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Minorque, paysages et climat – Suite

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Pistachier lentisque ou arbre à mastic, la plante buissonnante la plus visible sur Minorque en septembre, en raison de son abondante fructification rouge, en voie de mûrissement avant de devenir noire et comestible en hiver.

En découvrant Minorque au rythme de la marche, cela m’a laissé le temps d’observer la diversité des paysages que traverse le Cami de Cavalls, le sentier côtier des cavaliers ponctué d’anciennes tours de surveillance. J’en ai profité pour herboriser virtuellement en prenant des photos afin de déterminer au fur et à mesure les plantes selon les différents milieux. Avant même d’en avoir fait le tour, je me suis demandé s’il s’agissait de végétations originelles ou en voie de restauration. En effet, bien des sites que nous avons vus bénéficiaient d’un statut de protection et ils étaient qualifiés de réserves naturelles à différents titres, pour la faune (oiseaux, tortues), la flore, un marais…

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Filaire à feuille étroite, une plante au mode de reproduction fort original – A gauche, rosée au petit matin sur les baies à l’aspect pruiné, velouté.

Il s’agit là d’une préoccupation relativement récente, contemporaine de la conversion de l’île en un produit touristique mettant depuis peu en exergue, outre le binôme initial mer et soleil, une nature “préservée”. Jusqu’aux années 1950, les habitants ne s’en souciaient guère – en tout cas pas dans cet acception du terme -. Ils vivaient essentiellement d’agriculture et d’élevage, déboisant au fur et à mesure des besoins pour cultiver, créer des pâturages, se chauffer, se meubler, s’alimenter… Ils ont laissé un paysage anthropisé, aujourd’hui en cours de réensauvagement partiel, au moins dans les secteurs où l’intervention humaine est minimale, limitée à l’aménagement de ce fameux chemin de randonnée équi-pédestre, la réfection d’un petit patrimoine agricole (murets, barrières, puits, réservoirs, abreuvoirs), l’implantation de panneaux explicatifs, etc.

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Genévrier de Phénicie, un conifère très coriace, supportant bien le soleil, la sécheresse, les sols calcaires, les substrats rocheux, les falaises exposées à la tramontane, un vent du nord chargé d’embruns iodés

Par conséquent, je me suis interrogée sur l’aspect initial de la végétation de l’île avant sa colonisation humaine qui eut lieu à une date assez tardive si l’on en juge par les premiers indices de présence, soit vers 2460-2210 ans av. J.-C. (4327 ± 62 ans cal. BP) – c’est à dire une datation calibrée Before Present, avant le présent, avant aujourd’hui, des initiales résumant la phrase “il y a 4327 ± 62 ans” -. Avant toute chose, je dois préciser le terme de végétation originelle ou paysage initial, le climat ayant beaucoup varié au cours du temps. Rien que durant la dernière période du Quaternaire (depuis 2,588 millions d’années jusqu’à aujourd’hui), des glaciations ont fortement affecté la végétation de l’hémisphère nord en grandes vagues de flux et de reflux, obligeant beaucoup de plantes à subsister uniquement dans quelques lieux abrités qui leur ont servi de refuge avant de recoloniser les terres libérées des glaces et du froid. Par exemple dans le genre Quercus (les chênes), qui s’est fortement diversifié durant la deuxième moitié de l’ère Tertiaire jusqu’à atteindre un nombre de 350 à 500 espèces, les arbres à feuilles caduques ont dû probablement rester confinés dans la péninsule ibérique, l’Italie et les Balkans lors de la dernière glaciation (120 000 – 18 000 BP).

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Grand éphèdre (Ephedra fragilis), dont les tiges ressemblent à celles de la prêle: il supporte le soleil, un sol sableux, des températures basses jusqu’à -12°C. Ses fruits sont comestibles et ses tiges ont des vertus médicinales.

Ainsi, pour juger de la situation actuelle de la végétation, il ne faut considérer que la dernière période, la plus récente, appelée l’Holocène – soit ces derniers 11 000 ans caractérisés par un réchauffement terrestre à l’issue de l’ultime glaciation du Quaternaire. D’après une étude des pollens contenus dans le sol en certains points de l’île, la composition de la végétation n’a pas été statique. Durant les deux premiers tiers de cette période, la végétation dominante se composait de genévriers, de buis, de plantes du genre Thymelaea et d’éphèdres, accompagnés d’espèces arborées à feuilles caduques (noisetier, chêne, tilleul, ainsi qu’érable, troène, aulne, orme, peuplier, saule, frêne) et de houx : Minorque avait donc une végétation sensiblement identique à celle qui pousse aujourd’hui au Pays basque.

