Sommaire
- Albarracin
- Valence
Valence, une région empoisonnée par les pesticides ?
Avant de me rendre à Valence (Valencia, Espagne), j’étais pleine de préventions. J’identifiais cette région uniquement sous le biais de ses exportations de produits agricoles cultivés avec force pesticides. J’ai d’ailleurs eu confirmation de ces pratiques néfastes en lisant un article de février 2018 sur le fleuve Júcar (au sud et sud-ouest de Valence) dont le bassin versant était désigné comme la région la plus contaminée de toute l’Espagne. Toutefois, à en juger par le document de la FAO ci-contre, les plus grands utilisateurs européens de produits chimiques à l’hectare étaient, en 2001 comme en 2012, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, Chypre et le Portugal. Eurostat fournit les statistiques des ventes en 2015 basées sur le poids de substances actives, le montant de ces ventes étant divisé par la Surface agricole utile pour pouvoir effectuer des comparaisons entre les pays. Les chiffres de 2015 montrent une légère augmentation de 2,27 à 2,3 kg/ha pour la France, et une augmentation plus importante de 1,28 à 3,2 kg/ha pour l’Espagne, ces chiffres demeurant, somme toute, relativement modestes par rapport aux Pays Bas, à l’Italie et à la Belgique. Parmi ces produits, 80% sont des herbicides, fongicides et bactéricides. Il est à noter que, depuis plus de 10 ans, l’usage de pesticides s’accroît considérablement en foresterie.
Les rapports et articles que j’ai lus mentionnent pour la plupart des données brutes de consommation de fertilisants et pesticides par communauté espagnole. Afin de pouvoir les comparer entre elles, j’ai trouvé un article détaillant les surfaces agricoles utiles (SAU) par communauté. En divisant les consommations de pesticides (Source: Institut aragonais de statistiques) de 2014 par la SAU correspondante, j’ai calculé les quantités utilisées à l’hectare, une valeur qui permet d’avoir une meilleure vision de l’impact de certaines cultures sur l’environnement (par exemple celle des bananes aux Canaries, de la vigne dans la Rioja, etc.). Inversement, si l’on considère les surfaces de terre arable en Espagne, l’Andalousie en possède le cinquième, si l’on y ajoute Castilla y Leon et Castilla la Mancha, on atteint les deux tiers (et, en y ajoutant l’Aragon, presque les trois quarts). En termes de pourcentage de surface contaminée par rapport à l’ensemble des terres arables espagnoles, l’Andalousie, bien qu’elle n’ait pas le plus fort taux de pesticides à l’hectare, a donc un impact supérieur aux Canaries, à la Cantabrie ou même à la communauté valencienne par exemple. Ceci n’implique pas qu’il soit inutile de réduire l’emploi de pesticides dans les petites régions agricoles, bien entendu, mais ces chiffres montrent qu’il faut considérer les données avec prudence et prendre garde à considérer des valeurs comparables.
Valence, une cité fastueuse
Des arbres remarquables
Quant à Jean-Louis, il avait une tout autre opinion de Valence : il avait eu vent de la renommée de son musée des sciences et souhaitait le visiter. Nous avons donc quitté la région montagneuse et relativement déserte d’Albarracin pour nous rendre dans la capitale de la communauté valencienne. En prospectant sur Internet pour trouver un point de chute, j’ai rapidement abandonné l’idée de camper à proximité. Cherchant un logement peu onéreux, j’ai découvert une chambre à louer parfaite dans un appartement refait à neuf, au deuxième étage d’un immeuble d’une rue nette et peu passante, situé dans le quartier Russafa, à mi-chemin entre le centre ville et le musée: impeccable ! Sitôt installés, nous sommes partis à pied en exploration. Quelle différence avec Albarracin ! Il y avait un monde entre ces deux univers pourtant si proches, à deux heures de trajet en voiture l’un de l’autre.
Première surprise, à la croisée de deux grandes avenues où était ménagée une place se dressaient de majestueux figuiers de la baie de Moreton (Ficus macrophylla, Australie) aux racines extraordinaires. Nous avions vu des arbres d’envergure similaire au Costa Rica et à Taïwan, mais c’était incroyable qu’ils aient pu s’acclimater à l’Europe. Le Ficus macrophylla est surnommé figuier étrangleur car, s’il est semé sur la ramure d’un autre arbre par un animal ayant consommé ses figues, il développe des racines aériennes qui, après avoir atteint le sol, se transforment en piliers reliés en un solide réseau qui peut empêcher à terme l’arbre support de se développer normalement par accroissement de son tronc, ce qui finit par causer sa mort. Comme ce figuier est gourmand en eau, il est déconseillé de le planter en milieu urbain car ses racines sont susceptibles d’endommager les canalisations d’eau. Apparemment, ces difficultés ont été surmontées et supportées par la ville qui les a laissés croître sans contrainte apparente.
