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Escapade à Cracovie – 3

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La mine de sel Wieliczka

La mine de sel de Wieliczka

Une mer asséchée ?

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A Wieliczka, des files d’attente bien organisées
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Wieliczka, un environnement bucolique (photo Richard)

Ce 18 septembre, troisième jour en Pologne, nous nous levons dès potron minet pour nous rendre en bus à la mine de sel de Wieliczka. En traversant la Vistule, nous jetons un coup d’œil rapide vers l’ensemble monumental de la colline du Wawel, très joli point de vue dont nous n’aurons malheureusement guère le temps de profiter. Je garde le souvenir d’un paysage assez bucolique durant le trajet d’une demi-heure environ depuis Cracovie jusqu’à notre destination. A l’arrivée, nous découvrons un quartier plutôt cossu, de même que l’entrée de la mine vers laquelle se dirigent quelques touristes aussi matinaux que nous. Elle s’est parfaitement convertie de l’industrie du sel à l’industrie touristique: une sacrée organisation ! Un bureau d’accueil informe aimablement, vend les billets, aiguille les flots populeux. Chaque nationalité a sa file d’attente, son ou sa guide dans sa propre langue, un horaire bien précis (évidemment, en français ou en italien les visites sont moins fréquentes qu’en anglais, et encore moins qu’en polonais). Un troquet permet d’attendre dans l’enceinte même en sirotant un café à une terrasse, à l’ombre d’un grand arbre, rien n’est oublié pour faire patienter sans énervement… En surface, l’espace est devenu un élégant parc boisé sillonné de larges allées. Une “thalassothérapie” continentale – un hôtel proposant des soins pour la prévention et le traitement des affections respiratoires – se dresse à proximité de l’usine de transformation et de conditionnement du sel et d’une curieuse tour où la saumure s’écoule en circuit continu à travers des murs constitués de fagots de brandes.

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Une mine très profonde
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Situation de la mine

Mais avant de descendre dans cet antre ténébreux, il faudrait savoir pourquoi le sel se trouve précisément là, à 600 kilomètres de la mer Baltique. Je profite du confinement obligatoire pour cause de Covid-19 pour me lancer dans une grande enquête sur le Net. Donc, sur le plan géologique, j’apprends que cette formation salifère est constituée “de strates évaporitiques du Miocène” : cela signifie que le sel s’est déposé sur le fond d’une mer dont l’eau s’est évaporée au cours d’une époque qui s’est étendue entre 23 et 5 millions d’années (Ma) avant le présent. Le processus n’a pas duré si longtemps, comme la suite de mon étude le révèlera, et la date à laquelle il s’est enclenché a été très précisément déterminée (à quelques dizaines de milliers d’années près). Le nom Miocène a été formé par le géologue britannique du XIXe siècle Charles Lyell à partir du grec μείων (meioon, moins) et καινός (kainos, nouveau), moins récent, car cette époque comporte moins d’invertébrés marins modernes que l’époque suivante du Pliocène (voir le tableau chronologique ci-dessous). Le Miocène est subdivisé en fonction des abondances relatives de foraminifères et de nanofossiles calcaires, ces minuscules, mais innombrables organismes marins qui, après leur mort, ont coulé et se sont déposés sur le fond marin pendant des durées très longues. Leurs squelettes ont fini par former des couches (strates) parfois très épaisses qui sont devenues des roches au sein desquelles on distingue encore leurs formes fossilisées. Dans ce qui va suivre, deux subdivisions seront principalement évoquées: le Badénien (Langhien – Serravallien inférieur) au Miocène moyen et le Messinien au Miocène supérieur (plus récent).

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Ères, périodes et époques géologiques (en millions d’années Ma et milliers d’années Ka)

Venue du nord ou du sud ?

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Mosaïque romaine représentant Téthys, Musée Archéologique d’Hatay (Turquie) (source)
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L’océan Panthalassa avec la mer Téthys dans l’espace ouvert entre les continents qui formaient la Pangée

Dans la mythologie grecque, Téthys (en grec ancien Τηθύς / Têthús) était une déesse marine archaïque. Elle était la benjamine des Titanides, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), sœur et épouse d’Océan, avec lequel elle eut de nombreux enfants, les dieux fleuves et les Océanides (6 000 en tout). Elle personnifiait la fécondité marine. Chaque soir, elle recevait le Soleil qui venait se coucher au terme de son voyage céleste. Mais la Téthys, c’était aussi un paléo-océan qui s’est ouvert au cours du Paléozoïque (depuis la période du Cambrien jusqu’au Jurassique moyen) entre deux masses continentales, la Laurasie et le Gondwana, qui formaient la Pangée. Le temps passant (plus de 100 millions d’années), la tectonique des plaques a fait son œuvre et l’étendue de la Téthys s’est progressivement restreinte. Sur la carte A ci-dessous figure la disposition des continents et des mers qui prévalait durant la période du Badénien (Miocène moyen). La portion de mer qui nous intéresse en l’occurrence est la Paratéthys (hachurée de croisillons et notée d). C’est une annexe de la Téthys (notée c) qui correspond à la partie occidentale du bassin méditerranéen actuel. La deuxième carte B est un agrandissement de la petite zone encadrée en A. Elle montre que la vallée actuelle de la Vistule et de son affluent le San – qui n’existait pas encore et dans laquelle se trouve aujourd’hui Cracovie (notée Cracow) – était alors envahie par un bras de mer (en pointillé) qui s’étendait entre le Jura polonais et la région montagneuse de Lublin au nord et les Carpates au sud. Elle recouvrait la Haute-Silésie à l’ouest et la dépression au pied des Carpates (notée FCD pour Fore-Carpathian Depression) à l’est. Pour faire court, ce n’était donc pas la Baltique qui descendait jusque là, mais la Méditerranée qui remontait plus haut qu’à l’heure actuelle.

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Cracovie sous la mer au Miocène

Isolement et percussion

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La formation du courant antarctique (source)
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La “Grande Coupure” de Stehlin (source)

Cette époque du Miocène, qui dure 18 millions d’années, est marquée par des changements climatiques et écologiques importants. Les courants marins sont fortement remaniés suite à deux évolutions tectoniques. La séparation de l’Antarctique des autres continents (Amérique, Australie) par l’ouverture des passages de Drake et de Tasmanie permet la mise en place d’un courant marin autour de l’Antarctique. C’est la “Grande Coupure” de Stehlin (*). Elle isole ce dernier continent et diminue le mélange des eaux polaires et des eaux tropicales. Le volume des glaces polaires subit alors une augmentation drastique. D’autre part, la plaque arabo-africaine se rattache à l’Eurasie, supprimant ainsi les échanges longitudinaux entre les reliques de la Téthys et l’océan Indien. La Téthys devient la Méditerranée.

(*) La “Grande Coupure” Éocène-Oligocène a eu lieu à la limite de ces deux époques, il y a 33,9 Ma. Elle est marquée par une chute rapide des températures à l’échelle des temps géologiques et par l’extinction de nombreuses espèces végétales et animales. Ce changement climatique a notamment eu pour effet de repousser les forêts tropicales chaudes sur la bande équatoriale. On voit alors apparaître de nouvelles lignées animales qui annoncent les formes modernes. L’expression française « Grande Coupure » a été introduite en 1909 par le paléontologue suisse Hans Georg Stehlin qui propose devant la Société géologique de France de nommer ainsi cette période d’après les faunes de mammifères terrestres d’Europe occidentale. Ce concept s’est depuis élargi à d’autres régions du globe (Amérique du Nord, Asie), si bien que cette expression est aujourd’hui couramment utilisée dans le langage géologique international. Cette période critique a fait l’objet d’un récent article scientifique en 2019, suite à l’étude approfondie d’un nouveau site fossilifère majeur, la phosphatière de Dams anciennement creusée à la fin du XIXe siècle dans le réseau karstique calcaire de Rocamadour, à Caylus dans le Quercy (Tarn-et-Garonne, France).

