Le groupe d’Anglet Accueille est parti ce jeudi du joli petit village d’Urdax-Urdazubi, en Navarre, remarquable par son ancien hôpital monumental où étaient accueillis les pèlerins de Saint Jacques de Compostelle et les belles demeures des “Indianos”, ces basques revenus enrichis des Amériques. Les monts de cette fin de chaîne pyrénéenne sont très accessibles et sillonnés de routes bétonnées ou bitumées, ainsi que de multiples chemins qui permettent aux paysans, chasseurs et randonneurs d’accéder aisément en tout lieu. Toutefois, comme partout au Pays basque, champs, prés, pâtures, fougeraies et forêts sont enserrés dans un dense réseau de clôtures de barbelés dont les cinq rangs superposés sont fixés à l’ancienne à des piquets de châtaigniers. Un fil barbelé cassé par la rouille déchirera d’ailleurs au passage le bas du pantalon d’une randonneuse du groupe: encore heureux qu’elle n’ait pas été blessée, il s’en est fallu de peu !
La semaine dernière, j’avais eu tout du long de la balade le cœur serré en cheminant au milieu d’un paysage dévasté par le feu sur le Munhoa, au départ de Lasse, non loin de Saint Jean Pied de Port. Aujourd’hui, heureusement, les alentours d’Urdax sont épargnés, même si nous apercevons encore à l’horizon un ou deux panaches sombres. C’est en effet, depuis des millénaires, la “guerre” de l’agro-pastoralisme contre la nature européenne. Je trouve une synthèse de l’archéologue Didier Galop où il retrace les jalons de la colonisation agro-pastorale des Pyrénées dont je vais reporter ici de larges extraits. Cette colonisation s’est propagée d’est en ouest en suivant d’abord la vallée de l’Ebre et en occupant peu à peu les Pyrénées orientales et le versant sud pyrénéen.
L’excellent film “Les premiers Européens” part d’encore plus loin, puisqu’il décrit la colonisation par l’Homo sapiens d’une Europe précédemment occupée par l’homme de Néandertal. Les chercheurs pensent désormais que ces nouveaux humains, ainsi que les animaux d’élevage qu’ils amèneront à une date beaucoup plus récente, arrivent du Croissant fertile, situé dans la partie orientale du bassin méditerranéen au climat bien différent du nôtre. Lorsque le néolithique se propagera à partir de son foyer mésopotamien, les hommes du Néolithique ne chercheront pas à reproduire le processus de domestication avec des plantes et des bêtes locales européennes, comme les aurochs par exemple. Ils introduiront leurs semences, leur bétail, et tâcheront, d’une part, de s’adapter et de les adapter à l’humidité ambiante et entreprendront, d’autre part, d’aménager le paysage en fonction de leur nouveau mode de vie.
Cela s’est traduit par l’ouverture de clairières toujours plus importantes afin de privilégier l’herbe aux dépens de la forêt qui recouvrait nos régions occidentales. “Ainsi, entre -5800 et -5300, déforestation et céréaliculture sont attestées dans les environs immédiats du site archéologique de Chaves en Aragon sur le piémont sud-pyrénéen, tandis qu’au même moment, aucune séquence pollinique du versant nord ne reflète objectivement l’existence de telles pratiques. Vers -5200, des indices polliniques d’anthropisation sont enregistrés dans le massif d’Iraty, au cœur des montagnes basques, à l’extrémité amont de la haute vallée de l’Ebre. Des indices discrets et temporaires de fréquentation pastorale et d’ouverture de la chênaie, précédant de quelques siècles l’apparition des premières manifestations anthropiques sur le versant nord, sont attestés dans la tourbière d’Artxilondo à proximité immédiate de la grotte d’Aizpea (Navarre) où une occupation néolithique est identifiée entre -5400 et -5200. Ces indices, qui résultent certainement d’incursions vers les hautes altitudes de petits groupes humains en provenance du versant sud et pratiquant la chasse et un pastoralisme nomade, restent toutefois isolés et l’agriculture semble encore absente de ces régions atlantiques.”
“Si durant cette première phase, la diffusion de l’économie de production semble limitée au piémont de la zone centrale et occidentale de la chaîne, dans les Pyrénées méditerranéennes elle concerne déjà les secteurs de haute montagne. Dans les enregistrements polliniques de Balcère et du Racou, des signaux polliniques d’activité pastorale et d’ouverture des forêts sont observés entre -4700 et -4500 au-dessus de 1 500 m d’altitude. Ils renforcent l’hypothèse d’une propagation des activités agropastorales en direction des piémonts de Catalogne en passant par les Pyrénées orientales, mais ils mettent également en relief l’apparente lenteur de leur diffusion aux Pyrénées centrales et occidentales: lenteur et asymétrie de la propagation pourraient être liées à l’adaptation à des contextes écologiques différents et hétérogènes, mais aussi à l’éloignement des foyers méditerranéens.”