L’histoire de ces arbres remarquables qui ont été plantés en divers lieux de la ville est relatée dans plusieurs articles. Un des figuiers, par exemple, est l’unique survivant du jardin du palais de Ripalda créé par la comtesse María Josefa Paulín de la Peña, veuve de Joaquín de Agulló y Ripalda. C’est par erreur qu’il fut planté en 1852 (avant même l’installation en 1891 de la statue du grand Jaime I), car la liste des plantes du jardin mentionne seulement 47 magnolias et deux araucarias. Il y eut donc confusion entre un magnolia grandiflora et ce grand ficus qui avaient une allure très similaire tant qu’ils étaient jeunes. Bien sûr, au cours de ces 150 ans, ces arbres eurent à souffrir des aléas climatiques, comme la grande tempête qui dura deux jours durant la période de Noël 1926, ou la grande inondation de 1957. En 2014, le consistoire commença à négocier avec la station service toute proche du jardin du Parterre pour la faire déménager. En effet, il craignait que la chute d’une branche sur les installations ou la rupture des canalisations et des réservoirs de carburant par les puissantes racines ne provoquât un incendie fatal pour l’arbre. Déjà, les racines ont commencé à endommager les trottoirs. Mais jusqu’à présent aucun accord n’a pu être conclu pour prémunir le précieux arbre de ce danger. Les autres ficus, d’âges différents, ont souffert aussi des intempéries, notamment d’un ouragan qui sévit en 1916, de même que l’inondation de 1957.
Une ville sujette aux inondations
Valence fut fondée en 138 avant J.-C. sur la côte méditerranéenne à proximité du fleuve Turia. Cette ressource bénéfique en eau présentait l’inconvénient de déborder en crues dévastatrices qui, au cours des siècles, engendrèrent une lente montée du niveau de la plaine alluviale. Durant les 636 années consignées depuis 1321 dans les “Llibres de Consell” (livres du Conseil municipal), 25 épisodes importants furent enregistrés à Valence : 1321, 1328, 1340, 1358, 1406, 1427, 1475, 1517, 1540, 1581, 1589, 1590, 1610, 1651, 1672, 1731, 1776, 1783, 1845, 1860, 1864, 1870, 1897, 1949 et pour finir 1957. Entre 1321 et 1957 furent enregistrés 22 débordements du Turia, 11 crues et 15 mentions d’inondation. L’inondation la plus importante en termes de dévastation et de nombre de victimes se produisit il y a 500 ans, le 27 septembre 1517, après 40 jours de pluies intenses. Elle provoqua la destruction de tous les ponts, de plus de 200 édifices et la mort de centaines de personnes. Petite remarque en passant (sans remettre en cause la véracité de ce qui précède), le chiffre 40 revient souvent dans la Bible, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, et semble signifier un temps de méditation et d’épreuve. Par exemple : «40 jours pour le déluge, 40 jours et 40 nuits pour le retrait et le jeûne de Moïse sur la montagne, 40 ans d’errance pour le peuple hébreu avant de rejoindre Canaan, 40 ans de règne pour les rois David et Salomon, 40 jours de désert pour Jésus, 40 jours après la Résurrection pour monter vers le Père , 40 jours et 40 nuits de marche pour le prophète Elie dans sa montée vers l’Horeb…
Il n’est donc pas étonnant que la ville se soit rapidement dotée d’une institution de travaux publics, la Fábrica de Murs y Valls, pour construire du XIVe au XVIIe siècle des parapets le long du fleuve. Réalisée avec de grands blocs de pierre taillée, c’était une œuvre monumentale qui s’élevait de plusieurs mètres au-dessus des berges naturelles. Elle aurait permis d’éviter l’inondation de 1957 si elle avait été entretenue durant les derniers siècles, mais il aurait aussi fallu dans le même temps procéder au déblaiement des alluvions déposés dans le lit du fleuve. La hausse du niveau du lit devint patente durant cette dernière inondation durant laquelle on vit les égouts se convertir en exutoires en quelques points de la ville (dans la rue Las Barcas, par exemple, dont le nom rappelle qu’il s’y trouvait un embarcadère pour les bateaux qui remontaient le fleuve). Ces canalisations firent office de vases communicants et déversèrent les eaux en sens inverse, du fleuve vers la ville. C’est au-delà de la rive gauche (vers la plaine de la Zaidía et le pont de San José) que les dégâts furent les plus importants et que l’inondation atteignit son plus haut niveau (5,20 m dans la rue du Docteur Olóriz).
Le 13 octobre, les précipitations avaient dépassé les 300 mm (300 litres par m²) dans une bonne partie de la région et elles se poursuivirent le lendemain avec plus de 100 mm. Elles engendrèrent deux ondes de crue sur Valence, la première le 14 octobre à 4 heures du matin, d’un débit de 2.700 m³/s et d’une vitesse moyenne de 3,25 m/s, et la seconde, plus violente, à 14h30, de 3.700 m³/s et 4,16 m/s, qui inondèrent la majeure partie de la ville. Le quartier de la cathédrale, Ciutat Vella (la Seu), resta au-dessus des flots, preuve de la connaissance des caprices du fleuve lors du choix de son emplacement.