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Représentation de l’atome de carbone, composé d’un noyau de six neutrons et six protons (12C). Les six électrons sont représentés par des probabilités de présence dans des nuages électroniques.
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Atome d’oxygène: 8 électrons, 8 protons et 8 neutrons

Il y a environ 25 millions d’années, le climat se réchauffe fortement à la transition Oligocène-Miocène, ainsi que le révèle l’analyse du rapport isotopique de l’oxygène (18O/16O) aux différentes latitudes de l’océan mondial. Le rapport isotopique du carbone 13C/12C subit une hausse généralisée qui est mesurée dans les dents d’herbivores, les paléosols et la matière organique sédimentaire. La transition de la flore est reconstituée à partir des pollens contenus dans les strates correspondantes. En effet, cette période correspond à l’expansion des plantes en C4 (synthèse d’une molécule contenant 4 atomes de carbone, l’oxaloacétate), une évolution du processus de la photosynthèse qui permet une meilleure adaptation à la sécheresse. Elles s’avèrent également plus efficaces en périodes de basse teneur de l’atmosphère en gaz carbonique CO2, ainsi qu’en périodes de températures élevées. Les faunes se sont progressivement adaptées à ces changements de la végétation et du climat. Parmi les mammifères, les évolutions caractéristiques des équidés (ancêtres des chevaux) et des proboscidiens (ancêtres des éléphants) traduisent les changements de régime alimentaire (folivore vs. graminivore – de la feuille à la graminée) et l’adaptation à la course dans un paysage de steppes et de savanes ouvertes.

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La plaque tectonique indo-australienne se déchirerait littéralement en deux au large de Sumatra (séisme en 2012)
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Distribution spatiale (concentrique) dans les bassins évaporitiques

Par la suite, vers -13,5 Ma, au Miocène moyen, le climat devient “rapidement” (sur le plan géologique) plus froid et plus sec, ce que reflète l’apparition et l’expansion des prairies à graminées aux latitudes moyennes de l’hémisphère Nord. Cette évolution est attribuée à la surrection de grandes chaînes de montagnes, en premier lieu l’Himalaya, suite à la “collision” (au ralenti) de la plaque indo-australienne emportée vers le nord contre l’Eurasie. Cette poussée a débuté au Miocène, entre 25 Ma et 15 Ma: la plaque indienne a agi comme un coin pour passer sous la plaque asiatique (une subduction). Cela se serait traduit d’une part par une surrection de près de 1000 mètres de la surface en Himalaya et au sud du Tibet et d’autre part par le creusement d’un bassin profond de plusieurs milliers de mètres, sur le front sud de l’Himalaya. Dans le pourtour méditerranéen, le Miocène est marqué par plusieurs occurrences d’extraordinaires catastrophes paléo-environnementales dues à la coupure de vastes bras de mer de leur communication avec l’océan. Cela a trois conséquences majeures: la formation d’eaux hyper-salines, la destruction complète d’écosystèmes biologiques et le dépôt d’une énorme épaisseur (100 à 1000 m) d’évaporites aussi bien au centre que sur les marges du bassin. Le mot évaporite se comprend de lui-même: c’est le produit de l’évaporation de ces mers qui varie, comme on peut le voir sur les schémas ci-dessous et ci-contre, en fonction de la concentration de sel et de la localisation au centre ou en périphérie du bassin et selon la profondeur liée à la topographie.

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Évaporites : sédiments d’origine chimique par précipitation d’une solution aqueuse (saumure) (S: salinité – D: densité – K: Potassium (du latin Kalium) – Mg: Manganèse)
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Les zones planes des fonds méditerranéeens correspondent aux zones de sédimentation (sel et gypse) durant sa phase d’assèchement.

Il est communément admis que ces “crises” de salinité sont dues à une interaction complexe des processus tectoniques et glacio-eustatiques (variation du niveau des mers par fonte des glaces ou glaciation) qui a provoqué la fermeture progressive des passerelles marines jusqu’à la suppression des échanges hydrologiques entre les différents bassins. Une première “crise” de salinité s’est produite durant le Miocène moyen (environ -15 Ma) en Mer Rouge. L’étage du Badénien (environ -14 Ma) marque la dernière période de connectivité significative entre la Méditerranée et la Paratéthys, grand précurseur de la mer Noire, de la mer Caspienne et de (feu) la mer d’Aral. Une seule passerelle marine éventuelle subsistait dans le passage étroit entre les Alpes et les Dinarides. Sur la figure B ci-dessous est esquissée la reconstruction paléogéographique simplifiée de cette connexion relictuelle durant l’intervalle de la crise de salinité du Badénien. Un grand volume d’évaporites fut alors déposé sur le plancher marin selon une distribution indiquée sur la figure A ci-dessous, avec les dépôts d’halite (Σ) (appelée aussi sel gemme, et composée essentiellement de chlorure de sodium NaCl – le sel de table) et de gypse (la “pierre à plâtre”) et/ou d’anhydrite (V) le long des Carpates.

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Dépôts salins dans Parathétys (l’étoile * correspond à l’emplacement des carottages à la mine de sel de Wieliczka près de Cracovie)

Dans les marges de l’Europe, il y a eu une troisième crise de salinité de plus grande amplitude encore après le Badénien. A la fin du Miocène, la mer Méditerranée s’est retrouvée progressivement isolée de l’océan Atlantique. Il régnait alors un climat plus froid et plus sec qui engendra l’expansion des savanes. Une régression marine importante aboutit à l’assèchement de la Méditerranée (avec une baisse du niveau de cette mer de l’ordre de 1 500 à 2 500 mètres dans l’ensemble du bassin !) : c’est l’Événement Messinien. Il s’est produit entre 5,96 et 5,33 Ma, et il a eu pour conséquence l’accumulation dans les bassins profonds de plus de 1000 m d’épaisseur de sel.

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Vue d’artiste de l’assèchement de la Méditerranée. L’encadré montre le passage d’espèces (ici des camélidés et des rongeurs) d’un continent à l’autre (source)

De l’argon dans le tuf

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Potassium
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Argon, schéma de l’atome

Une bonne compréhension de l’évolution du bassin d’évaporites de la Paratéthys nécessite de dater très précisément les strates. Les évaporites de Pologne méridionale accumulées au Badénien font 30 à 100 mètres d’épaisseur. L’halite repose communément sur des siliciclastiques de mer profonde et des carbonates (strates Skawina) et elle est recouverte par des dépôts siliciclastiques de mer profonde à saumâtre (strates Chodenice et Gliwice). Une récente étude a été effectuée en utilisant la radiodatation par la toute nouvelle méthode argon-argon, dérivée de la méthode potassium-argon. En voici brièvement le principe.

La radiodatation est basée sur un phénomène physique : la radioactivité. Il existe une centaine d’éléments chimiques dans l’univers, caractérisés par leur numéro atomique (nombre de protons dans le noyau de l’atome), et qui sont présentés sous la forme du tableau périodique des éléments de Mendeleïev. Dans le noyau, les protons peuvent être associés à des neutrons dont le nombre, pour chaque élément, est variable: ce sont des isotopes. Certains isotopes sont instables et se désintègrent spontanément en d’autres éléments en émettant des particules et un rayonnement : ce sont des éléments radioactifs. La radioactivité est un phénomène immuable qui ne dépend pas des conditions du milieu (pression, température…).

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Wieliczka : positions stratigraphiques de l’halite (Σ) et des tuffites volcaniques échantillonnées (WT-1 et WT-3)
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Isotopes du potassium

Le potassium est naturellement lié à d’autres éléments dans l’eau de mer et dans de nombreux minéraux. Son noyau contient 19 protons et, dans la nature, il est présent sous la forme de trois isotopes notés K (du latin kalium) : 39K (93,26 %) – 20 neutrons – et 41K (6,73 %) – 22 neutrons -, tous deux stables, et un radio-isotope à longue durée de vie, 40K (0,01167 %) – 21 neutrons -. Le Potassium 40 radioactif se désintègre selon deux modes, soit en émettant une particule Bêta pour devenir du Calcium 40 (40Ca), soit par la capture d’un électron qui le convertit en Argon 40 (40Ar), dans des proportions fixes et connues, avec une demi-vie globale de 1,248 milliard d’années, durée idéale pour dater des roches terrestres. Le calcium étant très abondant à la surface terrestre, il est plus aisé de chercher à détecter l’argon (du grec ancien argós qui désignait quelque chose d’inactif, de paresseux), un gaz rare utilisé par exemple dans les lampes fluorescentes. Lorsque une roche est en fusion (par exemple lors d’une éruption volcanique), l’argon, très volatile, s’échappe facilement dans l’atmosphère. Ainsi, en refroidissant, les minéraux qui cristallisent en sont dépourvus. L’argon réapparaît progressivement par la désintégration du potassium radioactif qu’ils contiennent.