“Faisant suite à cette phase pionnière, la colonisation de la montagne pyrénéenne devient évidente durant le Néolithique moyen. Elle coïncide avec l’essor Chasséen au cours duquel les régions pré-pyrénéennes enregistrent une augmentation de la démographie et montrent des signes évidents de sédentarisation. Si l’apparition des premiers signaux polliniques d’agropastoralisme sur le littoral basque vers -4400 témoigne de l’accomplissement de la diffusion de ces pratiques à la totalité du piémont nord-pyrénéen, ce n’est véritablement qu’entre -4200 et -3700 que s’opère un réel mouvement de conquête des zones d’altitude. Cet épisode d’expansion n’est pas propre au massif pyrénéen. Il s’inscrit dans un processus global qui concerne l’ensemble des milieux montagnards européens. L’essor de l’élevage est de toute évidence à l’origine de cette phase de conquête et d’anthropisation des espaces de moyenne et haute montagne durant le Néolithique moyen.”
“Si la période -4200 / -3600 représente sans conteste la première phase d’expansion territoriale des activités agro-pastorales sur le massif pyrénéen, il faut insister sur le fait que cette période reste encore caractérisée par des activités qui n’entraînent pas de modifications environnementales majeures. Indépendamment de l’altitude, et bien qu’elles attestent de l’existence d’agriculture sur brûlis et d’un essor de l’élevage, les données paléoenvironnementales ne reflètent que des déforestations localisées et ponctuelles, liées à des activités autorisant une régénération rapide de la forêt.”
Note sur l’Erythrone. Ses petites graines pourvues d’un grand élaïosome lui permettent une dispersion exclusivement par myrmécochorie: 99 % des graines tombent à 20 cm du pied mère, et ce sont ensuite les fourmis qui permettent leur dissémination et leur enfouissement. Ce rôle semble plus important aux abords et dans les zones boisées, en particulier grâce à l’espèce Formica lugubris.
“Après une brève phase de déprise, les indices polliniques d’anthropisation font leur réapparition à partir de -3300 dans la majorité des enregistrements, tandis qu’ils sont notés pour la première fois dans de nombreuses séquences sur la totalité de la chaîne. Cette deuxième phase d’expansion, qui s’inscrit dans un mouvement général reconnu à l’échelle de l’Europe et du monde méditerranéen, représente au niveau des Pyrénées un véritable basculement : les indices d’agriculture se multiplient, deviennent réguliers et sont enregistrés jusqu’à haute altitude, tandis que les signatures polliniques associées à l’élevage se pérennisent et reflètent une intensification de la fréquentation pastorale de la haute montagne y compris dans des secteurs qui n’avaient pas encore été concernés. L’affirmation de l’activité humaine durant cette période est attestée à la fois par les données polliniques, mais aussi par les paléo-incendies dont l’intensité s’accroît considérablement à partir de -3300 à la fois sur le piémont et à plus haute altitude. L’espace montagnard pyrénéen est désormais totalement anthropisé.”
Note: Jakes nous montre l’emplacement d’un cromlech, celui d’Aizalegi ou d’Antsestegi, dont quelques pierres périphériques sont encore bien visibles. Selon ses explications, de telles structures construites en l’honneur d’un berger décédé auraient commencé à être construites à partir de l’âge du Bronze.
“Si tout au long du néolithique, l’existence d’un système agro-forestier “durable” semble avoir assuré la préservation des forêts montagnardes et de piémonts, à plus haute altitude, la situation semble avoir été quelque peu différente. En effet, au-dessus de 2 000 m, au niveau de la limite supérieure de la forêt, le développement des activités pastorales a joué un rôle sur l’abaissement de la limite altitudinale des forêts. Ainsi, loin d’être négligeable, l’impact de l’homme néolithique sur son environnement forestier se traduit, en raison de pratiques assurant une régénération forestière, davantage par une modification de la physionomie et de la structure des forêts, que par une réelle déforestation, sauf peut-être à haute altitude. Parmi les transformations environnementales induites par l’intervention des sociétés néolithiques, le développement du hêtre survenu depuis la fin du Néolithique moyen et durant le Néolithique final peut être considéré comme une des conséquences de l’anthropisation du milieu montagnard pyrénéen. La phase de développement du hêtre la plus remarquable se situe vers -3000, dans la foulée immédiate de la deuxième phase d’expansion des activités humaines caractérisant le Néolithique final et durant une phase marquée à l’inverse par une amélioration, voire un assèchement du climat. En effet, comparativement à beaucoup d’autres essences comme le sapin, l’orme ou le frêne, le hêtre est plus résistant au feu.”