Les eaux inondèrent aussi beaucoup de fermes, causant des ravages incalculables, presque tous les moulins furent détruits, les canaux d’irrigation obstrués et les terres labourables encombrées de débris. La Huerta de Valencia était méconnaissable. Après cette inondation, s’inquiétant du retard du gouvernement à procurer des aides, le maire de Valence, Tomás Trénor Azcárraga, s’affronta à Francisco Franco qui le destitua, mais le maire atteignit son objectif puisque ses critiques accélérèrent l’aide à la ville. A partir de cette date, le modèle de développement urbain fut repensé et la décision fut prise de dévier le cours du Turia au sud de Valence: le “Plan Sud” fut doté d’une capacité de 5.000 m³/s, et l’on procéda en plus à d’autres travaux mineurs de régulation du fleuve. Une étude récente a reconstitué les événements et contrôlé la véracité des informations fournies à l’époque. Le chercheur la conclut en affirmant que, si des conditions similaires se reproduisaient, la première onde serait emmagasinée dans le lac de retenue de Loriguilla, tandis que la seconde se propagerait dans le nouveau lit creusé avec une capacité d’évacuation de 5000 m3/s jusqu’à la mer.
Moins de dix ans auparavant, l’inondation de 1949 avait également fait beaucoup de dégâts bien que son souvenir fût effacé par la suivante. Cette inondation de San Miguel – ou inondation des chabolas (cabanes) – engendra la destruction de centaines d’humbles habitations qui étaient situées dans l’ancien lit du Turia. Séquelle directe de la vague d’immigrants que la ville reçut durant la Guerre Civile et de l’état général de misère et de pénurie, les logements insalubres s’étaient multipliés dans toute la périphérie urbaine, mais ils étaient particulièrement concentrés dans le tronçon du Turia appelé le Paseo de la Pechina (Passeig de la Petxina), ainsi que dans le quartier de Monteolivete (Mont-Olivet). Les maisons s’adossaient au parapet droit du fleuve où l’on décèle encore les traces des poutres qui étaient encastrées dans les pierres de taille. Il y avait également des maisons dans le lit même du fleuve, étant donné qu’une bonne partie du terrain disponible était aussi cultivé. Les ravages de la crue du Turia furent énormes. Comme l’inondation se produisit dans la journée, le nombre de victimes fut moindre qu’on aurait pu le craindre. Mais tous les biens contenus dans les cabanes fut emportés par l’avalanche d’eau.
La déviation du fleuve Turia
La déviation du fleuve fut une grande prouesse technique, mais ce fut également une grande perte pour la ville, ainsi que le relate un article dont l’auteur défend l’idée du retour du Turia dans son lit originel. Toutefois à l’époque de la décision – qui fut prise dans l’entourage de technocrates de Francisco Franco en seulement huit mois ! -, la discussion n’était absolument pas envisageable ni possible. Trois options se présentaient, aménager le cours du Turia pour éviter le retour d’inondations aussi catastrophiques, dévier le cours du Turia vers le nord en faisant passer le fleuve par un canyon naturel ou créer de toute pièce un canal qui contournerait la ville par le sud. C’est cette dernière option, la plus onéreuse, qui fut choisie. Aujourd’hui, les eaux du Turia se déversent au Quart de Poblet dans un canal bétonné de douze kilomètres appelé “collecteur sud” qui s’insère entre des autoroutes, coupe en deux la Huerta et se jette au sud de la ville dans la Méditerranée.
Quant au sort du lit fluvial, c’est seulement en 1973 que l’assemblée plénière de la mairie de Valence créa une commission pour étudier ce que l’on pourrait faire de ce nouvel espace. Elle résolut, de concert avec le gouvernement central, de construire en prolongement de l’autoroute Madrid-Valence un tronçon qui relierait la capitale au port sur la Méditerranée. A cette nouvelle, les citoyens furent atterrés et des mouvements d’opposition s’organisèrent rapidement sous l’égide de plusieurs personnalités. Un refus massif s’éleva et, considérant qu’il y avait un manque énorme d’espaces verts et d’espaces publics dans la ville, ils réclamèrent la création d’un grand parc. Au cri de “El riu es nostre i el volem verd” (la rivière nous appartient et nous la voulons verte), la mobilisation des Valenciens réussit à éviter la transformation du lit vidé de son eau en un fleuve d’asphalte gris. A la mort du dictateur, fin 1975, le régime changea et les Travaux Publics abandonnèrent l’idée de construire cette autoroute. La mairie modifia le PGOU (Plan General de Ordenación Urbana, équivalent de notre PLU) et demanda à l’État de lui conférer la propriété de cet espace pour le convertir en parc.
Un grand projet démocratique
Lors de la première visite de Juan Carlos Ier en tant que chef d’État en novembre 1976 fut signé le transfert de propriété, préalable indispensable pour avoir la liberté de l’aménager sans en référer en haut lieu. En 1979, la nouvelle municipalité (de gauche) élue démocratiquement requalifia le lit fluvial en espace vert et en fit son projet majeur. Elle chargea le Taller de Arquitectura (cabinet d’architecture) de Ricardo Bofill, déjà très connu à l’époque, de l’avancement du Plan spécial de réforme intérieure de l’ancien lit du Turia. Dans une interview prémonitoire au journal El Pais, il confia: “C’est un projet passionnant et très difficile, qui peut changer l’image de Valence sur le plan international… Pour le moment, il existe un consensus pour la conversion du lit en espace vert. Ce sera le point de départ… Il s’agit d’un projet qui n’a rien de conventionnel, c’est une idée très moderne: comment respecter l’histoire et en même temps changer l’usage de ce lieu.”