Par conséquent, l’étude de la datation de la strate d’halite de Wieliczka nécessite de trouver une roche volcanique qui l’encadre, dessous et dessus. Le choix s’est porté sur le tuf volcanique qui résulte de la consolidation sous l’action de l’eau de débris volcaniques de taille inférieure à quatre millimètres (lorsque les débris sont plus fins, cela donne de la cinérite, issue de cendres volcaniques). Il est justement présent au-dessous des sels du Badénien (strate notée WT-1 sur le schéma ci-contre, Wieliczka tuf – 1) et au milieu des strates d’halite (WT-3, Wieliczka tuf – 3).

En effet, le volcanisme se manifeste dans la région depuis l’orogenèse alpine, les Carpates ayant commencé à surgir, comme les Alpes dont elles sont séparées par le Danube, au début du Cénozoïque (depuis une soixantaine de millions d’années) lorsque la tectonique a rapproché les plaques africaine et eurasienne, fermant progressivement l’océan Téthys qui les séparait auparavant. Au Miocène moyen et supérieur, les Carpates ont subi une déformation qui s’est accompagnée d’une intense activité magmatique. Le volcanisme y a d’ailleurs été actif jusqu’à des périodes très récentes (15 000 ans avant le présent dans les monts Harghita, en Roumanie) et un fort thermalisme résiduel en témoigne. Le mouvement continue et provoque régulièrement des séismes en Roumanie où l’épicentre de Vrancea, à la jointure de trois micro-plaques, forme le “coude des Carpates”.

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Rétroactions entre la tectonique, les processus de surface et les processus climatiques dans les orogènes.

Une évaporation lors d’un refroidissement terrestre ?

L’Antarctique se glace

Je ne m’étendrai pas plus avant sur la technique de datation par l’étude du rapport isotopique de l’argon 40Ar/39Ar au sujet de laquelle le lecteur se reportera utilement aux liens signalés plus haut. Il suffit de savoir que cette étude révèle que le dépôt d’évaporite au nord des Carpates a débuté peu après 13,81 Ma. Quant à la détermination de ce qui a été prépondérant, du climat ou de la tectonique, il faut garder en mémoire que de fortes rétroactions existent entre ces paramètres, et il est souvent difficile de discriminer leur influence relative. Par exemple, la formation d’une zone topographiquement haute (une montagne) perturbe localement le climat, intensifie les précipitations et l’érosion. Durant le Cénozoïque, il y a justement eu à la fois un refroidissement global et une phase orogénique majeure avec la collision alpine au sens large (depuis les Pyrénées à l’ouest jusqu’à la chaîne himalayenne à l’est). Les changements tectoniques majeurs se font à des échelles de temps très longues, de l’ordre du million d’années. Au contraire, les changements climatiques s’opèrent à des échelles de temps variables, dont les durées peuvent s’étendre de la dizaine de millions d’années à quelques dizaines de milliers d’années.

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Évolution du rapport isotopique de l’oxygène 18O/16O, noté δ18O, chez les foraminifères benthiques du Cénozoïque (en abscisse, le temps en millions d’années Ma)

Une histoire d’oxygène

Les foraminifères
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Operculina, dessin d’Alcide Dessalines d’Orbigny pour son Tableau…
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Alcide Dessalines d’Orbigny, 1847 (source)

L’évolution du climat s’inscrit dans la structure de fossiles minuscules contenus dans des roches formées à partir de sédiments marins. Historiquement, les foraminifères sont connus depuis l’Antiquité : Hérodote (vers 484-425 av. J.-C.), Strabon (63 av. J.C. – 20 après J.-C.) et Pline l’Ancien (23-79 après J.-C.) avaient mentionné une accumulation d’objets en forme de lentilles dans les calcaires des pyramides d’Égypte : ils avaient détecté la présence des Nummulites (grands foraminifères benthiques). Au XIXe siècle, Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-1857) crée la classe des foraminifères qu’il cite dans son Tableau méthodique de la classe des céphalopodes (1825 – il n’avait que 23 ans !). Fondateur de la micropaléontologie, ce savant en décrit plus de 1000 espèces et il est le premier à étudier le mode de vie et l’écologie de ces petits organismes qu’il classe avec les ammonites. Toutefois, c’est Félix Dujardin (1801-1860) qui découvrira en 1835 la nature unicellulaire des foraminifères. Que l’air compassé d’Alcide et ses habits désuets n’induisent pas en erreur sur sa personnalité ! Ce grand naturaliste a aussi été un grand voyageur: lors de son long séjour en Amérique du Sud (1837-1849), juste après celui de Charles Darwin avec lequel il correspondra (1831-1836), il remarque l’influence des courants, de la température et de la profondeur sur le mode de distribution des foraminifères qu’il collecte en quantités. Dans son Mémoire sur les foraminifères de la craie blanche du bassin de Paris publié en 1840, il démontre en outre que les foraminifères pourraient être utilisés pour classer les strates géologiques. Après sa mort prématurée, sa collection qui compte plus de 14 000 espèces et plus de 100 000 spécimens est acquise par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.

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Foraminifères planctoniques du Miocène moyen de Paratéthys en Silésie (sud Pologne) et à Monferrato (N-O Italie) au Badenien–Langhien/Serravallien

Chez ces Protozoaires appartenant à la branche des “Protoctista”, le cytoplasme de l’unique cellule qui les constitue est inclus dans une coquille (le test) diversement composée de matière organique, de substances minérales ou de particules agglutinées. Les tests de foraminifères sont présents dans les strates géologiques depuis le début de l’ère primaire jusqu’à l’époque actuelle. Certaines de leurs lignées ont évolué rapidement, ce qui est très utile pour la biochronologie et les corrélations interrégionales précises des strates géologiques. Leur sensibilité écologique les rend aussi particulièrement intéressants pour l’étude des environnements actuels et anciens. Ils se trouvent dans tous les milieux aquatiques marins, certains sont adaptés à des eaux saumâtres, mais ils sont absents des eaux douces. On distingue, d’une part, les formes benthiques qui vivent sur le fond, soit à la surface du sédiment, soit enfouies dans celui-ci, soit sur des supports végétaux, rocheux ou des particules et, d’autre part, les formes planctoniques qui sont passivement entraînées par les courants, mais susceptibles d’effectuer des migrations verticales.

Peser le test

Les foraminifères benthiques préfèrent les zones relativement peu profondes des plates-formes continentales où ils prolifèrent en fonction de différents facteurs (remontée de nutriments ou éclairement important, etc.). La composition chimique et isotopique des tests fossilisés permet de déduire les propriétés de l’eau de mer du vivant de ces espèces. En effet, l’oxygène possède 17 isotopes dont trois seulement sont stables, 16O, 17O et 18O, le premier étant ultra-majoritaire dans la nature (plus de 99,75 %) et le plus léger des trois puisque son noyau ne comporte que 8 neutrons, les autres en ayant respectivement 9 et 10. C’est un constituant de l’eau (H2O), ainsi que des carbonates des tests de foraminifères, composés de calcium, de carbone et d’oxygène (CaCO3). Dans les sédiments océaniques, la composition isotopique (18O/16O, noté δ18O, delta 18 O pour Oxygène) de ces carbonates, dépend de la température ainsi que de la composition isotopique de l’eau de mer, car les tests ont été synthétisés à partir des ions HCO3 (bicarbonate ou hydrogénocarbonate) qui font partie des sels dissous dans l’eau de mer avec laquelle ils sont en équilibre isotopique. Mais pour une composition isotopique donnée δ18O de l’eau de mer, on constate que celle des carbonates augmente si la température marine diminue (-4ºC pour +1 ‰ de δ18O).

Le rapport isotopique δ18O de l’oxygène contenu dans l’eau de mer a varié dans le passé en fonction notamment du volume des calottes de glace polaires. En voici le processus. Lors du transport de la vapeur d’eau (H2O) des basses latitudes vers les pôles et des océans vers les continents par le biais des nuages poussés par le vent, les précipitations successives de pluie ou de neige appauvrissent de plus en plus cette vapeur en isotope lourd (contenant du 18O) qui tombe préférentiellement à la vapeur contenant l’isotope léger (16O). Le rapport isotopique δ18O de la vapeur des nuages diminue donc avec l’augmentation de la latitude, de même que celui des précipitations formées à partir de cette vapeur. Ceci explique d’une part que les glaces polaires soient formées d’eau très appauvrie en isotope lourd (18O). D’autre part, en période plus froide, comme la température lors du transport de vapeur diminue plus “vite” avec la latitude, l’appauvrissement isotopique de la vapeur est plus prononcé, et le rapport isotopique δ18O des précipitations pour un site donné diminue. En période glaciaire, durant laquelle jusqu’à 3 à 4 % du volume des océans peut être ainsi stocké sous forme de glace très appauvrie en isotope lourd, ce stockage enrichit corrélativement sur le plan isotopique les océans (par conservation de la masse totale de l’isotope 18O). Le rapport isotopique δ18O des carbonates synthétisés par les foraminifères augmente donc en période glaciaire, un pourcentage accru davantage encore en raison de la baisse de température des océans mondiaux.