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Thymelaea velutina, endémique de Majorque et Minorque (à Cala del Pilar sur la côte nord, après la platja des Alocs)

Au contraire, le dernier tiers de l’Holocène a été plutôt dominé par l’olivier sauvage, le chêne vert, le pistachier lentisque, les bruyères, le nerprun, la bourdaine, l’hélianthème, le redoul ou corroyère (Coriaria myrtifolia), des plantes du genre Thymelaea, le myrte et les cistes. Un infléchissement de la végétation marquant une tendance générale à un accroissement de la sécheresse s’est d’abord fait sentir vers 7500 ans cal. BP, avec une accentuation à partir de 5900 cal. BP. Entre 5825 et 4675 ans cal. BP la végétation est devenue plus arbustive, formant un paysage plus ouvert de type maquis semblable à celui que nous découvrons. Ce changement de végétation peut être interprété comme une tendance à une pluviométrie moindre et/ou à une distribution annuelle différente des précipitations atmosphériques, à savoir une accentuation des épisodes arides du climat méditerranéen.

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La Morelle de Linné (Solanum linnaeanum) et ses pommes de Sodome

D’autre part, il semble que les arbres mésophiles (dont la croissance est optimale à une température allant de 20°C à 45°C) se soient raréfiés lors des épisodes de refroidissement climatique, toujours associés à une plus forte aridité en Méditerranée. Ces corrélations sont assez évidentes en particulier pour les événements majeurs 8200 et 4200 cal. BP, mais aussi les évènements mineurs 9300, 7500-7200, 5900, 2800 et 1400 cal. BP. Ces événements climatiques globaux ont eu une influence directe sur la composition et l’évolution de la végétation de ces îles.

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Holocène, évolution des températures au Groenland
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Répartition actuelle des forêts méditerranéennes
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Le magnifique – et très souple – pin d’Alep, aux longues aiguilles de couleur printanière vert pomme

En revanche, les scientifiques s’interrogent encore sur les causes de disparition des deux seuls micro-mammifères présents aux Baléares, Hypnomys morpheus (le lérot géant de Majorque) et Nesiotites hidalgo (une musaraigne), ainsi que celles de l’extinction de l’unique macro-mammifère des îles Gymésies (Majorque, Minorque et trois îlots), Myotragus balearicus, une sorte de souris-chèvre. Certains les attribuent à l’arrivée humaine, alors que selon d’autres ces événements seraient antérieurs, la cause étant plutôt climatique. Quoi qu’il en soit, la présence de cet herbivore aurait induit la réduction drastique du pin blanc de Provence – ou pin d’Alep – à Majorque et Minorque (jeunes arbres trop broutés), alors qu’à l’inverse, la disparition du buis (Buxus balearicus) pour raison climatique, alors qu’il semblait devenu l’objet de son alimentation quasi exclusive au moins à certaines périodes de l’année, aurait poussé l’animal vers son extinction.

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Olivier sauvage, oléastre

Cette bête était curieuse. Cas unique chez les mammifères, c’était un animal ectotherme (dont l’organisme ne produit pas ou peu de chaleur), à l’instar des insectes, des reptiles et des poissons. Plus proche des moutons que des chèvres, sa mâchoire inférieure était toutefois similaire aux rongeurs ou aux lagomorphes (lapins, lièvres…) avec au moins deux incisives en croissance permanente. Quant à la mâchoire supérieure, elle ne comportait pas d’incisives. Ses molaires et prémolaires étaient adaptées au broyage des végétaux. La microstructure osseuse indique que Myotragus ne grandissait pas comme les autres mammifères. Sa croissance à un rythme lent et souple s’apparentait à celle des crocodiles : il pouvait ainsi cesser périodiquement de croître, en synchronisation avec la fluctuation du niveau de ses ressources alimentaires.