Dès le début, ce projet se voulut démocratique, avec l’implication des citoyens. Le cabinet d’architecture de Ricardo Bofill le présenta au public en juin et juillet 1982 lors d’une exposition à la Lonja de la Seda qui eut un grand impact. Environ cent mille personnes vinrent observer et évaluer les divers plans et maquettes du projet. Il y eut aussi des conférences et des tables rondes auxquelles participèrent le maire, Ricardo Bofill en personne, des techniciens municipaux et des architectes de Valence. Durant le temps de cette exposition la mairie lança une campagne de participation citoyenne, distribuant 100 000 exemplaires d’un questionnaire d’enquête auprès des visiteurs afin de recueillir leurs suggestions sur la configuration définitive du lit. Il en ressortit que 97% des personnes sondées étaient favorables à la mise en marche du projet.
En décembre 1983, la Commission d’urbanisme de la mairie de Valence approuva définitivement le Plan spécial de réforme intérieure de l’ancien lit du Turia. Celui-ci fut divisé en 18 tronçons de façon à faciliter l’exécution par tranches successives. Les objectifs de ce projet et les bases d’intervention furent définies lors d’une série de réunions de travail auxquelles participèrent des professionnels qualifiés et des représentants d’associations citoyennes, en s’appuyant sur les résultats de l’enquête réalisée durant l’exposition du plan à la Lonja. Le 27 février 1986, le maire inaugura officiellement l’ouverture des travaux par une pelletée symbolique dans le lit du Turia, marquant ainsi le début de la construction du jardin du Turia, un projet exemplaire mené grâce au succès de l’effort civique et de la volonté populaire, et qui devint finalement tel que les Valenciens l’avaient souhaité…
L’équipe “Vetges Tú – Mediterrania” entreprit la réalisation du tronçon depuis la Maison de l’Eau jusqu’au nouveau centre, y aménageant des installations sportives ainsi que des fontaines. Le conseil de l’agriculture s’occupa de la fraction comprise entre le “Bosque Urbano” (bois urbain) et le nouveau centre et la zone sportive de Serranos, où il fit planter mille pins. Les bâtiments de prestige très modernes – qui nous ont tellement impressionnés lors de notre visite cet été – furent construits ultérieurement par d’autres architectes de renom. La Cité des arts et des sciences (Ciutat de les Arts i les Ciències), qui comprend le Musée des sciences Príncipe Felipe, fut inaugurée le 16 avril 1998 en même temps que l’Hemisfèric (planétarium et cinéma omnimax). L’Oceanogràfic, qui est un magnifique musée de la mer semi-enterré qui s’étend sur 10 hectares, fut inauguré en 2002. Le palais des Arts Reine Sofía (l’Opéra de Valence) fut ouvert le 9 octobre 2005, le pont de l’Assut de l’Or le 11 décembre 2008. Le dernier élément de la Cité des arts et des sciences, l’Ágora, une place couverte que nous avons vue en réfection lors de notre passage, sa façade flanquée d’échafaudages, fut inauguré en novembre 2009. Il y a aussi l’Umbracle, qui est une allée de palmiers et de plantes méditerranéennes sous une double arcade blanche, le Parc Gulliver, un zoo et toute une kyrielle d’autres installations échelonnées le long de l’ancien lit du Turia.
Inondations – Désertification
Le processus de conversion du lit du Turia en jardin donne une jolie histoire, mais elle me laisse insatisfaite. Fallait-il vraiment détourner ce fleuve ? L’inondation de la ville n’était-elle qu’un phénomène local à résoudre localement ? Était-ce simplement un problème d’urbanisme, un défaut d’implantation de la ville (à part la vieille ville construite sur une éminence à l’abri des caprices du fleuve) ou les effets d’un développement excessif en zones inondables ? La construction du barrage de Loriguilla pour contrer les caprices de la météo et un volume exceptionnel de précipitation afin d’amortir la première onde de choc, la seconde étant évacuée par le canal, – comme le barrage “écrêteur de crue” de Saint Pée-sur-Nivelle en protection de Saint Jean de Luz – était-elle la panacée pour maîtriser la Nature ? En bref, les technocrates de l’époque avaient-ils bien pris la mesure du problème ? Certes, les Bayonnais obtinrent en 1578 le détournement de l’Adour – au grand dam du port de Capbreton -, mais les circonstances étaient bien différentes. En fonction de la formation, de l’amplitude et des déplacements du cordon dunaire lors des tempêtes hivernales, son lit avait divagué au cours des siècles durant le Moyen-Age à la recherche d’une embouchure sur le Golfe de Gascogne, hésitant entre Bayonne, Capbreton et le Vieux-Boucau. La chute de prospérité des commerçants et armateurs du port de Bayonne avait motivé leur demande au roi de donner un coup de pouce en leur faveur, en l’occurrence le retour du fleuve dans la ville.