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Détail des corrélations montrant la position chronostratigraphique des dépôts d’halite de Wieliczka
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Bélemnites, vue d’artiste (source)

Après ce petit détour, revenons à notre gisement de sel de Wieliczka. Que révèlent donc les tests fossilisés des foraminifères benthiques du Cénozoïque ? Le schéma ci-dessus montre que la crise de salinité du Badénien coïncide avec le début de la période glaciaire du Miocène. Les assemblages de Foraminifères  dans la carotte de forage de Gliwice 19 indiquent un refroidissement juste avant le dépôt des évaporites. Les données (*) sur les rapports isotopiques d’oxygène et de carbone fournies par le Programme de Forage de l’Océan (Ocean Drilling Program ODP) au Site 1146 des Caraïbes montrent qu’une transition du climat global se produit au milieu du Miocène. Sa principale étape, à 13,82 Ma, est nommée Mi3b car elle s’est produite au Miocène, à l’étage du Serravallien. La crise de salinité du Badénien (Langhien – Serravallien inférieur) est datée, je le rappelle, grâce au tuf contenu dans la strate sous l’halite qui remonte à 13,81 Ma. Elle s’est donc produite simultanément avec ou directement après cette chute de température qui a été confirmée dans beaucoup d’enregistrements isotopiques dans le monde entier.

(*) Commentaire du tableau ci-dessus à propos des deux colonnes de droite correspondant à l’enregistrement isotopique global: En géologie, PDB désigne Pee Dee Belemnite. Il s’agit d’une référence standard du rapport isotopique du carbone δ13C et de l’oxygène δ18O mesuré sur la coquille d’une espèce de bélemnites du Crétacé supérieur Belemnitella americana, recueillie sur le site fossilifère de Pee Dee en Caroline du Sud (États-Unis). Ce fossile de bélemnite a été choisi car il appartient à un animal marin ayant vécu au Crétacé supérieur, lors d’une époque dépourvue de calottes polaires, sans contrastes climatiques marqués.

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Belemnitella americana, fossile

Un déclin significatif de la température a également été documenté sous les évaporites, dans la strate inférieure WT-1 qui a enregistré le déplacement des foraminifères des eaux chaudes et l’expansion des populations des eaux froides. A cette même époque du Badénien moyen, il s’est produit également une extinction : dans les successions de strates de la Paratéthys dépourvues d’évaporites et contemporaines de cette crise de salinité, l’important déclin du nombre de gastropodes et de foraminifères coïncide avec un déclin de la proportion de mollusques thermophiles. Ceci indique une chute de la température de surface de la mer de 16–18 °C à 14–15 °C. Une relation causale entre le refroidissement du Mi3b et la crise de salinité du Badénien semble ainsi probable.

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Circulation des eaux dans 2 mers à détroit : circulation estuarienne (en haut) et anti-estuarienne (en bas)

A première vue, il paraît contre intuitif que des évaporites se soient formées au cours d’un refroidissement climatique, parce que de telles circonstances conduiraient principalement à moins d’évaporation. La crise de salinité du Badénien, toutefois, fut précédée par un optimum climatique si intense que le budget hydrologique  (précipitations – évaporation) demeura négatif, juste après le refroidissement. Au début et au milieu du Badénien, et donc durant cette crise de salinité, la circulation dans la Paratéthys centrale fut anti-estuarienne : les eaux salines denses des profondeurs en provenance du bassin de la Paratéthys au pied des Carpates s’écoulaient par le détroit en direction de la Méditerranée. Comme on le voit sur le graphique inférieur du schéma ci-dessus qui donne l’exemple de la Méditerranée, la salinité avait donc déjà tendance à augmenter dans la Paratéthys. Or, la phase de refroidissement Mi3b engendra une baisse significative du niveau global de la mer (~40–50 m), ce qui détériora l’échange d’eau par la passerelle vers la Méditerranée et contribua à accroître plus encore la salinité. C’est ce dernier facteur, plus encore que des changements dans le mode de précipitations à basse et moyenne latitude accompagnant la baisse générale des températures, qui a plus probablement joué un rôle crucial dans le déclenchement de la crise de salinité du Badénien. Si l’on suppose que la moitié supérieure des évaporites fut déposée dans un laps de temps similaire à la moitié inférieure, l’ensemble a dû se déposer en environ 400 000 ans. En tenant compte d’incertitudes dans la position stratigraphique de WT-3 et des changements potentiels du taux de sédimentation, la durée totale du dépôt d’évaporites est comprise dans une fourchette de 200-600 000 ans. C’est ce temps qu’il a fallu à la Paratéthys pour s’évaporer…

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Aphélie, périhélie

L’astronomie scande le climat

Des cycles qui se croisent

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Solstices et équinoxes

Plusieurs causes ont été envisagées pour expliquer la dégradation climatique Miocène-Pliocène. Avec le soulèvement de la région Himalaya-Tibet, un plus grand volume de roches silicatées a été altéré. D’autre part, il y aurait eu un enfouissement accru du carbone organique. Ces deux facteurs auraient conduit au retrait du gaz carbonique CO2 de l’atmosphère et à la réduction corrélative de l’effet de serre. Néanmoins, les reconstitutions de la pression partielle de gaz carbonique (pCO2) ne montrent aucune évidence convaincante de sa baisse entre 20 et 7 millions d’années avant le présent. En outre, il se peut que les changements dans les modes de circulation océanique dus par exemple à la clôture tectonique de bassins aient accru le transport de vapeur d’eau ou réduit le transport de chaleur vers la région antarctique. Tout ceci amène à penser que d’autres causes sont à l’origine des fluctuations climatiques observées, notamment des causes d’origine astronomique, avec une configuration orbitale particulière caractérisée par une faible insolation estivale aux hautes latitudes.

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Mouvement de toupie (gyroscopique) de l’axe de la Terre

Depuis les découvertes de Milutin Milankovitch publiées entre 1910 et 1941 et leurs prolongements à partir des années 1970, on sait désormais que les paramètres astronomiques de la Terre influent sur le climat et que ce sont leurs cycles qui ont scandé le rythme des dernières glaciations. L’excentricité de l’orbite terrestre mesure sa forme qui varie entre le cercle et une orbite elliptique dont le Soleil occupe un des foyers. L’obliquité de l’axe terrestre varie: l’axe oscille légèrement autour d’une valeur moyenne. La précession est la combinaison de plusieurs paramètres qui varient avec une périodicité différente: la précession des équinoxes, la précession des apsides, la nutation… La précession des équinoxes (animation 1 ci-contre) correspond au mouvement de toupie de la Terre dont l’axe, qui pointe actuellement vers l’étoile polaire (Alpha Ursae Minoris – Alpha de la Petite Ourse), pointait il y a 12 000  ans à 5 degrés de Véga de la Lyre. La précession des apsides (animation 2 ci-contre) correspond à la rotation de l’orbite sur son plan. Les autres facteurs (précession des nœuds, nutation…) influent aussi légèrement sur les changements climatiques. Le cycle de précession affecte le climat en induisant un très lent glissement des dates des solstices et des équinoxes sur l’orbite. A l’heure actuelle, le solstice d’hiver de l’hémisphère nord (21 décembre) coïncide presque avec la position de la Terre à son périhélie (5 janvier 2020), le point de l’orbite le plus proche du Soleil. Il y a un demi-cycle  (11 à 12 000 ans), c’était le solstice d’été (21 juin) qui était à cette position.

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Rotation de l’orbite terrestre sur son plan

Pour mesurer les impacts climatiques de la précession et de l’excentricité, il faut examiner ces deux paramètres ensemble (*). Lorsque l’orbite est quasi-circulaire, la différence d’insolation (énergie solaire reçue par la Terre) entre le périhélie (point de l’orbite le plus proche) et l’aphélie (point de l’orbite le plus éloigné) est faible, la précession impacte peu le climat. Il en va différemment lorsque l’orbite accroît sa forme elliptique. Les saisons deviennent plus contrastées en raison de la variation de la distance au Soleil. En outre, la vitesse de la Terre sur son orbite, qui est relativement uniforme lorsque celle-ci est circulaire, devient variable. La Terre accélère vers le périhélie, le point de l’orbite le plus proche du Soleil, tandis qu’elle décélère en s’éloignant vers l’aphélie, le point de l’orbite le plus éloigné du Soleil, ce qui a une incidence sur la durée des saisons: elle s’allonge autour de l’aphélie, tandis qu’elle raccourcit autour du périhélie. Une autre conséquence en dérive. Notre hiver dans l’hémisphère nord est plus doux puisque la Terre est proche du Soleil, et corrélativement nos étés sont moins chauds puisque la Terre en est plus éloignée. La situation est inversée pour l’autre hémisphère, ainsi que l’ont malheureusement illustré les incendies qui ont ravagé l’Australie entre septembre 2019 et février 2020, même si d’autres facteurs sont probablement entrés en ligne de compte.