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Tamaris couverts de rosée scintillant au soleil de l’aube naissante

Son ancêtre avait mis à profit l’assèchement de ce coin de Méditerranée il y a 6 millions d’années pour s’installer aux Baléares où il avait fini par se retrouver isolé par la montée des eaux. Son corps avait évolué vers une taille naine (50 cm de hauteur à l’épaule) et un faible poids (12 à 15 kg). N’ayant pour seuls prédateurs que les oiseaux, ses yeux s’étaient placés vers l’avant (au lieu des côtés à l’instar des autres mammifères herbivores), lui permettant une vision stéréoscopique, et ses doigts s’étaient soudés, lui offrant une bonne prise pour l’escalade des rochers, mais peu d’aptitude à la course. Son cerveau avait aussi réduit de volume. Ces caractéristiques physiologiques et le cycle de vie de Myotragus ont certainement été déterminants pour sa survie sur de petites îles durant 5,2 millions d’années, soit plus du double de la persistance moyenne des espèces continentales.

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Stratégies contre l’excès de lumière, la sécheresse et le vent: une plante prostrée ou rampante, aux rameaux serrés, aux feuilles petites et velues

Lors de mes tentatives d’identification (avec l’aide d’une application du téléphone), je me suis heurtée à une difficulté récurrente: lorsqu’il n’y avait ni fleur, ni fruit, le logiciel peinait à reconnaître les plantes en n’ayant pour seul indice que l’aspect des feuilles. Pourquoi ? Parce qu’elles ont tendance à se ressembler sans appartenir pour autant aux mêmes familles végétales. Il s’agit d’une convergence liée aux mêmes stress contre lesquels elles doivent lutter pour survivre, étant dans l’incapacité, contrairement aux animaux, de se déplacer pour les éviter. En l’occurrence, voici quelques exemples de stratégies adoptées par les plantes pour s’adapter aux contraintes climatiques du bassin méditerranéen (des étés chauds et secs), tels qu’ils ont été répertoriées dans une étude récemment publiée par une équipe de chercheurs aragonais.

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Variations du climat méditerranéen en fonction des lieux.

Trois stratégies contre la sécheresse peuvent être adoptées. La première, c’est d’éviter simplement tout stress en achevant le cycle végétatif tant qu’il pleut suffisamment. Lorsque la sécheresse s’installe, la plante survit, soit sous forme de graine, soit plongée en dormance végétative en perdant ses feuilles (comme les Cistes par exemple, ou certaines herbes rhizomateuses). La seconde stratégie, c’est d’éviter la déshydratation et la troisième au contraire de la tolérer. La luminosité et la chaleur estivale viennent corser l’affaire, obligeant les plantes à suspendre leur activité photosynthétique en milieu de journée.

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Euphorbe arborescente (Euphorbia dendroides): elle perd ses feuilles durant la sécheresse et la chaleur estivale pour éviter la déshydratation.

Pour les plantes qui adoptent la seconde stratégie (éviter la déshydratation), les adaptations sont variées et peuvent être combinées entre elles: 1) réduire l’absorption de l’énergie lumineuse, 2) améliorer la capacité de dissipation thermique, 3) réduire la consommation d’eau. Par exemple, les chênes méditerranéens à feuilles caduques tels que le chêne faginé ou chêne du Portugal présentent une forte réduction de la taille des feuilles ainsi qu’une stratégie de consommation d’eau qui augmente leur capacité à dissiper la chaleur. A l’inverse, les chênes méditerranéens à feuilles persistantes (de petite taille) comme le chêne kermès adoptent une stratégie d’économie d’eau. Dans l’ensemble, si ces adaptations permettent la survie, elles ont des coûts différents en terme de consommation d’eau, de gain de carbone (photosynthèse) et/ou de refroidissement des feuilles. Il n’y a pas de solution miracle permettant de gagner sur tous les plans.

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Des feuilles très découpées pour mieux éliminer la chaleur (Armoise, Artemisia gallica, une plante caractéristique de surpâturage)

En ce qui concerne le chêne vert, il lutte contre l’excès délétère de lumière en modifiant la qualité optique de ses feuilles : leur surface devient plus réfléchissante grâce à différentes structures épidermiques qui y contribuent. Par exemple, les cristaux de la cire dont elles sont couvertes induisent une glaucescence (un aspect glauque, vert blanchâtre). Une épaisse couche de trichomes (poils végétaux – pubescence) disposés dans le sens axial sur la face supérieure de la feuille atténue le rayonnement ultraviolet et les radiations actives dans le processus de photosynthèse pour éviter d’endommager le système interne. Parallèlement, très récemment, on a découvert que ces mêmes trichomes du chêne vert avaient la capacité de retenir les gouttes de pluie ou de rosée à la surface des feuilles jusqu’à leur absorption, un complément à l’eau pompée par les racines non négligeable.