Il y a quelque temps, je me suis intéressée à l’histoire du Mont Aigoual dans les Cévennes, au sud-est du Massif Central. L’exploitation intensive de la forêt et la pression du pâturage transhumant associées au climat particulier de l’Aigoual à la confluence des masses d’air atlantique et méditerranéenne avaient été à l’origine de crues dévastatrices au XIXe siècle. Faisant un parallèle, je me suis demandée si les crues du Turia dans la province de Valence avaient uniquement des causes naturelles (météorologiques, climatiques, géographiques), ou bien s’il fallait chercher un peu plus loin. Je n’ai pas encore dit que ce fleuve a deux noms: le Guadalaviar prend sa source dans la Muela de San Juan, près de la commune de Guadalaviar, aux environs des Monts Universels, dans la Sierra d’Albarracín, puis, passant au pied de la petite cité médiévale d’Albarracin, il s’écoule jusqu’à Teruel où il est rebaptisé Turia. La majeure partie de son cours est donc située en montagne, puis il débouche sur la vaste plaine de la communauté valencienne où ses eaux arrosent les rizières, les orangeraies, les oliveraies et bien sûr, non loin de son embouchure sur la Méditerranée, les Huertas de Valence.
Les facteurs naturels d’une désertification
Pour approfondir les connaissances sur la relation entre inondations et désertification, je recommande vivement la lecture (en espagnol) de l’excellente synthèse d’un professeur de l’université d’Avila, le Dr D. Jorge Mongil Manso, intitulée “Désertification: la dégradation des écosystèmes en zones arides et leurs conséquences sociales” dont j’ai traduit de larges pans ci-dessous à l’attention de ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Cervantès. C’est le polytechnicien et botaniste français André Aubréville qui, le premier, introduit le concept de désertification. Ingénieur des Eaux et Forêts affecté dans les colonies, il préconise dès les années 1930 des mesures de sauvegarde de la dégradation des sols et publie en 1949 un livre intitulé “Climats, forêts et désertification de l’Afrique tropicale“. Il définit la désertification comme un processus complexe qui réduit la productivité et la valeur des ressources naturelles, dans le contexte spécifique de conditions climatiques arides, semi-arides et subhumides sèches, en raison de variations climatiques et d’actions humaines adverses.
Trois facteurs peuvent engendrer un climat aride: 1) la situation entre 20 et 40° de latitude dans les deux hémisphères, où ces régions reçoivent des courants aériens totalement déshydratés (en rouge-orangé sur la carte), 2) la présence de chaînes de montagne côtières perpendiculaires à la direction des vents marins humides dominants (Montagnes Rocheuses, Cordillère des Andes, …), 3) l’exposition aux vents froids et déshydratés générés au-dessus des eaux océaniques de basse température (Centre-Ouest d’Amérique du Nord, …). Les écosystèmes secs menacés de désertification par la combinaison de ces deux facteurs, “variations climatiques et actions humaines adverses”, occupent 41% de la superficie terrestre et sont habités par 35% de la population mondiale. Parmi les 110 pays affectés par ce problème de désertification potentielle ou effective s’inscrivent les pays du pourtour méditerranéen, dont l’Espagne. Dans ce pays, plus des deux tiers du pays sont potentiellement affectés par ce processus de désertification, dont 10 millions d’hectares présentent un risque de désertification élevé à très élevé avec une proportion entre la précipitation annuelle et l’évapotranspiration potentielle comprise entre 0,05 et 0,65. Les régions affectées sont toute la moitié sud à l’exception des chaînes de montagne les plus élevées, à laquelle il faut ajouter le nord de la Meseta, la vallée de l’Ebre et la côte catalane.
Le facteur humain
Des événements météorologiques défavorables peuvent se produire, sécheresses prolongées, pluies torrentielles, mais la désertification telle qu’elle a été définie plus haut comprend en sus des actions humaines aggravantes. Ce peut être des coupes forestières, du surpâturage, des incendies, l’urbanisation, la surexploitation, un usage et une gestion inappropriés des ressources naturelles dans des milieux affectés par l’aridité et la sécheresse. Subissant la combinaison de ces divers facteurs, les sols se dégradent, s’érodent, perdent leur fertilité, se salinisent ou s’encroûtent, et ils ne peuvent plus soutenir la biocénose originelle. La désertification se traduit ainsi par une diminution irréversible, au moins à l’échelle temporelle humaine, des niveaux de productivité des écosystèmes terrestres. Durant les dernières décennies, la dégradation de ces écosystèmes, accélérée au moins en partie par des sécheresses extrêmes, a atteint des niveaux très alarmants, surtout en raison de conséquences sociales comme la pauvreté et les migrations.