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Cycles de Milankovitch passés et futurs : obliquité (ε). Excentricité (e). Longitude du périhélie sin(ϖ). Indice de précession (e sin(ϖ)) • Insolation moyenne journalière au sommet de l’atmosphère au solstice d’été à la latitude 65° N • Foraminifères benthiques et Carottages de Vostok (Antarctique)

(*) Les scientifiques mesurent les variations combinées de la précession et de l’excentricité dans un indice de précession qui varie dans un intervalle compris entre -1 et +1. Il s’exprime selon la formule e sinus omega(sub s), où e représente l’excentricité orbitale de la Terre et omega(sub s) mesure la proximité du Soleil lorsque c’est le milieu de l’été sur Terre (courbe rouge du schéma ci-contre). Quand omega(sub s) = 90 degrés, la Terre est proche du Soleil durant l’été boréal, et à 270 degrés, elle est loin du Soleil durant l’été boréal. L’indice de précession varie avec le temps, car autant l’excentricité que le paramètre omega(sub s) sont constamment en train de se modifier en raison des perturbations de l’orbite terrestre engendrées par les autres planètes et par les mouvements de précession de l’axe de la Terre et du plan de son orbite. Ce changement est en grande partie périodique, avec une périodicité d’environ 23 000 ans. L’indice de précession est maximal dans la configuration terrestre actuelle, avec l’axe de rotation terrestre pointant vers l’étoile polaire, et il est minimal lorsque l’axe pointe vers Véga au bout d’un demi-cycle (11-12 000 ans).

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Maximum de précession dans la configuration actuelle, minimum un demi-cycle (11-12 000 ans) plus tard (excentricité très exagérée).

Ce que Milutin Milankovitch a compris, c’est que la combinaison de l’ensemble de ces paramètres qui décrivent les variations des mouvements de la Terre influent sur l’énergie solaire qu’elle reçoit à une latitude donnée. La latitude de 65° (au cercle polaire) est particulièrement sensible à ce phénomène astronomique. Si l’été présente une énergie insuffisante pour faire fondre la neige tombée durant la mauvaise saison précédente et que cette situation perdure pendant suffisamment longtemps, cette configuration astronomique peut enclencher la formation d’une calotte polaire et favoriser son accroissement, plongeant la Terre dans une ère glaciaire. Milutin Milankovitch a calculé la cyclicité de ce phénomène pour les glaciations récentes. Ainsi que l’indique le schéma sur “l’Évolution du rapport isotopique de l’oxygène 18O/16O, noté δ18O, chez les foraminifères benthiques du Cénozoïque” présenté plus haut, c’est le continent Antarctique qui, depuis quelque 35 millions d’années, a d’abord été fortement impacté par ces perturbations astronomiques, la calotte glaciaire s’installant durablement. La calotte arctique ne serait là “que” depuis une dizaine de millions d’années (peut-être un peu plus).

Vostok : 420 000 ans de glaces !

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Vostok, Antarctica – 78°28′ S, 106°48’E, 3488 m above MSL

L’eau est composée d’hydrogène et d’oxygène (H2O). Comme indiqué plus haut, la quantité d’isotope d’oxygène “lourd” (18O) dans les précipitations (pluie ou neige) diminue au fur et à mesure que l’on va vers les pôles, et elle baisse dans une plus grande mesure encore s’il y a un refroidissement global. Parmi l’ensemble des molécules d’eau, il existe une proportion connue de molécules où l’hydrogène est remplacé par du deutérium (D) dont le noyau atomique contient un proton et un neutron. La proportion d’eau plus “lourde” baisse dans les mêmes conditions que pour l’isotope d’oxygène. Grâce à ces propriétés, il a été possible de distinguer les cycles climatiques passés en analysant des carottes de glace. A partir des années 1970, l’Union soviétique effectua à Vostok, la station russe installée dans le centre-est de l’Antarctique, une série de forages à grande profondeur. Il fut démontré que la glace remontant à la dernière glaciation se trouvait à une profondeur supérieure à 400 mètres.

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L’emplacement de la station Vostok en Antarctique a permis des forages à grande profondeur à partir des années 1970.

L’analyse de ces glaces fut faite grâce à une collaboration franco-soviétique. Des échantillons pris à diverses profondeurs furent expédiés à l’état solide à Grenoble où ils furent fondus avant d’être transférés au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) à Saclay, près de Paris, pour l’analyse isotopique. En 1985, il fut procédé à une première analyse d’échantillons prélevés durant l’été austral 1982-1983. En 1987, ce fut le premier carottage de glace à représenter un cycle complet glaciaire-interglaciaire. En 1997 et 1999, l’analyse de carottages atteignant 3623 mètres de profondeur permit à l’équipe de Géochimie de Saclay de reconstituer les variations climatiques jusqu’à 420 000 ans avant le présent ! L’estimation des températures terrestres du passé à partir de ces données isotopiques se fonde à la fois sur des arguments expérimentaux et théoriques. Ainsi, la distribution du contenu en deutérium est bien documentée dans l’Antarctique oriental et sur un grand éventail de températures (de -20° à -55°C); l’étude a révélé une relation linéaire entre la température moyenne annuelle de surface et le contenu de deutérium dans la neige. Par ailleurs, la forte corrélation entre les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et la température en Antarctique a été confirmée par les enregistrements dans les carottes de glace de Vostok: il a été constaté que la charge actuelle de dioxyde de carbone et de méthane semble ne pas avoir eu de précédent au cours des derniers 420 000 ans. Dernière remarque, les cycles climatiques déduits du carottage de glace de Vostok paraissent plus uniformes sur le plan des températures que ce que révèlent les enregistrements des sédiments extraits par forage en haute mer.

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La section Ras il Pellegrin (Malte): stratotype GSSP pour la base du Serravallien (Miocène moyen).

Au Badénien, un refroidissement mondial

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Situation du lieu d’étude (RIP, Ras il Pellegrin) à Malte et du site servant de comparaison à Tremiti (Italie)

Retournons de nouveau au Miocène, à l’époque de la crise de salinité du Badénien pendant laquelle la Paratéthys s’est asséchée et l’halite s’est déposée au pied des Carpates, notamment à Wieliczka où nous avons visité cette mine de sel. Après l’optimum climatique entre 16 et 14,5 Ma, le refroidissement global du Miocène moyen aux environs de 14 Ma représente une étape importante dans l’évolution du climat du Cénozoïque, avec l’installation permanente d’une plus grande calotte glaciaire dans l’Antarctique oriental. Ce moment clé a été particulièrement bien documenté dans une étude où les auteurs décrivent par le menu le processus de leur recherche sur un site géologique qui s’est avéré d’une qualité exceptionnelle. Ils ont eu la chance de pouvoir observer à pied sec, sur terre, et sans avoir à creuser dans les profondeurs, l’un des rares endroits où les successions marines de cette transition du Miocène moyen sont exposées à l’air libre. C’est à Malte et Gozo, dans le centre de la Méditerranée, et plus précisément à flanc de la falaise bordant le plateau Ras il Pellegrin (la tête du pèlerin), sur la côte nord-ouest de l’île, où de rares vestiges révèlent une occupation humaine pluri-millénaire. – Vue la raideur de la pente, ils ont sans doute dû escalader en faisant abstraction du vertige, des risques de glissade sur les éboulis et de chute sur les rochers dans le ressac en contrebas… – Des études précédentes sur ces îles ont montré que l’événement d’enrichissement isotopique majeur durant le Miocène moyen, correspondant à l’étape de refroidissement notée Mi3b, E3, CM6 et datée aux alentours de ∼13,8 Ma, coïncidait avec la transition du calcaire à Globigerina (strates inférieures) vers la Formation d’Argile Bleue (juste au-dessus) et que le dépôt cyclique des strates d’argile bleue était potentiellement adapté à la datation astronomique.

