cette saison. Quant aux affluents prenant leur source à une moindre altitude ou plus au sud, ils ont un régime essentiellement pluvial, avec un débit plus élevé en automne, lié au climat méditerranéen. La condition physique d’une meilleure utilisation réside donc dans la correction de l’irrégularité du débit en accumulant les eaux de fonte de neige dans un vaste réservoir pour les restituer en été et en hiver. L’ampleur de l’opération implique une démarche collective prenant en compte tous les intérêts concernés.
Captage et exploitation de toutes les ressources en eau
Au début du XXe siècle, Édouard-Alfred Martel, passionné d’ hydrogéologie et de spéléologie, est mandaté par le Ministère de l’agriculture pour chercher de nouvelles ressources en eau potable pour alimenter la Provence. C’est accompagné d’une équipe, complétée par les gens du pays dont Isidore Blanc, instituteur de Rougon, guide et passionné de faune et de flore, qu’il se lance en 1905 à la découverte du Grand Canyon du Verdon.
Lorsque est décidé l’aménagement intégral en 1955, une dizaine d’usines turbinent déjà les eaux de la Durance. Le Verdon a été mis à contribution entre 1948 et 1953 avec les usines de Chaudanne et Castillon. L’impulsion est venue de l’État, non de la région, pour répondre à deux types de préoccupations. Le potentiel de la Durance apparaît dans les années cinquante intéressant à mettre en œuvre dans une Provence très déficitaire en énergie, car pauvre en combustibles fossiles. La pente cinq à six fois plus forte que celle du Rhône en aval de Lyon permet d’aménager des chutes moyennes en tirant parti d’un débit bien moindre. D’autre part, la prise de conscience des déséquilibres économiques spatiaux fait naître la politique d’aménagement du territoire. Pour accroître les revenus dans la France du Sud encore agricole, on propose comme moyen de modernisation de l’eau en quantité suffisante pour irriguer d’anciens et de nouveaux périmètres. Dépendantes sur le plan hydrologique, les deux missions sont confiées, l’une à EDF en 1955, lui donnant la concession de l’aménagement de la Durance, l’autre à la Société du Canal de Provence et d’aménagement de la région provençale, maître d’œuvre à partir de 1963 du Canal de Provence alimenté par le Verdon, qui devra aussi approvisionner des villes.
La réserve de Castillon a en effet été conçue en 1929 pour compléter en été les apports en Basse-Durance. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale qu’EDF tirera parti de son existence pour produire de l’électricité à Castillon et à Chaudanne. L’aménagement de la Durance rend désormais disponibles les eaux du Verdon pour l’irrigation en Provence intérieure, la consommation de l’aire métropolitaine marseillaise et du littoral varois. Cette mission du Canal de Provence exige la constitution sur le Verdon d’un réservoir régulateur du type de Serre-Ponçon, qui sera aménagé à Sainte-Croix (lien). La productibilité qu’EDF peut tirer du Verdon, assez modeste et beaucoup plus coûteuse que celle de la Durance étant donné le faible module (39 m³/s) n’aurait pas justifié seule son intervention. Mais la création du lac de Sainte-Croix lui offre en sous-produit un potentiel hydro-électrique qu’elle peut accroître en utilisant la dénivellation entre le pied du barrage et le confluent de la Durance pour équiper deux autres chutes. Désignée comme maître d’œuvre de l’aménagement du Verdon, EDF crée trois retenues et trois centrales capables de fonctionner en heures de pointe. La dernière retenue, placée en amont de Gréoux pour éviter de bouleverser l’implantation humaine plus dense en aval, alimente à la fois la chute de Vinon, placée le plus près possible du confluent pour valoriser la pente, et la prise d’eau du Canal de Provence.
Ces aménagements sur le territoire du Verdon provoquent un basculement brutal d’une économie rurale fondée sur l’agriculture/élevage/trufficulture et l’artisanat vers une économie tournée vers le tourisme. Le Verdon est devenu le « château d’eau » des départements des Bouches-du-Rhône et du Var, grâce à la retenue de Sainte-Croix qui forme le deuxième plus grand lac artificiel de France (après celui de Serre-Ponçon sur la Durance).
Ainsi, le bilan énergétique global de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur apparaît moins déséquilibré que la moyenne française. La région possède une caractéristique fréquente dans les pays méditerranéens de la rive nord pauvres en combustibles fossiles qui ont entrepris, en l’absence de facilités d’approvisionnement extérieur, avant l’ère du pétrole, une exploitation systématique de leur potentiel hydro-électrique (Italie, Espagne et Yougoslavie). Le corollaire en est souvent un équipement des sites les plus productifs et des possibilités restreintes de développement. C’est le cas en Provence. En trente ans, entre 1947 et 1977, la presque totalité du potentiel régional a été mobilisée.
Un nouvel usager: le milieu aquatique
Mais depuis la loi sur l’eau de 1992, un nouvel « usager » est apparu : le milieu. En effet, cette loi précise dans son préambule : « La répartition de la ressource doit être équilibrée entre les usagers et le respect du fonctionnement des milieux aquatiques ». Cette déclaration concrétise le passage de la gestion de l’eau à la gestion des milieux. En région PACA plus qu’ailleurs, la détermination des débits biologiques fait l’objet de discussions longues et âpres, où souvent le besoin du milieu apparaît comme un frein au développement économique. L’instauration de débits écologiques négociés pour assurer le bon état des cours d’eau français se traduit, en période d’étiage, par une offre réduite pour les usages et les activités anthropiques. La logique d’offre ne prévaut plus, puisque aucune infrastructure importante n’a été construite malgré une démographie croissante et le développement du tourisme sur la Côte d’Azur, à l’exception de la liaison dite « Verdon-St Cassien » qui apporte l’eau du Verdon dans l’est du Var.
Parallèlement, la gouvernance est profondément remaniée, allant parfois jusqu’à une inversion des rôles et des compétences entre acteurs publics. L’érosion continue du rôle de l’État aboutit à une situation de gouvernance où les collectivités territoriales voient leurs compétences accrues et où les institutions du domaine de l’eau doivent compter avec l’histoire et la culture du territoire de la Durance. Les institutions de gestion locale se structurent et se renforcent. À titre d’illustration, le Syndicat Mixte d’Aménagement du Val de Durance (SMAVD), créé en 1976 pour lutter contre les inondations sur l’axe durancien aval, devient en 2010 un organisme de bassin chargé d’animer la politique de l’eau à l’échelle de la Durance.
Mais les ouvrages hydroélectriques affectent fortement l’équilibre écologique du Verdon, y compris ceux de la Durance. Ils empêchent la circulation d’espèces migratrices amphihalines comme le saumon ou l’anguille et fragmentent les populations des autres espèces. En outre, la maîtrise du débit limite le transport solide et le remodelage du lit par des crues de petite et moyenne amplitude. L’augmentation en 2012 des débits réservés à l’aval des retenues de Chaudanne et de Gréoux ont toutefois permis d’améliorer le dynamisme des écosystèmes aquatiques du Verdon. La couleur verte prononcée de cette rivière est due au fluor et aux micro-algues qu’elle contient. Toutefois, dans les lacs de barrage (lacs de Sainte-Croix ou retenue de Quinson, notamment), ses eaux présentent une couleur turquoise due aux fonds argileux.