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Chêne vert: la fine pubescence à la surface de ses feuilles lui permet de retenir les gouttes d’eau et de s’hydrater en complément de l’eau captée par les racines

D’autres plantes peuvent modifier l’angle d’inclinaison des feuilles: en position pendante elles diminuent l’absorption néfaste d’un rayonnement solaire excessif. Quant à la dissipation de la chaleur, elle peut se faire grâce à la réduction de la taille des feuilles, au changement de leur forme (plus lobée, plus échancrée) et à l’accroissement de leur taux de transpiration, des mesures qui vont au détriment de leur capacité photosynthétique et sont gourmandes en eau.

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De nombreuses plantes retiennent la rosée sur leurs feuilles ou leurs tiges.

La comparaison des paysages des côtes nord et sud de Minorque fait apparaître deux autres facteurs de stress qui ne sont pas directement liés au climat: le vent de tramontane d’une part et le sol calcaire d’autre part. Un texte presque poétique et lyrique décrit les causes météorologiques de l’existence de ce vent du nord. Celui-ci s’inscrit dans le cadre dynamique plus large des mouvements atmosphériques dont la distribution et le sens sont régis par la rotation terrestre autour de son axe nord-sud. En se heurtant contre l’anticyclone russe qui conditionne la météo d’Europe de l’Est, une partie du flux atmosphérique se retrouve canalisé entre les Alpes et le Massif Central dans le couloir emprunté par la Saône et le Rhône (un vent appelé Mistral par les Français, mais Tramontane par les Espagnols) où, ne rencontrant guère d’obstacle, il accélère.

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Fenouil: des feuilles filiformes sauf à la base de la plante

Sa force s’accroît au-dessus des 300 kilomètres de mer jusqu’à Minorque où il rencontre soudain la géologie tourmentée du nord de l’île. Les falaises et le relief obligent les masses d’air chargées d’humidité à s’élever. Elles se refroidissent, les nuages se condensent, la pluie se déverse, ce qui explique la relative abondance de la pluviométrie minorquine. Ce vent qui sévit principalement en hiver, mais se produit occasionnellement à d’autres saisons, modèle profondément le paysage, drossant les plantes de l’aval vers l’amont, du nord vers le sud, les obligeant à arborer des formes caractéristiques dues à ce phénomène appelé l’anémomorphose. Ce faisant, elles freinent tellement bien le flux d’air qu’il se convertit en brise légère sur le versant méridional de l’île.

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3 configurations de vent du nord pour Minorque: Mistral, Tramontane et Gregal

C’est alors que surgit un dernier stress, géologique, généré par le sol calcaire. S’il contient beaucoup d’eau dans ses profondeurs, en surface, l’aridité règne, et c’est là que nous voyons se déployer l’obstination paysanne à capter l’eau par tous les moyens imaginables de façon à abreuver hommes et bêtes, de même que les plantes potagères du jardin. Ne survit alors qu’une végétation plutôt clairsemée, rendue plus rare encore par le pâturage pluri-millénaire.

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Des plantes drossées par le vent, brûlées par les embruns, aux racines dénudées par les précipitations qui dévalent les pentes, emportant la maigre couche de terre.

Ainsi, pour répondre à mon questionnement initial, l’empreinte humaine dans le paysage minorquin ne s’est faite sentir qu’à compter des premiers établissements vers 1650-1550 ans avant notre ère (3600- 3500 ans cal. BP) – âge du Bronze moyen ou Naviforme. L’avènement récent du tourisme à partir des années 1950 s’est accompagné d’une déprise agro-sylvo-pastorale qui permet à la végétation de se reconstituer progressivement, avec notamment une plus grande présence des arbres.

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Des brebis parmi les roches qui affleurent – Vestiges de la culture talayotique (durant l’âge du Bronze et l’âge du Fer, fin du 1er millénaire avant J.-C.), non loin d’un phare – Crâne trépané d’une nécropole de Ciutadella (1400-1300 av. J.-C.): L’individu avait survécu à l’opération, les orifices commençaient à se reboucher.