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Exemple de Globigerina: Ciperoella anguliofficinalis, échelle 50 micromètres (Image de pforams@mikrotax, Source: Olsson et al. 2018 – Oligocene Atlas chapter 7 (Ciperoella)

Les chercheurs se sont également appuyés sur les études de deux autres sites, Monte dei Corvi et Tremiti en Italie. Enfin, une fois réalisée l’étude à Malte, ils ont vérifié que les résultats concordaient avec les informations extraites des sédiments de la crête immergée sous 1500 mètres d’eau au sud de la Tasmanie, ancien pont terrestre entre l’Australie et l’Antarctique. A cet endroit, les enregistrements isotopiques de l’oxygène du foraminifère benthique Cibicidoides mundulus révèlent une image claire de la transition climatique du Miocène moyen avec l’étape majeure (Mi3b) caractérisée par davantage d’isotope d’oxygène 18O dans les sédiments autour de 13,85 Ma, tandis que la courbe de température de la surface océanique dérivée du rapport Manganèse/Calcium (Mg/Ca) des foraminifères planctoniques montre une diminution graduelle régulière de la température qui s’amorce vers environ 14,1 Ma.

D’autres contrôles de concordance ont été faits avec les informations données par l’étude du site 588A dans le cadre du Projet de carottage en haute mer (Deep Sea Drilling Project DSDP) au Pacifique Sud et du site 747 dans le cadre du programme de carottage dans l’océan (Ocean Drilling Program ODP) sur le plateau des Kerguelen. Le calendrier et la structure de ces enregistrements isotopiques géographiquement lointains révèlent des similitudes marquées durant la transition climatique du Miocène moyen, en dépit du fait que le signal isotopique de la section de Ras il Pellegrin soit mesuré sur un ensemble de carbonates, tandis que les deux enregistrements isotopiques de haute mer sont basés sur des espèces de foraminifères benthiques du genre Cibicidoides. Ceci est un indice fort d’un contrôle global sur les enregistrements isotopiques durant la transition climatique du Miocène moyen, bien que le caractère clairement “pas à pas”, scindé en petites étapes régulières, de l’intervalle avant la transition majeure semble être enregistré différemment sur ces divers sites de différents bassins océaniques.

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Échelle de temps de polarité magnétique de l’ATNTS2004, précession et excentricité modulatrice de son amplitude, obliquité et son modulateur d’amplitude, la courbe cible EOA, magnétostratigraphie de la section, la série chronologique de groupe d’isotopes de carbonates accordés de Ras il Pellegrin, et la corrélation de la stratigraphie isotopique du groupe avec les enregistrements isotopiques benthiques du Programme de Carottage en Haute Mer – Deep Sea Drilling Program (DSDP) – sur le site Site 588A et le site 747. Les deux dernières séries isotopiques sont données dans le domaine de la profondeur. L’échelle d’âge à la gauche de chaque enregistrement a été dérivée en utilisant une interpolation linéaire et l’extrapolation des taux de sédimentation entre et au-delà des inversions magnétiques sélectionnées, avec des âges ATNTS2004 des inversions sélectionnées indiqués près de la magnétostratigraphie. Indication des événements isotopiques (notamment Mi3b).

Note sur le graphique ci-dessus

Pour mieux décrire l’influence sur le long terme de l’excentricité comme modulateur d’amplitude de la précession et l’influence de la modulation d’amplitude de l’obliquité, un ensemble d’enregistrements isotopiques est comparé à une courbe cible qui combine les variations de l’excentricité (E) et de l’amplitude de l’obliquité (OA). La courbe EOA est la somme de la courbe normalisée de l’excentricité et le filtre de la bande passante de 100 000 ans à 2,5 Ma de la courbe d’obliquité normalisée coupée positivement qui décrit l’enveloppe des maxima d’obliquité. Cette enveloppe a été utilisée parce que les maxima de faible valeur induisent des étés plus frais aux hautes latitudes qui empêchent la fonte des neiges et sont responsables de l’accroissement substantiel de la calotte glaciaire. La principale étape de refroidissement du Miocène moyen marque le début de la période de variations d’amplitude minimale de l’obliquité sur environ 40 000 ans et des valeurs minimales de la courbe EOA sur environ 20 000 ans. Cette dernière différence résulte de l’influence additionnelle de l’excentricité sur la courbe EOA.

L’astronomie dans les couches d’Argile Bleue

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Le site géologique Ras il Pellegrin (Malte)

Comme point de départ, les chercheurs ont réalisé des corrélations biostratigraphiques à haute résolution des strates de Malte avec les sections bien réglées de Monte dei Corvi et Tremiti en Italie. En outre, ils ont établi un enregistrement isotopique groupé pour localiser la position, au sein de ces strates, de l’étape de refroidissement global majeur du Miocène moyen et des événements associés. En observant la partie inférieure et médiane de l’Argile Bleue, ils ont distingué six intervalles blanchâtres de marne, numérotés I à VI sur la photo ci-contre. Ces intervalles, séparés par des intervalles dominés par des marnes grises, correspondent à la cyclicité à grande échelle précédemment reconnue dans l’Argile Bleue. La cyclicité à petite échelle est moins facile à détecter sur le terrain. Plutôt arbitrairement, il a été défini qu’un cycle à petite échelle était constitué d’une couche de marne grise à la base suivie d’une couche de marne blanche au-dessus. Ainsi, cette Argile Bleue contient 44 cycles à petite échelle qui peuvent être reconnus sur le terrain et qui ont été marqués I.1 à VI.16 en tant que subdivisions des intervalles à grande échelle.

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Paramètres orbitaux de Milankovitch

Pour dater ces cycles de sédimentation et comprendre leur cause, les scientifiques se sont reportés aux strates italiennes déjà datées. La section Tremiti contient des sédiments marins profonds qui montrent à leur base une alternance régulière de marnes riches en carbonate, indurées, de couleur blanchâtre, et de marnes pauvres en carbonate, moins indurées, grisâtres. Des couches rougeâtres s’intercalent régulièrement à l’intérieur des marnes indurées blanchâtres. Le motif de ces couches rougeâtres montre une ressemblance frappante avec le motif de sapropèles (*) de Monte dei Corvi, ce qui révèle leur équivalence. Les corrélations cyclostratigraphiques entre les deux sections sont cohérentes avec les données biostratigraphiques des foraminifères planctoniques. On peut donc supposer que les mêmes relations de phase entre les sapropèles et les paramètres orbitaux sont aussi valides pour les couches rouges de Tremiti, c’est-à-dire que les sapropèles individuels correspondent aux minima de l’indice de précession et les sapropèles en grappes aux maxima de l’excentricité terrestre (orbite très elliptique). En utilisant ces relations de phase, la section Tremiti peut être ajustée avec la précession. La modélisation de l’âge qui en résulte procure des âges astronomiques pour les bioévénements de la section Tremiti.

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Dépôts de sapropèles

(*) Les sapropèles (du grec ancien sapros [putréfaction] et pelos [boue]) font référence à des périodes de forte anoxie (manque d’oxygénation) des eaux profondes méditerranéennes durant lesquelles la matière organique ne se détériore pas et laisse une trace dans les archives sédimentaires, caractérisées par des couches sombres riches en sédiments organiques marins. A partir du moment où le passage Est-Téthysien entre la Téthys et l’océan Indien s’est fermé et que la seule entrée d’eau en mer Méditerranée s’est faite par le détroit de Gibraltar, il y a 14 millions d’années, les premiers sapropèles ont commencé à être observés avec une périodicité d’environ 20 000 ans. La cause en est attribuée au renforcement des moussons africaines, évènements majeurs modulés par l’indice de précession terrestre.

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La section Ras il Pellegrin

Pour Malte, ce contrôle de l’âge de premier ordre indique que la part distincte blanche des intervalles III, IV et V dans l’Argile Bleue correspond à des minima d’excentricité terrestre (orbite quasi-circulaire), ainsi que l’indiquent les décomptes quantitatifs du groupe de foraminifères planctoniques d’eau chaude des Globigerinoides spp. qui montrent de plus basses variations d’amplitude dans les parties riches en carbonate de ces intervalles. La modélisation de l’âge indique en outre que les cycles à petite échelle de la section Ras il Pellegrin sont contrôlés par la précession. En effet, leur nombre – basé sur la combinaison d’enregistrements de la lithologie et du rapport Calcium/Potassium (Ca/K) – est en bon accord avec le nombre de cycles de précession sur les courbes astronomiques entre les points de calibration de l’âge contrôlés sur le plan biostratigraphique.