Des antécédents historiques
Il y a eu des antécédents historiques à ces phénomènes actuels de désertification. Les études archéologiques ont permis d’analyser en détail la dégradation de l’environnement dans la Grèce antique, notamment dans les régions du Péloponnèse, de l’Argolide et de la Thessalie. Platon, dans le Critias, fait une description détaillée de la déforestation et de l’érosion des pentes de l’Attique grecque. Selon Aristote, les flancs des montagnes de Macédoine avaient enregistré une importante dégradation des activités agricoles et pastorales entre les années 3000 et 1000 avant notre ère. En Afrique du Nord, la colonisation romaine introduisit de fortes modifications du paysage végétal en procédant à des coupes abusives de forêts et des dégradations de la végétation qui s’y trouvait afin de pratiquer l’agriculture et transformer le territoire en grenier à grains de l’Empire. Les grandes villes qui fleurirent alors sont désormais des ruines gisant dans un environnement aride affecté par une désertification modérée (au Maroc) ou grave (en Libye et Tunisie).
L’exploitation abusive des ressources naturelles dans la vallée de Mexico, et particulièrement l’intense déforestation, conduisit à des émigrations massives. La ville qui dépassait les 150 000 habitants vers 650 de notre ère se réduisit à moins de 10 000 un siècle plus tard. Le “Dust Bowl” est un cas de désertification très étendue et rapide qui s’est produit dans le centre-ouest des États-Unis dans les années Trente. Les pratiques agricoles inadéquates (élimination de la couverture végétale naturelle, destruction de millions d’hectares de pâturages pour pratiquer la monoculture de céréales et de coton et disposition des sillons de labour dans le sens du vent) conjuguées à une période de sécheresse sévère engendrèrent un grave décapage du sol par érosion éolienne qui affecta 20 millions d’hectares et se traduisit par de gigantesques tempêtes de poussière. Le désastre social fut énorme: la population rurale fut obligée d’émigrer massivement. On estime que 3,5 millions de personnes perdirent leur exploitation agricole. La gravité du processus conduisit le gouvernement fédéral à créer en 1935 le Service de Conservation des Sols.
Une reconnaissance internationale du problème
Depuis quelques décennies, la communauté internationale reconnaît que la désertification constitue un problème significatif de caractère économique, social et environnemental. En 1977 s’est tenue à Nairobi (Kenya) la Conférence des Nations Unies sur la désertification. Un plan d’action a été élaboré, des cartes des déserts et des zones à risque de désertification ont été tracées. En 1994, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays affectés, en particulier en Afrique, a été approuvée et signée par une centaine de pays. En 1997, l’Espagne a ratifié le traité international qui est aujourd’hui signé par 193 pays qui s’engagent à élaborer et exécuter un programme d’action nationale contre la désertification. En juin 2018, l’Union européenne a édité un nouvel atlas mondial de la désertification. Au niveau de l’UE, la désertification touche 8 % du territoire, en particulier dans le sud, l’est et le centre de l’Europe, soit quelque 14 millions d’hectares. Treize États membres se sont déclarés touchés par la désertification au sens de la CNULD: la Bulgarie, Chypre, la Croatie, la Grèce, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, Malte, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Avec le facteur aggravant du changement climatique, il est probable que la superficie de terres cultivables va baisser, la durée des saisons propices aux cultures va se réduire, de même que le rendement potentiel de nombreuses zones. En ce qui concerne l’Espagne, un article publié par un chercheur en écologie souligne qu’elle pâtit de sols pauvres en nutriments ayant une propension à l’érosion, de versants escarpés, d’un climat semi-aride, de sécheresse saisonnière, d’une extrême variabilité des pluies qui peuvent être intenses et subites et de phénomènes comme la “goutte froide”. Et si on ajoute à ces facteurs les incendies forestiers récurrents, le surpâturage, l’excessive exploitation des aquifères, la crise de l’agriculture traditionnelle et l’abandon des terres agricoles, occasionnellement une exploitation non durable des ressources hydriques et l’urbanisation des zones côtières, elle se retrouve avec les trois-quarts du territoire en zones susceptibles de basculer vers la désertification et 20% où le mal est déjà fait. Sur la carte ci-dessous, on voit que tout le sud-est espagnol (Almería, Granada, Málaga, Murcia, Alicante, Valencia et Castellón) est classé avec un risque de désertification très élevé, tandis que la Vallée de l’Ebre, la Meseta centrale, l’Estrémadure et Huelva ne présentent qu’un risque modéré.
Conséquences écologiques de la désertification
La désertification se traduit donc par une dégradation des ressources naturelles détaillée comme suit:
- l’altération du système atmosphère-sol-plante
- la perturbation de la régulation du cycle hydrologique
- des changements et la détérioration de la biodiversité terrestre
- la réduction de la biomasse et la dégradation de la couverture végétale
- la détérioration et la perte de la structure du sol (croûtes)
- la dégradation biologique du sol: perte de nutriments
- l’accélération de l’érosion éolienne et hydrique
- la perte de la base de sustentation des racines des plantes
- la prolifération d’incisions dans le terrain (rainures, crevasses, etc.), mouvement de masse des pentes, affaissement et généralisation de la morphologie des canyons (barrancos, bad-lands)
- la salinisation des zones irriguées par des eaux de mauvaise qualité
- des changements dans le microclimat du sol (augmentation de la température et de l’évaporation, etc.)