Si dans la période postglaciaire, la chênaie verte n’apparaît que progressivement après la chênaie caducifoliée, il y a environ 8 000 ans, les études palynologiques (des pollens fossiles) nous apprennent que c’est l’exploitation précoce par l’homme – dès le Néolithique – des chênes caducifoliés qui aurait favorisé l’extension des chênes sclérophylles (adaptés à la sécheresse). Éradiqués sur six millénaires en France (quatre millénaires à Minorque) et devenus rares en Méditerranée occidentale, les caducifoliés s’implantent donc à nouveau dans certaines zones basses du revers nord-méditerranéen, à la faveur de la déprise rurale du XXe siècle.

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Une des nombreuses araignées rencontrées sur notre parcours (Argiope bruennichi ou Epeire fasciée, vue ventrale)

Avant l’atteinte d’un nouvel équilibre au sein d’une forêt mixte, le chêne vert peut végéter en compagnie des pins d’Alep, une espèce « expansionniste » nécessaire à la maturation des forêts en l’absence de perturbations fortes et durables. Ces « préforêts » constituent « un stade dynamique transitoire entre les matorrals de dégradation et les forêts proprement dites ».

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Scille maritime (comme en Crète), dotée d’un énorme oignon, utilisée comme raticide car aussi toxique que la digitale.

Les arbres n’ont pas été les seuls à souffrir de la présence humaine. Il en a été de même pour des arbustes comme le buis (Buxus balearica), le grand éphèdre (Ephedra fragilis) et le genévrier oxycèdre (Juniperus oxycedrus). Leur nombre a commencé à décroître dans les Baléares avec le changement climatique qui s’est amorcé durant la deuxième moitié de l’Holocène. En outre, ils ont subi la pression d’un artiodactyle endémique, Myotragus balearicus (souris-chèvre), qui a brouté ces espèces végétales pendant des milliers d’années. Après sa disparition, il a été remplacé par des chèvres domestiques introduites par les humains. Si ces plantes ont pu résister, c’est grâce au développement de défenses structurelles ou chimiques.

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La toxicité de la scille maritime ne l’empêche pas d’être butinée par les insectes.

En les taillant pour simuler le broutage, une équipe scientifique a mis en évidence la capacité de ces trois plantes à maintenir leur taux de croissance et leur biomasse. Cette action a aussi stimulé leur production de graines. L’éphèdre et le buis ont augmenté leur contenu phénolique, considéré comme une défense constitutive. Parallèlement, l’éphèdre a réduit sa production d’alcaloïdes, ce qui pourrait contribuer à prévenir une possible addiction à ces composés, et ainsi réduire les dommages causés par le broutage. Ainsi, l’expérience montre que ces trois plantes sont très tolérantes à un certain niveau de broutage par les herbivores, une bonne adaptation qui a pu se développer tout au cours du Pléistocène en présence de Myotragus balearicus, puis de l’Holocène avec l’introduction des chèvres domestiques. Ces résultats sont importants pour la conservation d’espèces végétales relictuelles dans les îles méditerranéennes, et tout particulièrement les Baléares, où les mesures de protection sont basées sur l’exclusion des herbivores sauvages.

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Le câprier qui forme en milieu calcaire des sortes de bonzaï naturel, avec de gros troncs en dépit de leur forme ramassée. Les câpres sont les boutons de fleurs conservés dans du vinaigre.

Une dernière étude sur l’évolution de la végétation dans le sud de l’Espagne, dont les considérations peuvent, sans risque, être étendues à l’ensemble du bassin méditerranéen, montre que la pression humaine a été déterminante pour la dégradation et la désertification de ces régions. Lors des épisodes de sécheresse qui se sont produits depuis le Miocène (débutant il y a 23 millions d’années) et au cours du Pléistocène (débutant il y a 2,58 millions d’années), il est toujours resté des zones refuges pour la végétation, notamment arborée. Par contre, à partir de la seconde moitié de l’Holocène (ces derniers 5000 ans), la pression humaine (et des troupeaux) sur la végétation s’est d’abord fait sentir en plaine, puis elle s’est étendue aux zones montagneuses, incendies et surpâturage tendant à faire disparaître nombre d’espèces végétales, particulièrement celles au développement lent comme les arbres. Si le climat, la géologie, la biodiversité sauvage (les herbivores) ont certes leur importance, c’est bien l’humanité qui a exercé et exerce encore la plus grosse pression sur un environnement naturel qui conditionne pourtant son existence même.

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Les 5 femmes du groupe (Françoise, Cathy, Evelyne, Mailen et Dany), aimablement photographiées par l’un de nos trois compagnons (Richard, Jean-Charles et Gerald).

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