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Chondrites (traces fossiles d’origine inconnue)

Les deux couches de sapropèles et la présence de chondrites (traces fossiles, terriers fossilisés) à Ras il Pellegrin montrent qu’il y a eu périodiquement des conditions anoxiques ou suboxiques (manque d’oxygène) durant leurs dépôts. Sapropèles et chondrites sont presque invariablement associées à des minima du rapport Calcium/Potassium (Ca/K) et donc à des couches de marne argileuse. Le cycle basique à petite échelle dans d’autres sections de mers profondes du Miocène moyen et supérieur en Méditerranée est constitué de marne indurée blanchâtre riche en carbonate et de marne plus molle de couleur grise pauvre en carbonate. Les sapropèles, et les couches rougeâtres équivalentes de Tremiti, se développent dans la marne blanchâtre quand le forçage de l’indice de précession minimum est suffisamment fort. Parallèlement, dans la section de Ras il Pellegrin, les niveaux de sapropèles/chondrites correspondent également à des minima d’indice de précession et donc les minima du rapport Calcium/Potassium (Ca/K) (et ainsi de couches de marne grise) correspondent également à des minima de l’indice de précession et à une insolation estivale maximale.

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Exemple d’incertitude saisonnière en astrochronologie

Toutefois, la possibilité d’une relation de phase opposée pour les enregistrements accordés implique une incertitude sur l’âge d’au moins un demi-cycle de précession. Cette remarque est importante: elle révèle qu’il ne suffit pas d’observer les strates, les analyser sur le plan physique, chimique, biologique. Il est essentiel de comprendre quelles conditions ont prévalu pour bien les dater. La figure ci-contre montre une confusion d’interprétation à éviter en astrochronologie. (a) A une latitude moyenne de l’hémisphère nord, voici un système de dépôt marin dans lequel la cyclicité de la source sédimentaire (carbonate – non carbonate) est la dilution de carbonate pélagique par des sédiments siliciclastiques issus du continent durant la saison de la fonte des neiges au début du printemps (mois de mars). (b) Le ruissellement printanier décrit en (a) varie avec l’insolation en mars de la façon suivante: à une basse insolation correspond une baisse du ruissellement, et donc à un maximum de carbonate pélagique dans l’enregistrement stratigraphique interannuel. (c) Voici un modèle incorrect dans lequel la productivité marine durant l’été (au mois de juillet) est la source de la cyclicité sédimentaire. (d) Le modèle en (c) varierait avec l’insolation estivale de telle façon qu’à une haute insolation correspondrait une haute productivité et à un maximum de carbonate dans les enregistrements stratigraphiques. Au total, l’assertion (a) – (b) fournirait un réglage précis de la stratigraphie par rapport à une courbe cible d’insolation en mars; l’assertion (c) – (d) introduirait une erreur systématique d’environ 3 000 ans dans le réglage, due à une description incorrecte de la réponse du système sédimentaire à un changement climatique.

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Mikolaj Kopernik (Nicolas Copernic): sculpture de sel dans la mine de Wieliczka

Coïncidences astronomiques

Le réglage de Ras il Pellegrin confirme que l’accroissement du rapport isotopique de l’oxygène et du carbone à la limite entre le calcaire à Globigérine et la formation d’Argile Bleue correspond le plus probablement à la seconde étape la plus importante (Mi3b; CM6) du refroidissement global au Miocène moyen. Cet événement majeur d’enrichissement isotopique est maintenant daté astronomiquement à 13,82 Ma. L’étude de ce site géologique révèle que cette transition coïncide avec des valeurs minimales de l’excentricité de l’orbite terrestre (une orbite quasi-circulaire) associées à un cycle de 400 000 ans. Ce long cycle rythmé de l’excentricité est considéré comme une composante du “battement de cœur” du système climatique de la Terre que l’on a pu observer non seulement dans les enregistrements du Pliocène, mais également de l’Oligocène et du Miocène. Il exerce une forte influence sur les séries sédimentaires que l’on détecte dans les fluctuations du cycle du carbone: celles-ci présentent, selon cette longue périodicité de 400 000 ans, des pics du rapport isotopique du carbone (δ13C) chez les foraminifères contemporains d’importants refroidissements.

Cette étape du refroidissement coïncide également avec l’amplitude minimale des variations de l’obliquité de l’axe terrestre (0,3°, entre 23,3° et 23,0°) associées à un cycle de 1,2 million d’années. – L’obliquité “en temps normal” varie entre 22,5° et 24,5° sur une période de 41 100 ans -. Cette configuration orbitale est très similaire à celle qui a été trouvée pour des excursions importantes d’isotopes d’oxygène à des valeurs plus fortes juste sous la limite Oligocène-Miocène à 23,13 Ma (Mi-1), au Paléogène, et au Néogène pour des événements comparables d’enrichissement isotopique de l’oxygène à 10,4 Ma et 11,4 Ma (Mi‐6 et Mi‐5). Une configuration orbitale similaire durant les excursions de pic glaciaire a récemment été trouvée à l’Oligocène. Le caractère “pas à pas” (par étapes) de l’événement de refroidissement du Miocène moyen semble avoir été contrôlé par l’influence combinée du cycle de 100 000 ans de l’excentricité de l’orbite terrestre et du cycle de 172 000 ans de l’amplitude des variations de l’obliquité de l’axe.

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Wieliczka: un gisement de sel d’une grande profondeur

La connexion entre les excursions isotopiques de l’oxygène à la fin du Cénozoïque et les périodes d’amplitude minimale des variations de l’obliquité et de l’indice de la précession suggère que le cycle de 1,2 Ma de l’obliquité et celui de 100 000 et 400 000 ans de l’excentricité exercent un contrôle prééminent sur les facteurs qui commandent la taille de la calotte glaciaire de l’Antarctique. Il est probable que les amplitudes réduites de l’obliquité et de la précession (aux époques d’excentricité minimum) ont dû empêcher la fonte significative de la calotte de glace durant les étés plus chauds aux époques d’obliquité et précession maximales. Ainsi, de manière indirecte, c’est donc cette configuration orbitale spécifique qui déclencha la crise de salinité du Badénien avec l’assèchement de la Paratéthys au pied des Carpates, procurant par là même un exemple extrême de l’influence de la longue cyclicité astronomique sur le paléoenvironnement.

Après l’événement de refroidissement du Miocène moyen, les valeurs isotopiques ne sont pas revenues aux valeurs précédentes. Cela suggère que cette configuration orbitale particulière s’est surimposée à une tendance à long terme au refroidissement, et qu’elle a donc impulsé le système climatique vers un mode encore plus froid. La baisse du CO2 atmosphérique avait déjà démarré avant le Miocène moyen, tandis que cette étape du refroidissement s’est produite au moment où un seuil était atteint. Toutefois, plusieurs enregistrements de proxy climatiques révèlent qu’une détérioration du climat s’est déjà produite entre 15 et 14,5 Ma. Une étude de modélisation du climat utilisant un modèle général de circulation, avec des composants couplés pour l’atmosphère, l’océan, la calotte glaciaire et les sédiments, montre que le déclin du CO2 atmosphérique a seulement conduit à une grande calotte glaciaire lorsqu’un seuil a été franchi.

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Beaucoup de cours d’eau s’infiltrent dans la mine de Wieliczka dont l’exploitation a cessé en 1996. L’eau chargée de sel dissous (saumure) est collectée et entreposée dans un réservoir géant au niveau huit. Elle est ensuite pompée pour être traitée dans la nouvelle usine construite en 2003. Elle produit plusieurs tonnes de sel pur par an selon un processus de chauffage et d’évaporation de l’eau sous très basse pression.

Des cycles courts et longs

L’auteur d’une étude du bassin de Madrid à la même époque du Miocène moyen souligne que le forçage orbital des paléo-environnements est de mieux en mieux documenté dans les enregistrements des sédiments continentaux bien datés. L’impact de la précession, de l’obliquité et des cycles de l’excentricité de 100 000 et 405 000 ans s’observe tout autour de la Méditerranée. A côté de ces cycles orbitaux à relativement haute fréquence, l’excentricité et l’obliquité présentent également des cycles à basse fréquence, avec des périodes de 0,97 Ma et 2,37 Ma pour l’excentricité et 172 000 ans et 1,2 Ma pour l’obliquité. Ces cycles à longue période sont davantage liés à des événements climatiques majeurs du Cénozoïque enregistrés dans les sédiments marins. Les minima d’excentricité selon des cycles de 0,97 Ma et 2,37 Ma sont tenus pour responsables de conditions climatiques plus fraîches et plus humides qui ont eu pour conséquences un taux supérieur de rotation des petits mammifères et l’expansion des lacs. Une nouvelle accélération de leur rotation eut lieu durant des conditions plus froides et plus sèches aux époques de minima d’obliquité selon un cycle de 1,2 Ma, qui a commandé également la détermination des phases lacustres.