- la dégradation des ressources hydriques et l’augmentation de la variabilité du régime des cours d’eau
Conséquences sociales
La désertification menace sérieusement les moyens de subsistance de plus de 1,2 milliard de personnes dans 110 pays, à cause de la diminution de la productivité agricole et de l’élevage. Il s’agit en majorité des pays les plus pauvres, les plus marginalisés et les citoyens politiquement les plus faibles. Bien que la désertification affecte dans une large mesure les terres sèches de l’Afrique, le problème n’est pas circonscrit à ce continent puisque un tiers de la surface terrestre est menacé de désertification, y compris les pays du pourtour méditerranéen. L’augmentation des inégalités entre les groupes de personnes et les pays, l’augmentation de la pauvreté, les problèmes sanitaires, les conflits sociaux et les migrations massives sont les symptômes et en même temps les résultats socio-économiques de ce problème environnemental de la désertification.
Quelles solutions ?
Les techniques traditionnelles
La recherche de solutions offre l’opportunité de reconsidérer les techniques traditionnelles d’irrigation par captation de l’eau en zone sèche pour se les réapproprier. Par exemple, on trouve fréquemment en Israël des techniques de recueil de l’eau de pluie et de ruissellement qui s’apparentent à des micro bassins fluviaux appelés negarim, shananim, meskat et mankaa, kunds, virdas, eres, maretas, alcogidas, aguadas, katas et les limanim. Ces derniers consistent à mettre à profit la présence de canyons et éventuellement en aménager les versants de façon à freiner et faire infiltrer la pluie qui ruisselle vers un impluvium de grande taille. Il existe aussi des techniques de collecte de l’eau à partir de cours d’eau éphémères comme les gavias, typiques à Fuerteventura (Canaries), m’gouds, masraf, bisse, wadis en terrasses (dans le désert du Neguev) ou l’irrigation par boqueras, très fréquente dans le sud-est espagnol.
Le projet LUCDEME
Suite à la ratification par l’Espagne de la Convention des Nations Unies de lutte contre la désertification, le Projet LUCDEME (Projet de lutte contre la désertification en Méditerranée) fut mis en route en 1981 et le Programme d’action nationale contre la désertification (PAND) fut approuvé en 2008. Néanmoins, c’est dès la seconde moitié du XIXe siècle que la restauration des terrains dégradés commença à être entreprise avec la promulgation par l’administration forestière de diverses dispositions légales. La superficie replantée en plus de 150 ans est estimée à 5 millions d’hectares, soit 10% du territoire national, la majeure partie dans un objectif essentiel de protection. – Le repeuplement se fait surtout avec le pin d’Alep (Pinus halepensis) mais, commente un chercheur, il vaudrait mieux faire de la prévention plutôt que de la récupération qui est compliquée et coûteuse. – Les ingénieurs forestiers et de la montagne, ainsi que les gardes forestiers ont joué un rôle important, accumulant notamment des connaissances en matière de restauration hydrologique et forestière. Ce repeuplement forestier était jugé si important au début du XXe siècle que le Dr Santiago Ramon y Cajal, prix Nobel de médecine, écrivit en 1921: “Repeupler les montagnes et stimuler les intelligences constituent les deux idéaux que doit poursuivre l’Espagne pour générer des richesses et gagner le respect des nations.”
Favoriser l’infiltration de l’eau
D’un point de vue écohydrologique, un écosystème est prédisposé à se désertifier lorsque l’infiltration de l’eau est faible. De pair avec les précipitations, l’infiltration est la composante clé du cycle hydrologique, c’est ce qui régule les flux et la destination de l’eau de pluie sur la Terre. Ainsi, l’infiltration rend possible la vie des plantes (et avec elles toute la biodiversité qui en découle), elle alimente les aquifères et les sources, contrôle le ruissellement, atténue l’érosion hydrique.
C’est la faible capacité d’infiltration de l’eau qui explique la majeure partie des processus de désertification. Ce facteur, combiné avec des précipitations de grande intensité, peut endommager un versant de manière irréversible par le décapage des composants fertiles du sol et l’inondation des berges et des vallées. Dans beaucoup de cas, l’homme est responsable de ce problème en prédisposant l’écosystème à sa dégradation par des coupes d’arbres, des incendies forestiers, le surpâturage, la surexploitation du sol, l’irrigation inadéquate, en compactant le sol, en l’urbanisant, etc. Ainsi, en peu de temps, la désertification peut survenir, mais la maladie de l’écosystème peut par contre sévir très longtemps. C’est ainsi que l’Espagne a hérité de processus de désertification enclenchés il y a des siècles. La forêt a été coupée pour des raisons diverses: il fallait déboiser pour ouvrir des zones de pâturage, pour produire du charbon de bois afin de fondre les minerais, pour construire les navires de guerre de l’Armada espagnole… Il faut des milliers d’années à la Nature pour former le sol, mais s’il est détruit en trente ans, c’est un processus irréversible à l’échelle humaine. Par contre, à l’échelle géologique, le sol finira par se créer de nouveau.