Notre pique-nique a lieu sur la ligne de crêtes entre les monts Lizarzu et Antsestegi dans un chaos de roches. Dès mon arrivée, j’ai l’œil attiré par une zone à la végétation bien différenciée, notamment des touffes de lichen gris clair, qui pousse sur les flancs d’une faille étroite et longue d’une quinzaine de mètres au moins. Je ne crois pas que la roche (probablement du schiste) soit susceptible ici de former des avens ou des gouffres comme dans le calcaire des Arbailles et du pic d’Anie. Par contre, je trouve la mention de recherches minières depuis au moins l’antiquité et qui se sont poursuivies jusqu’à une époque récente. Deux documents fournissent des informations sur cet endroit, l’un établi par Gilles Parent (recherches de 2002-2004) et l’autre est un article du bulletin 11 de Leize Mendi de 2005. La région du nord Baztan a fait l’objet de nombreuses activités minières pour l’extraction de l’or, du cuivre et du fer. “Le secteur d’Antsestegi est en vérité assez riche en travaux miniers de différentes sortes, fosses, grattages, pour cuivre ou fer et se raccorde notamment à un site d’extraction aurifère. Selon l’ingénieur des mines Georges Vié, le secteur aurait été exploité pour la forge d’Urdax aux cours des siècles passés… On trouve une référence à deux mines de cuivre exploitées vers 1735 à Maya par Beugnière de la Tour qui faisait alors transformer le minerai dans une fonderie édifiée à Baïgorry, à côté du Château d’Etchauz.”
“La recherche du cuivre, sinon son exploitation, est certaine au cours de la première moitié du XVIIIe siècle: une cédule royale du 6 juillet 1735 autorisait Laurent Beugnière de la Tour, homme d’affaires suisse arrivé dans la vallée de Baïgorry cinq ans auparavant pour y rechercher ce métal, à exploiter divers filons reconnus dans la vallée du Baztan et d’autres vallées navarraises. Selon la cédule, le premier site mentionné, «Aizategui» où Beugnière de la Tour exploitait deux mines, appartenait précisément au territoire de la commune de Maya, premier village au sud de notre secteur. C’est en vain que l’on cherchera ce toponyme sur la carte au 1:25000 ou sur les planches cadastrales, à moins que Aizategui ne corresponde au toponyme actuel Antsestegi ou Anchastegui.”
“Des travaux souterrains ouverts à la poudre noire, reprenant en sous-œuvre des ouvrages beaucoup plus anciens, existent effectivement à 400 mètres environ à l’Ouest-Sud-Ouest d’une éminence nommée Antsestegi sur la carte au 1:25000 Maya-Amaiur. Ces travaux recèlent en revanche très peu de traces de carbonate cuivreux, et sont plus évocateurs d’une exploitation pour fer, bien que les oxydes de fer masquent fréquemment ceux d’autres minéralisations parfois présentes à des teneurs qui ont pu justifier leur exploitation. Un rapport de Georges Vié semble anéantir l’hypothèse d’une exploitation pour cuivre, puisqu’il prétend, sans citer malheureusement ses sources, que le filon d’«Anchastegui» avait été exploité au XIXe siècle pour les forges à la catalane d’Urdax. Pourtant, selon ce même auteur, le filon composé de sidérite et de chalcopyrite, serait identique en tous points à celui de Perlaemborda à Aïnhoa où justement les mineurs allemands basés à Baïgorry avaient réalisé des travaux pour cuivre entre 1730 et 1740.”
“D’autres observations tendent à confirmer le déroulement de recherches de non ferreux au XVIIIe siècle dans un rayon d’un kilomètre environ autour de ce toponyme: une galerie de recherche, au débouché de laquelle gît un bloc de sidérite pur qu’on a dédaigné, est équipée d’une voie de roulage en bois pour chien de mine. Or nous avons eu l’occasion d’étudier le même type d’aménagement dans plusieurs galeries des mines de cuivre de Banca, en vallée de Baïgorry, creusées au XVIIIe siècle par les ouvriers spécialisés germaniques employés par Beugnière de la Tour et ses successeurs. Si la quête de l’origine exacte de ces travaux de facture moderne comporte un intérêt incontestable, la datation des ouvrages plus anciens serait plus captivante: par exemple, la partie supérieure des travaux modernes les plus proches d’Antsestegi, où des encoches de lampes à huile ont été reconnues, signes d’une origine antique probable. Une autre mine, ornée de coulées de malachite, un carbonate de cuivre, constituée d’un large abrupt rocheux percé de plusieurs attaques de galeries creusées sans explosif, pourrait aussi faire l’objet d’une datation.”
Dernière trouvaille de la journée, un petit lézard mort pour une raison inconnue, à la queue sectionnée.