Le clou d’or du Serravallien

sphenolithus heteromorphus
Spenolithus heteromorphus – Image du site Nannotax3, Source: unpubl, JRYoung SEM colln (fossil)

 

Geologic Time Scale 2004
Le résumé de l’échelle de temps géologique 2004 (GTS04) de 18 à 10 Ma montre l’échelle de temps de la polarité géomagnétique de ATNTS2004

Les qualités du site de Ras il Pellegrin à Malte ont permis d’y placer un point stratotypique mondial (Global Boundary Stratotype Section and Point, GSSP) à la frontière Langhien/Serravallien. L’intervalle critique est continu, bien exposé. Il présente un bon signal magnétique grâce auquel l’échelle de temps de polarité astronomique (Astronomical Polarity Time Scale APTS) a pu s’étendre vers le bas jusqu’au sommet de C5ACn chron (c’est-à-dire 13,703(o) Ma – cf. schéma ci-contre), montrant un écart de moins de 120 000 ans avec les échelles de temps CK95 et la nouvelle échelle de temps géologique ATNTS2004. Cette section présente aussi un enregistrement bien préservé de microfossiles et des enregistrements isotopiques stables de l’ensemble sédimentaire, dont la datation s’est faite grâce à une modélisation du calibrage astronomique. Il s’ensuit que ce stratotype coïncide avec la fin de l’étape de refroidissement majeur mondial Mi-3b enregistré dans le rapport isotopique de l’oxygène et qui a eu pour conséquence l’augmentation majeure du volume de glace en Antarctique. Ainsi, le Serravallien débute à la base de la Formation d’Argile Bleue (c’est-à-dire à la transition, juste au-dessus de la strate de calcaire à Globigérine la plus élevée). Toutefois, les données du terrain et de la biostratigraphie indiquent que la succession est continue au-delà de cette limite. Ce niveau est seulement légèrement plus ancien (13,82 Ma) que celui de la dernière occurrence (Last Common Occurrence LCO) de Sphenolithus heteromorphus, un Coccolithophoridae qui sert à présent de principal critère pour la limite Langhien-Serravallien, mais qui est manifestement diachronique entre la Méditerranée (à 13,654 Ma) et l’Atlantique équatorial (à 13,523 Ma).

figure fig4
Le point stratotypique mondial (GSSP, le clou d’or) à Ras il Pellegrin (Malte)

L’astronomie rythme le climat

Le Miocène moyen a été une époque de grandes perturbations climatiques. De 17,1 à 14,7 Ma s’est développé un optimum climatique caractérisé par un volume minimum de glace et une variabilité importante scandée tous les 100 000 et 400 000 ans par l’excentricité. Un refroidissement sur le long terme lui a succédé, de 14,7 à 13,9 Ma, engendré principalement par l’obliquité et culminant avec l’expansion rapide de la cryosphère (les calottes de glace aux pôles) et un refroidissement global associé à l’enclenchement du dernier accroissement du rapport isotopique du carbone δ13C. Enfin, il s’est produit une étape majeure du refroidissement climatique, caractérisée par un décalage global vers des valeurs isotopiques plus fortes de l’oxygène δ18O et du carbone δ13C (respectivement Mi3b et CM6). Son occurrence à 13,82 Ma coïncide avec le début d’une période d’amplitude minimale de la modulation de l’obliquité reliée à des cycles de 1,2 Ma et 172 000 ans, et avec des minima importants de l’excentricité selon des cycles de 100 000 et 400 000 ans.

Cette configuration orbitale particulière est similaire à celle trouvée pour d’autres événements de refroidissement important durant l’Oligocène et le Miocène et elle est particulièrement évidente sur une nouvelle courbe cible astronomique (EOA) indiquée plus haut, qui combine les modulateurs d’amplitude de la précession et de l’obliquité. En particulier, la coïncidence de minima dans l’amplitude de la modulation de la précession et de l’obliquité semble impérative pour ponctuer le climat global à l’échelle du million d’années ou même pour induire des changements irréversibles du climat global. Au Miocène moyen, cette configuration orbitale remarquable a donc pu déclencher l’étape de refroidissement climatique en franchissant un certain seuil et/ou déterminer le moment exact de cette étape de refroidissement qui s’est surimposée à une tendance sur le long terme au refroidissement.

1 s2.0 S0012821X19303620 gr001 lrg 1
Le cycle de ∼1.2 Ma, qui correspond à la variation de l’amplitude de la modulation de l’obliquité sur une longue période, a été le facteur principal des changements de troisième ordre du niveau marin. L’amplitude de l’obliquité oscille entre un maximum de 2,4° (i.e. 24,5°–22,1°) et un minimum de 0,3° (i.e. 23,3°–23,0°) en conséquence des interactions entre les trois principaux paramètres de l’orbite terrestre (i.e. excentricité, obliquité et précession).

Épilogue

La parenthèse de Paratéthys

mediterranee paratethys
Extension de la Téthys (Méditerranée) et de la Paratéthys à la fin du Miocène (11 à 5 Ma)

Les variations orbitales pourraient expliquer certains événements comme l’épisode glaciaire Mi-1 vers 23 millions d’années et l’intensification des glaciations à partir de trois millions d’années. Néanmoins, ces configurations orbitales favorables aux glaciations sont cycliques et il est donc probable que d’autres causes sont responsables de la tendance à long terme sur plus de dix millions d’années. Même s’il n’a pu être estimé qu’un âge approximatif pour la fin de la Crise de Salinité du Badénien dans la Paratéthys, la nouvelle datation 40Ar/39Ar infirme l’hypothèse d’une cause glacio-eustatique, puisque après 13,82 Ma le climat global se détériore graduellement et le niveau de la mer ne monte pas de façon significative. La fin de cette crise est plus probablement liée à une transgression générée par la tectonique des plaques, qui se serait traduite par la dilution des saumures lors de l’intrusion d’eau marine. Le mode de circulation dans la Paratéthys Centrale devient estuarien, ce qui a pu accroître le refroidissement en Europe Centrale. Beaucoup de chercheurs font l’hypothèse d’une nouvelle connexion vers l’Océan Indien, attestée par la présence d’éléments d’origine Indo-Pacifique dans la faune du Badénien supérieur. Ce changement hydrologique a dû se produire dans un laps de temps relativement court, car l’eau du bassin a rapidement repris une salinité normale.

Passage à pied sec en Méditerranée

La durée de 630 000 ans de la crise de salinité du Messinien (l’assèchement de la Méditerranée entre 5,96 et 5,33 Ma) est à peu près la même que celle de la crise de salinité du Badénien, bien que le dépôt d’halite de la première se soit effectué plus rapidement, en environ 80 000 ans. Les halites du Messinien ont également la caractéristique de lamelles cycliques, similaire aux évaporites du Badénien. Cela indique que le forçage sub-Milankovitch est une importante composante de l’évolution climatique durant le Miocène et spécialement évident durant le dépôt d’évaporite. Le temps durant lequel se déroule la crise de salinité du Messinien ne coïncide pas avec une chute majeure glacio-eustatique du niveau de la mer. Le rétrécissement tectonique du détroit marin vers l’océan Atlantique et le blocage consécutif du flux normal d’eau de mer en est donc le plus probablement la cause. Il s’en suit que les crises de salinité du Messinien et du Badénien sont les deux types limites en termes de restriction du mécanisme de passerelle: soulèvement tectonique du seuil et abaissement eustatique du niveau marin. Tandis que le soulèvement tectonique du seuil a procuré les bonnes conditions, il se peut que le moment exact de la crise de salinité du Messinien ait été contrôlé par la composante de 400 000 ans du cycle de l’excentricité de la Terre. Pour la crise de salinité du Badénien, le déclencheur a été la chute du niveau marin provoquée par la coïncidence de minima dans les cycles astronomiques sur la longue période. Cela suggère que ces cycles orbitaux exercent une large influence sur ces bassins semi-isolés et qu’ils ont été un facteur clé dans l’initiation des crises de salinité en Méditerranée et sur son pourtour.

cIMG 6307
Carte en coupe de la mine de Wieliczka (légendes en allemand)

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