L’oasification
La restauration d’un écosystème désertifié consiste donc à éviter les pertes d’eau de ruissellement superficiel durant les averses, y compris les plus abondantes et les plus intenses, en faisant en sorte que toute l’eau de pluie s’infiltre dans le sol. Cette stratégie est loin d’être nouvelle, puisque des méthodes traditionnelles existent tant dans l’agriculture qu’en foresterie: les micro bassins, les buttes, les terrasses, l’ajout de compost, la protection par un paillage, etc.
La nouveauté réside dans la possibilité de quantifier, grâce à des modèles hydrologiques actuels, le processus de captation de l’eau de façon à rendre plus efficiente la préparation du sol. C’est ce qui est appelé l’oasification, une technique qui permet la revégétalisation d’un terrain dégradé en mettant à profit sa propre dégradation. L’eau, le sol, les nutriments et les graines qui tendent à être emportés par le ruissellement sont conduits vers les lieux où seront réalisés les plantations ou les semis. Concrètement, l’oasification consiste à construire de petites structures de terre pour récupérer ce qui peut l’être et faire en sorte que la pluie et le ruissellement s’infiltrent grâce à la modification de la physiographie des versants pour leur donner un modelé adéquat. Ainsi, il devient possible d’améliorer les conditions hydriques du sol afin de favoriser l’enracinement et la croissance d’une végétation ligneuse qui inversera le dangereux processus de désertification. Cette oasification se produit naturellement, mais elle demande beaucoup de temps. Ces techniques anciennes réactualisées permettent d’accélérer le processus de restauration des sols.
Conclusion
A la question: “Le détournement du Turia était-il la solution idoine au problème des inondations séculaires ?”, nous avons maintenant les éléments pour faire une réponse nuancée. Les caractéristiques climatiques méditerranéennes sont bien telles qu’il y a effectivement des séquences de pluies violentes et abondantes qui suivent des périodes plus ou moins longues de sécheresse. Le ruissellement excessif qui a causé ces deux ondes de crue catastrophiques à Valence et dans la plaine alentour est dû à la dégradation du bassin versant qui a engendré l’amorce de sa désertification. Depuis 1957, faute d’un diagnostic la mettant en évidence, les mesures de restauration des terres ont pris 60 ans de retard. Mais il est encore temps de traiter le problème. Il existe un éventail de solutions testées depuis des siècles en Espagne comme en d’autres pays rencontrant les mêmes caractéristiques climatiques qui permettent de freiner le ruissellement, de favoriser l’infiltration de l’eau, de ralentir et limiter l’érosion. L’amélioration de la couverture végétale permettra de protéger le sol à la fois d’un dessèchement excessif et de précipitations trop brutales. La construction du canal et celle du barrage ont déplacé le problème vers l’amont car, à terme, c’est dans le lac de retenue de Loreguilla que s’accumuleront les sédiments arrachés aux versants montagnards dénudés. Si rien n’est fait dans les années à venir pour y remédier, je n’ose imaginer l’onde de crue franchissant l’obstacle du barrage…
Pour terminer sur une note plus légère, je vais évoquer une boisson typique de Valence – mais que j’avais dégustée il y a déjà fort longtemps dans le sud de l’Espagne -, l’horchata. C’est un lait végétal sucré, élaboré à partir de souchet (chufa, xufa, Cyperus esculentus), un tubercule méditerranéen déjà consommé en Égypte du temps des pharaons et introduit par les arabes en Espagne. Sa saveur douce est entre le lait d’amandes et le lait de soja. La chufa se consomme également fraîche ou sèche comme une noisette, crue ou grillée, à l’apéritif ou comme les amandes en pâtisserie, cuite, sous forme d’huile de table (en Italie) ou encore en farine.
Le souchet est une plante herbacée rhizomateuse (comme le riz ou l’asperge) vivace (qui revient tous les ans et résiste au froid). Les tubercules de la chufa sont plantés entre avril et mai. Le ramassage a lieu lorsque les parties aériennes de la plante sont complètement sèches et flétries, entre novembre et janvier. Le souchet est cultivé dans dix-neuf villages du nord de Valence (l’Horta Nord). Cette production vendue sous l’appellation d’origine Chufa de Valencia était de 7500 tonnes en 2015. Les tubercules sont lavés, mis à tremper, encore bien nettoyés, puis mixés avec de l’eau qui est ensuite filtrée, sucrée, éventuellement aromatisée avec un bâton de cannelle et un zeste de citron: c’est l’horchata. En plein centre ville, j’ai photographié la belle devanture décorée de céramique de Manises de l’Horchateria Santa Catalina dont la fondation remonte à plus de 2 siècles. La plante ressemble à son cousin, le faux papyrus (Cyperus alternifolius) qui est cultivé comme plante d’intérieur. Attention, Cyperus esculentus a une forte capacité de multiplication via ses tubercules, c’est une vivace très vigoureuse et très envahissante…